Le journalisme dans de sales draps

Selon une étude TNS le crédit de la presse en France est constant, tandis que 66% des personnes interrogées doute de l’indépendance des journalistes. Une étude sur la presse, commentée par la presse ne peut déboucher sur une quelconque remise en question. Plutôt un résultat mi-chèvre mi-chou. La presse se regarde, s’admire presque. Mais la défiance est là. De la tempête dans un microcosme du cas A. Chabot et N. Saint-Criq, à la l’humiliation des reporters de guerres par le pouvoir jusqu’aux USA qui innovent par la glorification des reporters par les reporters, le journalisme est dans de salles draps.

Bouffi de colère, raidi, les bras croisés, A. Duhamel tance V. Peillon qui a l’outrecuidance de les traiter, lui et les siens de menteurs. La scène se passe sur le plateau de Canal Plus, où le député socialiste, devant une cour pénale auto constituée est sommé de s’expliquer sur son incartade. La déviance reprochée : avoir laissé A. Chabot seule dans son marigot avec M. Le Pen et E. Besson. Le message est clair, dans le monde médiatique la bienséance est de mise et on ne pose pas de lapin aux journalistes. Sous peine de subir les foudres de la profession. Sur le plateau de « La ligne jaune » quelques jours plus tard, B. Roger-Petit ancien journaliste lâche ce que tout le monde sait déjà, dans le microcosme. N. Saint-Criq rédactrice en chef de l’émission d’A. Chabot est la belle-sœur d’A. Duhamel. Ça, c’est interdit ! La ligne jaune est franchie. Les petites turpitudes (intra) corporation ne doivent pas sortir du sérail. Sous peine de braquer le téléspectateur, l’auditeur ou le consommateur de sensations fortes médiatiques comme un débat d’extrême droite. À propos de la révélation de B. Roger-Petit, P. Galvi ivre de rage déclame « ne critiquez pas les gens pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font, vous jetez la suspicion… ». G. Birenbaum tient un scoop. Présents sur le plateau, des journalistes dont G. Roquette de Valeurs Actuelles qui ne trouvera rien à redire à cette affirmation pétrie de bon sens sauf… Sauf que son magazine se positionne sur un créneau ultra conservateur qui dresse inlassablement des portraits hagiographiques d’aristocrates, de nantis, de rentiers qui ne sont là que parce qu’ils sont. Plus largement, si les médias ne traitaient que des acteurs (des vrais), ceux qui « font », les pages quotidiennes seraient vides de célébrités*. Aucun ministre ne trouverait d’espace pour décrire ce qu’ils simulent. Parler des gens pour ce qu’il font et non pour ce qu’ils sont c’est exactement ce que la presse ne fait pas.

Dans la petite aristocratie médiatique, les vicissitudes personnelles, les copinages ne s’étalent pas. La crédibilité de la corporation en dépend. Cette règle s’efface dès lors que cela ne touche plus au microcosme. Les secrets intouchables qui bruissent dans les coursives des buildings de verre sont soigneusement calfeutrés. Par contre, il est permis de se lâcher, sur les gueux, les concubines, les taulards.

Plus loufoques encore, la piétaille, les tricards, les forçats se gardent bien de divulguer les petites historiettes salaces. Les fantassins de la corporation jappent à l’unisson pour défendre leur « intégrité » dès que l’on égratigne un des nababs. Dans une sorte de crispation pavlovienne. Pur réflexe grégaire. Une partie d’entre-deux même, pitoyable, rêvant peut-être du califat se forment en phalanges pour protéger leurs généraux A. Chabot, A. Duhamel, P. Val, C. Barbier…

La même semaine, C. Guéant, bouche sévère de N. Sarkozy, s’essuie les godillots sur la corporation. En visant plus particulièrement les reporters de guerre. La prise d’otages de deux journalistes de France 2 met le gouvernement face à la problématique de son engagement militaire. Mais plus largement, quand il reste encore quelques fondus de reportage pour fouiner en zone de conflit, et ramener un autre point de vue que celui distillé parle service de presse des armées, ou les dépêches de l’AFP recopiée du ministère de la Défense, la présidence se fâche. Le ménage est fait en France, le journalisme circulaire bat son plein, l’information fossilisée et verrouillée s’impose comme denrée commune. Le milieu s’est sclérosé. Peut-être que la presse put un jour faire démissionner un politicien crasseux ? Aujourd’hui, ces mêmes politiciens promeuvent, débauchent, manipulent. Affaire récente, le cas J. Dray où ce n’est pas la pugnacité journalistique qui met au jour un (faux) détournement d’argent, mais une trahison interne au PS manœuvrée par le ministère du Budget. Les reporters n’y sont pour rien, sauf en dernier recours pour appuyer et faire sortir le gras.

La liberté de la presse est un principe constitutif de la démocratie. Servi par cette continuelle auto promotion, la corporation ne se remet pas en cause malgré la défiance qu’elle suscite. Mieux, elle réussit même des opérations marketing inattendues. Dans l’enfer haïtien, les journalistes américains versent dans l’information émotionnelle par la glorification du métier. Les reporters sauveteurs tournent en boucle sur les networks US. Ces parangons, encore capables de partir en zone dévastée, de rendre compte et même certaines fois, de porter assistance à leurs semblables n’ont plus le courage de couper la caméra pour éviter de se raconter. Une saisissante parabole sur l’impuissance des démocraties narcissiques qui tergiversent depuis des décennies devant la situation inhumaine d’Haïti, et qui se mobilise bruyamment après un tremblement de terre dévastateur. Le journalisme est devenu un œil malsain, incapable de transformer le monde, seulement rompu à en contempler ces abjections et à essayer de les rendre acceptables.

*sens large, politicien, éditorialiste multicarte, acteur, chanteur et professionnels des médias

Vogelsong – 20 janvier 2010 – Paris

– La ligne j@une – Mais quelle ligne jaune a pu franchir V. Peillon

14 réflexions sur “Le journalisme dans de sales draps

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  2. Salutaire coup de gueule contre le Paysage médiatique. En corde de rappel, BiBi t’envoie cet extrait d’Alain Accardo.. «Jérémiades audiovisuelles» (Journal La Décroissance, février 2009)qui s’adressait à certains journalistes du Service public ( pas forcément des nantis…):

    «Pour pouvoir crier au loup de façon crédible, il faudrait que vous commenciez par reconnaître la lourde part de responsabilité qui est la vôtre dans la situation indigne où l’Audiovisuel public a sombré depuis bien longtemps, à force d’agenouillement devant le Pouvoir de l’Argent et d’adhésion au Nouvel Esprit du Capitalisme. Il faudrait que, au lieu de servir la soupe aux puissants, vous vous soyez battu(e)s inlassablement contre «la main mise du Pouvoir», les atteintes à «l’indépendance» et la «dégradation» des programmes. Mais, à l’exception d’une infime minorité de journalistes qu’on doit saluer avec respect parce qu’ils/elles ont eu la probité et le courage, au milieu de rédactions hostiles ou indifférentes, de dénoncer l’aliénation du milieu journalistique par l’argent et les amitiés politiques, la très grande majorité d’entre vous, par conviction partisane, par carriérisme, par lâcheté, par inculture ou par bêtise, est restée muette quand elle n’a pas collaboré (…).On ne vous a pas entendus protester, sinon du bout des lèvres, contre l’instrumentalisation hypocrite du CSA par le Pouvoir ni contre la précarisation massive du travail des jeunes au sein de vos rédactions (…). Franchement, on a du mal à vous plaindre, et plus encore à vous prendre au sérieux ».

    Important de ne pas oublier ce passage :… « à l’exception d’une infime minorité de journalistes qu’on doit saluer avec respect ».
    A bibientôt.

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  3. Pingback: Cactus Acide » » L’observatoire du neuromancien 01/23/2010

  4. Je pense qu’il y a un gouffre entre la piétaille des journalistes lambda d’un côté et les patrons de médias et journalistes très haut placés de l’autre. Les premiers, souvent, tentant de préserver leur déontologie des atteintes orchestrées par les seconds…

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    • Olivier, j’ai été effaré de voir comment la base des journalistes s’est comportée sur V. Peillon, ou A. Chabot. Comment à chaque micro critique , elle se cabre et protège ses nababs sous couvert de déontologie et autres balivernes…
      Tu devrais regarder la ligne jaune de G. Birenbaum, avec Carreyrou, Gavi, Roquette. C’est pitoyable. (lien au bas du texte)
      Une chose est certaine, le corporatisme des fonctionnaires fustigé à longueur de reportages trouve plutôt sa place dans les rédactions.
      Évidemment, il y a toujours de petits emmerdeurs qui font bien leur job. Combien ?

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    • Pour faire partie de la piétaille, je confirme… Les journalistes de base qui veulent encore tenter de faire leur boulot doivent quasiment toujours se battre contre leur hiérarchie.

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  5. Pingback: Guerre et presse | Owni.fr

  6. Christophe Montgermont travaillait à la CGE, aujourd’hui Véolia, depuis 1984. Christophe Montgermont était un syndicaliste Force Ouvrière. Il raconte la belle histoire d’amour entre les syndicats de Véolia et les patrons de Véolia.

    http://seaus.free.fr/spip.php?article101

    Hier soir, sur TF1, Nicolas Sarkozy a cité en exemple les syndicats de Véolia. Tu m’étonnes ! Les syndicats de Véolia sont des syndicats comme les aime Sarkozy.

    Aux ordres.

    Tenus en laisse.

    Une laisse d’or.

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  7. je crois que parmi les détenteurs d’une carte de journaliste, près de 50 % n’ont pas de CDI…

    La profession se précarise, la masse s’appauvrit, et quelques nababs, ceux qui sont à l’affiche, signent des éditos à gauche et à droite, à la radio, à la tv et dans la presse vont très bien… Cela nous donne des confrontations bidons, généralement entre ouïstes…

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  8. En réalité, il y a en France 4 688 800 demandeurs d’emploi.

    Demandeurs d’emploi inscrits en fin de mois à Pôle emploi :

    – catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi ;

    – catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois) ;

    – catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (i.e. de plus de 78 heures au cours du mois) ;

    – catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie…) y compris les demandeurs d’emplois en convention de reclassement personnalisé (CRP) et en contrat de transition professionnel (CTP), sans emploi ;

    – catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).

    Total A+B+C+D+E = 4 688 800 demandeurs d’emploi.

    Ce chiffre total de 4 688 800 demandeurs d’emploi est caché dans le tableau page 15 :

    Cliquer pour accéder à 2010-005.pdf

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  9. Et du côté des offres d’emploi ?

    Que s’est-il passé en décembre 2009 du côté des offres d’emploi ?

    Réponse : le nombre d’offres d’emplois collectées par Pôle Emploi s’est effondré.

    En novembre 2009, Pôle Emploi avait collecté 124 500 offres d’emplois durables.
    En décembre 2009, Pôle Emploi a collecté 118 100 offres d’emplois durables, soit une baisse de – 5,1 % sur un mois.

    En novembre 2009, Pôle Emploi avait collecté 110 200 offres d’emplois temporaires.
    En décembre 2009, Pôle Emploi a collecté 109 700 offres d’emplois temporaires, soit une baisse de – 0,5 % sur un mois.

    En novembre 2009, Pôle Emploi avait collecté 43 200 offres d’emplois occasionnels.
    En décembre 2009, Pôle Emploi a collecté 38 900 offres d’emplois occasionnels, soit une baisse de – 10 % sur un mois.

    Regardons les chiffres en données corrigées des variations saisonnières :

    En novembre 2009, Pôle Emploi avait collecté 284 000 offres d’emplois en tout.
    En décembre 2009, Pôle Emploi a collecté 273 000 offres d’emplois en tout, soit une baisse de – 3,9 % sur un mois.

    Conclusion : ceux qui disent que c’est la reprise sont des menteurs.

    Tous ceux qui disent que c’est la reprise du marché du travail sont des menteurs.

    Cliquer pour accéder à 2010-005.pdf

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