Vers une révolution ? Fiscale.

“Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux; l’égoïsme social est un commencement de sépulcre.” V. Hugo dans “Le Droit et la loi et autres textes citoyens”

L’impôt est une extorsion, un joug que l’État liberticide ordonne aux citoyens de payer. Une charge indue supportée par le peuple qui s’évapore après perception. À peu de chose près, comme une litanie, les gouvernements, eux-mêmes percepteurs, ressassent ce type d’idée. Dans un mouvement de désarmement unilatéral, la puissance publique préfère s’employer à sa propre neutralisation plutôt qu’à expliquer l’impérieuse nécessité des ressources fiscales. Que, plus que la frénésie libératoire du modèle d’individualisation libérale, ce qui libère c’est l’individuation par les mécanismes de solidarité des services publics. Le consentement à l’impôt devrait tomber sous le sens, en particulier pour les plus pauvres. Un consentement raisonné par l’explication des transferts de richesses, des uns, les plus nantis, vers les autres les plus nécessiteux, dans une gradation progressive des situations qui permet à la fin des fins, la cohésion sociale.

Complexité intrinsèque et à dessein

Qui est capable en France de prévoir combien il paiera d’impôts ? Mis à part une minorité d’agioteurs qui se plaisent à l’égaiement dans les arcanes fiscaux. Le modèle d’imposition sur le revenu s’avère un chef-d’œuvre de complexité et établi comme tel, pour être compréhensible par le minimum des citoyens. Une approche élitiste, et qui nécessite généralement l’assistance d’experts pour tirer le meilleur parti d’une science absconse. Plus le contribuable est fortuné plus il mobilise les moyens pour le défaire de sa contribution. Par le biais de niches fiscales et de remises que seuls les férus de la matière savent décoder. Une prime au plus riche en somme.

D’ailleurs, l’expression répandue “passer une tranche” reflète parfaitement la méconnaissance du système d’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), puisque l’on ne passe jamais de tranche, l’impôt est progressif et surtout marginal. On ne paie sur la tranche supérieure que la partie marginale (du dit dépassement). Une complexité perçue, intégrée, que l’on généralise pour se perdre et surtout perdre de vue la philosophie générale du système. Un système réputé progressif, mais qui en réalité génère de fortes inégalités. Un système hérité de Vichy qui supplanta les taux effectifs (du Front populaire) dont le principal défaut résidait dans sa « transparence », et l’homogénéisation des groupes sociaux par revenus. Absolument indicible pour les réactionnaires de droite.

Dégressivité, « régressivité » et flat-tax

Le système fiscal n’est pas progressif. Il ne fait pas peser la charge fiscale en proportion sur les plus fortunés. Tout au plus, le système peut être considéré comme “flat”. Que cela soit la CSG ou la TVA, ils ont un taux unique* quels que soient les revenus du contribuable. Politiquement non neutres, ces impôts “flat” privilégient les plus nantis. Sortis de l’imaginaire libéral, ils seraient la quintessence de l’équité, puisque frappant tous les contribuables (du milliardaire au smicard) de la même façon. Que l’on soit bien portant ou souffreteux, c’est dans les mêmes proportions que l’on contribuera aux subsides de l’État, au fonctionnement du bien commun. Pour l’IRPP réputé progressif, c’est l’inverse, il est in fine plus inégalitaire que les “flat” taxes. Non pas par philosophie, mais par application. Le maquis fiscal foisonne de telle manière que les hauts revenus (0,1% supérieur) bénéficient d’avantages (niches) fiscaux, les situant à un taux d’imposition moyen inférieur à la classe moyenne ou inférieure. Les Français qui gagnent entre 1 000 et 2 200 euros par mois (50% de la population) ont un taux effectif d’imposition (toutes taxes confondues) qui s’étage entre 41% et 48%. Les 1% les plus fortunés (plus de 14 000 euros mensuels) ont un taux effectif d’environ 35%. Au total le système fiscal français, réputé progressif du fait de la pression supérieure exercée sur les hauts revenus s’avère être dégressif, voire régressif socialement et symboliquement. Dans le sens où il n’atténue pas les inégalités de situation et de revenus, mais au contraire, les accentue.

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Pour une révolution fiscale

T. Piketty, C. Landais et E. Saez proposent une révolution fiscale. Face au magma abstrus du déchiffrage fiscal, ils proposent une simplification radicale du calcul de sa participation au fonctionnement de l’État. En l’occurrence l’abandon des tranches progressives et marginales en faveur d’un taux effectif (non marginal) par tranche de revenu. Un revenu brut mensuel individuel comprenant les salaires, revenus non salariés, retraite, chômage, revenus du capital dont plus-values. Devant le maquis des déclarations et des effets asynchrones des revenus et du paiement, ils proposent la retenue à la source sur la base de l’assiette élargie de la CSG. C’est-à-dire fondre l’IRPP (qui disparait) dans une CSG (plus élargie) devenue progressive. Un impôt payé mensuellement au moment des versements du salaire. Pour aboutir à un prélèvement global similaire (147 milliards d’euros en 2010) et surtout à une réelle progressivité de l’impôt. À éléments constants cette nouvelle configuration permet mécaniquement une augmentation du pouvoir d’achat (thème central de la présidentielle de 2007) pour plus de 80% des contribuables les moins fortunés.

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Des solutions marquées politiquement. En refondant un impôt “flat”, la CSG en impôt (vraiment) progressif, on lance un signal fort en matière de justice sociale. Cette “petite révolution” consiste à renforcer la contribution des plus nantis, rendre progressif sans exception l’impôt, mais surtout clarifier l’effort consenti par les citoyens. L’objet n’est pas de réconcilier le contribuable avec l’impôt, mais d’obtenir le consentement au financement des services publics nationaux. Jusqu’à présent, la participation à l’effort national s’obtenait en renâclant, l’impôt étant perçu comme, au mieux un gaspillage, au pire un vol. La cohésion sociale nécessite un consentement que seules la transparence, la simplicité et la justice peuvent arracher. Il est nécessaire pour enrayer la stratégie d’étranglement de l’État social : baisse des subsides, constat de déficit, privatisation. Une autre façon de voir la justice, telle que le philosophe américain J. Rawls l’évoquait “la justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée”.

* En fait deux taux pour TVA, mais ne tenant pas compte des revenus de celui qui la paie

Vogelsong – 13 février 2011 – Paris

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Mondialisation #2 – La tête de Turc : La Grèce

Expérimentation in vivo sur un corps social de la théorie du choc. N. Klein décrivait avec justesse les avancées néo-libérales successives, faites au profit des crises. Dans la situation de tension extrême, recroquevillé sur l’anxiété qui entrave toute tentative de contester des décisions drastiques, le modèle orthodoxe d’économie mondialisée gagne du terrain. Contrairement à une idée reçue, les masses ne contestent pas lorsqu’il y a souffrance. Les mesures infligées par « le concert des nations » à la Grèce dénotent une volonté manifeste de voir jusqu’où on peut aller trop loin.

Attaque massive
Il existe dans les relations internationales des limites au cynisme. Pour pouvoir frapper comme un sourd sur un sujet blessé, encore faut-il trouver des raisons adéquates à ses débordements. Les mesures d’austérité imposées aux citoyens grecs sont sans communes mesures avec les plans d’ajustements habituellement mis en place. Allongement de l’âge de départ à la retraite passant de 58 à 67 ans, suppression de deux mois de salaire pour les fonctionnaires, large rabotage dans les budgets publics et sociaux. Au total, un butin de plus de 100 milliards d’euros. Au profit des crises successives, c’est à coup de boutoir que sont enfoncées les dernières défenses de l’État social. On extirpe alors un consentement sur la base de culpabilisation massive, entonnant le refrain de l’État en faillite, et « de-la dette-laissée-aux-générations-futures ».
Généralement les États règlent la question en interne. Les seules interférences extérieures étant les exemples internationaux « qui marchent » pour asseoir des argumentations fallacieuses hors contexte. En présentant avantageusement aux travailleurs français l’âge de la retraite de l’Allemand, lui expliquant qu’il est nanti.
Il semble qu’avec la crise grecque (et les suivantes), un autre stade ait été franchi. Que la stratégie de harcèlement secteur par secteur se soit transformée en poussée massive prenant pour cible un État, une nation.

Les bourreaux à l’œuvre
Le lynchage en règle s’opère à tous les niveaux, experts, journalistes, politiciens. Travailler l’opinion sur des fondements crapoteux, mettant en exergue les dérives culturelles (voire génétiques) des Hellenes. Combien d’économistes persiflent de la « tricherie » du gouvernement grec, préférant la légendaire bonne gestion allemande. Cela a valu un acronyme porcin aux mauvais élèves, PI(I)GS. Ces experts qui font leur job depuis 30 ans sans jamais rien prévoir. Les mêmes qui chantonnaient les louanges de la moralisation du capitalisme, qui ne s’étouffent pas lorsque l’on prête à 4% à un pays exsangue, alors que l’on a acheté cet argent à 1%. Mélangeant sans vergogne fraude d’État, fraude individuelle. Le tout dans un salmigondis de propos ethnico-nauséaux. Courroie de transmission, les éditorialistes économiques, petites castes scientistes répétant un catéchisme prédigéré, s’en sont remis (eux aussi) au tropisme méditerranéen de la tromperie organisée. Se gargarisant du 13e et 14e mois de salaire des fonctionnaires. Deux mois amputés sans peine à ces replets fainéants. Plus dramatiques, sont les larmes de crocodile des politiques. F. Bayrou, par exemple, décrivait les réserves fiscales de la Grèce. Illustrant son exemple de leur propension à payer en liquide pour slalomer autour des taxes. Les Grecs se complairaient dans la fraude, le franchissement de lignes jaunes. Pour le plaisir de nuire.

Le grec n’est plus un autre « moi« , il est une autre chose. Une anomalie économique qu’il est bon de châtier sans complaisance. De passer au fer sans sourciller. D’ailleurs, lui-même se débat peu. Conscient de sa très (très) grande faute. Ils passeront donc sur le chevalet. Foin de bons sentiments !
Pourtant, des bons sentiments n’ont pas manqué lorsqu’il fallut faire le marketing d’une Union Européenne fantasmagorique, des peuples et de l’expansion économique. Des bons sentiments caducs quand il faut passer à l’action, à la solidarité. Mais quand il s’agit d’intérêts, d’idéologie…
Dans ce laboratoire de catastrophe sociale, le Péloponnèse sera scruté avec attention. Jusqu’où le tour de vis budgétaire, agrémenté de propagande économique peut contraindre un peuple à se dépouiller sans heurt. Jusqu’où peut-on pousser le paradoxe de cohérence européenne, d’entraide des membres, et se nourrir dans le même temps sur la bête ?
Enfin, comment par le miracle de la didactique des décideurs, l’exemple grec pourra servir de hochet, pour l’euphémisation des réformes moins brutales infligées dans les pays voisins ? Que peut rétorquer un Français auquel on impose 2 années de cotisations supplémentaires, alors que 9 sont prescrites aux grecques.
L’Europe s’est trouvé une victime expiatoire de la globalisation. Consciente qu’un modèle positif (type Irlande, Espagne, Islande,…) ne fait plus recette, elle a construit un (premier) épouvantail à exposer sur le marché mondial de la peur. Une tête de Turc, la Grèce.
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Vogelsong – 4 mai 2010 – Paris

Mondialisation #1 – Les têtes de gondoles

Pour agrémenter un éditorial sur les réformes, tout éditocrate doit rehausser sa litanie de mesures de « bon sens » basées sur le sacro-saint principe de réalité. Des figures totémiques, quasi mystiques vulgairement qualifiés de « miracles ». Qui n’a jamais entendu parler du « miracle » chinois ? Formulation galvaudée teintée d’onanisme, qui dans la bouche des pédagogues d’opinion substitue prodigieusement un pays totalitaire pratiquant massivement la peine de mort par un modèle universel de développement. Un exemple. La communication de crise qui vise le consentement au dépouillement use des têtes de gondoles nationales pour vanter d’hypothétiques réussites. Elle use aussi de « têtes de Turc » pour vomir des contres exemples. Comme une reproduction globalisée des motifs publicitaires.

À l’étal de la globalisation, le libéralisme sous vide
Par amnésies successives, on recycle les exemples de pays pilotes dans le mouvement de mondialisation et de libéralisation de l’économie. La phase d’expansion s’accompagne de louanges aux promesses de lendemains glorieux. Qui se souvient des articles dithyrambiques sur l’Eldorado argentin au début des années 1990 ? Un modèle de croissance qui devait faire de ce pays, plus connu par les disparus de sa dictature et son équipe de football que par son dynamisme économique, une locomotive pour les pays en développement.
Comment ne pas se remémorer la fascination qu’exerçait le modèle de croissance japonais sauce « karoshi », dont on louait la pugnacité ainsi que la dangerosité. Le travail sans limite des fourmis nippones versus l’indolent européen agrippé à ses heures de sorties.
Plus récemment, les vendeurs de miracles se sont tournés vers des contrées moins exotiques. Quoi que. L’Islande au début des années 2000 se révèle un excellent candidat. Exemplaire dans la libéralisation de ses services. Peu regardant sur la concentration des médias. On y fait beaucoup d’argent et le taux de chômage ne dépasse pas 2 %. Au pays des elfes, les politiciens relayés par les communicants et journalistes trouvent une magnifique source d’inspiration à leurs contes de fées.
Autre produit d’appel. En juillet 2006, G. Cornu sénateur UMP se rend avec une délégation à Dublin pour y « comprendre le miracle irlandais », selon les termes du rapport. Totalement sous le charme du « tigre celtique », les conclusions sont sans appel. On y relate les pistes de croissance dans un monde globalisé. Mettant l’accent sur le recentrage vers les services financiers et l’externalisation. Le tout mis en musique par une concurrence sociale échevelée pudiquement décrite comme « un environnement fiscal et administratif favorable ». L’une des recettes de ce développement hors norme tient selon les sénateurs à « une main d’œuvre jeune et flexible ». Six mois après le CPE, ils y trouvent un motif supplémentaire de vitupération contre les archaïsmes hexagonaux. Sur place, un code du travail rachitique, adéquat aux desiderata du MEDEF. Au chapitre, simplification du contrat de travail, et durée hebdomadaire de 48h, agrémentée de procédures de licenciement express. Conscients que « La France n’est pas l’Irlande », les sénateurs « de tous bords » estiment que « le succès irlandais pourrait inspirer la France sur des points précis ». L’année suivante la campagne présidentielle de 2007 voit l’avènement de N. Sarkozy.
Dans le même temps, c’est l’Espagne de J. L. R. Zapatero qui fait l’admiration de l’élite économique de l’Europe. En continuité avec son prédécesseur de droite, ce « socialiste » pratique une politique d’inspiration libérale économiquement. Un modèle pour les néoconservateurs Français, qui sert d’aiguillon face à un Parti Socialiste à l’âme un peu trop marxiste…
Un petit extrait de la propagande qui fut inlassablement serinée pour contraindre à adopter le modèle idoine de développement économique.

De la tête d’affiche à la cour des miracles
Puis la crise arrive, croyance évaporée, magie dissipée, le miracle se mu en mirage. Les carrosses se sont transformés en citrouilles. L’Argentine se remet difficilement de son apnée financière. Les efforts de l’État ont réussi à faire passer le taux de pauvreté de 45 % à 38 % de la population. Normes locales.
Le Japon avec son déficit astronomique (200 % du PIB) ne fait plus transpirer les rigoristes de la bonne gestion. Et la pente, selon des analystes, s’accenctue. On parle de 300 % de déficit cumulé à l’horizon 2015.
En Islande c’est l’État de faillite, le KO technique. Système bancaire concentré, parti en capilotade. Les iliens finiront même sur la liste des mauvais payeurs en compagnie d’États « terroristes » comme l’Iran et la Corée du Nord. G. Haraldsson directeur de l’institut économique de Reykjavik déclarera : « Je savais que nous avions des problèmes. Une telle croissance n’était pas soutenable pour un aussi petit pays. Mais comme tout le monde, je ne m’attendais pas à un tel effondrement. »
Quant à l’Espagne et l’Irlande, elles font partie du cercle peu couru des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne), acronyme porcin pour désigner les membres de l’UE en quasi-apoplexie financière. L’explosion de la bulle immobilière ibérique accompagnée d’un chômage massif a remis les idées au clair de ceux qui voyaient un modèle transposable. Clef en main. Quant au « tigre celtique », criblé de dettes, il s’est transformé en mouton souffreteux qui ne fait plus rêver personne.

Les laudateurs du libéralisme et de la marche forcée vers la globalisation sont oublieux de leurs propres recommandations. Aujourd’hui ce modèle est en échec technique. Il n’y a pas de solution de substitution clef en main. Alors les experts pour conserver les acquis voire même pour gagner encore du terrain (cf. La théorie du choc de N. Klein) s’inventent des têtes de Turc, des contre modèles qu’il faudra saigner à blanc. Une sorte de publicité comparative décourageante. Une méthode marketing de système. Car dans cette logique économique folle, tout est « marketable », les nations comme les idéologies.

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Vogelsong – 5 mai 2010 – Paris

Retraites, la « science » au secours du capital

Le capitalisme est globalisant, mais pas universaliste : il crée peut-être des préconditions matérielles à la position d’exigences d’universalité, mais ne les satisfait en rien.” D. Génoun

C’est d’un revers de main que sont balayées toutes contestations de l’ordre de soumission tel que le prévoit l’“économisme”. Le monde capitaliste vit sous la férule d’une manière de pensée globalisante dont on ne peut sortir, sous peine d’être rangé du côté de doux rêveurs perchés. Ce qui paie, dans la semi-vie du monde contemporain, c’est le réalisme, le pragmatisme, celui asséné avec démonstration, donnant la force de la scientificité. À une nuance, le sujet est “économique”, science molle dont les seules certitudes sont quelquefois la connaissance a posteriori.

Globalisation globalisante – “Il n’y a pas de problème local qui trouve sa solution dans un contexte global

Dans un billet très intéressant, le blog Reversus présente la démonstration “scientifique” de l’intangibilité du capital pour parer au déficit des retraites en France. Il est question d’élasticité des prix, c’est-à-dire de la sensibilité à substituer la consommation d’un bien selon la variation de son coût. Le point commun avec les retraites ? Aucun ? À moins de considérer pertinente l’analogie entre l’éthylisme et la couverture sociale. En réalité le seul point commun de ce prodige se situe dans l’approche. Une approche, sous couvert de scientificité et de neutralité, qui considère que tout est marchandise, et régie par les tablettes immanentes des théories “mathématiques” néo-classiques. Point de salut hors du diptyque consommateur/entrepreneur. Une approche chargée idéologiquement. En général, les démonstrations analytiques visant à démontrer l’impossibilité de penser, et donc de faire autrement, omettent de mentionner le contexte. Tant il est tenu comme acquis que l’économie dans sa méthode générale est une “science”, et une science du libéralisme économique. Elle se pare de ses meilleurs atours et attaque le sujet à la base. Symptomatique, la science économique fait le ménage parmi ses thèmes anxiogènes. Elle doit être une science positive comme l’univers qu’elle se propose de conter. En France, par exemple, l’économie en classe de seconde a été aseptisée pour ne plus faire apparaître les notions de chômage, de précarité et d’inégalités de revenus. La critique marxiste pour ce qu’elle est, est remisée au chapitre des curiosités historiques notables et surtout vilipendée par les responsables et décideurs nationaux. Et sur le terrain, les zélateurs prennent le relais, l’officine patronale “100 000 entrepreneurs” fait la tournée des écoles pour évangéliser les marmots, car disent-ils : “Nous voulons donner aux jeunes l’envie d’entreprendre”… Vaste programme neutre idéologiquement.

Le fatalisme comme pédagogie de soumission

Dans le cadre des négociations sur les retraites, les analystes pérorent sur l’impossibilité de taxer le capital.  Une fausse solution, présentée comme démagogique et gauchisante par les experts en morale individualiste. Ceux qui expliquent le monde depuis 30 années. Une vision qui consiste aussi à omettre la partie essentielle de l’analyse. Situer le contexte, expliquer qu’il n’y a rien d’irréversible. En l’occurrence :
Le libéralisme économique n’est pas inhérent à l’humanité. Son avènement est le fruit d’une révolution dont les protagonistes en infimes minorités au début des années 50 se voyaient comme une avant-garde éclairée.
Préciser que les conditions salariales depuis plus de trois décennies l’ont été sans consentement et s’énumèrent dans le dogme idéologique dominant, comme suit ; l’État est néfaste. La protection sociale collective est impropre à la modernité. La concurrence est l’alpha et l’oméga. La société est un fantasme. L’individu et ses pulsions sont les moteurs de l’économie. L’activité principale de l’homme est la production et la consommation. Surtout la consommation. Ceci posé, on peut regarder la portée de l’argumentaire scientiste étalé vulgairement dans tous les supports médias. Le système économique n’est pas une fatalité mais le résultat d’une politique sciemment mise en œuvre.
Donc, on annonce de go que 1 euro de plus en impôt sur les sociétés fait baisser les salaires de 0,92. Maléfice ! Dans l’environnement donné, celui de la survie augmentée du libéralisme, c’est 0,92 euro de perdu. Il est sous-entendu que l’euro marginal est spolié par l’état. Dissipé inutilement dans des projets vaseux, une pure perte. Puisque le dogme ordonne que l’État soit dispendieux, inefficace, totalitaire. La pensée dominante prescrit qu’un euro dépensé dans un yacht ou des colifichets s’avère un euro utile. Plus sérieusement, comment l’euro ponctionné est-il utilisé ? Depuis 30 ans les écarts de rémunération n’ont cessé de grandir. Se pourrait-il qu’il fasse office d’amortisseur dans une société qui accroit sans cesse les inégalités. Quelle est la répartition moyenne de ces 0,92 € non servis ? Impacte-t-il plus les hauts ou bas salaires ? Généralement, la pensée dominante impose qu’un euro substitué par l’État pour la réfection des routes (utile aux entreprises) ou pour l’instruction publique (utile aux entreprises) et laïque, par exemple, constitue des dépenses parasitaires. En toute neutralité scientifique, il va sans dire.

Un monde sans retour, sans ressource

L’équarrissage se fait à la pièce. Morceau après morceau se sont toutes les parties d’un état social résiduel qui sont mises en lambeaux. Secteur après secteur souffle le vent de la réforme (libérale) précédée par sa cohorte d’experts économistes qui martèlent les vérités inaltérables pour attendrir la barbaque mal pensante. Il faut être iconoclaste, économiquement incorrect. Penser la réforme. Transcender les pesanteurs pour épouser la complexité du monde moderne. En substance, se soumettre aux arguments d’autorité. Ne pas taxer le capital, pour ne pas pénaliser les salaires. Le “gagnant gagnant” des “yuppies” du marketing resservit à la sauce « retraites ». Effets cumulatifs, effets pervers, toute la panoplie d’argumentaires éculés pour finalement aboutir au constat que rien ne doit changer dans le mouvement inéluctable de l’Histoire. Sauf quand 10 points de PIB passent du travail vers le capital, sauf quand l’impôt sur les sociétés passe de 50% à 33,3%. Dans le cadre des retraites, il convient comme le veut l’adage médiatico-politique, de “travailler plus”. Pour le “gagner plus” il faudra repasser. C’est avec délectation que les mêmes qui ont instauré l’économie de basse pression salariale, de concurrence fiscale, et de crédit de soutien à la consommation s’enquièrent du pouvoir d’achat des salariés lorsque le capital est en ligne de mire. Les mêmes qui jouent sur la concurrence des salaires pour minauder sur les effets négatifs de la rémunération des consommateurs. Il y a belle lurette que la classe dominante, les yeux avides rivés sur les cours de bourse,  se contrefiche du pouvoir d’achat. À côté de l’effroyable, “ils (les capitalistes) s’enfuient quand ils sont brimés (pauvres riches !)”, on insinue une convergence de classe “Quand on taxe le capital, le salarié en pâti…”. Le vertige du libéralisme où l’économie, c’est de la magie, on gagne à l’infini, tous et presque toujours.

Les dépositaires propagandistes du paradigme dominant toisent communément d’un air satisfait le rétif au dogme capitaliste, qu’ils ponctuent par un jaillissement foudroyant “qu’est ce que tu proposes à la place ?”. La quintessence de la fadaise partisane, et la suite logique et implacable de la pensée par morceaux. Une disposition d’esprit univoque visant à soutenir un système périclitant (crises à répétition, massacre écologique, chômage de masse, misère planétaire, destruction des affects) en opposant d’emblée une alternative “pièces et main d’œuvre comprises”. Le rêve binaire de forcenés qui fantasment un logiciel global de rechange. Car du système sans retour, mais obligatoire (le capitaliste), rien n’est dit, ni ses buts, ni ses moyens. Tout questionnement du système est tabou. Peu ou pas de “pourquoi”. Pourquoi ?
C’est aussi une approche hygiéniste, qui préfère éviter de déclarer cyniquement que rien ne sera entrepris en défaveur des plus fortunés parce que c’est le sens de l’histoire, “que c’est comme ça (et pas autrement donc bouclez-la)”. Un vocable confortable et consensuel pour imposer l’inacceptable. Un argumentaire parcellaire ne prenant pas en compte le contexte général. Celui d’un état de fait non consenti, sans finalité, qui impose arbitrairement des solutions uniques et unilatérales. Soutenues doctement par des disciples sérieux, proprets et “scientifiques” œuvrant pour le bien commun.

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Retraites : La taxation du capital n’est pas une solution miracle

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Crise économique, crise environnementale : le pari délirant du conservatisme

L’utilisation constante de concepts contradictoires pour conserver en l’état un système qui s’autodétruit constitue aujourd’hui une méthode de gouvernance. Les deux crises (écologique et économique) majeures qui ébranlent le globe offrent le terrifiant spectacle d’une oligarchie qui, face aux conséquences de ses errements, s’en remet à des artifices tétanisants pour perdurer. En effet, la capacité du pouvoir à maintenir le statu quo alors qui faudrait agir se manifeste par l’entremise d’un discours antithétique sur le long terme. L’univers mental du consumérisme cherche toujours à persister dans son être, à trouver des solutions pour se perpétuer. C’est à un double pari risqué et définitif que les joueurs de poker qui gouvernent expose l’humanité.

Un pari risqué

Le principe de précaution est invoqué par les gouvernants concernant n’importe quelle broutille. En particulier quand il sert des lobbies économiques (achat massif de vaccins pour un virus bénin) . Paradoxalement lorsque la survie de l’humanité est jeu, ce principe est bien moins prépondérant. En effet, la pensée techno-scientiste promet de repousser toujours plus loin les limites de ce que peut supporter notre biosphère. Une promesse. Quant à la finance, elle a fait voeu de se moraliser, de trouver des règles pour canaliser son aveugle cupidité. Dans ces deux cas, il s’agit d’un pari sur l’avenir. Un augure. Face au doute que suscite ce type de verbiage et gesticulations, on peut se comporter de deux manières. Croire aux promesses, sachant que nombre d’entre elles sont proposées par ceux qui sont responsables de la situation. Donc, faire fi du principe de précaution. Soit opérer une révolution. Dans un cas on hypothèque le bien être pour la préservation, dans le second on joue aux dés avec l’avenir. Si on se trompe dans le premier cas, on souffrira d’une frustration consumériste, si on se trompe dans le second, c’est le cataclysme. Un pari risqué que certains, même tenants du principe de précaution, continuent de discuter.

Alternative diabolique

Dans la crise financière, les états ont tous sorti leur joker. Les aides colossales consenties pour assurer le risque de crédit, les politiques de maintien de l’activité pour éviter le collapsus intégral du système mercantile, ont mis les finances publiques au point de non-retour. En France le taux d’endettement de l’état est passé à 8.9%, ce qui constitue pour les canons de la gestion publique du milieu des années 90 (autour de 3%), l’apoplexie financière. Si on écoute les économistes, le système économique ne pourra pas encaisser dans un avenir proche, un nouveau choc équivalent à celui de 2008. Or le spectacle de la finance spéculative qui continue de générer des profits en complet décalage avec la situation dans le monde réel laisse penser que les discours ne furent que des sornettes lénifiantes. Une temporisation nécessaire à la remise en branle du système. La financiarisation globalisée de l’économie accompagnée de l’idéologie du libre-échange dépeint les crises comme des moments de tensions issus de déséquilibres qui tendent à s’estomper pour revenir à une situation saine. En d’autres termes : après la crise, la croissance. L’avenir a toujours raison. Pourtant à chaque embardée, une partie de l’équipage passe par-dessus bord. Mais tant que le bateau reste à flot et que le capitaine garde les pieds au chaud, la croisière continue. Jusqu’à la prochaine dépression et peut-être la dernière. Sur le plan écologique, la situation est quelque peu différente. La planète n’a pas connu de choc brutal. Ça et là des signes font craindre le pire, mais les difficultés à évaluer précisément les causes humaines font qu’une molle prise de conscience émerge. Aujourd’hui, dans les pays concernés, l’écologie relève plus d’un gimmick de mode (“écologie positive”, “développement durable”, “croissance verte”), que d’un changement radical de mode vie. Cette crise parce qu’elle est encore diffuse entraîne un comportement beaucoup plus naïf. Les hommes s’en remettent au bon sens, à l’adaptation par l’entremise de mesures ponctuelles, à la science pour continuer de faire comme auparavant. En réalité, seule compte la sauvegarde des habitudes de consommation et d’un certain luxe à court terme, c’est-à-dire une demi-génération. Tout au plus.

La conjonction des deux crises n’est pas un évènement anodin. Auparavant le système productiviste ne se heurtait qu’à une contrainte interne. On la surmonta par un habile mélange de cynisme (laisser-faire) et de volontarisme timoré (intervention limitée de la puissance publique). Depuis peu le système ultra consumériste a pris conscience de la limite environnementale. C’est la nouvelle frontière, pour la franchir on s’en remet aussi au cynisme (les écologistes sont des Cassandres voire des menteurs) et à un activisme folklorique (Grenelle de l’environnement). Ne pas prendre en considération les deux dimensions du même problème c’est se fourvoyer. Comme le font les hiérarques en charge du devenir planétaire. Au petit jeu de la temporisation absurde, c’est à celui qui trouvera la baliverne la plus vertigineuse. J. Attali propose l’“adécroissance”, les écologistes patronaux agitent la “croissance raisonnée”, “la croissance durable”, “l’écologie de droite”. Un florilège infini d’oxymorons. Ils n’ont qu’un seul objectif, conserver un système en l’état. Car l’univers mental n’a pas évolué. Un univers qui ne renonce pas lui même, à moins d’y être contraint par de formidables forces. Ce système ira probablement jusqu’à son terme, son total aboutissement. C’est-à-dire l’implosion définitive.

Sources :

“La politique de l’oxymore” – B. Méheust – Ed. La Découverte 2009

Vogelsong – 17 mars 2010 – Paris