Le changement ? Pas pour demain.

« Oui. On est bordéliques, bigarrés, gueulards, métèques, païens, fornicards, fêtards, célestes, comédiens, on vous emmerde ! #laGauche » @ZaraA sur Twitter

Il ne s’est rien passé. Ou si peu. Au lendemain de la victoire du progrès, c’est comme cela que l’on aime se qualifier à gauche, les inepties du débat public reprennent leur inexorable route vers l’impasse.

Pour exemple, le débat du 7 mai, au lendemain d’une alternance, portant sur la méticuleuse comptabilité du nombre de drapeaux tricolores lors du rassemblement festif de la bastille. Aux dires de certains, cette irruption incontrôlée s’apparente à une débauche trop bigarrée pour être sérieuse. Bien optimiste celui qui peut imaginer qu’après la séquence identitaire de ces cinq dernières années, et son acmé des trois dernières semaines les choses puissent en être autrement.

Au contraire. Comme une pression supplémentaire, au lieu d’une bouffée d’oxygène, ce qui reste du débat identitaire se retrouve exacerbé au sein même de la victoire. De la victoire d’un bord qui quoi que l’on en pense garde encore même maigrement cette parcelle d’universalisme qui fait que certaines valeurs « françaises »émergent encore du brouet nationaliste déversé ces derniers temps.

C’est loin des sourires et des clameurs, des boubous et des yallah que la France identitaire s’est conformée au comptage des fanions hostiles. Plus que les odeurs de graisses, des gaz d’échappement, et de l’alcool, c’est par la médiation des animateurs-journalistes en plasma que la France identitaire et patriote s’est fait une idée précise de son pays. Le pays réel dit-on. Assis sur un canapé en sky brun.

Le 6 mai beaucoup n’ont pas voté à gauche. Mais pour la mémoire de la gauche. De ses valeurs passées. Dont il ne reste plus qu’une faible rémanence. Un dernier carré de valeurs qui n’est pas encore passé au rinçage nationaliste. Dorénavant on trouvera toujours un type sérieux avec pignon sur rue pour compter minutieusement, les noirs, les blancs, les filles saoules au sein des foules débauchées. Et de ce magma bariolé, on discernera comme la preuve d’une hostilité les couleurs des drapeaux de cette armée ennemie qui occupe, dit-on désormais, la terre de France.

Vogelsong – 7 mai 2012 – Paris

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Un tour amer

« François Hollande, en fait, on s’en fout, c’est uniquement pour punir l’autre et faire éclater l’UMP.  » Commentaire sur un site Frontiste

La foule s’est massée devant le nouveau château. Rue de Solférino. Des jeunes, des trentenaires plutôt homogènes dans le style, l’habitus. En face de l’écran géant disposé devant le siège du PS, on semble connaitre le dénouement. Que de surprises il n’y a pas. Les fuites issues twitter donnent des résultats cohérents. François Hollande devant Nicolas Sarkozy, et un total gauche enviable.

Le ciel est encore clair.

Plus tard. Derrière la vitre. Le ballet silencieux de journalistes, caciques du parti et militants donne le tournis. Une masse compacte gravite au centre de la cour de Solférino sous les écrans plasma. En quelques minutes l’ambiance vire. On s’interroge les yeux rivés sur les smartphones. Les visages se ferment. Le ciel s’assombrit.

Le Front National est à 20%. Un électeur sur cinq par ce jour de printemps, de prétendu changement a donné sa voix à l’extrême droite. Il suffit alors de tendre l’oreille pour saisir l’incrédulité de certains commentaires. Que ce soit la presse ou les militants, on est frappé, incrédule. Les iPhone des équipes de presses sont pourtant formels. La victorieuse du soir c’est Marine Le Pen. On essaie de faire comme si il n’en était rien. Le champion local, François Hollande est en tête finalement. On moque Jean-Luc Melenchon ramené à sa juste place, on loue le courage d’Eva Joly… Mais il reste un arrière-goût d’inachevé, d’amertume dans cette soirée à la promesse festive. Le ciel est noir.

On quitte le château. Avec en mémoire les propos rassurants d’un spécialiste du comptage électoral et du report de voix. L’issue du second round semble scellée. Sauf accident dit-on. Mais accident il y a eu. Au premier round de cette élection. Là maintenant aujourd’hui. Ressortent alors les explications habituelles, empreintes d’auto persuasion, sur le «malêtre», «la colère», voire «la tristesse» des 7 millions d’électeurs du FN. Que l’on a presque envie de cajoler. Que l’on traite en ignare aussi, incapables de discerner dans le discours la xénophobie. Pourtant si clair.

Le 21 avril 2002 n’est toujours pas compris. On continue de penser que le FN est un refuge pour âmes en peine. Un asile de citoyens frustrés, alors qu’il se constitue en 3e force politique du pays. Sur des thématiques structurées, identifiables : xénophobie, rejet, haine, peur.

Mais qu’importe N. Sarkozy est proche du départ. Et c’est tout ce qui compte…

Demain il fera jour.

Vogelsong – 23 avril 2012 00h15 – Paris

Fétichisme programmatique : ceux qui promettent et ceux qui écoutent

“Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une dette.” Confucius

Ne lisez pas les programmes ça ne sert à rien. Bon sens ou hérésie démocratique ? Comment zapper la profession de foi du candidat qui engage sa personne sur la réalisation de projet durant sa mandature. Le programme est dit-on la pierre angulaire de l’élection. Le sésame qui ouvre la voie de la respectabilité, mais surtout de la crédibilité entre ce qui est faisable, ce qui est souhaitable et ce qui est possible. Mais il peut aussi être perçu comme un grand exercice d’amnésie collective, et la quintessence du gadget marketing en politique.

Le programme politique s’apparente plus à un budget d’expansion de Start-up qu’à une feuille de route de gouvernement. En ce sens, il permet à plus ou moins long terme de dire que l’on n’a pas tenu ses promesses. Et la vie politique française dans ce domaine ne manque pas d’exemples marquants. En 1981, F. Mitterrand a mis un peu plus de deux ans pour faire demi-tour, pour annoncer que finalement ce n’était plus possible. Et que le programme de gauche, de changement ainsi voté ne pourrait être totalement poursuivi. Il reste du mitterrandisme aujourd’hui quelques mesures que l’on garde précieusement faute d’avoir changé le monde. Pour N. Sarkozy c’est plus flou. On pourrait dire que le reniement de ses engagements se situe entre 3h et 1 mois. On se souviendra de sa tirade place de la Concorde, la voix vibrante « Je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas ». Avec le recul, on confine au pathétique.

Chacun à son prétexte. En 1983-84, la gauche sous la pression budgétaire et européenne n’a pas voulu (pu) sauter du train continental. On déploiera nombre d’artifices médiatiques, dont le fameux exercice télévisuel pédagogique « Vive la crise », pour masser les consciences et faire passer l’amertume. Pour la période Sarkozyste, on a eu la crise. Réceptacle de toutes les difficultés, ce grand alibi de sortie de feuille de route.

Mais surtout, l’objet programme n’est qu’un élément parmi les autres du dispositif de marketing politique. Au même titre que le Haka PS, les lunettes rouges, mais surtout les couleurs de cravate et les slogans qui font mouche. D’ailleurs, le passé montre que les candidats furent plus élus sur un gimmick que sur une réelle vision politique. Et seuls les experts par exemple ont vu dans N. Sarkozy un tournant libéral en 2007. Pour le citoyen, il s’agissait surtout de « gagner plus ».

Enfin, le programme est un artifice piégeux et globalisant. Pour en revenir à N. Sarkozy de 2007, c’est tout ou rien. En d’autres termes, il faut à la fois croire au paiement des heures supplémentaires et accepter dans le même lot la stigmatisation des étrangers. Or, sur une proposition (le gagner plus), on ramasse le tout (la totalité du programme)…

Une enquête électorale publiée dans Libération et citée par P. Quinio en février 2007 montrait que 11 % des personnes interrogées ne se prononcent pas. Et sur les 89 % qui citent le nom d’un candidat de leur choix, 56 % pensent qu’ils peuvent changer d’avis. Les Français manifestement ne lisent pas les programmes. Soit ils ont compris l’entourloupe, soit ils n’en ont pas le temps.

Bien sûr en 2012, il en sera tout autrement.

Vogelsong – 28 janvier 2011 – Paris

De la difficulté d’interviewer l’extrême droite

“Ils subissent (les maires) une rétorsion. Est-ce que c’est démocratique ?” M. Le Pen le 25 janvier 2011 sur France Inter

Transformer le rendez-vous le plus écouté des matinales d’information radiophoniques en ring de boxe, c’est le pari de M. Le Pen. Un pari tenu dans les studios de France Inter, le 25 janvier 2012. La question n’est pas de faire la leçon aux journalistes (aguerris) qui se sont fait rouler par la vieille technique frontiste, la posture du martyr médiatique. Cet échange révèle tout d’abord que rien n’a réellement changé dans la stratégie du Front National avec les médias, même si on joue des deux côtés la dédiabolisation. Et ensuite qu’il s’avère périlleux de tenir le crachoir à une formation qui utilise la “démocratie”, et l’un de ses piliers, la presse, pour coloniser le débat de valeurs antidémocratiques, tel le rejet, la xénophobie voire le racisme d’État. Les journalistes souvent paresseux se font prendre presque à chaque fois, dans le paradoxe inextricable du Front National. Parti très “représentatif”, qui tout en ayant pignon sur rue, une vaste surface puisque “bankable ” médiatiquement, n’en reste pas moins une usine à haine difficilement contrôlable dans le format des émissions proposées.

Comment extirper en vingt-six minutes le sens de ce que M. Le Pen veut vraiment dire ? Comment figurer réellement ce qui se niche sous les vocables “préférence nationale” ou “retraite à la carte” ? Il faudrait probablement une dizaine d’heures pour faire le tour du premier sujet et presque autant pour arriver au bout du second. Or, ce matin du 25 janvier 2012, pour évoquer les concepts du Front national, parti d’extrême droite rassemblant dit-on un votant sur cinq, nous aurons une petite trentaine de minutes. Derrière une simple question de temps se cache toute la difficulté de l’éclairage politique dans la “démocratie”.

Se profile aussi une autre problématique. Selon quelques commentateurs, blogueurs et spécialistes (de gauche), le seul moyen de sortir du piège de l’extrême droite consiste à abandonner la « diabolisation ». Cette mise au ban organisée par les bobos bienpensants, insensibles à la souffrance du “populo”, premier réceptacle aux idées du FN. Ce qui pourrait se décrypter autrement : les classes moyennes et populaires blanches ont un problème avec l’immigration africaine, il faut faire quelque chose. Ou bien (plus raide), ils sont un peu xénophobes, on les canalise comment ? Les non-dits sont cruels en “démocratie”, et ce type d’accommodation de langage ne circule qu’en circuit fermé et privé.

D’ailleurs concernant la dédiabolisation, sur ces mêmes antennes de service public, le 19 janvier 2012,  W. de Saint-Just, conseiller en communication pour M. Le Pen, confiait que le principal objectif du Front National était, selon ses propres termes, “la dédiabolisation”. On s’étonnera, peut-être (ou pas), de cette convergence entre débatteurs, experts, journalistes  (certaines fois de gauche) et membres influents du parti d’extrême droite. On soutiendra bien évidemment qu’il ne s’agit pas de la même “dédiabolisation”… A moins d’une confluence, si ce n’est idéologique, d’intérêts…

L’esclandre du 25 janvier 2012 sur France Inter a une saveur particulière, puisqu’on peut déceler à chaque instant de l’interview la façon dont M. Le Pen monte doucement dans les tours pour atteindre, à la toute fin, le climax de sa (fausse) colère. Un story-telling bien mené, d’abord sur sa difficulté à obtenir les signatures nécessaires à sa candidature à la présidentielle. Une brimade supplémentaire de l’“établissement”. D’ailleurs elle gratifiera une question de T. Legrand sur sa légitimité, puisqu’elle peine à trouver ses parrainages, d’un cinglant “c’est n’importe quoi ce que vous dites”. “Je suis une femme libre” pérorera-t-elle quelques instants plus tard, un ton au-dessus. C’est B. Guetta qui essuiera la plus douceâtre des vacheries suite à une remarque sur le soutien du FN au régime de B. El-Assad, “Mais où avez-vous lu ça ? Dans un Carambar ?”. S’ensuivra un feu d’artifice d’invectives (et une menace de diffamation) après l’évocation de F. Chatillon pro-Syrien (proche du FN) par P. Cohen. “Et votre boulangère qu’est-ce qu’elle pense de la Syrie ?” lancera-t-elle, l’ire à son comble, aux journalistes après la fin de l’émission, considérant peut-être que l’ambiance n’était pas encore assez plombée. Tout ceci formidablement interprété, la morgue tout en maitrise.

Ce qui aura échappé aux journalistes dans la tourmente, c’est que M. Le Pen reprend quasiment mot à mot les arguments d’A. Soral sur la Syrie, en particulier concernant le “double jeu du Qatar”. Un auteur, ex-membre du FN, qu’elle potasse et écoute assidument… Si l’on en croit les ouvrages qu’elle exhibe sur son bureau.

M. Le Pen réussit l’invraisemblable. Squatter le système médiatique, rouler les journalistes, et continuer de faire comme si elle figurait hors du champ. Une virginité sans cesse renouvelée par le paradoxe des mass media, à la fois pilier du modèle de  “démocratie libérale” servant la soupe à une formation qui ne la respecte pas, et en même temps si friand de cette nouvelle égérie électorale. Car le FN et M. Le Pen font comme si, brimés par l’industrie de l’information, ils étaient parvenus à rassembler potentiellement 20 % des électeurs par le seul effet du bouche à oreille et d’une campagne alternative hors des grandes chaines. Par un mouvement spontané d’adhésion aux thèses nationales et xénophobes. De la belle mythologie.

Quant aux intervieweurs ils sont à la fois complices et victimes : valser avec les démons comporte quelques menus désagréments…

Vogelsong – 25 janvier 2012 – Paris

Le Bourget et après ?

« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » F. Hollande

La magie socialiste quand elle opère…

Le parti des bisbilles, des rancœurs tenaces et des petites mesquineries. La formation de gauche respire sobrement après les tourments successifs de 2002 et 2007. Fini la candidate mal aimée, malmenée, hors du cadre, dont le militant, une fois l’exposé crispant terminé, s’escrimait à trouver des choses positives ou des améliorations sur le fond ou la forme. Fini aussi la surprise de la déferlante frontiste, dont on sait cette fois qu’elle point, là toute proche. Le parti socialiste parait avoir trouvé un candidat qui lui ressemble, et le rassemble. Un candidat sans fausse note, qui ne vend pas du rêve contrairement à ce qui se dit communément après la prestation du Bourget.

Cela veut-il dire que F. Hollande va gagner ? Ce n’est pas certain. Ce qui l’est plus c’est qu’il risque de ne pas perdre. Car gagner, impliquerait l’annexion majoritaire du champ politique par les idéaux de gauche : Mise en question des rapports de domination, changement de braquet sur les finalités de l’activité économique, et une remise en perspective des carcans de la mondialisation.

Or F. Hollande a esquissé quelques pistes lors de son discours du 22 janvier 2012, ouvrant la voie d’un progressisme gestionnaire avec quelques propositions parfaitement audible par la gauche radicale. Une stratégie politique excellemment amenée, jetant une tête pont entre les deux rives. Car il y aura un après. Ce moment d’amnésie post-partum électoral, où il faudra rapiécer les petits morceaux de gauches.

Grâce à des arguments économiques et sécuritaires bien agencés. Sortant du carcan droitier de la compétitivité et de la maréchaussée contre les Français. En évoquant, « l’ennemi sans visage » de la finance, il entre dans le lexique quelque peu hasardeux des franges alternatives. Il s’offre un moment radical. Quoique pas tout à fait assumé, car si on veut bien se donner la peine de scruter, la finance possède des noms et des visages. À moins qu’il n’évoque les robots nanométriques que l’on essaie de rassurer avec les plans d’austérité successifs.

Plus fort encore, consiste en son appel à la république pour rattraper les délinquants de tous ordres. Une menace à peine voilée à celui dont il ne prononcera pas le nom, son adversaire de droite aujourd’hui Président. Mais au-delà, il cesse de jouer la force de l’État contre ses citoyens. La police contre les jeunes. Et sa tirade « Aux délinquants financiers, aux fraudeurs, aux petits caïds, le prochain président vous prévient : la République vous rattrapera. » pourrait bien entrer dans l’histoire.

Dans le story-telling grand format de l’élection de 2012, F. Hollande a sans conteste trouvé les mots et la posture. Qui lui permettront peut-être de tenir jusqu’au 6 mai 2012. Ensuite pour toutes les composantes de la gauche, se profilera un retour plus ou moins rapide au réel. Comme d’habitude.

Vogelsong – 24 janvier 2012 – Paris