Le pouvoir sans le Pouvoir

“Les marchés doivent entendre les messages puissants du G7” F .Baroin le 08-08-2011

Jamais le ministère de la parole n’aura aussi bien porté son nom. Jamais un ministère comme celui de l’économie n’aura autant montré qu’il n’avait, une fois l’accessoire écarté, plus guère d’utilité. À part peut-être celui de la représentation. D’émettre une parole puissante comme l’a répété F. Baroin, moins glamour qu’à l’accoutumée sur les ondes d’Europe 1 ? Un ministre qui fait le tour des plateaux (le soir même sur TF1) suant la panique pour expliquer à qui veut encore l’entendre que les gouvernements contrôlent encore quelque chose. F. Baroin incarne parfaitement le politicien relégué au rôle de chef de service, dont l’envergure nonobstant ce qu’il peut penser de lui-même ne dépasse pas ses prérogatives de nuisances sur le petit personnel.

Après dix jours consécutifs de baisse de la bourse de Paris, une panique générale suite à la dégradation de la note des USA, un faux accord historique européen “pour sauver la Grèce” et l’euro, le gouvernement fait ce pour quoi il est censé être payé, c’est à dire gouverner. Et plus précisément donner l’impression à ceux qui ont fait en sorte qu’il fut nommé de s’occuper de leurs affaires. Ce que le mandat représentatif dans une démocratie impose d’honorer. Or, le ministre de l’Économie, en l’espèce celui du désastre, n’a d’autres solutions que de conter la réalité avec des mots choisis. Il martèle que les ministres européens avaient transmis “un message puissant” aux marchés pour que la confiance revienne. C’est avec ce type de vaticinations que la démocratie représentative perdure. Dans une étourdissante inversion des rôles, où la puissance publique tente de capter l’attention d’une entité protéiforme totalement irrationnelle : le Marché.

Tout cela n’arrive pas par hasard. F. Baroin incarne l’élite qui s’est jetée corps et biens sur les promesses et les prodiges de l’autorégulation. A l’instar d’une classe politique qui depuis trente ans s’évertue à déposséder l’État de moyens de faire de la Politique. Un désarmement unilatéral. Une retraite sans condition. La construction européenne et plus précisément les prérogatives d’indépendance et de lutte contre l’inflation de la BCE (Art III. 177) en sont un bel exemple*. Ainsi qu’une zone économique de circulation libre de capitaux et de marchandises, où seul est entravé, par des mesures administratives, le mouvement des personnes (Schengen). Mais plus généralement, il s’agit d’un ralliement au dogme de la mondialisation. Or derrière le concept, il y a une réalité, ce mode d’organisation (ou de désorganisation) implique, de fait, un désengagement de la puissance publique. Un désengagement accompagné par deux formes politiques à première vue paradoxales.

Une forme symbolique quand il faut régler les désordres du capitalisme. On s’en remet au pitoyable Pater sur la “moralisation”. En substance, continuer de ne rien faire. Car au stade avancé de main mise sur l’économie mondiale par la finance il n’y a plus grand-chose à réguler. Un théâtre d’ombres et de marionnettes dont F. Baroin est un figurant typique. Le pouvoir qui a perdu le pouvoir et qui tente d’en simuler un par le discours. Dont l’usage tient plus du Duckspeak que de la puissance évocatrice. Le niveau de dépossession est tel qu’il n’y a plus rien à dire de concret, parce qu’il n’y a plus grand-chose à faire. Sauf espérer. Ou implorer les grands dieux des marchés.

Une forme répressive, ensuite, quand il faut accompagner toujours plus loin le désengagement de la puissance publique. Le discours de F. Baroin prend alors du sens (c’est pour cela qu’il est paradoxal). Car même en période de crise il continue de mener campagne en faveur des réformes, montrer sa bonne volonté comme s’il présentait un oral afin d’obtenir la confiance des agences de notations (et de l’entité Marché). Mais au delà, le gouvernement s’est mu en commis, pour accomplir la petite besogne avec le peu de marge qu’on lui laisse (ou qu’il se laisse). Il n’y a plus rien de positif à proposer aux citoyens, reste l’horizon de la peur. Celui par lequel on soumet, on dépouille. De petites réformes successives sur le service public, sur l’allongement des durées de cotisation ou la compétitivité (entendre blocage des salaires) qui n’ont aucune vocation émancipatrice. Juste conserver l’hypothétique sésame du AAA (“Le 20/20” selon J. M. Six directeur européen de Standard & Poor’s).

L’exemple de F. Baroin (et de ses semblables) est représentatif, mais n’est pas le plus problématique. Comme conservateur ralliant le libéralisme il est dans un rôle naturel. Un système qui assure la conservation des positions dominantes (quoi qu’en disent ses zélateurs). Lors de crises aiguës, il joue sa partition (très mal, mais du mieux qu’il peut) pour gagner du temps. Plus symptomatique est l’atonie de la gauche de gouvernement (le PS) sur les questions économiques globales. Un parti qui par paresse, conformisme s’est rallié au modèle hégémonique capitaliste. Alors que les périodes d’apoplexies financières lui offrent un boulevard électoral. Mais elle ne résiste que placidement, symboliquement pour continuer d’exister comme force d’opposition. Comme alternative mais à quoi ? Il est troublant d‘entendre M. Aubry s’en remettre à la BCE ou réciter des mantra sur une chimérique coopération des états européens (en particuliers l’Allemagne, qui en passant, se contrefiche des états d’âme hexagonaux). Un couplet trentenaire ressassé ad nauseam qui sert de cache-misère aux renoncements. Les “progressistes” n’articulent aucune proposition sérieuse de rupture avec un système qui inéluctablement va au désastre. Plus l’habitude, ni la culture. Se contentant maigrement d’agrémenter l’existant.

 *Bien qu’elle ait infléchi son dogme à plusieurs occasions face au précipice, le collapsus général du système

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Vogelsong – 9 août 2011 – Paris

Le chantage au populisme

Est-ce que vous vous rendez compte du mal que vous faites à la démocratie…” F. Baroin s’adressant au groupe socialiste le 6 juillet 2010 à l’Assemblée nationale
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Petit surdoué de la chiraquie, F. Baroin s’est vautré comme seuls les convertis peuvent le faire. Il a enfilé les oripeaux des coupeurs de gorges que l’homme de Neuilly a imposés à la République. Des hommes sans scrupules, maniant les éléments de langage comme des faux, moissonnant la démocratie. En l’occurrence F. Baroin, en pleine tourmente sur l’affaire Woerth/Bettencourt, légataires d’une droite républicaine n’a pas pu se contenir. Pour endiguer la marée qui emporte le gouvernement Fillon, il peste sur le Parti socialiste et le net qui, par des allégations feraient le jeu du Front national, et attenteraient à la crédibilité de la politique. Ce ne sont pas des arguments de première fraîcheur, mais trois années après la mise en place des politiques sécuritaires et des mesures économiques inefficaces de N. Sarkozy, on croit simplement rêver.
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Le Front national, l’arme facile
Pourtant intouchable, le nom de N. Sarkozy est prononcé dans une affaire de financement politique en marge du dossier Woerth/Bettencourt. Pour faire front, la droite érige une stratégie d’endiguement en vue de sauver l’essentiel. Le Président. Le chef, l’élément clef du dispositif en terre droitière, sans lequel la structure implose. S’effondre. Où tous les éléments, ces petits atomes égotiques bouffis d’ambition se répandent dans le chaos politique et compromettent les victoires futures. Faute de réponses claires sur les affaires secouant le pouvoir, l’UMP s’en remet au chantage démocratique en brandissant la menace populiste de l’extrême droite. Une fable ancienne, simpliste, facile à retenir pour le député servile ou le débatteur du dimanche. Mais l’émergence du parti frontiste puise sa source dans des éléments plus disparates. Le fait saillant remonte à l’élection de Dreux où se produit une alliance droite/extrême droite, en 1983, péripétie qu’au RPR on qualifiera d’étourderie. Mais plus en amont c’est l’arrivée de la gauche en 1981, un traumatisme violent, une panique idéologique qui pousse les conservateurs dans leurs derniers retranchements. C’est-à-dire une radicalisation du discours. Une évocation des peurs, la dramatisation dans les médias de la menace gauchiste dans toute sa caricature. On attendait les chars russes à Paris, et les soviets qui violeraient les filles de France. Mais bien plus que cela, l’ancrage du parti xénophobe provient de l’impossibilité des pouvoirs politiques (de quelque bord que ce soit) à résoudre les problèmes économiques  des Français. D’instrumentalisation il n’y a pas. Juste la résultante et la mise face à leurs responsabilités des deux grands partis.
Les travaux sociologiques repris par le collectif “Les mots sont importants” montrent par exemple que dans les zones populaires, le vote frontiste est majoritairement dû à une radicalisation de l’électorat de droite couplée à l’abstention de l’électorat de gauche. Et non pas comme se plaisent à raconter les editocrates et politiciens à deux sous, le basculement de l’électorat d’extrême gauche vers les franges xénophobes de la droite. La thèse s’avère tellement plus facile et élégante.
Mais F. Baroin néo sarkozyste garde la ligne, pérorant “est-ce que vous vous rendez compte que vous tracez le sillon des extrêmes”.
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L’UMP et l’amnésie permanente
F. Baroin s’est perdu au milieu d’une meute de loups sans scrupules. Il reprend la dialectique  de comptoir d’un F. Lefevbre ou de C. Estrosi pour garder en vie un gouvernement. Le gentil ministre du Budget n’a peut être pas encore réalisé qu’il appartient à un gouvernement qui a constitué un ministère de l’immigration et et de l’identité nationale, qui a imposé des quotas d’expulsion d’étrangers, et dont les ministres n’hésitent pas en marge d’un meeting à stigmatiser des minorités ethniques dans quelques gauloiseries bien senties. Un entremetteur de débats sur l’identité nationale au coeur de la crise économique. Le résident de Bercy semble aussi oublier que N. Sarkozy a bâti son accession au pouvoir sur des thématiques proches de celles du Front national. Et ce n’est pas une idée nouvelle, depuis une décennie il court vers un électorat de droite qui l’a lâché, déclarant en 1998 par exemple : “Dans le discours des dirigeants du FN, tout n’est pas inacceptable. Mais la partie inacceptable pollue tout le reste du programme” pour finir en Karcherisation des cités en 2005. C’est avec un bel aplomb en 2010 que C. Goasguen, P. Devedjian ou C.Estrosi en appellent aux valeurs républicaines et au sauvetage de la démocratie. Une démocratie que le Parti socialiste, dit-on, coutumier du fait depuis 30 ans serait en passe de livrer aux barbares d’extrême droite.
Mais F. Baroin et ses nouveaux amis ont même trouvé une autre cible pour étayer les dérives vers le populisme.
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Le net, un ramassis d’extrémistes antidémocratiques
Dans son allocution à l’Assemblée nationale, F. Baroin, ne sachant plus comment se dépêtrer d’une situation intenable, pointera le colportage des “tweets, de blogs et des gens qui règlent des comptes, et des opposants politiques qui ne partagent même pas vos valeurs (s’adressant aux socialistes)”. C’est le nouveau crédo à l’UMP, la mise en cause et la diabolisation du net. Par méconnaissance et surtout par mauvaise foi. Le site d’information en ligne Mediapart a révélé cette affaire. Une structure de presse composée de journalistes disposant de cartes de presse. N.Morano déclarera que Mediapart n’est pas un site d’informations “mais un site de ragots”. Elle serait danseuse de cabaret. Pour X. Bertrand, ce média utilise “des méthodes fascistes”.Les tweets portant sur l’affaire ne sont que des émanations de second niveau des articles parus sur un site ayant pignon sur rue. Une écume sur laquelle personne ne s’appuie. En ce sens, les députés de la majorité relèguent un organe de presse au rang de colporteur calomnieux. Traitent d’affabulateurs des journalistes qui mènent une enquête et publient leurs investigations. Ce qui met mal à l’aise leurs confrères journalistes plus proches du pouvoir.
Restent les extrémistes de tous poils, dont le droit de cité n’est plus permis. Puisque lorsque l’on se pose une question sur la probité d’un ministre, on est invariablement un dangereux gauchiste. Selon F. Baroin seuls peuvent penser et s’exprimer dignement les dirigeants de l’UMP et certains des plus dociles au Parti socialiste.
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À entendre le ministre du Budget, les députés de l’opposition devraient se taire et s’occuper de dossiers plus importants. Car les affaires de conflits d’intérêts au sommet de l’État s’inscrivent dans le cadre de problématiques secondaires.
En France, il est possible de porter plainte si on est victime d’allégations fausses ou calomnieuses. L’UMP devrait s’y atteler si c’est le cas. Au lieu d’en appeler à la censure (voire à l’autocensure), en pratiquant les amalgames douteux sur Internet, la démocratie et les extrémismes. Les hiérarques devraient s’en tenir aux promesses du candidat N. Sarkozy. En particulier, celle d’une République irréprochable, où la transparence sur les ministres serait de rigueur. Au lieu de cela, la majorité présidentielle pratique le chantage au populisme.
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Vogelsong – 6 juillet 2010 – Paris