Mondialisation #2 – La tête de Turc : La Grèce

Expérimentation in vivo sur un corps social de la théorie du choc. N. Klein décrivait avec justesse les avancées néo-libérales successives, faites au profit des crises. Dans la situation de tension extrême, recroquevillé sur l’anxiété qui entrave toute tentative de contester des décisions drastiques, le modèle orthodoxe d’économie mondialisée gagne du terrain. Contrairement à une idée reçue, les masses ne contestent pas lorsqu’il y a souffrance. Les mesures infligées par « le concert des nations » à la Grèce dénotent une volonté manifeste de voir jusqu’où on peut aller trop loin.

Attaque massive
Il existe dans les relations internationales des limites au cynisme. Pour pouvoir frapper comme un sourd sur un sujet blessé, encore faut-il trouver des raisons adéquates à ses débordements. Les mesures d’austérité imposées aux citoyens grecs sont sans communes mesures avec les plans d’ajustements habituellement mis en place. Allongement de l’âge de départ à la retraite passant de 58 à 67 ans, suppression de deux mois de salaire pour les fonctionnaires, large rabotage dans les budgets publics et sociaux. Au total, un butin de plus de 100 milliards d’euros. Au profit des crises successives, c’est à coup de boutoir que sont enfoncées les dernières défenses de l’État social. On extirpe alors un consentement sur la base de culpabilisation massive, entonnant le refrain de l’État en faillite, et « de-la dette-laissée-aux-générations-futures ».
Généralement les États règlent la question en interne. Les seules interférences extérieures étant les exemples internationaux « qui marchent » pour asseoir des argumentations fallacieuses hors contexte. En présentant avantageusement aux travailleurs français l’âge de la retraite de l’Allemand, lui expliquant qu’il est nanti.
Il semble qu’avec la crise grecque (et les suivantes), un autre stade ait été franchi. Que la stratégie de harcèlement secteur par secteur se soit transformée en poussée massive prenant pour cible un État, une nation.

Les bourreaux à l’œuvre
Le lynchage en règle s’opère à tous les niveaux, experts, journalistes, politiciens. Travailler l’opinion sur des fondements crapoteux, mettant en exergue les dérives culturelles (voire génétiques) des Hellenes. Combien d’économistes persiflent de la « tricherie » du gouvernement grec, préférant la légendaire bonne gestion allemande. Cela a valu un acronyme porcin aux mauvais élèves, PI(I)GS. Ces experts qui font leur job depuis 30 ans sans jamais rien prévoir. Les mêmes qui chantonnaient les louanges de la moralisation du capitalisme, qui ne s’étouffent pas lorsque l’on prête à 4% à un pays exsangue, alors que l’on a acheté cet argent à 1%. Mélangeant sans vergogne fraude d’État, fraude individuelle. Le tout dans un salmigondis de propos ethnico-nauséaux. Courroie de transmission, les éditorialistes économiques, petites castes scientistes répétant un catéchisme prédigéré, s’en sont remis (eux aussi) au tropisme méditerranéen de la tromperie organisée. Se gargarisant du 13e et 14e mois de salaire des fonctionnaires. Deux mois amputés sans peine à ces replets fainéants. Plus dramatiques, sont les larmes de crocodile des politiques. F. Bayrou, par exemple, décrivait les réserves fiscales de la Grèce. Illustrant son exemple de leur propension à payer en liquide pour slalomer autour des taxes. Les Grecs se complairaient dans la fraude, le franchissement de lignes jaunes. Pour le plaisir de nuire.

Le grec n’est plus un autre « moi« , il est une autre chose. Une anomalie économique qu’il est bon de châtier sans complaisance. De passer au fer sans sourciller. D’ailleurs, lui-même se débat peu. Conscient de sa très (très) grande faute. Ils passeront donc sur le chevalet. Foin de bons sentiments !
Pourtant, des bons sentiments n’ont pas manqué lorsqu’il fallut faire le marketing d’une Union Européenne fantasmagorique, des peuples et de l’expansion économique. Des bons sentiments caducs quand il faut passer à l’action, à la solidarité. Mais quand il s’agit d’intérêts, d’idéologie…
Dans ce laboratoire de catastrophe sociale, le Péloponnèse sera scruté avec attention. Jusqu’où le tour de vis budgétaire, agrémenté de propagande économique peut contraindre un peuple à se dépouiller sans heurt. Jusqu’où peut-on pousser le paradoxe de cohérence européenne, d’entraide des membres, et se nourrir dans le même temps sur la bête ?
Enfin, comment par le miracle de la didactique des décideurs, l’exemple grec pourra servir de hochet, pour l’euphémisation des réformes moins brutales infligées dans les pays voisins ? Que peut rétorquer un Français auquel on impose 2 années de cotisations supplémentaires, alors que 9 sont prescrites aux grecques.
L’Europe s’est trouvé une victime expiatoire de la globalisation. Consciente qu’un modèle positif (type Irlande, Espagne, Islande,…) ne fait plus recette, elle a construit un (premier) épouvantail à exposer sur le marché mondial de la peur. Une tête de Turc, la Grèce.
[tweetmeme source= « Vogelsong »]

Vogelsong – 4 mai 2010 – Paris

12 réflexions sur “Mondialisation #2 – La tête de Turc : La Grèce

  1. Le sujet de la Grèce me met hors de moi ! Depuis le début, nous savons que c’est un laboratoire grandeur nature qui permettra de tester le point de rupture (ou justement l’absence de point de rupture) de ce que les peuples sont prêts à encaisser ! Quand j’ai commencé à suivre le sujet (PT), je ne me trompais ni sur le titre, ni sur l’issue ! Sauf qu’à vouloir jouer avec le feu, nos pompiers pyromanes de la finance mondialisée-z’et-heureuse vont réduire en cendre non seulement la Grèce (au propre comme au figuré) mais l’ensemble de l’Europe…tiens, finalement, je vais aller faire un billet, il faut que j’expulse la colère !
    merci de ce billet Mister !!!

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  2. Pingback: The Greek double whammy: Lehman-ization + Shock Doctrine

  3. Voici ce qui a été décidé lundi 10 mai 2010 :

    – 1- Première étape : les Etats d’Europe du sud doivent emprunter sur les marchés internationaux des centaines de milliards d’euros.

    – 2- Deuxième étape : les banques privées achètent ces obligations des Etats d’Europe du sud. C’est le marché primaire. Pour pouvoir acheter ces obligations, les banques privées empruntent à la Banque Centrale Européenne à un taux très faible : les banques privées empruntent à 1 %.

    – 3- Troisième étape : la Banque Centrale Européenne va racheter aux banques privées ces obligations des Etats d’Europe du sud. C’est le marché secondaire.

    – 4- Bilan de l’opération :

    – Les banques privées vont gagner des milliards d’euros.

    – La Banque Centrale Européenne va devenir une gigantesque fosse à merde.

    – Dans le bilan de la Banque Centrale Européenne, les obligations pourries des Etats d’Europe du sud seront stockées pendant des années.

    – Les CONtribuables paieront la facture.

    – CONtribuables, préparez vos chéquiers.

    Résultat des banques privées à la Bourse de Paris aujourd’hui :

    Sur le front des valeurs, parmi les plus fortes hausses du CAC 40, on trouve:
    SOCIETE GENERALE (+ 21.91 % à 39.95 euros )
    AXA (+ 20.09 % à 14.195 euros )
    BNP PARIBAS (+ 19.03 % à 52.29 euros )
    CREDIT AGRICOLE (+ 16.72 % à 10.575 euros )
    DEXIA (+ 16.36 % à 3.84 euros )

    http://www.boursorama.com/international/detail_actu_intern.phtml?num=766c1120aed119efa5506609de5043fe

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  4. C’est beau quand même le capitalisme financier (ou le capitalisme tout court) : une belle machine bien huilée ! Même quand tu as l’impression qu’elle est grippée, c’est pour repartir de plus belle…avec notre huile de coude !

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  5. Pingback: L’Allemagne peut-elle renoncer à l’Europe ? | Reversus

  6. Vogelsong, bon on sait que l’on pas toujours d’accord tous les deux ;-) Mais le cas grec est différent d’autres situations passées.

    Sur le discours ambiant (pas le tien en particulier), je ne parlerais pas du fait que des carottes ne peuvent pas être comparées à des pommes (un taux à très court terme de 1% et un taux à long terme de 5%) ni de l’étrange oubli des taux à long terme de 4-5% des banques. Je ne dirais rien sur le fait que de toute façon, les acteurs principaux (directement et indirectement) sur le marché de la dette d’Etat sont les caisses de pensions (principalement publiques) et non les banques. Je ne dirais rien non plus sur l’augmentation des dépenses de 50 mia par année depuis l’entrée dans l’euro de la Grèce que le gouvernement a pu se permettre uniquement parce que la Grèce est rentrée dans cette même zone euro. Et encore moins que 40 de ces 50 mia ont été consacré au peuple et au plus démunis via les retraites, l’administration et la sécu et donc que les 30 mia d’économies ne sont pas, contrairement à ce qu’on veut bien dire, un démantèlement de 50 ans d’Etat social mais plus modestement (même si douloureusement) un retour à la situation prévalant 4-5 ans auparavant (note que je ne dis pas que ce plan d’austérité est une bonne idée mais pour d’autres raisons).

    Non ce qui me dérange le plus dans le discours ambiant, c’est son paradoxe et son populisme: on critique le « marché » parce qu’il ne fait pas aujourd’hui ce qu’on lui a reproché d’avoir fait hier aux Etats-Unis: prêter à tout va des montants importants sans se soucier si l’emprunteur à la capacité de rembourser.

    Au plaisir d’en débattre autour d’une bière prochainement avec toi.

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  7. Pingback: Quand la Grèce brûle, gare au retour de flamme | laetSgo le Blog

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