Les non-dits frontistes de C. Guéant

“Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas.” C. Guéant devant les étudiants de l’UNI à l’assemblée Nationale.

La force de C. Guéant dans sa sortie sur les civilisations réside dans ses non-dits. On pourrait penser comme le dit N. Chomsky que tout doit être dit, tout doit être débattu. La limite s’établissant sur l’appel à la violence. En ce sens d’ailleurs, l’approche suprémaciste du ministre de l’Intérieur de la France interpelle. Dans quelle mesure ne propage-t-il pas une violence larvée envers l’autre ? Mais quel autre ? Pas pointé directement, juste assez flou pour que par la force de l’évocation, l’électeur égaré s’y retrouve. C’est tout l’enjeu d’une campagne électorale dans un contexte largement focalisé sur des considérations cocardières, sécuritaires et xénophobes. Des considérations pesant près de 20% des voix.

On peut mesurer l’hégémonie idéologique des idées de la droite réactionnaire à la force de son métadiscours. C’est à dire à sa faculté de rester dans la limite (voire de la franchir en conscience et maîtrise) tout en figurant une imagerie largement répandue. D’évoquer la supériorité de certaines civilisations, en restant assez vague pour ne pas citer les inférieures. Se basant sur une évidence supposée et partagée par le pays.

C. Guéant n’a plus besoin d’annoncer clairement que le mahométan ou l’Africain est issu d’une civilisation inférieure. Il s’astreint juste à préciser, dans un contexte de nationalisme égocentrique teinté de débâcle économique que la sienne est dominante.

La force du non-dit, c’est aussi l’évocation des “socialistes”, dans son propos totalement électoraliste. La première partie de la phrase est cruciale : “contrairement aux socialistes” annonce-t-il. Dans un autre contexte, une France apaisée, sortie des affres de la xénophobie, il aurait dû s’y prendre plus longuement. Par exemple : “contrairement à François Hollande candidat du parti socialiste, dont les idées sont issues du relativisme de mai 68 qui bafouent les valeurs nationales et la civilisation judeo-chrétienne de couleur blanche, je pense que…”.

Dans la France de 2012 (post 2002), il n’a plus besoin de s’encombrer de coquetteries racialo- culturelles du discours. Puisque la contextualisation a précédemment été mise en musique par les P. Bruckner (“Les sanglots de l’homme blanc”), les péroraisons islamophobes de l’éditorialiste du Figaro I. Rioufol, ou la relative acceptation dans le monde journalistico médiatique que le FN pose les bonnes questions. De plus, le propos s’est tenu face aux étudiants de l’UNI, syndicat créé en réaction aux événements de mai 68. La force du symbole.

C. Guéant ne convoque donc pas C. Lévi-Strauss dans la logique de débat ouvert que prône par exemple N. Chomsky. Les débordements xénophobes de la droite de gouvernement n’ont aucune vocation érudite. De poser un regard curieux sur les civilisations, débat des plus intéressants. Puisque personne n’a réellement lu l’anthropologue. Les paresseux de la médiasphère ne pouvant citer que des bribes de phrases pour tirer la vérité à soi. Une vérité qui s’étiolera avec un autre bout de citation jetée comme ça à l’encan.

Non, tout ce buzz s’inscrit dans une stratégie de communication bien orchestrée, puisque distillée sur Twitter par les sympathisants de l’UMP. Ne laissant que l’alternative “aux mondialistes bienpensants” : ignorer des propos aux relents racialistes, c’est à dire tacitement laisser passer. La question lancinante sera alors : laisser passer jusqu’à quand ? Ou bien de s’en saisir, et confirmer l’existence d’une gauche morale ignare et boboïsante dans un contexte réel totalement propice aux idées de C. Guéant.

Dans tous les cas, l’antiracisme, l’universalisme, la critique du conservatisme réactionnaire sonnent comme une dégénérescence.

Vogelsong – 5 février 2012 – Paris

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Libération se lâche sur Guéant, une bonne idée ?

« …l’histoire retiendra que Claude Guéant fut d’abord un mauvais ministre de l’intérieur » N. Demorand dans Libération le 29 novembre 2011

Curieux cliché de C. Guéant en contre plongé, regard glacé, mâchoire serrée. On l’imagine fixer cette Une de Libération du 29 novembre de cette façon. Un prédateur jaugeant une proie. En titrant “la voix de Le Pen”, le quotidien de “gauche” semble céder à une certaine facilité. Un tropisme sociétal, une bienpensance mondialiste bercée d’angélisme quant à la question migratoire et sécuritaire. Oser le parallèle entre un ministre de la République et le parti d’extrême droite pose une question d’objectif. On sort là du domaine de l’information factuelle pour entrer par une image et une seule phrase dans l’analyse politique. Problème, le traitement du FN oscille entre stigmatisation et subversion, et dans chacun des cas, la partie est perdue.

J. P. Chevènement (classique exemple) trouve la comparaison “injuste” et “excessive”. On peut comprendre sa position, comme souverainiste aux accents nationalistes, ce type de comparaison/stigmatisation pourrait, au détour d’un discours, l’éclabousser. Il participe là, au brouillage de la frontière entre ce qui relève de l’ignominie et de ce qui permet de nourrir le débat. Et mieux, de trouver des solutions.

Les hommes politiques n’ont pas choisi entre prendre à bras le corps les questions économiques et sociales ou se tourner vers des expédients électoraux. On préfère conserver l’opacité sur le discours xénophobe. Bien aidé en cela par un contexte culturel favorable. C’est là où Libération touche juste. En publiant en Une, cet immense tag hurlant “FUCK !”, il sort du marasme et de la stérilité dans lequel le débat a été plongé. Il excite, et c’est étrange de le dire, la réflexion de ceux qui le lisent. Il prend position loin des nuances habituelles sur une question lancinante qui empoisonne depuis 30 ans le débat public.

Il remet surtout les sujets dans le bon ordre. Sortir des bricolages électoraux secondaires, pour entrer vivement dans la politique. Loin du fumet pestilentiel dominant.

La pensée dominante, suprémaciste s’incarne bien dans celle de C. Guéant, E. Levy, ou A. Finkielkraut (chacun dans son registre) qui, sans le dire ouvertement (quoi que), labourent le sillon de la xénophobie. Dans une attitude qui selon leurs auteurs relève de la subversion. Une subversion qui tient au fait que selon une mythologie largement diffusée, il serait interdit d’aborder ces sujets (bien qu’on ne fasse que ça). Qu’une police de la pensée, dont Libération serait le héraut, mettrait sous l’éteignoir ceux qui ont une liberté de parole.

D’ailleurs même si Libération touche juste, il permet aussi d’étayer la thèse de la bienpensance angélique. Il s’est créé un contexte hexagonal tel que tout conspire à la fin des fins à ramener au débat migratoire et (sa thématique devenu connexe) sécuritaire.

On n’y échappera pas.

Vogelsong – 30 novembre 2011 – Paris

Intolérance à visage découvert

“Par peur de la peur, les politiques participent à l’excitation générale dans l’idée de calmer le jeu” Patrick Bahners journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung

La République chemine sur la ligne de crête de la tolérance. Une situation intermédiaire, sorte de paix armée, qui peut soit déboucher sur la pacification du rapport à l’autre, soit sur la reprise des hostilités. Louer la société de tolérance comme aboutissement peut être piégeux. Où tolérer c’est souffrir, prendre sur soi à propos de quelqu’un, de quelque chose qui potentiellement révulse. Garder au fond des tripes une haine possible. La France a adopté une loi visant à interdire le port de la burqa dans l’espace public. De l’équilibre fragile de la tolérance, on assiste au basculement par la loi vers la contrainte faite aux femmes de ne pas porter un type de vêtement. Pour réprouver les provocantes prisonnières, on déploie selon ses humeurs de mauvaises bonnes raisons, mais aussi de très mauvaises.

De mauvaises bonnes raisons républicaines

E. Hopper "Mornig Sun" - 1952

E. Hopper "Mornig Sun" - 1952

N. Mayer sur la base d’études sociologiques, explique que 20 % de la population, sans être racistes ou xénophobes, ni hostiles aux minorités, plutôt jeunes, instruits et dont une partie se revendique de gauche montrent une aversion pour l’islam. Dans ce cadre, il s’agit de réticences pour des pratiques qui paraissent contraires à l’émancipation. De bonne foi, on soutient l’interdit aux adolescentes de porter un foulard dans les écoles, une mère d’élève à participer aux sorties scolaires, et donc avec la dernière directive, d’occuper l’espace public habillée en niqab. On invoque la République, l’égalité et les grands principes comme la laïcité pour passer chaque citoyen au marbre de ce qui faut qu’il soit. On suppose administrer l’émancipation, comme on prescrit un remède. La question n’est plus de sortir du carcan de la religion par la culture ou l’éducation, mais d’extirper l’individu de son minable attifement qui fait honte aux valeurs inaltérables de la République. C’est tout faire à l’envers, ignorer les préceptes les plus rudimentaires du cheminement vers le libre arbitre. De l’affranchissement par le savoir.

On va jusqu’à invoquer nos aïeux morts pour la liberté et les formidables avancées du féminisme qu’elles (filles voilées) oblitèrent. Mais à la fin des fins on préfère enfermer, ostraciser que souffrir la présence.

La gauche, puisque c’est ce qui pose problème, s’appuie logiquement sur la loi pour traiter les questions d’inégalités. Doit-elle le faire sur des questions de conscience, pour sortir ces filles de force de leur cellule en tissu ? Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de libérer en formatant. D’imposer la différence en uniformisant. Les bonnes raisons républicaines à l’émancipation sont timides. La révolution désaliénante nécessiterait alors de dresser une liste de tout ce qui asservit. D’y apporter une solution à coups de contraventions de façon à libérer le citoyen. Révolutionner par des contredanses sur les barèmes de salaires, éradiquer définitivement l’aliénation du jeu, de l’alcool, du tabac, de la télé-réalité, de la propagande publicitaire patriarcale, de la consommation compulsive d’à peu près tout (des escarpins griffés aux tranquillisants)…

Les très mauvaises raisons nationales

Au-delà du prétexte d’émancipation, c’est surtout de conservation dont il s’agit. Dans son tréfonds, le pays ne supporte pas la différence, reste nostalgique d’un hexagone pétrifié, occidental, blanc et catholique. Et dont on a pu voir l’effet que suscite les “provocatrices” sur le parvis de Notre-Dame. Clichés télévisuels qui ont titillé jusqu’aux militants de gauche… C’est dire…

Finalement, le pays dans sa grande part se retrouve dans la permanence verbalisée par C. Guéant “les Français veulent que la France reste la France”. Il se joue avec l’interdiction de la burqa la modification du panorama, d’une écologie visuelle, d’une hygiène franchouillarde. Mais aussi d’une façon bien cocardière de ressentir le pays et ses clochers.

Ce qui se trame finalement c’est le passage sur le mauvais versant de la tolérance, et la reprise des hostilités. Car c’est être bien naïf que de se figurer que la loi n’a pas de portée spécifiquement anti-islam. D’un bout à l’autre du processus, médiatique et politique, dans leurs tête-à-têtes avec le pouvoir ce sont les musulmans et eux seuls qui sont visés.

Un terrain de chasse bien balisé depuis plus de vingt ans, avec les diverses polémiques sur les foulards, prières de rues, pour aboutir aux interdictions dans l’espace public. La droite de bon gré sur des fondements nationaux et patriotiques, la gauche plus engoncée, mais invoquant les valeurs républicaines. Mais tous avec au creux des omoplates la baïonnette frontiste. Quand on a perdu tous les leviers économiques et sociaux, ne restent plus comme champs de médiation, l’insécurité et le nationalisme. L’alchimie politique contemporaine a réussi une magistrale fusion des deux. Parfaitement intégrée dans le débat public et au sein des partis politiques. Obnubilés par les gages à donner à la frange la plus réactionnaire de l’électorat pour tempérer sa colère. Mais c’est perdu d’avance.

Parce qu’il y a bien longtemps qu’ils ont descendu les sentiers de la tolérance.

Vogelsong – 12 avril 2011 – Paris