Le nouvel esprit de mai – Plutôt « piscine » que manifestation

De changements, de révolutions, il n’y aura. Tout au plus une reprise en main, élégamment appelée moralisation ou dialogue. La France maugrée, ronchonne, beugle des fois, mais ne bronche pas. Ce peuple que l’on dit prompt à la révolte, pétri d’égalitarisme, préfère la « piscine » à une démonstration solidaire et politique. Au palais, le gouvernement festoie, délivre ses largesses aux pantouflards de la République. La majorité des citoyens français râlent, mais ne bougent pas, déjà soumis, complètement avachis.

42-17660352Quatre millions de personnes attendus dans la rue le 1er mai pour battre le pavé. Non pas pour pendre les vils patrons avec leurs entrailles, mais pour sommer clairement au gouvernement de mettre fin aux ravages des services publics, pour s’affranchir des balivernes d’État, pour faire face au mépris. Instaurer (si ce n’est affirmer) un rapport de force. Ils étaient tout au plus un million…
Pour beaucoup d’engourdis de la démocratie, la situation se résume à « Mais à quoi bon, finalement ? ». Repu de télévision, d’informations désolantes, le peuple préfère se terrer à la maison, ou « aller à la piscine ». Chacun sa bonne raison de se délester de l’immonde tropisme printanier : marcher sous le soleil et réclamer aux hiérarques des comptes sur leur gestion. Mais au lieu de participer au changement dans la rue et au palais, le nouvel activiste fait sa révolution les fesses vissées à son fauteuil.
La France « s’américanise », bien plus vite et plus profondément qu’on ne le pense. Elle achève son voyage intellectuel pour s’échouer dans l’utilitarisme de l' »à quoi bon ? », du « pourquoi ? ». Le creuset égalitariste français qui inclinait d’abord à en découdre, par principe, et changer dans l’action s’est transformé en pragmatisme bêtifiant et figé. On demande aux syndicalistes et aux manifestants des solutions que les partis politiques, garants du « jeu » démocratique sont incapables de mettre en œuvre ou de formuler. De l’action collective émancipatrice, la France, après trente années de glorification du « moi » s’est soumise à l’imaginaire stérilisant de l’utile, de la finalité. Cette auto trahison prend plusieurs formes.
Réactionnaire d’abord, c’est l’antienne de la majorité silencieuse. Une population pétrifiée sans visage et sans voix, épaulée dans son mutisme par les râleurs patentés. Prompts à critiquer, les politiques, les syndicats, exhortant à changer le monde, mais qui, dès lorsqu’il faut sortir un après-midi, préfèrent se vautrer débilement devant une télévision, faire du jardinage ou « aller à la piscine ».
Les syndicats sont le cœur de cible. Traîtres pour les uns, vestiges staliniens pour d’autres, ils font les frais du climat social. Le cynique marxiste A.Minc voit des partenaires sociaux « formidables ». Il conforte ainsi la thèse de la collusion avec le pouvoir. Pour d’autres ils vont trop loin, paralysent le pays, poussent à la vendetta, nuisent à la compétitivité. Il est vrai que les leaders syndicaux n’aident pas à se faire aimer. Après la médiocre participation du 1er mai, ils cherchent de nouveaux moyens d’action. Mais le désolant B.Thibaut « a piscine » lui aussi, 3 fois, lors du mois de mai pour participer à des « happenings » syndicaux européens. Des témoignages serviles au fonctionnement d’un marché européen, qui n’est et ne sera jamais « social ». C’est à grand peine que les centrales s’accordent sur un calendrier et des modes d’action. Le Chef du gouvernement et Président de la République n’a aucun souci à se faire. Dans ce pays, dont on peut penser qu’une grande partie réagit en amibes, les instituts de sondages trouvent, dans un échantillon de 1 000 personnes, plus de 300 qui (re)voteraient pour le psychopathe acculturé qui réside à l’Élysée.

Manifester, c’est être pléthore, faire bloc pour voir la peur dans les yeux de ceux d’en face. Et finalement, éviter le conflit violent par un rapport de force inégal. Les syndicats sont impotents, les partis de gauche décrédibilisés et ce qu’il reste de la droite républicaine atomisée et narcissique. La bouillie idéologique du Sarkozysme sidère le citoyen au point qu’il puisse encore voter contre ses intérêts. Au point qu’il se questionne fébrilement sur le sens d’une mobilisation sociale après sept ans de règne de la droite, dont les deux dernières sont ubuesques. C’était maintenant ou jamais. Cela « sera » donc jamais.

Vogelsong – 4 mai 2009 – Paris

12 réflexions sur “Le nouvel esprit de mai – Plutôt « piscine » que manifestation

  1. C’est à se demander si, finalement, les populations n’ont pas régulièrement besoin d’aller jusqu’au clash, jusqu’au pire (guerre, dictature, ou autre) pour prendre conscience de la réalité des choses, de leur égoïsme et de leur individualisme totalement incompatible avec la notion même de société.
    Bravo pour cet excellentissime article !

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  2. L’inefficacité de la gauche est désolante. Paradoxalement, alors que ses idées n’ont jamais été aussi décrédibilisée, je crains que la droite ne parvienne à enfin mater la France contestataire, comme Thatcher avec les Britanniques il y a 25 ans.

    Mais le pire n’est jamais sûr. Gardons la flamme. Nous finirons bien par rallumer le brasier.

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  3. Ne désespère pas. Beaucoup de français sont probablement tout simplement désorientés par l’évolution de leur situation et n’arrivent pas à trouver de repère (c’est le résultat de la stratégie de communication du buzz bien employé par en haut).

    Que penses tu d’une autre piste ? Et si les français n’avaient pas enfin besoin de réfléchir posément, de stopper l’agitation permanente. Peut être qu’une voix plus lente, plus discrète peut avoir des répercussions plus profondes en promouvant des formes totalement nouvelles de construction de projet (cf la sociocratie en cercles de décisions par exemple, ou d’autres formes de communication). Qui sait peut être que crier sur une estrade ou considérer qu’on gagne un débat parcequ’on ne laisse pas s’exprimer son contradicteur, qu’on lui a cloué le bec ou ridiculisé pourrait être quelque chose de dépassé.

    Une preuve que rien n’est prévisible, j’ai trouvé le moyen de joindre l’utile à l’agréable en me « faisant compter » à la manif du 1er mai de Toulouse. Tu vois qu’une parole n’est pas vraiment jetée en l’air…

    ps: bravo pour le style !

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  4. Moi je dis que tu as hélas raison et j’aimerais que ceux qui pensent que nous sommes une minorité de mécontents m’expliquent et me montrent qui, où, sont les heureux bénéficiaires de la politique actuelle. Ensuite on fera les comptes.
    Voyons le verre à moitié plein : tous les mécontents n’étaient pas dans la rue en ce premier mai, c’est preuve que nous sommes très nombreux ! Youpi…

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  5. @gaël
    Non pas du tout. On attend toujours ton montage photo :)

    @dalipas
    Espérons que le pire n’ait pas lieu. C’est le propre de l’homme d’atteindre ses limites.

    @etiam rides
    Rien n’est définitif mais :
    N.Klein parle de théorie du choc pour faire passe les inepties libérales.

    @Nick
    Avec ce gêner d’approche, nous aurions encore un Louis à la tête de la France.
    C’est du Minc.

    @martin
    J’aimerai que tu aies raison. Oui, mais qui, comment ?
    Bienvenu ici :)

    @marie
    A un moment il faudra y mettre le nombre. En garder sous le pied n’est pas trop efficace.

    @Caréagit
    PArtant de ton principe, je n’ecris plus rien et vote UMP jusqu’à ma mort…

    @b.mode
    Je viens de regarder la RAI. Édifiant.

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  6. Même analyse pour une conclusion différente :
    la crise est devant nous. j’estime même qu’elle va être assez forte dès la fin de l’été pour modifier radicalement la donne.
    Il faudra alors réagir vite et TRÈS fort, car ce sera eux ou nous !!!

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  7. Et bien ça promet…
    d’autant qu’ il y a bien plus de piscines aujourd’hui qu’en 1789 !
    Idée : pétition pour un débat public regroupant tous les responsables politiques du pays, avec en guest star Sa Majesté.
    On appelle endémol ou un autre gus, on se côtise tous et…

    LES FRANCAIS SE PAYENT UN DEBAT PUBLIC MULTICAMERA avec l’idole.

    En direct sur LCP, France 2, 3, 4…

    Allez, on se le paye !

    LOL

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