Un tour amer

« François Hollande, en fait, on s’en fout, c’est uniquement pour punir l’autre et faire éclater l’UMP.  » Commentaire sur un site Frontiste

La foule s’est massée devant le nouveau château. Rue de Solférino. Des jeunes, des trentenaires plutôt homogènes dans le style, l’habitus. En face de l’écran géant disposé devant le siège du PS, on semble connaitre le dénouement. Que de surprises il n’y a pas. Les fuites issues twitter donnent des résultats cohérents. François Hollande devant Nicolas Sarkozy, et un total gauche enviable.

Le ciel est encore clair.

Plus tard. Derrière la vitre. Le ballet silencieux de journalistes, caciques du parti et militants donne le tournis. Une masse compacte gravite au centre de la cour de Solférino sous les écrans plasma. En quelques minutes l’ambiance vire. On s’interroge les yeux rivés sur les smartphones. Les visages se ferment. Le ciel s’assombrit.

Le Front National est à 20%. Un électeur sur cinq par ce jour de printemps, de prétendu changement a donné sa voix à l’extrême droite. Il suffit alors de tendre l’oreille pour saisir l’incrédulité de certains commentaires. Que ce soit la presse ou les militants, on est frappé, incrédule. Les iPhone des équipes de presses sont pourtant formels. La victorieuse du soir c’est Marine Le Pen. On essaie de faire comme si il n’en était rien. Le champion local, François Hollande est en tête finalement. On moque Jean-Luc Melenchon ramené à sa juste place, on loue le courage d’Eva Joly… Mais il reste un arrière-goût d’inachevé, d’amertume dans cette soirée à la promesse festive. Le ciel est noir.

On quitte le château. Avec en mémoire les propos rassurants d’un spécialiste du comptage électoral et du report de voix. L’issue du second round semble scellée. Sauf accident dit-on. Mais accident il y a eu. Au premier round de cette élection. Là maintenant aujourd’hui. Ressortent alors les explications habituelles, empreintes d’auto persuasion, sur le «malêtre», «la colère», voire «la tristesse» des 7 millions d’électeurs du FN. Que l’on a presque envie de cajoler. Que l’on traite en ignare aussi, incapables de discerner dans le discours la xénophobie. Pourtant si clair.

Le 21 avril 2002 n’est toujours pas compris. On continue de penser que le FN est un refuge pour âmes en peine. Un asile de citoyens frustrés, alors qu’il se constitue en 3e force politique du pays. Sur des thématiques structurées, identifiables : xénophobie, rejet, haine, peur.

Mais qu’importe N. Sarkozy est proche du départ. Et c’est tout ce qui compte…

Demain il fera jour.

Vogelsong – 23 avril 2012 00h15 – Paris

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De la difficulté d’interviewer l’extrême droite

“Ils subissent (les maires) une rétorsion. Est-ce que c’est démocratique ?” M. Le Pen le 25 janvier 2011 sur France Inter

Transformer le rendez-vous le plus écouté des matinales d’information radiophoniques en ring de boxe, c’est le pari de M. Le Pen. Un pari tenu dans les studios de France Inter, le 25 janvier 2012. La question n’est pas de faire la leçon aux journalistes (aguerris) qui se sont fait rouler par la vieille technique frontiste, la posture du martyr médiatique. Cet échange révèle tout d’abord que rien n’a réellement changé dans la stratégie du Front National avec les médias, même si on joue des deux côtés la dédiabolisation. Et ensuite qu’il s’avère périlleux de tenir le crachoir à une formation qui utilise la “démocratie”, et l’un de ses piliers, la presse, pour coloniser le débat de valeurs antidémocratiques, tel le rejet, la xénophobie voire le racisme d’État. Les journalistes souvent paresseux se font prendre presque à chaque fois, dans le paradoxe inextricable du Front National. Parti très “représentatif”, qui tout en ayant pignon sur rue, une vaste surface puisque “bankable ” médiatiquement, n’en reste pas moins une usine à haine difficilement contrôlable dans le format des émissions proposées.

Comment extirper en vingt-six minutes le sens de ce que M. Le Pen veut vraiment dire ? Comment figurer réellement ce qui se niche sous les vocables “préférence nationale” ou “retraite à la carte” ? Il faudrait probablement une dizaine d’heures pour faire le tour du premier sujet et presque autant pour arriver au bout du second. Or, ce matin du 25 janvier 2012, pour évoquer les concepts du Front national, parti d’extrême droite rassemblant dit-on un votant sur cinq, nous aurons une petite trentaine de minutes. Derrière une simple question de temps se cache toute la difficulté de l’éclairage politique dans la “démocratie”.

Se profile aussi une autre problématique. Selon quelques commentateurs, blogueurs et spécialistes (de gauche), le seul moyen de sortir du piège de l’extrême droite consiste à abandonner la « diabolisation ». Cette mise au ban organisée par les bobos bienpensants, insensibles à la souffrance du “populo”, premier réceptacle aux idées du FN. Ce qui pourrait se décrypter autrement : les classes moyennes et populaires blanches ont un problème avec l’immigration africaine, il faut faire quelque chose. Ou bien (plus raide), ils sont un peu xénophobes, on les canalise comment ? Les non-dits sont cruels en “démocratie”, et ce type d’accommodation de langage ne circule qu’en circuit fermé et privé.

D’ailleurs concernant la dédiabolisation, sur ces mêmes antennes de service public, le 19 janvier 2012,  W. de Saint-Just, conseiller en communication pour M. Le Pen, confiait que le principal objectif du Front National était, selon ses propres termes, “la dédiabolisation”. On s’étonnera, peut-être (ou pas), de cette convergence entre débatteurs, experts, journalistes  (certaines fois de gauche) et membres influents du parti d’extrême droite. On soutiendra bien évidemment qu’il ne s’agit pas de la même “dédiabolisation”… A moins d’une confluence, si ce n’est idéologique, d’intérêts…

L’esclandre du 25 janvier 2012 sur France Inter a une saveur particulière, puisqu’on peut déceler à chaque instant de l’interview la façon dont M. Le Pen monte doucement dans les tours pour atteindre, à la toute fin, le climax de sa (fausse) colère. Un story-telling bien mené, d’abord sur sa difficulté à obtenir les signatures nécessaires à sa candidature à la présidentielle. Une brimade supplémentaire de l’“établissement”. D’ailleurs elle gratifiera une question de T. Legrand sur sa légitimité, puisqu’elle peine à trouver ses parrainages, d’un cinglant “c’est n’importe quoi ce que vous dites”. “Je suis une femme libre” pérorera-t-elle quelques instants plus tard, un ton au-dessus. C’est B. Guetta qui essuiera la plus douceâtre des vacheries suite à une remarque sur le soutien du FN au régime de B. El-Assad, “Mais où avez-vous lu ça ? Dans un Carambar ?”. S’ensuivra un feu d’artifice d’invectives (et une menace de diffamation) après l’évocation de F. Chatillon pro-Syrien (proche du FN) par P. Cohen. “Et votre boulangère qu’est-ce qu’elle pense de la Syrie ?” lancera-t-elle, l’ire à son comble, aux journalistes après la fin de l’émission, considérant peut-être que l’ambiance n’était pas encore assez plombée. Tout ceci formidablement interprété, la morgue tout en maitrise.

Ce qui aura échappé aux journalistes dans la tourmente, c’est que M. Le Pen reprend quasiment mot à mot les arguments d’A. Soral sur la Syrie, en particulier concernant le “double jeu du Qatar”. Un auteur, ex-membre du FN, qu’elle potasse et écoute assidument… Si l’on en croit les ouvrages qu’elle exhibe sur son bureau.

M. Le Pen réussit l’invraisemblable. Squatter le système médiatique, rouler les journalistes, et continuer de faire comme si elle figurait hors du champ. Une virginité sans cesse renouvelée par le paradoxe des mass media, à la fois pilier du modèle de  “démocratie libérale” servant la soupe à une formation qui ne la respecte pas, et en même temps si friand de cette nouvelle égérie électorale. Car le FN et M. Le Pen font comme si, brimés par l’industrie de l’information, ils étaient parvenus à rassembler potentiellement 20 % des électeurs par le seul effet du bouche à oreille et d’une campagne alternative hors des grandes chaines. Par un mouvement spontané d’adhésion aux thèses nationales et xénophobes. De la belle mythologie.

Quant aux intervieweurs ils sont à la fois complices et victimes : valser avec les démons comporte quelques menus désagréments…

Vogelsong – 25 janvier 2012 – Paris

Le Bourget et après ?

« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » F. Hollande

La magie socialiste quand elle opère…

Le parti des bisbilles, des rancœurs tenaces et des petites mesquineries. La formation de gauche respire sobrement après les tourments successifs de 2002 et 2007. Fini la candidate mal aimée, malmenée, hors du cadre, dont le militant, une fois l’exposé crispant terminé, s’escrimait à trouver des choses positives ou des améliorations sur le fond ou la forme. Fini aussi la surprise de la déferlante frontiste, dont on sait cette fois qu’elle point, là toute proche. Le parti socialiste parait avoir trouvé un candidat qui lui ressemble, et le rassemble. Un candidat sans fausse note, qui ne vend pas du rêve contrairement à ce qui se dit communément après la prestation du Bourget.

Cela veut-il dire que F. Hollande va gagner ? Ce n’est pas certain. Ce qui l’est plus c’est qu’il risque de ne pas perdre. Car gagner, impliquerait l’annexion majoritaire du champ politique par les idéaux de gauche : Mise en question des rapports de domination, changement de braquet sur les finalités de l’activité économique, et une remise en perspective des carcans de la mondialisation.

Or F. Hollande a esquissé quelques pistes lors de son discours du 22 janvier 2012, ouvrant la voie d’un progressisme gestionnaire avec quelques propositions parfaitement audible par la gauche radicale. Une stratégie politique excellemment amenée, jetant une tête pont entre les deux rives. Car il y aura un après. Ce moment d’amnésie post-partum électoral, où il faudra rapiécer les petits morceaux de gauches.

Grâce à des arguments économiques et sécuritaires bien agencés. Sortant du carcan droitier de la compétitivité et de la maréchaussée contre les Français. En évoquant, « l’ennemi sans visage » de la finance, il entre dans le lexique quelque peu hasardeux des franges alternatives. Il s’offre un moment radical. Quoique pas tout à fait assumé, car si on veut bien se donner la peine de scruter, la finance possède des noms et des visages. À moins qu’il n’évoque les robots nanométriques que l’on essaie de rassurer avec les plans d’austérité successifs.

Plus fort encore, consiste en son appel à la république pour rattraper les délinquants de tous ordres. Une menace à peine voilée à celui dont il ne prononcera pas le nom, son adversaire de droite aujourd’hui Président. Mais au-delà, il cesse de jouer la force de l’État contre ses citoyens. La police contre les jeunes. Et sa tirade « Aux délinquants financiers, aux fraudeurs, aux petits caïds, le prochain président vous prévient : la République vous rattrapera. » pourrait bien entrer dans l’histoire.

Dans le story-telling grand format de l’élection de 2012, F. Hollande a sans conteste trouvé les mots et la posture. Qui lui permettront peut-être de tenir jusqu’au 6 mai 2012. Ensuite pour toutes les composantes de la gauche, se profilera un retour plus ou moins rapide au réel. Comme d’habitude.

Vogelsong – 24 janvier 2012 – Paris

Vous reprendrez bien un “21 avril 2002” ? Non plutôt un “27 octobre 2005”…

“Le réel c’est quand on se cogne” J. Lacan

La France sue la panique. La minuterie électorale s’emballe, le personnel politique conscient qu’il faudra émerger des décombres s’excite comme un pantin frénétique. Depuis 2002, date du basculement dans le préfrontisme, les baudruches électorales s’en sont remises aux recettes politiques incantatoires, occupant le terrain médiatique des positions acquises. Pour les partis d’opposition, particulièrement le PS, une décennie paralytique. Avec comme credo lancinant, pathétique : “on va s’y mettre”. À droite, c’est l’hémiplégie idéologique, puisque seules les sirènes extrémistes et réactionnaires résonnent aux oreilles du quarteron de dirigeants. Horizon Mai 2012, une multitude de prétendants, un seul élu, une ribambelle de déçus avec comme effet collatéral la possibilité d’un nouvel accident démocratique. Pourtant, rien ne change, on se complait dans l’anticommémoration d’avril 2002, sorte d’exorcisme républicain destiné à chasser ce mal qu’on aime tant finalement. Car il ancre l’ordre social, ramène les citoyens au stade infantile. Une démocratie fantasmée, sage comme une image, rythmée de campagnes électorales, puis d’une élection moyenne. Au bout du compte, mieux vaut un “21 avril 2002” qu’un “27 octobre 2005” ?

On s’active dans les états-majors des partis politiques. La machine électoraliste fonctionne à pleine puissance. Les responsables politiques se shootent aux sondages administrés à une population qui n’en peut mais. Une énergie délirante dépensée en anticipations, projections, analyses à la petite semaine d’échantillons d’individus désaffectés de la chose politique. Les partis échafaudent des stratégies de gestion optimales du corps électoral, pour rafler la mise. Des embryons de programmes politiques lâchés en place publique pour donner l’impression du mouvement, comme au PS, sachant que le candidat en fera ce qu’il voudra. Un défilé incessant d’égo qui squattaient déjà la place il y a 30 ans. À droite on mime une démocratie interne en envoyant en première ligne des seconds couteaux pour appeler à des primaires. Simulacre puisque la messe est dite. Tout un barnum politico-médiatique avec comme toile de fond le spectre du Front National.

Mais finalement que risque la démocratie avec la menace du Front National au second tour ? Un camouflet symbolique, privant d’une finale rêvée le cénacle de la raison du petit monde politique ? La remise en cause d’une bipolarisation qui se dissipe, non pas par la jonction des deux principaux partis, UMP et PS, mais dans la radicalisation réactionnaire du premier (matinée de frénésie entrepreunariale) et l’affadissement du second engoncé dans ses compromis gestionnaires et stériles. Finalement ce qui se joue c’est la survie d’un parti (au choix), pas de la démocratie dans son état actuel, décrépite. Un second tour comportant le FN ne fait aucun doute sur l’issue. Ne pas avoir tenu compte de 2002, et faire la morale sur les nécessités du rassemblement pour 2012 confine au ridicule politique.

En octobre 2005, trois années après les lamentations d’avril 2002, les banlieues s’embrasent. C’est l’irruption violente dans l’espace médiatique des habitants du no man’s land de la République jusqu’ici simples objets de discours. Pendant trois semaines les medias se perdent dans la fascination du feu. Donnant presque (et) par mégarde (un peu) la parole aux habitants des quartiers. Pas pour très longtemps évidemment, l’ordre sécuritaire bien hérité de 2002 retrouve sa primauté. Des sondages “qui changent tout”* comme celui du Parisien du 9 novembre 2005 viennent appuyer les nervis gouvernementaux. Puis le discours carré des responsables de tous bords, “favorables” à l’arrêt des violences (notamment contre le mobilier public et les voitures).

Pourtant, 2005 cristallise sous toutes ses formes les impérities de la République, celle que F. Fillon, dans une décomplexion orwellienne, un peu plus tard dans sa loi antiburqa décrira comme “fondée sur le rassemblement autour de valeurs communes et sur la construction d’un destin partagé, elle ne peut accepter les pratiques d’exclusion et de rejet”.

Dominations culturelles, économiques et symboliques, ségrégations géographiques, stigmatisation religieuse, les émeutes d’octobre 2005 en comportent les ferments, les échos politiques. Des échos qui résonnent jusqu’en 2007 puis 2012. D’ailleurs, la matraque Lepeniste sert parfaitement la dénégation des causes sociales aux problèmes périurbains, dépeinte comme de la violence pure, bestiale… Dans cette demande sécuritaire relayée de Marianne au Monde (L. Bronner) puis dans la sphère politique par les dérapages des sarkoziens (B. Hortefeux, C. Guéant) et socialistes (M.Valls). “avril 2002” a ravagé tous les esprits.

Pour les présidentielles de 2012, le programme de la gauche ne sera manifestement pas révolutionnaire, dans le sens où il ne changera pas les données fondamentales qui régissent l’ordre social. En particulier dans les banlieues, ce point focal, ce maillon faible, mais aussi ce miroir grossissant de toutes violences économiques et politiques. Il suffit de tendre l’oreille aux propos programmatiques des caciques socialistes comme F. Hollande “Il faut réussir le mariage entre la gauche et la France.” ou P. Moscovici qui “ne veut pas promettre la lune”…

Alors, éviter un nouveau “21 avril 2002” évitera-t-il un nouveau “27 octobre 2005” ?

* 73% des français pour le couvre-feux entre autres

Vogelsong – 21 Avril 2011 – Paris