La vidéosurveillance : Un consensus sécuritaire ?

Quand on utilise les mots de l’adversaire, son univers mental, c’est que la situation politique semble compromise. La gauche de gouvernement dérive depuis trois décennies vers le champ idéologique de la droite. En matière de « sécurité », le parti socialiste rentre docilement dans le rang, celui du paradigme imposé par les réactionnaires. Il consiste à imposer la résignation même si les conditions sont infâmes, « car on ne peut faire autrement ». En l’occurrence, une société de surveillance où on ne distingue pas les limites du monitoring. Les progressistes proposent, avec quelques nuances cosmétiques, le même projet de société vigie. Le lourd constat d’échec sur la transformation urbaine et sociale entraîne un raidissement dans le domaine de la vidéosurveillance. Un sujet qui fait consensus, seules les modalités font discussion.

Vidéosurveillance versus « vidéo protection »

Pour installer dans les rues et les consciences la société de la surveillance, les séides du flicage banalisé usent de formules rassurantes. La France compte 20 000 caméras, l’UMP veut tripler ce chiffre à l’horizon 2011. Depuis quelques mois on ne parle plus de vidéosurveillance, mais de « vidéo protection ». Glissement sémantique habituel, la bienveillante protection sied mieux que la surveillance totalitaire. En pratique il s’agit du même dispositif avec les mêmes caractéristiques. Surveiller et réprimer. B. Hortefeux déclarait lors d’une interview à Europe 1 “Il faut que l’on encourage le développement de la vidéo protection”. Malheureusement, ces réflexes et ce vocabulaire de matons ne sont pas confinés à l’UMP. Quand on interroge A. Hidalgo adjointe au maire de Paris, on retrouve à peu de choses près le phrasé. Rompue aux trainings de communication, elle présente aussi ses arsenaux de surveillance sous le label « protection », et emploie à l’envi les termes de « vidéo protection ». Comme à l’UMP.

Pour protéger les pauvres

Le ministre de l’Intérieur est un fervent zélateur du concept de tranquillité, sous le triptyque  » autorité, ordre et respect ». Il en appelle aux classes populaires, premières victimes de la délinquance dans ses discours, « la sécurité, ce n’est pas un privilège réservé aux beaux quartiers ». Que la droite moisie nage en plein fantasme réactionnaire, rien de neuf. Une rengaine électorale historique qui porte immanquablement les fruits du succès, de l’accession aux pouvoirs. De son côté, A. Hidalgo interrogée sur le sujet appuie fortement sur la nécessité d’installer des caméras dans certains endroits « chauds » de la capitale. En particulier dans les parcs, jardins d’enfants de quartiers populaires. À peu de choses près comme l’UMP. Dans une ville de gauche, les habitants ghettoïsés subissent la double peine, la délinquance et le filmage. Quand on ne réussit pas à supprimer les zones homogènes de richesses, qui dans la capitale datent de plus d’un siècle, on inflige aux plus pauvres, en plus de leur dénuement le contrôle vidéo.

Spectaculaires épouvantails

Pour les récalcitrants, on sort la grosse artillerie. Quand F. Lefebvre veut surveiller l’Internet pour cause de pédophilie, A. Hidalgo, du parti socialiste, use de la menace terroriste pour légitimer les vidéosurveillances. Les images vidéo d’attentats n’ont d’utilité que pour les terroristes. Passées en boucle par les chaînes de TV ou sur Internet, elles renforcent le caractère sidérant de tels évènements. Elle propage la peur, réduit l’ignominie à un spectacle publicitaire. Que cela soit à Madrid, à Bombay, à Londres, une caméra aussi bien située qu’elle puisse être, n’a pu empêcher le drame. Et ne l’empêchera jamais. Il n’y pas d’effet préventif sur des gens déterminés. Pourtant les responsables politiques de droites et de gauches continuent de servir ces affabulations.

Tout en nuance

A l’UMP on s’embarrasse peu de fioritures, l’utilisation d’artifices de communication permet à la sphère médiatique de relayer le message sécuritaire dans un contexte apaisé. L’électeur de droite s’y retrouve. On lui jalonne les bureaux de vote depuis des décennies en dérapages racistes, louanges policières et victimisations pleurnichardes. Au PS, c’est plus complexe, il faut se justifier. A. Hidalgo, par exemple, crée un comité d’éthique parallèlement à l’installation massive de caméras de surveillance. Elle y ajoute même les formes en nommant à sa tête un ancien de la Ligue des Droits de l’Homme. À gauche on se détache doucement (mais sûrement) du complexe sécuritaire. Finalement ce qui se joue ce n’est plus le bien-fondé de la surveillance permanente des citoyens, mais la justification de celle-ci. Car le consensus général s’est imposé. Plutôt décomplexé pour les uns, fait de contorsions justificatrices pour les autres.

La sécurité en question

Rien ne prouve que la vidéo surveillance à un effet réel sur la délinquance. En 2009, on pensait mettre tout le monde d’accord : l’agence de presse de l’UMP, Le Figaro, publiait un rapport « secret » sur l’efficacité de la vidéosurveillance. Le ministre de l’Intérieur voulait en faire le couteau suisse de la communication des collectivités locales pour obtenir le consentement des plus rétifs. Les propagandistes de l’UMP employés par S. Dassault imaginaient que les lecteurs étaient aussi paresseux que leurs plumitifs rédactionnels. Il s’avère qu’après une analyse précise, ce rapport établit un argumentaire massif démontrant l’inefficacité de tels dispositifs. Pourtant, rien n’arrête le déploiement du matériel de surveillance dans les villes de droites comme de gauches. A Paris, B. Delanoë finance les investissements sécuritaires par un partenariat public privé. Une habitude pour cette mairie de gauche.

Il n’y a pas eu de débat national sur la vidéosurveillance, le respect de la vie privée. On lance des phrases toutes faites du type « Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmé ». Ou on pratique le fait accompli par des institutions publiques ou privées. Les derniers épisodes de violence en milieu scolaire va permettre d’initier la pédagogie carcérale dès le plus jeune âge. L’apprentissage précoce d’une existence sous vigilance éléctronique. La gauche traumatisée par 2002 se refait une armure sécuritaire. Le principe même de la vidéosurveillance n’est peu ou pas contesté. Les chartes éthiques passent, les caméras resteront. A. Hidalgo à Paris déploie des dispositifs pour l’UMP, en différé. Quel que soit le nombre de caméras que les responsables socialistes pourront installer, ils ne se déferont jamais du laxisme qui (à tort ou à raison) leur colle à la peau. À la course sécuritaire, ils finiront toujours derrière la droite.

Son : Merci à Sebmusset

Vogelsong – 24 février 2010 – Paris

27 réflexions sur “La vidéosurveillance : Un consensus sécuritaire ?

  1. Du glissement sémantique au glissement idéologique, du bien-fondé de cette politique à sa justification. Belle analyse que ce billet.

    Ton constat sur ce sujet est sans doute un peu alarmiste mais je te rejoins sur le fait que la vidéosurveillance mériterait un débat national plutôt qu’un consensus mou et électoraliste…

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  2. il faudrait ne pas oublier qu’a terme, couplée à la technologie de reconnaissance faciale, les images seront beaucoup plus exploitables qu’aujourd’hui.
    Quand le traçage géographique des individus sera automatisé, couplé à « l’obligation de visage découvert », il concernera tout le monde.
    C’est pourquoi les critiques sur l’inefficacité tapent à côté: il se pourrait bien qu’a force d’equipement techno l' »efficacité » augmente. Un peu trop?

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  3. @ Martin P.

    Evidemment que la puissance de calcul et l’amélioration des solutions techniques permettront d’augmenté l’efficacité du dispositif. Mais tout le monde qui promeut s’acharne à faire oublier que l’efficacité du dispositif de vidéo surveillance, est uniquement à postériori.

    En aucun cas une caméra ne sera en mesure d’arrêter un crime. Sauf à toutes les équipées d’une mini tourelle automatique pour punition immédiate. Mais cette idée n’est pas encore à l’ordre du jour, à moins que M. DASSAULT ne propose une telle unité pour les cités…

    Donc, on a une solution de sécurité à postériori, qui n’empèchera jamais aucun crime, mais, deuxième effet Kisscoo, dans le déjà très moribond esprit collectif, quelle autre sentiment qu’une indifférence totale pourra envahir le coeur des témoins d’un crime/délit ? Ah si, un seul : la curiosité, donc une observation passive de la scène, à l’instar du technicien payé au lance pierre qui sera derrière le moniteur.

    Vraiment, je trouve que c’est beau comme projet : filer un fric fou à quelques marchands d’arme reconverti dans la vidéo, foutre une pression inconsciente dans l’esprit des gens…
    Moi, le monde qu’on va laisser à nos enfants me donne la nausée.

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    • C’est dispositif de surveillance sont efficaces seulement pour des gens « normaux ». C’est à eux que s’adressent les caméras, car c’est avec leurs impôts qu’on leur promet la sécurité.

      Les malfrats s’en foutent.

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  4. Pingback: La vidéosurveillance : Un consensus sécuritaire ? « Cybercriminalité, sécurité et ordre public

  5. très bien ! J’avais écrit un billet en début de mon blog que je ne retrouve plus sur le sujet, qui prouvait selon une enquête britannique que la vidéosurveillance pudiquement rebaptisée vidéoprotection était inefficace et coûteuse.

    je repense au bon mot d’un blogueur qui se demandait si Sarko n’avait pas un cousin commercial en appareils de vidéosurveillance…

    Mais puisque tout le monde trouve ça normal sauf quelques poignées de gauchistes comme nous… je vais continuer de coller seul des chewing gum à la perche sur les objectifs… quand je peux.

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    • Un consensus sans débat s’est imposé sur ce sujet. Pourtant, les références culturelles ne manquent pas. Des générations ont étudié « le meilleur des mondes » d’Huxley au lycée.

      Pourtant…

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  6. A transmettre à notre cher Brice.

    Le Royaume-Uni est la patrie de la Vidéosurveillance avec 4,2 millions de caméras – une pour 14 habitants. Si on regarde d’un peu de plus près les résultats, voilà ce que ça donne : le chiffre du taux de criminalité n’a pas connu la baisse espérée. Le taux de crime non élucidé n’a pas bougé. A Londres, une seule affaire criminelle a été réglée en 2008 pour 1000 caméras installées.

    Avec les articles de Piratages, on se sent en toute … sécurité.

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  7. Ce n’est pas les cameras qui me gênent (quoique se soit couteux et inutile puisque mal utilisé), c’est qu’elles devraient permettent l’arrivée rapide sur les lieux des personnes compétentes en fonctions du problème identifié.
    Mais il n’y absolument personne à envoyer, juste des problèmes que l’on fait passer du monde réel au monde virtuel comme si cela rassurait et démontrait que l’on s’en occupe. Quel pitié

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  8. Ce billet est très pertinent, mais prouver que la vidéosurveillance est quasi inefficace ne suffit pas.

    Mais ça ne répond pas à ceux qui disent : « Si on n’a rien à se reprocher, ça ne gêne pas d’être filmé ! » (autrement dit : « Si ça fait pas d’bien, ça peut pas faire de mal ! ».

    Bien que d’accord avec toi, je n’arrive pas à expliquer (rationnellement !) :
    – en quoi le fait d’être « surveillé » est-il gênant ?
    – comment défendre la non-surveillance sans être accusé de livrer les gens à eux-même (loi de la jungle) ?

    J’ai pensé à l’argument économique (ça coûte cher au contribuable, pour un truc qui ne sert à rien)… mais ce n’est pas très convaincant.
    D’autres idées ?

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    • Thierry

      Je ne pense pas que l’on puisse argumenter quantitativement sur le respect de la vie privée.
      La question de la surveillance n’est pas une affaire de droit ou de légalité. Juste d’hygiène mentale.

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  9. Pingback: Cette société dont nous ne voulons pas « humeurs de gauche

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