WikiLeaks, une vérité insoutenable ?

“Une société transparente est une société totalitaire” F. Baroin (à propos de WikiLeaks) le 29.11.2010

Aucune “révélation” fracassante, rien qui ne peut ébranler le monde. Pourtant WikiLeaks a frappé le cœur du système. Il a rapporté les petites phrases diplomatiques des uns sur les autres, un gossip mondial qui expose finalement ce qui se savait ou se subodorait déjà. En substance, que la diplomatie bruisse de petites phrases, s’arrange de coups tordus, d’avis plus ou moins autorisés forcément subjectifs sur un chef d’État ou un pays. Les câbles concernant N. Sarkozy et son américanisme ne font que confirmer le notoire. Rien d’excitant. Par contre, WikiLeaks lève le rideau sur des rouages des mass media. Et en ce sens, l’impact déstabilise fortement l’architecture existante. Une architecture bâtit verticalement, sur des fondations relevant plutôt de l’entre soi et de l’influence, pudiquement nommée responsabilité ou déontologie. En réalité un Ancien Monde, qui prend de plein fouet la révolution de l’information. Une révolution sans objet, d’apparence nihiliste. Mais, on le sait, du néant pourrait surgir la lumière.

Les messages diplomatiques mis en ligne sont le fruit d’un vol. À ce titre, la publication par les médias pourrait relever du recel. Le statut de marchandise de l’information venant corroborer cette thèse. Mais finalement assez grossière. L’information lourde, celle qui change le monde émerge souvent de cloaques. S’en tenir à ce qui fleure bon revient à distiller une information proprette, dont le caractère nuisible pour quiconque serait aboli. Le vieux monde médiatique en quasi total contrôle dose minutieusement la communication packagée, relayée par les rédactions, produisant d’une part du temps d’information superfétatoire en terme de connaissance du monde, d’autre part de l’information aseptisée à usage régulier d’intérêt relatif, et enfin du scoop explosif dont on fait la réputation du métier.

L’incursion de WikiLeaks produit un choc dans ce milieu tempéré par les mandarins omnipotents. Car ce qui se joue au final, c’est la perte du contrôle, et donc du pouvoir. Le contrôle parce que l’information issue de WikiLeaks est brute, sans objectif (revendiqué), si ce n’est un leitmotiv aguichant. On n’est plus dans le journalisme d’enveloppes minutieusement ciblé. Où l’exclusivité du scoop provient plus certainement d’une fuite orchestrée que du travail d’enquête en territoire hostile. WikiLeaks, c’est le déversoir hétéroclite dont il faut refaire le tri. Un tri laissé à la discrétion de chacun au gré des diversités. Un cauchemar d’autocrate. Dont la standardisation du périmètre de pensée tient lieu d’objectif.

Plus de ligne éditoriale, de joug politique dont les injonctions font taire les dossiers. Le foutoir général qui se surajoute à l’environnement déjà instable de l’Internet. Ce nouveau territoire déjà affublé de tout à l’égout de la démocratie par certains, de société sans civilisation par d’autres. Mais surtout un lieu où les cartes du pouvoir sont sans cesse rebattues. Face à des pôles installés en recherche de captation d’audience, émergent des sources capables à chaque instant de déstabiliser l’éco-système. Une incertitude intolérable pour ceux qui ont le pouvoir et désirent le garder.

Atteinte à la démocratie, dictature de la transparence, la levée de boucliers est immédiate. On s’indigne des publications, mais souvent et étrangement les cris d’orfraie proviennent du même lieu. Ce surplomb oligarchique et minoritaire qui truste les cénacles globalisés. Et vue de là, toute immixtion dans les réseaux de communications pré installés, pré formatés, est vécue comme une atteinte à des principes fondamentaux. À la démocratie dit-on, mais surtout à un monopole. Celui de la relation préférentielle que tissent les pouvoirs et la presse mainstream. Dont la principale vertu consiste à fabriquer et tempérer l’opinion. Les uns au bénéfice des autres.

Agiter le spectre de l’homme nu, sans intimité relève d’une confondante mauvaise foi. Quand il s’agit de relever les petits secrets d’alcôve des puissants, l’opacité doit être de mise. Quand il faut surveiller la plèbe, c’est un tout autre discours. Fichage généralisé, traçabilité du citoyen, télésurveillance dans les cités, fabricant une société de plus en plus sécuritaires, on perçoit les mêmes qui promeuvent ce modèle éructer lorsqu’ils sont eux-mêmes auscultés. Les mêmes qui pérorent que “ceux qui n’ont rien à cacher, n’ont rien craindre”. Alors évidemment, tout ceci a pour unique objectif le bien du citoyen, que l’on veut protéger d’une vérité insoutenable. Une vérité souvent résumée au fait qu’ils ont été floués par l’oligarchie. Par des discours et des mensonges. Bien gardée par la médiasphère. Il y a des mensonges salvateurs, des manipulations d’État qu’il faut taire. En substance cela revient à distinguer deux types d’Hommes. Les supérieurs qui ont accès à la connaissance et qui sont capables de l’intégrer. Et l’autre, une masse informe zombifiée qui ne peut ingurgiter que ce qui a préalablement été nettoyé. De manière à ce que la société irénique, tempérée par la communication de masse se perpétue. Blanche, clinique sans remous.

Il ne s’est rien passé. Mais le coup de semonce a été entendu. La surréaction des gouvernements en atteste. En France le ministre de l’industrie E. Besson refuse que le site WikiLeaks soit hébergé sur le territoire. Après s’en être pris aux humains étrangers, il s’occupe des électrons indésirables. Mais, une brèche est ouverte, on craint le débordement. WikiLeaks prévoit en janvier des “révélations” sur les banques. De quoi faire frémir les chantres de la stabilité du système. En prônant l’opacité comme garante de l’équilibre, les sociétés filent droit vers l’abîme. Il est vraisemblable que rien ne puisse arrêter la révolution numérique, avec ce tropisme de vérité. Les cathédrales médiatiques en ruine continueront de distiller leur tiédeur. Mais le réel défi, au-delà de WikiLeaks et de ses futurs ersatz, est la question du citoyen capable d’assumer la vérité. Dans la négative, il faudra admettre une démocratie dystopique à deux niveaux. Sinon, sortir de l’infantilisation, et voir le monde tel qu’il est. L’assumer. Pour peut-être le changer.

Vogelsong – 3 décembre 2010 – Paris

35 réflexions sur “WikiLeaks, une vérité insoutenable ?

  1. Wikileaks et le Vatican
    Toc toc toc … Au compte gouttes !
    Le cinquième pouvoir, le sixième sens, le septième ciel est en train de prendre les devants de la scène au nez et à la barbe de tous les états malveillants!
    WIKILEAKS… catalyse à lui tout seul, tous les rayons X, Y et Z…
    Il a percé tous les coffres forts et dispersé dans l’air leur substance toxique…

    http://www.tueursnet.com/index.php?journal=Wikileaks

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  2. euh, pour l’heure seuls un petit millier de documents ont été effectivement révélés, étudiés et filtrés depuis cinq mois par des rédacteurs issus des grands journaux comme Le Monde, El Païs, le Guardian, le NYT.
    De sorte que connaissant « la responsabilité » de certaines rédactions et les menaces gouvernementales, ces révélations à trous négociés ne constituent pas encore la preuve d’une quelconque indépendance de l’information, ni une illustration de la transparence.
    Mais elles suffisent cependant au vu des réactions outragées à montrer que la démocratie n’est qu’une dictature utilisant l’argent comme arme principale tant que ce moyen se révèle le plus efficace.

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  3. Pingback: l’homme qui voulait faire taire le web (mdr) « les échos de la gauchosphère

  4. Vive la transparence mais je ne suis pas non plus pour le piratage et le vol de données…
    si mes amis ou proches savaient tout ce que je disais ou pensais sur eux à tout moment ca serait horrible on aurait plus le droit de s’énerver ni de caricaturer…
    Les révalations croustillantes de wikileaks sont amusantes mais je prefererrai avoir une transparence totale au sein des partis politiques sur les actions, financement,
    Peut on demander à OVH de demander à Wikileaks t’intervenir dans l’affaire karachi ?

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    • La question est plus complexe, je pense. Drans le cas de WikiLeaks, y a-t-il eu vol. Seulement un partage de connaissance. Ca les câbles sont toujours dans les serveurs américains. Ils n’ont pas cambriolé du matériel, il n’y a pas eu substitution de bien.

      La question des proches et de la transparence da,s l’intimité est un faux problème. Bien utile aux oligarques d’ailleurs. Nous parlons ici de politique de démocratie, de civilisation et de pouvoir. En d’autres termes, vous nous surveillez, on vous surveille. Comme le prix du pouvoir.

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      • Question : c’est qui « nous » ? Parce que si vous pensez que l’Etat s’intéresse à vous, faites vous soigner ! Non l’Etat ne « vous » surveille pas, il a bien plus intelligent à faire. Vous pensez sérieusement que s’il ne gardait pas un œil sur la délinquance et notamment la délinquance organisee, internationale, la planète serait toujours là ? Le « peuple », dont vous vous faites le porte-plume, a bien compris quant à lui les questions que cela pose. Il n’est ni anarchiste, ni nombriliste, et il n’aime pas les fayots. On sait d’où vous venez et pourquoi vous n’avez pas encore sombré dans l’anonymat !

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  5. mauvais manip…
    Je disais donc, pourquoi c’est toujorus bien quand on lit ici ?
    Je me pose juste des questions sur ta conclusion
    « Mais le réel défi, au-delà de wikileaks et de ses futurs ersatz, est la question du citoyen capable d’assumer la vérité. Dans la négative, il faudra admettre une démocratie dystopique à deux niveaux. Sinon, sortir de l’infantilisation, et voir le monde tel qu’il est. L’assumer. Pour peut-être le changer. »
    Qu’il l’assume et qu’il y soit prêt, c’est une chose, qu’il arrive à la voir, cette vérité, c’est autrechose.
    Je m’explique : lire, croiser les docs, etc… c’est chrnophage. Quelqu’un qui bosse, qui a une famille etc… c’est pas dit qu’il ait le temps.
    lire en anglais, ce n’st pas non plus donné à tout le monde.
    Je te le dis, je suis d’accord sur toute la ligne mais je suis plus réservée que toi sur l’utilisation qui va en être faite : est-ce que les gens ne vont pas plus se tourner vers les journaux, les sites, les blogs, les tv, peu importe, pour avoir l’analyse de ce qu’ils n’auront pas lu ? Pour avoir en quelques minutes le résultat de plusieurs heures de lecture… Le truc c’est que l’info, la vérité, sera passée par le prisme de celui/celle ou du média qui la donne.
    non ?

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    • Certainement. Et le débat n’est pas tranché. Je ne crois pas qu’aujourd’hui nous pouvons parler d’analyse.
      Changer de paradigme serait déjà pas mal. Sortir de l’infantilisme aussi.

      Si on n’y croit pas, laissons les mainstream continuer de déverser leur tiédeur.

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      • je ne dis pas ca mais si je regard dans mon entourage proche, je te soutiens que des tas de gens n’y arriveront pas. Ce n »est pas de l’infantilisation c’est juste que quand quelqu’un a déjà du mal à lire en français, comment veux tu qu’il lise en anglais.
        quand quelqu’un bosse en 3×8 tout le temps dehors, comment veux tu qu’il passe autant de temps que nous sur la toile.
        Je suis d’accord avec toi sur le fond, je dis juste qu’il faut faire attention aux prismes par lesquels certaines personnes (des catégories les plus populaires) vont recevoir les infos parce que ça peut être pire…

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  6. Pingback: le jUblOg » Est-ce que les gouvernements peuvent légitimement censurer la diffusion d’informations qui leur déplaisent ?

  7. Super article , toujours aussi bien écrit . Pas grand chose à ajouter .
    Sinon que Baroin parlant de société totalitaire à cause de la transparence , c’est plutôt risible et significatif de la trouille qu’ils ont d’être découverts tels qu’ils sont .
    Il devrait aller visiter les archives de la dernière guerre . Il y découvrirait les « secrets » de l’état pétainiste et sa longue liste d’auteurs de dénonciations . Peut-être y trouverait-on des gens maintenant « illustres » , va savoir ?
    Quel est des deux l’état le plus totalitaire ?
    Nous , les « ceux qui ne savent rien parce qu’ils ne sont pas capables de comprendre » , on nous épie , on nous fiche , on nous suit à la trace et on nous sanctionne à la moindre erreur , on nous fait des procès en diffamation , on fait d’une broutille un immense fait divers comme Rachida Dati portant plainte pour un e-mail certes irrévérencieux.

    Mais quand il s’agit « d’élus » pas touche , ils ont l’immunité absolue , ils sont la parole de l’évangile .
    Tout le monde sait bien que non , ils sont des êtres humains comme les autres avec leurs qualités et souvent leurs défauts . Alors pourquoi le cacher ? Et puis sincèrement , ce qu’ils ont dit ou pas , on s’en fout , ce qui compte c’est ce qu’on vit , et là on a beaucoup à dire . Internet le permet et c’est bien ainsi .

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    • F. Baroin, un play boy attifé en saltimbanque. Finalement insignifiant.

      Effectivement, la transparence pour les uns, la sécurité pour les autres. C’est pour cela que l’oligarchie se cabre.

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  9. Il a peur qu’on en vienne à l’assassiner le créateur de Wikileaks, faut dire que ses sources sont si ce n’est du TNT, des signes de faiblesse de certains dirigeants. En tout il dérange, puisque vous avez raison, Besson a interdit à tout hébergeur d’accueillir Wikileaks. Il se passe des choses étranges quand même.

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  10. Excellente analyse des pouvoirs, de l’argent, et de la plus grande suppériorité du pouvoir de l’information brute ou traitée, sur les pouvoirs politiques, et l’importance de son impact, sur la maîtrise des courants de pensées et du raisonnement des masses populaires!

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  11. Pingback: Pas de diplomatie avec les notes. Wikileaks dans le collimateur international des pouvoirs. | JLBaque's Blog

  12. Entièrement d’accord avec toi. A la nuance près, que les relations diplomatiques exigent parfois la confidentialité. Je trouve par ailleurs ta description du spectre de l’Etat totalitaire omniprésent qui s’efforce de surveiller les moindres faits et geste de ses citoyens est quelque peu exagérée. Je t’accorde qu’il faut surveiller toute évolution qui irait en ce sens.

    Lui de Duo d’Idées
    duodidees.wordpress.com

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    • Tu noteras que les cables on été expurgés des mentions compromettantes pour les personnels qui opèrent en zones sensibles.

      Il semble que WikiLeaks ne soit pas totalement ignorant des dangers diplomatiques.

      Concernant l’état-pénitence, je te conseille de lire le blog de Manach (bug brother).

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  13. sont tordants tous ces clowns de l’info qui profitent de l’imperfection du système (de la structure) pour asséner leur morale de cerbères qui n’auront jamais mieux a proposer (cf Cantona). Quel courage de cracher sur les démocraties – garantes des libertés individuelles dont la liberté d’expression – et de faire le jeu
    des tyrans qui concentrent tous les pouvoirs ! Vous pouvez toujours vous autocongratuler, vos postures et vos stratagèmes sont stériles, pis ils donnent bonne conscience à vos adversaires imaginaires.

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