Nicolas Sarkozy un libéral, frustré

Le projet politique de la droite française s’organise autour de l’accaparement pour une minorité des instruments de pouvoirs qu’ils soient symboliques ou pécuniaires. Le Sarkozysme sert de pivot à une idéologie de bazar lourdement chargée de pratiques marchéisées, poussant à son paroxysme les rapports de puissance, de pouvoirs, de pressions. Réfuter l’hypothèse libérale du régime sarkozien confine, au moins pour une grande part de ce qu’il advient, à se fourvoyer.

frustrationLe virage « social-démocrate » de la droite UMP permet à une génération de chroniqueurs de se refaire une virginité sur le dos du pragmatisme. Une ahurissante célébration du retour de l’État dans le discours sur l’interventionnisme et les abus du capitalisme. Surtout quand on se souvient comment, sous l’effet de la vulgate libérale, Le Monde, Le Figaro ou Libération (et bien d’autres) jouaient les majorettes de l’enrichissement individuel et la libre entreprise.

La pensée libérale se gave de vieilles lunes sur l’affectation efficiente des ressources par le jeu maximisateur des agents économiques. Sous les effets de la concurrence, tout (absolument tout) s’équilibre pour le meilleur et la félicité. Le libéralisme se rêve immanent, naturel, constitutif essentiellement d’un ordre spontané. Ce positionnement chimérique s’apparente dans son caractère utopique à la miraculeuse société communiste. Depuis quelques décennies, l’hypothèse hypersociale semble caduque. Néanmoins, personne ne se risque à une excursion dans le libéralisme pur, celui des délires fumeux de la Trilatérale. Pour la simple raison que cette possibilité s’avère physiquement, psychologiquement impossible. Ce n’est qu’une alternative, un monde autorégulé fantasmé par une poignée de penseurs critiques et marginaux d’après-guerre réfractaires au keynésianisme triomphant. Un quarteron de milliardaires en lévitation qui pensaient découvrir la pierre philosophale, le mouvement perpétuel ou (et surtout) le meilleur moyen de tirer parti de positions économiques et sociales avantageuses. À part le Far West rien ne s’approche du libéralisme livresque.

Le libéralisme (du) réel triomphe bel et bien. La France de N. Sarkozy endure son dogme quotidiennement. Quoi qu’en pensent les pinailleurs et les puristes. Le projet de libéralisation de la société s’étend avec flux intenses et reflux mineurs.

Dans le possible et le réel, l’offensive se déploie depuis les années 70. Le mécanisme de monopolisation minoritaire fonctionne selon une même logique depuis. On prétexte une Étatisation trop pesante. Déresponsabilisante, infantilisante, cette pieuvre collectiviste bride le développement, l’épanouissement, la croissance. Tout est assertion pour l’effacement de la force publique, laissant aux marchands la gestion du bonheur des consommateurs. Paradoxalement, l’État (le même) se charge de son propre désarmement au profit des commerçants. Le libéralisme ne serait rien sans les structures publiques légalisant sa domination.

Le projet politique de la droite consiste en l’accaparement des leviers publics pour mettre en place une redistribution inégalitaire, issue d’une situation préexistante déjà stratifiée. Dans l’hypothèse farfelue d’un basculement intégral dans le libéralisme pur, la « société » sombrerait rapidement dans la sauvagerie. L’exacerbation des positions dominantes transformerait le monde inégalitaire et vivable en maelström spencerien et apocalyptique. L’alternative réelle (et supportable) consiste plutôt à conduire un glissement graduel (mais inexorable) vers la société de marché par l’entremise du jeu démocratique. Dans ce contexte, un secteur public représentant 53% du PIB (comme se plaisent à geindre les Friedamniens) n’a pas de réelle signification. Sauf de permettre aux libéraux, jamais à satiété, de prétexter un collectivisme rampant. D’autant plus que l’administration réaffecte dans une logique de plus en plus inégalitaire ses subsides au profit des plus fortunés et du secteur privé. Les libre-échangistes gagnent à tous coups. Somptuairement servit par l’ennemi étatiste tout en pleurnichant contre ce dernier. En l’espace de deux années, le gouvernement mu par des doctrines tels que le ruissellement ou autres balivernes du supply-side se déleste d’une partie de ses recettes provenant des plus riches (bouclier fiscal, droits de succession…), renforce la subordination des salariés face aux directions actionnariales (travail le dimanche, rupture conventionnelle…), débite méthodiquement les services publics (santé, éducation…).

Curieusement, il en va de même pour les structures supranationales. L’OMC, le FMI, sont l’émanation des états qui les composent. Elles ont organisé globalement l’impuissance des actions publiques de régulation. Les gesticulations postcrise camouflent seulement, simplement un revirement de circonstance.

J. F. Sirinelli a beau cogiter sur l’existence de droites plurielles, dont certaines ne seraient pas libérales, la tendance globale est têtue, invariable. C’est au profit d’une minorité de plus en plus restreinte que s’articulent, et le désengagement de la puissance publique, et l’engagement de ce qu’il reste de celle-ci. Un paradoxe qui permet toujours aux mêmes de gagner et de se plaindre. N. Sarkozy, C. Lagarde, H. Novelli et toute la clique UMP aux commandes de la France vivent sous le dogme onirique de la concurrence partout, tout le temps. Seul bémol : c’est pratiquement impossible. Alors, contre fortune contrariée, ils se muent en libéraux frustrés, mais pragmatiques.

Vogelsong – 6 septembre 2009 – Paris

27 réflexions sur “Nicolas Sarkozy un libéral, frustré

  1. Bonne analyse des dérives libérales de l’UMP. Personnellement, je pense que Sirinelli a raison, il existe plusieurs droites.

    Le libéralisme n’est pas une fin en soi pour tout ceux qui se revendiquent à droite de l’échiquier politique. Si tu prends le cas du Gaullisme, il est par définition un mouvement de synthèse des différentes idéologies politiques. Et pour aller plus loin, il suffit de réaliser un comparatif entre l’action politique de Jacques Chirac et celle de son prédécesseur, pour se rendre compte de cette dérive que tu condamnes à raison.

    Donc encore une fois, la droite n’est pas par essence « libérale », par contre elle est sans doute plus « pragmatique » pour reprendre les termes de Sirinelli…

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    • Certes Toutes les droites ne sont pas libérales. Comme tu peux le constater, l’UMP agrège tout, même les verts. Seul le chemin principal et les politiques conduites comptent. Le reste décore la galerie.

      En incluant des nationalistes protectionisme dans sa majorité, N. Sarkozy n’infléchit pas pour autant son entreprise de sape des liens « collectifs ».

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  2. @dagrouik: Eh oui… Sans oublier qu’aux mensonges d’un pragmatisme théorisé ils ajoutent des leçons de morale sociale hypocrite.

    Sur le sujet d’un libéralisme faussement libérateur, à l’anti-étatisme affiché mais qui utilise toutes les ressources de l’État (et même plus!) afin de le miner et de rendre impossible tout retour vers un équilibre social fonctionnel, voici des articles (en anglais) piochés sur le blog d’Aaron Swartz:
    Sur The Predator State de James K. Galbraith;
    Sur The Conservative Nanny State de Dean Baker;
    • Le sujet du « cadrage » (la manière de les présenter) des objectifs et des politiques proposées est également intéressant: «The Framing of Politics», à propos du livre de George Lakoff, Moral Politics.

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  3. Je continue de ne pas considérer Sarkozy comme un authentique libéral. Au mieux un conservateur. Au pire un dégénéré, mais assurément pas un libéral. J’ai peur donc de ne pas être d’accord avec la thèse que tu défends camarade. L’état de fait développé n’est encore une fois que la manifestation de la dégénérescence d’un système qui a court depuis belle lurette et personnifié par Sarkozy. Le taxer de libéral doit faire se retourner certains dans leurs tombes, dont A. Smith le premier.

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  4. Cher Jon

    La « thèse » du billet ne consiste pas à soutenir le libéralisme pur de Sarkozy et l’UMP.

    1- Le libéralisme « pur » est impossible. Utopique.
    2- Le libéralisme est un prétexte à l’accaparement des richesses par une minorité.
    3- Le libéralisme pragmatique se sert de l’Etat. Paradoxe.
    4- Dans ce contexte de Réel et de possible, Sarkozy et l’UMP sont aussi libéral que l’on peut l’être en France en 2009, et la suite va empirer.

    Ce que j’ai lu (La dissociété de J.Généreux) d’A. Smith me fait penser que « sa main invisible » relève plus d’un ordre divin que spontané.

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  5. L’ami Vogelsong, je suis bien d’accord avec toi sur tous les points que tu mets en avant, notamment l’insuffisance du libéralisme pris isolément. Puisqu’on peut le voir comme l’a Cependant, je reste convaincu que Sarkozy n’est pas libéral.

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  6. L’ami Vogelsong, je suis bien d’accord avec toi sur tous les points que tu mets en avant sur le libéralisme, notamment son insuffisance si pris isolément comme doctrine politique. Essentiellement parce qu’on peut le considérer comme étant à l’opposé au capitalisme.

    Ainsi, je reste convaincu que Sarkozy n’est pas libéral. (Tout au plus est-il néolibéral puisque c’est le terme consacré.) En réalité, je le considère comme un néoconservateur si l’on veut adopter la même sémantique. Ainsi donc ton point 2 (le prétexte) confirme l’usurpation, qui est le sens de mon premier commentaire et non une critique, sur le fond, de ton billet.

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  7. Au sujet des autres droites, à lire cette interview de Jacques Le Guen. Voilà comment il définit le courant villepiniste :

    « Nous sommes pour une action politique régulatrice et interventionniste. Nous acceptons l’économie de marché mais nous pensons, à l’instar de Jacques Chirac, que les dérives du libéralisme peuvent être aussi préjudiciables que celle du communisme. »

    http://reversus.fr/2009/09/09/jacques-le-guen-irreductible-breton/

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    • Nicolas, c’est tout le problème.
      Je me cantonne au libéralisme économique, et l’influence et la primauté du marché. Jon a une approche plus sociétale. C’est le hiatus habituel qui permet au libéralisme et aux marché de prospérer.

      Ma thèse est très contestable. Mais je la soutiens. N. Sarkozy est aussi libéral que l’on peut l’être aujourd’hui.

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      • J’aurais tendance à être assez d’accord avec Jon, ou, plus précisément la présentation que tu en fais. A force de se cantonner à une vision « de gauche » (je veux dire « purement économique ») du libéralisme, la gauche finit par se planter sur le libéralisme. Si tu prends la chaîne lancée par Juan sur « suis-je de gauche », les quelques commentaires de libéraux montrent un profond désaccord, mais aussi un accord sur certains points, comme les droits de succession (pourtant « purement économique »)…

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  8. Voici le communiqué de Brice Hortefeux, qui donne sa propre version de l’affaire. La version de Brice Hortefeux est un mensonge caractérisé :

    « Brice Hortefeux dénonce une vaine et ridicule tentative de polémique.

    A l’occasion des universités d’été de l’UMP, alors qu’il prenait une photo à la demande d’un jeune militant, des commentaires du public ont porté sur les caractéristiques supposées des habitants de l’Auvergne, région d’origine de Brice Hortefeux.

    Celui-ci a alors précisé « s’il y en a un, ça va ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » par référence aux très nombreux clichés qu’il venait de prendre avec la délégation auvergnate et alors qu’il s’apprêtait à partir.

    Pas un seul mot de Brice Hortefeux ne fait référence à une origine ethnique supposée d’un jeune militant. »

    http://www.interieur.gouv.fr/misill/sections/a_la_une/toute_l_actualite/ministere/tentative-polemique/view

    En réalité, tout le dialogue portait sur Amin, le jeune militant UMP.

    1- Un participant a commencé à parler d’Amin.

    2- Ensuite, Brice Hortefeux a parlé d’Amin.

    3- Ensuite, un autre participant a parlé d’Amin.

    4- Ensuite, Jean-François Copé s’est adressé directement à Amin.

    5- Ensuite, une participante a parlé d’Amin.

    6- Enfin, Brice Hortefeux a parlé d’Amin, et c’est là où il a dérapé dans les propos racistes.

    Voici la retranscription de la conversation polémique que tient Brice Hortefeux lors de l’université d’été de l’UMP :

    Un participant : « Ah ça, Amin, c’est l’intégration. »

    Brice Hortefeux : « Il est beaucoup plus grand que nous en plus. » (à propos du jeune homme)

    Un autre participant : « Lui, il parle arabe ».

    (Rires de l’assemblée)

    Jean-François Copé : « Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés. »

    Une participante : « Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière. »

    Brice Hortefeux : « Il ne correspond pas du tout au prototype. »

    (Rires de l’assemblée dont Jean-François Copé)

    Brice Hortefeux : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. Allez, bon courage… »

    http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/politique/20090910.OBS0729/le_verbatim_des_propos_de_brice_hortefeux.html

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  9. Le projet politique de la droite gauche consiste en l’accaparement des leviers publics pour mettre en place une redistribution inégalitaire, issue d’une situation préexistante déjà stratifiée.

    J’ai la vaque impression qu’on aurait pu faire la même remarque à Mitterand, et que, malgré la différence de style, ces deux cocos là sont de la même espèce. À vrai dire je me demande bien qui, en arrivant au pouvoir aujourd’hui en France, aurait le pouvoir de faire autrement, c’est à dire de mettre en place une redistribution égalitaire (des patrimoines de toutes sortes: immobiliers, mobiliers, financiers, culturels).

    Sinon j’avais lu un livre qui pourrait t’intéresser de J-C Michéa, paru chez Climats en 2007, pour un peu remanier ce qu’on appelle libéralisme à droite et à gauche.

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  11. Le billet et les commentaires sous-entendent que le libéralisme est « mauvais ». Cela fausse en partie la discussion, il me semble. Car beaucoup, n’aimant pas Sarko, et n’aimant pas le libéralisme, trouvent confortable de le décrire comme libéral. C’est un peu simple, je trouve.

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  12. Au passage, le libéralisme est une philosophie du droit qui prône la primauté de l’individu. Le libéralisme est un individualisme. Il remet en cause toute légitimité à exercer la force pour contraindre les individus dans leur libre choix, dans la mesure où ils ne nuisent pas à la liberté des autres.

    La primauté du marché n’est pas un concept libéral. La réflexion sur ce qu’est un ordre de marché, oui. La réflexion sur les droits de propriétés comme « institution » sociale permettant la stabilité d’un ordre de marché libre, oui. Mais pas la primauté du marché. C’est l’individu et ses droits fondamentaux qui priment pour les libéraux…

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