Nous ne sommes pas prêts, eux oui

« On sent sa jouissance. On dirait un adjudant de cavalerie à qui on vient de dire qu’il avait le droit de faire courir ses chevaux. » A. Badiou sur M. Valls le 23 novembre 2015 au théâtre de la commune

Ils ne déçoivent jamais. Ils ont fait ce à quoi on pouvait s’attendre. Affermir davantage le pouvoir, déterminés et sans faille. Une seconde nature dont ils font profession. Nous nous sommes laissés faire, contre nous même, tétanisés. Nous, citoyens, jouissons d’une liberté que d’autres instinctivement veulent restreindre, dès que les conditions deviennent propices. Ils ont le pouvoir, ils n’ont donc que faire de la liberté, et se ruent aveuglement sur elle comme la misère sur le pauvre monde. Politiciens, experts, conseillers, perroquets du commentariat pataugeant dans le marigot des palais, tous unanimes pour déroger à ce droit fondamental.

Réagir d’abord, penser ensuite

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Christopher Dombres

Comme un seul homme, ils ont éteint la raison. M. Valls au premier chef acclimate l’opinion, en lâchant ses imprécations contre la « compréhension » de ce qui nous arrive. « J’en ai assez de ceux qui cherchent des excuses sociologiques ou culturelles à ce qui s’est passé ! », assimilant avec duplicité « expliquer » et « excuser ». Un franc retour à l’abêtissement qui caractérise ce qui se fait de plus cynique dans la classe politique contemporaine. Ne plus penser, réagir d’abord. Ou faire mine d’agir. C’est ce que, résolus, ces dirigeants imposent. S’embrigader dans le « comment » et évacuer définitivement le « pourquoi ». Car « pourquoi » soulève les miasmes d’une remise en question, le « comment » simule l’action, carburant électoral.

Le « comment » au profit du « pourquoi » miroir de l’époque

M. Valls et ses confrères refusent de comprendre sociologiquement, économiquement, géopolitiquement, anthropologiquement ce qui se passe. De déconstruire ce qui tente de nous détruire. Car se pencher sur les causes, sur le « pourquoi » ce qui arrive advient, en y apportant un faisceau analytique de raisons, draine aussi une série de questions plus tenaces qui peuvent s’apparenter à une remise en question du modèle. Ce modèle qui a produit, en partie, ce qui nous tombe brutalement dessus. Ce modèle dont, il ne faut pas le négliger, ils sont les patrons.

Ceux qui administrent nos vies s’en remettent à des considérations de système nerveux, de réflexes primaires et d’assauts vengeurs pavloviens, le « comment » derechef !

Le modèle de pensée du management

Pour tenter de comprendre, retournons vers l’entreprise,  l’entité révérée de nos dirigeants.  Lieu où le management s’est focalisé sur le « comment » et s’évertue à oblitérer le « pourquoi ». La question du « pourquoi » des tâches répétitives humaines ou des directives absurdes sont un trou noir du système social. Qu’il ne faut pas  aborder sous peine de s’y perdre en conjectures existentielles. Pour en sortir (quasi indemne), le management se concentre sur le « comment » des choses. Comment on va d’un point à un autre, sans se poser la question essentielle, du pourquoi on s’y rend. Cela évite les interrogations ontologiques nuisibles à la cause des profits.

Nos politiques ne font pas mieux. Ils le singent même. Ils nettoient la pensée en faisant « pratique ». Il manage l’opinion. Plus d’analyse, mais des actes. Même vains. Surtout vains. Le « comment » c’est l’armée dans les rues. Le « comment », c’est l’assignation à résidence de militants écologistes. Le « comment » ce sont les perroquets de l’editocratie qui rabâchent que l’État d’urgence est un état permanent. Dont un « comment » du « comment », la communication qui réarrange la réalité au profit d’une autre vérité. Le remodelage par les mots et les images de ceux qui détiennent les canaux de communication et la science des signes pour saturer l’imaginaire de ceux qui en sont dépourvus. Le « comment »  enfin c’est tout ce qui oblitère la raison et qui fait écho à la terreur pour affermir son emprise sur les citoyens. Il n’y a plus de « pourquoi ». Il n’y a que des actes sécuritaires.

Eux sont prêts. Donc. Et nous, citoyens, électeurs, humains,  ne sommes pas prêts. Nous ne sommes pas capables de hurler « pourquoi ». Ni d’imposer avant toutes restrictions à ce qui nous est le plus cher, la liberté, un instant de réflexion pour mesurer avec ce méticuleux discernement que nécessite les situations extrêmes : savoir si tout ceci a une pertinence, un fondement, une raison.

Vogelsong – Paris- 2 décembre 2015

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Mauvais œil

«Vous en avez assez, hein ! Vous en avez assez de cette bande de racailles ! Bien on va vous en débarrasser. (…) On est là pour éradiquer la gangrène.» N. Sarkozy le 25 octobre 2005 à Argenteuil

Le cadrage est mauvais, la caméra mal positionnée, la scène a lieu dans une cage d’escalier de la banlieue de Bagneux. Un reportage qui illustre la campagne de porte-à-porte initiée par le PS pour susciter l’adhésion à F. Hollande. Un bout de film anodin lancé en première partie d’une émission du service public, « Des paroles et des actes », dont le candidat socialiste est le principal invité. Outre le fait que l’ambiance sur le plateau se soit significativement tendue si on la compare avec l’accueil du président sortant la semaine précédente, cette scène suscite un malaise. Un malaise presque honteux.

Bizarrement S. Royal peut se présenter à la porte d’un habitant de banlieue. Et soulever diverses réactions, mais aucune violence. En tout cas, c’est ce que montrent les images. Des gens souriants, surpris, voire gênés de trouver là, sur leur seuil, la candidate de 2007, la figure télévisuelle.

S. Royal fait le job. Elle, qui avait il y a cinq ans fait le plein de voix dans les banlieues, use de ce capital pour les besoins de la cause. Virer N. Sarkozy de l’Élysée et restaurer une république plus apaisée, sortir de l’enkystement, du rejet, de la xénophobie. Ces valeurs essentielles à la droite moderne qui saturent l’espace depuis une décade. Déjà.

Or c’est bien de cela qu’il s’agit. De ce qu’est vraiment la gauche, de ses valeurs dans le contexte xénophobe de la France de 2012. De cette image du « parti de l’étranger » (pour reprendre la terminologie frontiste, et l’inconscient sarkozien), moins rétif à l’immigration, moins anxieux sur les dangers fantasmés de l’autre, cet ennemi intérieur.

Ces images sont presque trop frappantes, car trop vraies. Elles nous renvoient à une utopie. Celle de la démocratie pour tous, même dans les zones délaissées et perdues de la République.

C’est peut-être à cet instant que se produit le renversement. Ces images sont fortes, mais infiniment dangereuses. Car on se pose immédiatement la question de son impact sur l’autre. L’électeur. Celui qui hésite à quelques encablures de l’isoloir. Celui qui baigne matin, midi et soir dans le flot incessant de l’information sécuritaire. De la logorrhée péremptoire de peur, distillée à longueur d’émission par les zélés roquets du pouvoir. Cet autre à qui l’on prête des réflexes racistes, car on pense (et l’on sait) qu’il peut mordre à l’hameçon (en 2002 (avec Le Pen), et 2007 (avec N. Sarkozy)). Cet électeur qui finalement face aux clichés du socialiste anti raciste béat, préférera l’esprit de civilisation nationale tellement plus en vogue actuellement. Il est si bon d’être réactionnaire nous dit-on. Finalement, on intègre la peau du raciste, et on se surprend à souhaiter qu’il ne soit pas trop perturbé, indisposé par ces images de S. Royal à la rencontre de Français de couleur dans les quartiers. Car il en va d’une élection primordiale et des cinq prochaines années. Le pire des paradoxes en somme, cacher son antiracisme pour qu’il prenne (un peu) le pouvoir.

Ce renversement c’est celui de l’intégration des codes d’une époque. Une époque où l’on éprouve un malaise honteux à ne pas détester l’autre pour sa différence. Où l’on se surprend à trouver ses propres valeurs (comme l’antiracisme) peu électorales compte tenu du contexte. Une époque où l’on se dit que se présenter face aux gueux issus de minorités visibles est moins payant démocratiquement que de se faire filmer entouré de vaches au salon de l’agriculture. Une époque où l’on pense qu’il vaut mieux cacher son universalisme de gauche et attendre que ça passe.

Une sale époque.

Vogelsong – 15 mars 2012 – Paris

L’usage des armes

“C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Tout homme va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le nierait ! La vertu même a besoin de limites.” Montesquieu – L’Esprit des lois

Du petit lait ministériel. L’homme est malien, sans papier, de forte corpulence. Mais surtout il “pète les plombs” lors d’un contrôle d’identité comme le rapporte Libération. Par deux fois, la police fera usage (après les lacrymogènes) d’une arme à impulsion électrique. Qui a pour particularité de diffuser dans le corps des ondes de 50 000 volts à 2 milliampères. Blocage total du système nerveux, la décharge foudroyante vient immédiatement à bout de n’importe quel individu. Le nec plus ultra de la soumission. Là, l’homme meurt. D’un malaise. Le porte-parole de la police évoque une enquête qui éclaircira éventuellement le lien entre le voltage massif et le collapsus. Quant au Ministère, par la voie de B. Hortefeux, il évoque la contrainte à l’usage des armes. C’est ainsi que dans la France de 2010, on se défausse de la mort d’un “irrégulier”. Quand la violence légitime retire la vie, on euphémise, on stigmatise puis on charge la victime.

Une médiation armée

L’arme non létale, quintessence de l’oxymoron dans le maintien de l’ordre. La novlangue sécuritaire s’est parée de ce concept pour faire passer dans l’opinion des instruments plus ou moins brutaux, mais aussi plus ou moins mortels. Il n’y a pas d’“armes non létales”. Il y a des armes ou pas. Une rhétorique, avec en filigrane, l’alternative asymétrique proposée par la violence (légitime) d’État entre un projectile en métal brûlant à très haute vélocité, la balle, perforant le corps, déchirant les chairs ou l’approche plus civilisée et clinique consistant à électrocuter les rétifs aux injonctions policières. D’ailleurs, la multinationale qui livre les forces de sécurité claironne que l’arme à impulsion électrique “sauve des vies”. La violence mortelle face à la violence douce. C’est à peu près en ces termes que se définit le nouveau credo policier. Entendre que l’État prend soin de ses concitoyens, même des plus turbulents, en employant pour les neutraliser des dispositifs n’infligeant aucun dégât sévère.

Le raisonnement tient plus du concept publicitaire que de la réalité sociologique. Avec l’avènement de ces nouveaux outils de soumission apparaît une nouvelle médiation entre les dépositaires de l’autorité et les citoyens. L’alternative n’est plus la vie ou la mort, c’est-à-dire dans la plupart des cas la vie. Dans le cadre d’altercations de moyennes intensités, sortir une arme à feu relevait de l’impossible sauf à risquer la bavure. Grâce à ces nouvelles techniques d’armement, le niveau de réponse par violence physique est fortement descendu. Le recours aux armes dites non létales est désormais la réplique quasi systématique. En banlieue par exemple, les flash-balls n’ont pas remplacé les armes de poings. Mais se sont plutôt substitués au dialogue (ou tentative de dialogue).

Une violence rare, mais ciblée

De manière générale les études sociologiques (notamment menées aux USA) montrent qu’en moyenne le sentiment de violence policière envers la population est rare. Une personne sur cinq déclarait avoir fait l’objet de pressions physiques, dans la plupart des cas une saisie ou une poussée. À ceci deux remarques. Si les cas sont rares, ils sont déjà trop nombreux. Une force publique perçue par la population (même une minorité) comme brutale signifie l’échec d’une politique de sécurité. Et donc inadmissible. Plus important, le sentiment de violence augmente selon les classes sociales et les minorités incriminées. Pas vraiment une nouveauté, les rapports de la maréchaussée au XVIIe siècle évoquaient déjà comme cibles, les “gibiers de prévôts” (errants, vagabonds, migrants, etc.). Aujourd’hui aussi la violence s’exerce de manière inégalitaire dans la population. Plus on est pauvre plus la violence policière est forte. Une lapalissade que les commentateurs omettent systématiquement de préciser. Et qui change profondément la perception du fait divers. D’autant plus forte qu’elle s’ajoute à la violence économique réelle, mais aussi au sentiment de violence due aux inégalités (économiques et sécuritaires). Dans un cercle infernal mêlant pauvreté, paupérisation, violence qui s’auto-alimentent à l’infini. Enfin, se surajoutent les facteurs “raciaux”, un cocktail explosif. Dont on contemple les éruptions périodiques dans les zones suburbaines.

La question n’est pas de statuer sur la pertinence du pistolet à impulsion en tant que tel. La question essentielle tient dans l’usage systématique de la violence (même “douce”) pour soumettre un corps social. On a substitué un niveau médian d’interaction avec les forces de l’ordre sous la forme d’armes “non létales”. L’instillation à doses contenues d’une violence verticale en direction d’une catégorie de la population. En majorité pauvre et pas blanche. Reste ensuite à la justifier. Des justifications de moins en moins humaines à mesure que les esprits s’accommodent à la dystopie. Un “sans papier” dans l’atmosphère de la France 2010, contrôlé par la police a “pété les plombs”. En oubliant qu’il y avait probablement un lien entre l’attitude du forcené et le contexte. Et dont le principal instigateur de la situation, le ministre, évoque la contrainte policière à électrocuter l’homme par deux fois. Dans cette effroyable substitution des rôles, la victime devient le coupable. Et le paie de sa vie.

Vogelsong – 1er décembre 2010 – Paris

Dans une société qui s’individualise, la demande de sécurité est exponentielle. Un entretien avec J. J. Urvoas [Vidéo]

“Quand N. Sarkozy dit : la sécurité est un droit, il ment” J. J. Urvoas

Il cite S. Royal, soutient D. Strauss-Khan. Mais surtout, J. J. Urvoas, député Socialiste, se spécialise dans les questions sécuritaires. Il a publié pour la fondation Terra Nova, “Le baiser de Judas”, un rapport où il cible les impérities sarkoziennes concernant le double langage envers la Police et les citoyens. Dans la perspective de 2012, il est mandaté pour proposer des idées nouvelles au candidat du PS. Iconoclastes, voire sécuritaires, pour tenter de faire oublier l’écueil électoral récurrent sur ce sujet. L’“angélisme” qui colle à la gauche.

1 – Les questions de gestion, les missions et le “droit à la sécurité” (16’24 »)

  • Une gestion dispendieuse quand les moyens humains et financiers sont rares
  • Les propositions
  • La délégation des compétences aux des sociétés privées (élargissement des sous réserve d’encadrement législatif)
  • Il n’a pas de droit à la sécurité. En totale contradiction avec la tribune de M. Aubry la semaine suivante
  • La sécurité, pas la première des libertés

2 – La Police, trahison du Sarkozysme et l’ovni sécuritaire des émeutes urbaines de 2005 (12’04 »)

  • Le pacte Sarkozy-Police, un amour déçu
  • Les émeutes de 2005, impensées de la maison Police
  • Emeutes urbaines – La logique de guerre
  • La gestion des mouvements sociaux (zéro mort)

3 – L’insécurité, le sentiment d’insécurité (12’18 »)

  • Une société plus sûre
  • Les statistiques de la sécurité (la religion du chiffre)
  • Le sarkozysme comme simplisme sécuritaire
  • Prévention/Dissuasion/Sanction/Réparation

4 – Les propositions (9’49 »)

  • Stratégies locales et expérimentations
  • La police de proximité ne sera pas remise en place (comme en 1997) mais une Police des quartiers
  • Passerelles juges-policiers

5 – Les révoltes de 2005, les quartiers et de la violence en général (6’14 »)

  • L’économie des quartiers
  • Reconquérir l’espace public
  • Faire baisser le niveau de violence général dans la société. N. Sarkozy comme détonateur de la violence : “Le monde de Sarkozy est anxiogène
  • Considérations électorales

Montage :

Sebmusset

Interview :

Zeyesnidzeno/SebMusset/Vogelsong

Vogelsong – 22 novembre 2010 – Paris

Article connexe :

Y-a-t-il un droit à la sécurité ?

La banlieue, objet apocalyptique de nos fantasmes #1

“Cette restauration de la sécurité, nous l’avons engagée sur tout le territoire national, y compris dans les cités qualifiées de “zones de non-droit”. En ces lieux, nous avons bousculé les habitudes les plus discutables, traqué les trafics, contesté la logique des rapports de force, dénoncé la culture de l’irrespect”- N. Sarkozy ministre de l’intérieur – 15 novembre 2005

Les banlieues ne manquent pas d’attentions. Ni des médias, ni des politiques. Pourtant, une situation inédite perdure. Une trentaine d’îlots enclavés du territoire français survivent en marge. Coupés du pays. À chaque soubresaut, on se lamente sur le manque d’ambitions, la désertion de l’état, les trafics en tous genres et la violence. Après le gros temps, les enquêtes sociojournalistiques vont en pèlerinage pour y découvrir les contrées vierges de civilisation et de progrès. Arte s’y est essayé récemment. Une émission sur le sexisme en banlieue avec en toile de fond le calvaire de Sohane. Un programme d’autant plus retentissant qu’il fut annulé pour cause de menaces. Plus que l’information par le documentaire, c’est la révélation des pratiques (en l’occurrence des pressions) dans ces territoires sauvages qui éclairent crûment le sujet. Le propos n’est pas de minimiser le machisme et la violence brute qui y sévissent, ces phénomènes sont une réalité effrayante. La question est plutôt de savoir pourquoi et comment les politiques ainsi que les médias, benoîtement, découvrent le pays, leur pays, à intervalles réguliers.

Les figures de l’angélico-laxiste et du pragmatique

On redécouvre aussi deux figures du débat à propos des banlieues. Le laxiste, le doux rêveur adepte de l’excuse, qui disculpe les malfrats, les petits caïds et autres crapules. Un profil de gauchiste intellectuel éloigné du réel qui calque les théories sociologiques livresques aux accidents du terrain. Pour cette figure quasi mythologique, la question des banlieues est exclusivement sociale. Juché sur son char débordant de victuailles, il prodigue gracieusement des subsides aux assistées vivotant dans les barres HLM. Car il s’agit bien d’un mythe. Personne aujourd’hui n’aborde la question des banlieues sous l’aspect exclusivement social. Personne non plus ne pratique l’excuse aux exactions commises dans les zones périurbaines. À part les “héros”inventés des discours de N. Sarkozy qui use de ces figures repoussoir pour étayer sa vision “pragmatique”. Une vision (sécuritaire) de ses “solutions” en banlieues. Car le pragmatique, seconde figure, est plus en vogue. Il a compris le besoin d’autorité, a décelé les caractères quasi génétiques des problèmes des quartiers. Mais il fait surtout comme si la misère économique ne comptait pas. Oblitérée par la question essentielle : être pauvre en toute tranquillité. Le Président de la République depuis son avènement (prise d’otage de la maternelle en 1993) ne représente que le symptôme de ce basculement sécuritaire. Une grande partie, voire la totalité de la sphère médiatico-politique lui a emboîté le pas. Un exemple, Marianne, réputé anti-sarkozyste. Quand M. Szafran dans sa supplique à S. Veil affirme que lui comme beaucoup (à Marianne) “pouvions approuver certains aspects de sa (N. Sarkozy) démarche sécuritaire”. Il oublie que N. Sarkozy c’est le sécuritaire. Sa carrière s’est construite sur ces bases. Et les pragmatiques y sont légion, une petite recherche sur le site de Marianne avec comme mot clef “banlieue”fait apparaître de belles manchettes vitupérant la victimisation et autres théories de l’excuse. Enfin, on se souviendra de N. Domenach soutenait E. Zemmour (encore un pragmatique) sur le principe, lors de ses légers débordements xénophobes. Mais l’exégèse sécuritaire minutieuse de Marianne constitue un sujet à part entière.

Misère économique normale

La banlieue est un monde à part hors de toutes limites de la République. Des zones de non-droits comme le relève L. Bronner dans son hallucinante plongée dans les ghettos français. Par non-droits il n’évoque pas seulement ce que les pragmatiques s’entêtent à restituer sur les plateaux TV, c’est-à-dire la sécurité caparaçonnée et lourdement armée. Il parle aussi et surtout des droits simples de tous les citoyens du territoire : l’accès à de vulgaires services publics en état de fonctionner, des transports réguliers, des zones d’activité pour travailler, en d’autres termes une vie sociale normale. Partie intégrante du territoire national donc soumis aux mêmes règles il semble que tous, au-delà des discours et des mines concernées, se satisfont de ce bannissement. De cet apartheid économique. À Aulnay-sous-Bois par exemple, le revenu annuel moyen dans le quartier des 3000 s’élève à 7 735 euros contre 13 185 euros dans la commune.

Le traitement au coup par coup démontre bien qu’il s’agit de zones spécifiques hors du champ des politiques publiques de redistribution. Pour sortir les adultes de la “glandouille” en paraphrasant F. Amara, on s’appuie sur les ressorts très sarkoziens du “mérite” et de l’inadéquation du marché de l’emploi. Le mérite car pour le Président, sa secrétaire d’État et une grande partie de son mouvement, l’inactivité est une convenance. Alors que les quartiers plafonnent à 40 % de taux de chômage, une bonne partie de ceux qui travaillent le font en intérim ou pour un SMIC et des cacahuètes. Inadéquation du marché du travail sous entend le manque de formation des habitants de banlieue conjugué à la mauvaise volonté des employeurs. Alors, on fait des plans (com). À titre de comparaison la ligne budgétaire du mirifique plan espoir banlieue (500 millions au total) destiné à la réussite éducative pèse un peu plus de 12 millions d’euros, le business de la drogue est estimé lui entre 1,7 et 2 milliards d’euros.

Une tournure d’esprit dans l’air du temps qui sonne le glas des politiques macroéconomiques destinées à modifier drastiquement l’espace social dans son ensemble. L’État se contente d’un saupoudrage ciblé suivi d’effet d’annonces. On tolère la pauvreté, la paupérisation, la misère à condition qu’elle soit calme. Le débat se réenclenche régulièrement. On ressort les mêmes discours, les mêmes mines concernées, les mêmes plans bancals. Il n’y a manifestement aucune volonté de modifier ce schéma qui ne fonctionne pas si mal (pour certains). On établit des piloris de béton, on y fait charger la maréchaussée quand la situation dégénère. Le débat se noue alors entre laxistes et pragmatiques. Les médias font du papier. À la fin des fins, la politique sécuritaire ratisse les suffrages.

Sources : “La loi du ghetto” – L. Bronner – Calmann-Lévy 2010

Vogelsong – 6 septembre 2010 – Paris