La gauche adversaire

« Non. Quittons l’idée que la misère est fatale. Oui, elle est l’oeuvre des hommes et les hommes peuvent la détruire. » Bruno Tardieu d’ATD Quart Monde

«  il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au smic. » Pascal Lamy Socialiste

Il n’était pas attendu de François Hollande, candidat de la gauche au second tour de l’élection présidentielle de 2012, qu’il mette en place une république sociale et égalitaire. En lorgnant sur la trajectoire politique du socialiste, il était net que son cheminement ne le conduirait pas (et le pays avec lui) vers un modèle de société (plus) collective, (plus) solidaire. Or d’où vient l’immense déception de ce quinquennat ? De quel bois serait fait ce nouveau socialisme issu d’un dol politique probablement inédit ?

politique PS Manuel VallsLa réponse parait assez claire. Elle vient du fait que François Hollande et le cénacle de professionnels de la gestion politique qui l’entoure poussent le corps social (qui recouvre le corps électoral) loin dans ses retranchements. Il a pris le pari que toutes les valeurs que l’on pouvait attendre d’un homme de gauche s’avéraient aujourd’hui caduques. Il a fait sienne chacune des propositions servies par la pensée dominante depuis le début des années 80. Celle des Alain Minc et autres ersatz de penseurs médiatiques plus ou moins recommandables.  Dont le récit politique tourne autour du paiement d’une dette et de la compétitivité et pour seul horizon la bagarre du tous contre tous.

On pouvait raisonnablement attendre quelque chose du changement, après l’interminable moment sarkozyste. De petits riens, comme un statu quo en matière de régression sociale, l’abandon de l’hystérie patronale pour revenir à de rapports plus sains entre pouvoir politique et pouvoir capitalistique. Enfin et peut être le plus important, admettre que les dysfonctionnements de la société, comme la misère, le chômage, l’exclusion sont dus à la volonté et aux actes de certains au détriment d’autres. Et non pas à un ordre spontané s’abattant impitoyablement sur les moins compétents ou capables.

Rien de tout cela n’a eu lieu. La gauche qui gouverne s’attèle à pérenniser une vision et une organisation sociale prédatrice. Sans en atténuer les conséquences. La social-démocratie version 2014 est un instrument politique tout aussi brutal que le sarkozysme ou le balladurisme. Il fait fi des rapports de classes, de domination, de la misère mais surtout des causes. Le socialisme de 2014 a intégré la dépersonnification des conséquences du système économique. Comme ses successeurs souvent de droite, la masse informe appelée population (ou les échéant électeurs) constitue un adversaire qu’il faut au mieux dresser, (ou) au pire gérer. 

On attendait une trêve, une respiration en élisant un socialiste. La France s’est parée d’un quarteron de belliqueux totalement rangés derrière la grande idée de guerre économique. Ils ont décidé semble-t-il, vague après vague de vider de son sens l’idée de même de gauche.

Vogelsong – 9 avril 2014 – Paris

Plus simple sous Sarkozy

« L’élite au pouvoir est composée d’hommes dont la position leur permet de transcender l’univers quotidien des hommes et des femmes ordinaires » C. Wright Mills dans « The Power Elite » (1956)

C’est plus simple sous la droite. Parce qu’elle capte grâce à ses réflexes reptiliens l’essence du moment. Elle absorbe toutes les turpitudes de l’époque par sa seule existence. D’être de droite. Après cinq longues années sous la férule de N. Sarkozy, l’exercice de la critique était quasiment devenu une seconde nature. Elle s’est exprimée dans les moindres recoins de la vie politique française. C’est une génération de « politologues » naît sous ce quinquennat loufoque, réactionnaire et droitier comme jamais. Ce besoin de limites claires, ce tropisme du bien et du mal, a peut-être aveuglé une bonne partie des observateurs. Parce qu’au-delà de se situer d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique, cette géométrie largement virtualisée par le scrutin et son bipartisme final, un pouvoir de gauche ou de droite, reste surtout et avant tout, un pouvoir. Dont la principale préoccupation réside dans sa perpétuation par-delà ses impérities.

Christopher Dombres

C’était plus simple sous N. Sarkozy. Les évacuations d’étrangers avaient une connotation droitière, un vieux relent faschistoïde, que de manière entendue beaucoup pouvaient comprendre sans qu’il fut besoin que quoi que ce soit fut prononcé. Le simple fait que cela soit exécuté par la droite décuplait l’abjection des actes. Dont les auteurs du moment, martiaux, caricaturaux, enfilaient sans grande résistance l’uniforme.

Si les folies économiques de la mandature Fillon laissent un si mauvais souvenir, c’est qu’elles avaient une empreinte de classe, largement vivifiée par les souvenirs du Fouquet’s et les escapades en Yacht. C’était plus simple, car cela se percevait. Et souvent se subodorait, par l’habitus des protagonistes, en dépit de leurs théâtres si bien réglés par la communication, mais qui finissaient trahis par leur être. Par ce qu’ils étaient dans leurs tréfonds. Des gens de pouvoirs et de clans mus par la volonté de se maintenir, quel qu’en soit le prix.

C’est que l’on oublie le b a ba du pouvoir, qui n’a ni amis, ni sympathie, mais seulement des instruments. Mobilisé au service de causes plus ou moins louables, mais dont la spécifié tient essentiellement à se maintenir en vie. On notera toutefois que ce maintien passe par des projets plus ou moins estimables. Selon les clientèles visées. Par exemple : Qu’est-ce qui pousse un gouvernement élu sous l’étiquette de gauche à administrer l’austérité à la majorité de ses électeurs, quand dans le même mouvement il déguerpit ventre à terre sous la pression d’une poignée d’entrepreneurs dont la rhétorique tient davantage du chantage affectif que de la rationalité économique ? Traitrise, gestion, pensée unique, cynisme viennent à l’esprit.

À la fin des fins, rien ne change réellement sauf, peut-être, que c’était plus simple sous la droite. Que l’on distinguait nettement le noir et le blanc. Qui permettait de se glisser avec assurance dans la défense des dominés. Une défense qui allait de soi. On découvre avec agacement les limites grisâtres de la domination de l’autre bord (la gauche ?). Un pouvoir tout aussi instrumental dont la spécificité comme pour le précédent, sera de survivre à ses trahisons et ses espoirs déçus. Or cette génération spontanée de politologues, qui a crucifié le régime précédent gagnerait à appliquer le même filtre ultra critique avec le nouveau.

C’est surement l’une des leçons des plus mal apprises des démocraties d’alternance. Que le pouvoir persistant ne se modifie jamais de bonne grâce. Et que la critique des dominants attifés de n’importe quel costume reste salutaire.

Vogelsong – 9 octobre 2012 – Paris

Roms, ce persistant manque de courage

« Excuses are like assholes, Taylor. Everydody’s got one » Sergeant Red O’Neill dans Platoon (1986) d’O. Stone

Très curieusement, en France, le mois d’août, c’est le mois des Rroms. Une coutume récente inaugurée lors du discours de Grenoble en 2010 par l’ancien président de droite N. Sarkozy. Dont E. Todd dira en mars 2012  » Nous sommes en période de déroute économique, et cet homme passe son temps à désigner quelques malheureux à la vindicte, à s’en prendre aux Roms.« . En août 2012, F. Hollande règne, M. Valls tient le bâton. Et rien n’a changé. Ni le manque de courage, ni les fausses solutions, ni l’hypocrisie des prétextes. Des Roumains et Bulgares vivant dans des campements de fortune sont pourchassés sous les objectifs de la presse. L’association des maires socialistes approuve, les barons de la droite extrême se gaussent. Les Français bronzent et acquiescent mollement, puisque c’est la seule solution.

Christopher Dombres

Les gouvernements sont passés maitres dans l’art d’exhiber leur courage. Prendre des décisions courageuses est devenu le grand leitmotiv de l’oligarchie. Sous ce vocable se nichent généralement la chasse aux pauvres, la stigmatisation des minorités, l’exutoire sur des problèmes secondaires. Au sujet des Rroms, le gouvernement se targue de prendre à bras le corps un cas complexe. Une poignée de gens qu’on livre aux médias. Et dont il faut bien le dire, l’extrême gauche libertaire se saisit pour faire du bruit. Or si on peut imputer ce « courage » au PS, curieusement il est de même nature que celui dont se targuait l’UMP.

On peut penser aujourd’hui, à l’ère de la nouvelle gauche décomplexée, que le courage relève d’une autre forme. Celle de traiter politiquement les problèmes de la même façon que la droite. Et de le dire. Ou mieux le montrer. Avec M. Valls on en a fini du sécuritaire honteux. Le courage aujourd’hui c’est d’expliquer aux Français, dans cet air de renouveau réactionnaire, que finalement l’inhumanité a ses indiscutables raisons. Le courage finalement dans ces questions humaines c’est d’afficher son cynisme. Le Parti Socialiste, ses militants, ses sympathisants, ses zélateurs et répétiteurs y parviennent presque.

Pourtant, le courage ce serait de respecter ses valeurs. De gauche quand on est de gauche. Le courage c’est d’aller contre l’opinion qui s’accorde selon l’IFOP (mandaté par Atlantico) à 80 % pour démanteler les campements (sachant que dans la même étude 70 % affirment que cela ne changera rien, ou une autre idée du sadisme…). Le courage c’est peut-être de montrer qu’il y a d’autres solutions que les coups de communication. Que ces sujets relèvent de solutions de fond : construire avant d’expulser, éduquer avant de sévir.

Comme évoquer l’insalubrité des campements pour prétexter de l’usage de la violence (même modérée (sic)). On touche là au sublime dans le cynisme. Si les postures libertaires peuvent prêter à sourire, pour un certain idéalisme, les technocrates qui s’enquièrent subitement du bien-être des populations, qu’ils laissent globalement croupir depuis des lustres, ne manque pas d’à-propos… Ni de ridicule. Une longue habitude finalement de ce type de gymnastique sémantique : les libéraux réactionnaires s’enquièrent du chômeur en libéralisant et précarisant le marché du travail. Les vendeurs de peurs dealent leur sécurité pour rassurer ceux qu’ils ont préalablement terrorisés. Avec des dispositifs encore plus anxiogènes. Le grand bazar de la politique spectacle.

Les derniers retranchements de la gauche-qui-fait-le-sale-boulot se situent dans l’incessante recherche de solutions. Une manière de montrer son dynamisme (et ses biscoteaux). Qui fait écho au courage cité plus haut. Au-delà de la question incongrue de « pourquoi maintenant, au creux du mois d’août », on peut se demander quels problèmes posent réellement les Rroms ? S’agit-il d’une gêne de voisinage, de sécurité publique, d’électoralisme ? Si la plupart des commentateurs l’oublient, la France se recroqueville lentement sur des valeurs identitaires. Rechercher une solution dans ce contexte-là, avec ces solutions-là confine plus de la politique de stigmatisation et de boucs émissaires qu’à la résolution. Comme si gouverner consistait à répondre instantanément aux questions que l’on a soigneusement mises en scène…

En septembre 2011, lors d’une interview à l’assemblée nationale, F. Hollande présidentiable interrogé sur les expulsions, expliquait qu’il fallait que cela se fasse dans le cadre de la loi et dans la dignité.

Comme s’il pouvait y avoir de la dignité dans l’expulsion d’un humain.

Vogelsong – 14 août 2012 – Paris

PS et «pulsion de mort»

« La mort s’est détachée comme un fruit sec de l’arbre des dieux défunts » R. Vaneigem in « Adresse aux vivants »

Le PS est animé par une pulsion de mort.

Au risque de décevoir, mais dans un souci de transparence, il faut comprendre que l’expression « pulsion de mort » dans son acceptation la plus élémentaire, traduction de l’anglais « deathwish », dérivé de l’allemand « Todeswunch », et que l’on pourrait définir ainsi : une pulsion suicidaire qui pousse certains individus à se mettre régulièrement en situation de danger.

Vu de l’extérieur (du PS, de la France), il me semble évident que le PS français est animé par une telle pulsion. Malgré la brutalité et l’incompétence de ses concurrents de droite, il reste obstinément aux portes du pouvoir.

Il se fait doubler par le FN en 2002, mais n’en tire aucune leçon. En 2007, il savonne la planche à Ségolène Royal, femelle iconoclaste et illégitime. Il enfonce le clou au congrès de Reims. En 2011, il place DSK sur la rampe de lancement, malgré le risque important d’explosion en vol.

Retour en 2008. On s’émerveille devant l’ascension fulgurante, puis la victoire d’Obama aux États-Unis, mais aveuglés par son étasunisme d’apparence africaine, on passe à côté de l’essentiel. Voilà un type jeune, beau, fougueux, dynamique, éloquent, conquérant, qui bouscule le statu quo de son parti, les codes de la politique, etc.

En 2011, lors de la primaire socialiste, les candidats jeunes, beaux, fougueux, dynamiques, éloquents, conquérants et bousculants ont certes rencontré un beau succès d’estime, mais à la surprise de personne, le second tour a opposé deux apparatchiks de longue date du parti.

Vous avez dit pulsion de mort ?

Comme Jospin en 2002, le programme de Hollande dix ans plus tard se résume en creux à « vous n’allez pas réélire l’autre taré quand même ?! ». Sur le front des idées, il nous promet de l’austérité, mais mieux répartie (l’austérité juste ?). Sur le front de l’image, ces discordances prennent corps dans les fluctuations pondérales du candidat.

Mais peu importe. Le PS se mérite. Le PS veut être aimé inconditionnellement. Pour ce qu’il est, même s’il ne sait plus qui il est lui-même.

L’argent, la réussite, le business, l’économie de marché, la concurrence libre et non faussée ne sont pas des valeurs de gauche, mais ces valeurs n’ont jamais eu de meilleurs agents et promoteurs que les sociaux-démocrates, de Clinton et Blair à Schröder, Zapatero, Papandréou, pour ne pas citer nos socialistes bien de chez nous.

Chemin faisant, cette gauche doit bien avoir conscience qu’elle y a laissé des plumes en perdant son âme, ou du moins son sex-appeal.

Et pour aggraver sa crise d’identité, la Crise, justement, vient démontrer cruellement que ce système qu’elle a géré avec infiniment plus de compétence que la droite était en fait miné de l’intérieur.

Alors pétri de doutes et de contradictions (face à une droite pétrie de certitudes), le PS veut-il vraiment gagner ? S’il gagne sur sa droite, il entérine la perte de son âme, mais pour gagner à gauche, il doit se repentir et se réinventer du tout au tout, tâche titanesque.

Est-ce pour cela que le PS semble tétanisé, et incapable de saisir tous les bâtons que la droite lui tend pour se faire battre ?

Est-ce pour cela que son discours est inaudible et son image si trouble ?

Ou est-ce pour le coup une manifestation plus inconsciente d’une pulsion de mort de nature freudienne ? Pour simplifier allègrement, Freud identifie la pulsion de vie (survie, reproduction, sexe et autres pulsions créatives) et la pulsion de répétition, qui ont pour fonction de réduire la tension. Il leur adjoint plus tard, presque la mort dans l’âme si l’on peut dire, la pulsion de mort, désir de revenir à un état antérieur inorganique, par définition de tension zéro ou de repos ultime.

Les idéalistes préfèrent voter pour des gens animés par une pulsion de vie, mais à défaut, il faut avouer que cette pulsion de mort (au sens freudien ou ricain) qui ronge le PS est finalement une expression de ce qu’il a de plus humain, de plus humainement fragile, ce qui éveille une certaine empathie, et le rendrait sympathique s’il n’avait pas vocation (à son corps défendant) à gouverner le pays.

sknob – 27 mars 2012  -Paris

Le Bourget et après ?

« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » F. Hollande

La magie socialiste quand elle opère…

Le parti des bisbilles, des rancœurs tenaces et des petites mesquineries. La formation de gauche respire sobrement après les tourments successifs de 2002 et 2007. Fini la candidate mal aimée, malmenée, hors du cadre, dont le militant, une fois l’exposé crispant terminé, s’escrimait à trouver des choses positives ou des améliorations sur le fond ou la forme. Fini aussi la surprise de la déferlante frontiste, dont on sait cette fois qu’elle point, là toute proche. Le parti socialiste parait avoir trouvé un candidat qui lui ressemble, et le rassemble. Un candidat sans fausse note, qui ne vend pas du rêve contrairement à ce qui se dit communément après la prestation du Bourget.

Cela veut-il dire que F. Hollande va gagner ? Ce n’est pas certain. Ce qui l’est plus c’est qu’il risque de ne pas perdre. Car gagner, impliquerait l’annexion majoritaire du champ politique par les idéaux de gauche : Mise en question des rapports de domination, changement de braquet sur les finalités de l’activité économique, et une remise en perspective des carcans de la mondialisation.

Or F. Hollande a esquissé quelques pistes lors de son discours du 22 janvier 2012, ouvrant la voie d’un progressisme gestionnaire avec quelques propositions parfaitement audible par la gauche radicale. Une stratégie politique excellemment amenée, jetant une tête pont entre les deux rives. Car il y aura un après. Ce moment d’amnésie post-partum électoral, où il faudra rapiécer les petits morceaux de gauches.

Grâce à des arguments économiques et sécuritaires bien agencés. Sortant du carcan droitier de la compétitivité et de la maréchaussée contre les Français. En évoquant, « l’ennemi sans visage » de la finance, il entre dans le lexique quelque peu hasardeux des franges alternatives. Il s’offre un moment radical. Quoique pas tout à fait assumé, car si on veut bien se donner la peine de scruter, la finance possède des noms et des visages. À moins qu’il n’évoque les robots nanométriques que l’on essaie de rassurer avec les plans d’austérité successifs.

Plus fort encore, consiste en son appel à la république pour rattraper les délinquants de tous ordres. Une menace à peine voilée à celui dont il ne prononcera pas le nom, son adversaire de droite aujourd’hui Président. Mais au-delà, il cesse de jouer la force de l’État contre ses citoyens. La police contre les jeunes. Et sa tirade « Aux délinquants financiers, aux fraudeurs, aux petits caïds, le prochain président vous prévient : la République vous rattrapera. » pourrait bien entrer dans l’histoire.

Dans le story-telling grand format de l’élection de 2012, F. Hollande a sans conteste trouvé les mots et la posture. Qui lui permettront peut-être de tenir jusqu’au 6 mai 2012. Ensuite pour toutes les composantes de la gauche, se profilera un retour plus ou moins rapide au réel. Comme d’habitude.

Vogelsong – 24 janvier 2012 – Paris