Intolérance à visage découvert

“Par peur de la peur, les politiques participent à l’excitation générale dans l’idée de calmer le jeu” Patrick Bahners journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung

La République chemine sur la ligne de crête de la tolérance. Une situation intermédiaire, sorte de paix armée, qui peut soit déboucher sur la pacification du rapport à l’autre, soit sur la reprise des hostilités. Louer la société de tolérance comme aboutissement peut être piégeux. Où tolérer c’est souffrir, prendre sur soi à propos de quelqu’un, de quelque chose qui potentiellement révulse. Garder au fond des tripes une haine possible. La France a adopté une loi visant à interdire le port de la burqa dans l’espace public. De l’équilibre fragile de la tolérance, on assiste au basculement par la loi vers la contrainte faite aux femmes de ne pas porter un type de vêtement. Pour réprouver les provocantes prisonnières, on déploie selon ses humeurs de mauvaises bonnes raisons, mais aussi de très mauvaises.

De mauvaises bonnes raisons républicaines

E. Hopper "Mornig Sun" - 1952

E. Hopper "Mornig Sun" - 1952

N. Mayer sur la base d’études sociologiques, explique que 20 % de la population, sans être racistes ou xénophobes, ni hostiles aux minorités, plutôt jeunes, instruits et dont une partie se revendique de gauche montrent une aversion pour l’islam. Dans ce cadre, il s’agit de réticences pour des pratiques qui paraissent contraires à l’émancipation. De bonne foi, on soutient l’interdit aux adolescentes de porter un foulard dans les écoles, une mère d’élève à participer aux sorties scolaires, et donc avec la dernière directive, d’occuper l’espace public habillée en niqab. On invoque la République, l’égalité et les grands principes comme la laïcité pour passer chaque citoyen au marbre de ce qui faut qu’il soit. On suppose administrer l’émancipation, comme on prescrit un remède. La question n’est plus de sortir du carcan de la religion par la culture ou l’éducation, mais d’extirper l’individu de son minable attifement qui fait honte aux valeurs inaltérables de la République. C’est tout faire à l’envers, ignorer les préceptes les plus rudimentaires du cheminement vers le libre arbitre. De l’affranchissement par le savoir.

On va jusqu’à invoquer nos aïeux morts pour la liberté et les formidables avancées du féminisme qu’elles (filles voilées) oblitèrent. Mais à la fin des fins on préfère enfermer, ostraciser que souffrir la présence.

La gauche, puisque c’est ce qui pose problème, s’appuie logiquement sur la loi pour traiter les questions d’inégalités. Doit-elle le faire sur des questions de conscience, pour sortir ces filles de force de leur cellule en tissu ? Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de libérer en formatant. D’imposer la différence en uniformisant. Les bonnes raisons républicaines à l’émancipation sont timides. La révolution désaliénante nécessiterait alors de dresser une liste de tout ce qui asservit. D’y apporter une solution à coups de contraventions de façon à libérer le citoyen. Révolutionner par des contredanses sur les barèmes de salaires, éradiquer définitivement l’aliénation du jeu, de l’alcool, du tabac, de la télé-réalité, de la propagande publicitaire patriarcale, de la consommation compulsive d’à peu près tout (des escarpins griffés aux tranquillisants)…

Les très mauvaises raisons nationales

Au-delà du prétexte d’émancipation, c’est surtout de conservation dont il s’agit. Dans son tréfonds, le pays ne supporte pas la différence, reste nostalgique d’un hexagone pétrifié, occidental, blanc et catholique. Et dont on a pu voir l’effet que suscite les “provocatrices” sur le parvis de Notre-Dame. Clichés télévisuels qui ont titillé jusqu’aux militants de gauche… C’est dire…

Finalement, le pays dans sa grande part se retrouve dans la permanence verbalisée par C. Guéant “les Français veulent que la France reste la France”. Il se joue avec l’interdiction de la burqa la modification du panorama, d’une écologie visuelle, d’une hygiène franchouillarde. Mais aussi d’une façon bien cocardière de ressentir le pays et ses clochers.

Ce qui se trame finalement c’est le passage sur le mauvais versant de la tolérance, et la reprise des hostilités. Car c’est être bien naïf que de se figurer que la loi n’a pas de portée spécifiquement anti-islam. D’un bout à l’autre du processus, médiatique et politique, dans leurs tête-à-têtes avec le pouvoir ce sont les musulmans et eux seuls qui sont visés.

Un terrain de chasse bien balisé depuis plus de vingt ans, avec les diverses polémiques sur les foulards, prières de rues, pour aboutir aux interdictions dans l’espace public. La droite de bon gré sur des fondements nationaux et patriotiques, la gauche plus engoncée, mais invoquant les valeurs républicaines. Mais tous avec au creux des omoplates la baïonnette frontiste. Quand on a perdu tous les leviers économiques et sociaux, ne restent plus comme champs de médiation, l’insécurité et le nationalisme. L’alchimie politique contemporaine a réussi une magistrale fusion des deux. Parfaitement intégrée dans le débat public et au sein des partis politiques. Obnubilés par les gages à donner à la frange la plus réactionnaire de l’électorat pour tempérer sa colère. Mais c’est perdu d’avance.

Parce qu’il y a bien longtemps qu’ils ont descendu les sentiers de la tolérance.

Vogelsong – 12 avril 2011 – Paris

 

15 réflexions sur “Intolérance à visage découvert

  1. Pingback: Variae › La burqa, la gauche et la liberté

  2. Merci pour cet article. J’ai beau considérer le niqab comme un truc archaïque, qui limite la communication avec les individus, je peine à voir la pertinence de son interdiction. Je me suis fait rembarrer sur certains blog à coups de « tu défends l’indéfendable » et autres joyeusetés. Je veux bien admettre que certaines des emburquinées françaises soit opprimées, mais les partisans de l’interdiction oublient une donnée fondamentale : la soumission volontaire. Oui, il y a des gens qui ne veulent pas être libres. Ce n’est pas une légende urbaine, La Boétie a écrit tout un bouquin là-dessus au XVIe siècle, en pleine guerres de religion. Comment fait-on pour libérer les gens contre leur gré ? On leur colle une amende ? On les envoie en prison ? On les tue ? Y a t-il une solution non contraignante ? L’interdiction pose plus de questions qu’elle n’en résout…

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  3. Oh un discours libéral , suivi de « si on est contre le niqab » on est forcément pro-catholique et intolérant. Pourtant la liberté des uns s’arrete ou commence celle des autres.

    Et bien non, la soutane, le niqab, la kippa etc.. sont des outils de promotion d’une religion dans l’espace public. Après oui on pourrait donc se soumettre volontairement à une connerie : Donc libéralisons l’héroïne qu’on s’amuse aussi ? Par ce que ça serait le même discours utilisé.

    Ensuite et je dois être un des seuls à la remarquer : Mais que font les médias à ne pas donner la parole aux musulmans qui vont démonter les pratiques de neo-crédules qui se déguisent en dark vador… sur la base des propres textes que ces idiotes embrassent. Et par la même démonter le discours FNUMP qui vise à réduire tous ces groupes sociaux à des apprentis terroristes polygames voleurs de prestations familiales. Par ce que tout le problème est là, cassez la vision binaire de cette réalité sociologique: Oui, il y a des muslims dans notre pays et tous ne sont pas de sauvages adeptes de conneries moyenâgeuses.

    Et sur le communautarisme ? On va bientôt voir des adeptes de tels ou telles religions exiger des menus spéciaux pour les gamins dans toutes les écoles publiques: pas de viande le vendredi, pas de cochon, pas de ceci, pas de bêtes re-incarnées . Tout ça sera de la faute de Sarkozy et de ceux qui n’osent pas parler de tout ça. Bordel de merde : Nous sommes dans un pays laïc, qui s’est construit (1789,1792) contre la religion officielle soutient du pouvoir.

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    •  » musulmans qui vont démonter les pratiques de neo-crédules qui se déguisent en dark vador »
      cela n’est pas le sujet. la republique n’a pas à savoir si telle ou telle pratique est ou n’est pas musulmane. elle se contente de voir si elle est en accord avec la loi. tu veux qu’on discute. au niveau étatique, pour savoir si oui ou non il y a le corps de jésus dans une hostie ?

      « Et bien non, la soutane, le niqab, la kippa etc.. sont des outils de promotion d’une religion dans l’espace public »
      oui. mais on n’est pas un pays athée. perso je n’aurais guère de sentiment à bannir de l’espace public et privé toutes les religions mais je crains que cela finisse un peu mal. toutes les religions ont un discours promouvant l’inegalité de la femme. on tolere le discours « o dieu je te remercie de ne pas m’avoir fait femme » et on punit celle qui l’applique à elle meme via sa burqa? incohérent.

      « Et sur le communautarisme ? On va bientôt voir des adeptes de tels ou telles religions exiger des menus spéciaux  » on en voit. et on pratique les accomodements raisonnables.

      « Nous sommes dans un pays laïc, qui s’est construit (1789,1792) contre la religion officielle soutient du pouvoir. »
      non. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/laicite/loi-1905.shtml
       » Parmi les acquis de la laïcité, figurent l’affirmation que toutes les religions ont droit à l’expression  »

      serieusement beaucoup confondent laicité et atheisme

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    • Je suis « libéral » au sens de P. Weil, « la loi de 1905est libérale, elle a été négociée avec l’église de France ».

      Ne pas confondre libéralisme, ou libertarisme sociétal et économique.

      D’ailleurs C. Guéant ou N. Sarkozy ne sont pas socialistes, il me semble.

      Pour le reste, tu reprends les arguments de NKM sur le hachis parmentiers, hors propos….

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    • « Donc libéralisons l’héroïne qu’on s’amuse aussi ? »
      Pourquoi pas, à moins de passer des plombes à se toucher sur le parallèle entre le prétendu libre-arbitre et la judiciarisation à outrance qui va bientôt nous obliger à aller aux toilettes en suivant une procédure déterminée…

      Soit on considère les adultes comme tels, soit on les infantilise. Sur ce point, il n’y a pas de demi-mesure, à moins de jouer les faux-semblants, comme ça se pratique depuis longtemps…

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  4. Sauf qu’on a jamais vu un gouvernement interdire la kippa ou la soutane dans la rue.. (suffit de se balader dans le XIXème un samedi). Cette loi est spécifiquement ciblée. ensuite, le droit de s’habiller comme on veut me semble une liberté intime fondamentale. Si c’est être libéral que de la défendre, c’est être liberticide que la condamner.
    Je me demande d’ailleurs si on aurait osé promulguer une loi visant un mode d’habillement masculin… Étonnant de voir que sur cette seule question du niqab, les pire beaufs machistes à la Zemmour se rallient à un certain féminisme. Celui, paternaliste et puritain, qui considère les femme,s putes ou voilées, comme d’éternelles mineurs à protéger contre elles-mêmes.

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  5. Il fut un temps où la laicité c’était de s’habiller de façon « neutre » parce qu’il y avait eu des stigmatisations vestimentaires (bonnets jaunes) ou géographiques (quartier-guetto) ou des privations de droits civils (registres paroissiaux d’Etat – naissance,mariage,décès).
    Etre comme tout le monde pour avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.
    Maintenant, au nom de « la liberté » religieuse, il s’agit d’étaler sa différence pour mieux prouver son existence au monde, contre le reste du monde. Les ados le font, les religions ou les cultures inquiètes, aussi. L’Etat ferait mieux de rassurer (économiquement) et d’éduquer (formations et promotions).
    J’ai eu l’occasion de l’écrire par ailleurs.

    Fultrix.

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    • La loi de 1905 n’a jamais interdit l’expression des religions dans l’espace public, mais l’encadre :
      « Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures du culte sont réglées en conformité de l’article 97 du Code de l’administration communale. Les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal, et en cas de désaccord entre le maire et l’association cultuelle, par arrêté préfectoral » (art. 27).

      « Il est interdit (…) d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices du culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. (…) » (art. 28).

      Combien de fois faut-il dire que la laïcité n’est pas l’athéisme ou sa promotion ?

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