La dette : la foutaise comme précepte de communication

C’est un réflexe aphatique*, chaque fois que l’on aborde le débat sur l’intervention publique, la sécurité sociale, ou la régulation, une gigantesque et calorifique tropézienne sort du frigo : « La dette que nous laisserions à nos enfants » (et son succédané : « l’État en faillite »). 

Les forcenés de l’économisme ont fait une trouvaille percutante. Ces spécialistes autoproclamés transposent leurs névroses sur les marmots. En effet, pour justifier la rigueur budgétaire, ils abusent de cet artifice, c’est-à-dire la ceinture style anorexie en terme de redistribution et d’égalité. Cette méthode de communication s’appuie sur ce qu’il y a de plus précieux pour la plupart de nos concitoyens : leurs bambins. Comme adultes potentiels, nous leurs livrerions par notre incompétente fatuité un compte largement débiteur.

Cette approche simpliste et irritante a l’avantage de parler à tout le monde, en particulier aux citoyens qui voient dans l’utilité de l’impôt ou la solidarité un vague concept ésotérico-économique.

Les mitigeurs d’opinions réduisent la problématique à son état le plus basique. Avec un objectif « réflexif » sommaire et efficace : « Misère ! Nous serions de mauvais parents ! ».

Bizarrement, cette approche suppose que l’État est géniteur. Mais à ce niveau de carence, nous ne sommes plus à un non-sens près.

Par une analogie troublante, cette rhétorique trouve un écho dans le monde de l’entreprise. Fréquemment, les responsables usent du terme de « faillite » pour définir la situation financière de la France. Des hommes d’état des plus prestigieux manient cette formule, en particulier F.Fillon. Il reprend ainsi l’approche berlusconienne de l’Etat-entreprise. Les questions du produit commercialisé, du secteur d’activité, de système de management, des objectifs restent évidement en suspens…

L’absurdité élevée au rang de dogme fait oublier que l’État est réputé infini, donc il ne peut virtuellement être liquidé.

Si on admet que le système financier est l’alpha et l’oméga du citoyen contemporain mondialisé, cet automatisme gestionnaire se trouve aussi démystifié.

Tout d’abord, c’est nier l’impact de l’inflation sur la dette et plus généralement sur le crédit.

Ensuite, les grandes institutions financières notent spécifiquement les créditeurs, qu’ils soient états ou firmes. La France est classée AAA (note maximale) pour la sûreté de ses engagements. Une telle évaluation atteste de la probité systémique de la gestion (globale) des fonds publics. Si le pays était mis en redressement économique par d’hypothétiques institutions « méta-nationales », une immense majorité de la planète l’escorterait au purgatoire des dispendieux. Même « infrasystème », les balourdises gouvernementales** atteignent leurs limites.

De plus, en évaluant les actifs de l’Etat, cette dette « philosophale » mute en cagnotte. Et plutôt tintante, elle s’élèverait à plus de 10 000 euros par chérubin.

Une élémentaire discrétion sur la situation patrimoniale de l’État est donc de rigueur. De là à ce que les nécessiteux exigent leur dû…

C’est donc sur ces hypothèses que les fervents adorateurs de la « gouvernance gestionnaire » instillent la contrainte budgétaire. L’idée n’est pas de promouvoir la gabegie ou de nier la nécessaire optimisation des ressources. Mais l’économisme ne prêche plus que par l’économi(qu)e. Les questions de financements, participations, redéploiements socialement équitables sont par principe remplacées par l’obligation d’austérité généralisée.

 

*trouvaille géniale de François-Mitterrand-2008, qu’il faut démocratiser

**qu’ils soient conservateurs ou (malheureusement) progressistes

 

vogelsong – 25 juin 2008 – Paris

11 réflexions sur “La dette : la foutaise comme précepte de communication

  1. Je suis étonné de ce type de raisonnements qui attribuent une aura magique à l’Etat, à la monnaie, que sais-je encore, ce qui aboutirait à donner (à qui ?) des droits de tirage sur cette richesse magique et illimitée … Hélas, les comparaisons même usées de la « gestion en père de famille » ou de la « PME France » sont beaucoup plus justes que ce raisonnement.

    « l’État est réputé infini, donc il ne peut virtuellement être liquidé. »

    Parfaitement faux, les Etats sont finis et les faillites arrivent. La spécificité de l’Etat par rapport à un débiteur ordinaire est qu’il détient un pouvoir de contrainte sur son territoire : il est réputé pouvoir confisquer la richesse nationale (par l’impôt) afin de régler sa dette. Mais la richesse nationale aussi est finie, et mobile.

    « c’est nier l’impact de l’inflation sur la dette et plus généralement sur le crédit. »

    Absurde : les taux d’intérêts « réels » (habituellement de l’ordre de 2 à 3%) sont en plus de l’inflation. Si l’inflation augmente, les taux augmenteront aussi, et le stock de dette avec eux.

    « en évaluant les actifs de l’Etat, cette dette “philosophale” mute en cagnotte. »

    Bien au contraire … c’était vrai à l’époque Barre sans doute, mais la dette (1250 milliards) a maintenant dépassé le total des actifs de l’Etat (environ 50 milliards d’immobiliers et 500 milliards d’actifs financiers). Pour fixer les idées, les actifs totaux de tous les acteurs, Etat compris, sont de l’ordre de 8000 milliards d’euros. Et parmi les actifs de l’Etat, une grande partie sont utilisés dans son fonctionnement, il aurait donc du mal à les liquider.

    Ah, le fantasme de la cagnotte …

    J’aime

  2. Bonjour Frédéric

    Merci pour ta contribution.

    Il ne s’agit pas de phantasme sur la cagnotte, mais une mise en perspective du débat ambiant.
    Beaucoup de gens, utilise l’argument de la dette pour imposer des politiques ignobles.
    C’est un essai qui se borne “grossièrement” (puisque tu as l’air d’être un initié) à relativiser ce discours anxiogène.

    Sur les faillites tu veux surement parler du FMI qui redresse les états africains. Ok…

    Tu reliras bien s’il te plaît mon dernier paragraphe.

    D’autres part Mathieu Plane de l’OFCE déclare dans alternatives economiques :
    “Si on comptabilise l’ensemble des actifs, c’est-à-dire aussi les actifs physiques, les administrations publiques ne présentent plus une dette, mais une richesse nette (37,8 % du PIB en 2006). (…) Le bébé français ne récupère pas à la naissance une dette publique de 18 700 euros, mais hérite au contraire d’un actif net de 11 000 euros, même s’il est vrai qu’une partie des actifs physiques ne sont pas cessibles et qu’il est difficile de leur donner une valeur marchande». 

«Rien n’indique que l’Etat français soit en situation de faillite»
    Il relativise lui aussi le discours névrotique sur la dette.
    Le nombre de gens qui parlent de la fameuse dette sans savoir ce que c’est. Et je ne caricature pas, le réflexe Pavlovien de la famille turbine à fond.

    Je te propose de le joindre Mathieu Plane pour lui faire part de tes opinions sur la bonne gestion d’une nation.

    Ha le phantasme de l’Etat-entreprise.

    J’aime

  3. Bonjour,

    1- La France a déjà été plusieurs fois en faillite, ou contrainte à prendre des mesures de première gravité pour éviter la faillite (l’hyperinflation, l’annulation de la valeur des actifs financiers et des salaires). Faut-il rappeler le « franc de 4 sous » (dévaluation de 80%) de Poincaré (1928). Si cette situation n’est pas arrivée dans les 60 dernières années, c’est simplement parce que les finances publiques ont été à peu près correctement gérées de 1945 à 1981 – date à partir de laquelle la situation financière de la France se détériore structurellement, avec des gouvernements de droite comme de gauche.

    2- Je ne suis pas « initié » (en tout cas, je n’ai guère de formaiton dans le domaine et aucune source confidentielle). Je ne sais effectivement pas d’où Mathieu Plane tire ces chiffres, mais je constate que les comptes (mal) certifiés qui viennent de sortir aboutissent à peu près aux chiffres que je proposais : avec un passif de 1 212 Md€ et un actif de 555 Md€, le bilan de l’Etat présente une situation nette négative de 656 Md€.
    http://www.lesechos.fr/info/france/4730058.htm

    Je me demande si Mathieu Plane n’a pas simplement compris ce dernier chiffre à l’envers ? Ça ferait effectivement 11000 euros, mais de dette nette.

    J’ai bien vu son article
    http://www.alternatives-economiques.fr/la-france-est-elle-en-faillite-_fr_art_669_34813.html
    mais il ne cite aucune source.

    Sa conclusion est pourtant plus pessimiste que celle de nos gouvernants, puisque selon lui : « la gestion des finances publiques doit être rigoureuse, d’autant plus que le choc du vieillissement va s’amplifier dans les prochaines années ».

    Enfin je crois avoir clairement indiqué dans mon commentaire en quoi l’Etat n’est pas une entreprise (la principale différence est son pouvoir de contrainte). Mais je maintiens : il est plus juste de le considérer comme un ménage ou une entreprise, que comme une caisse infinie !

    J’aime

  4. Bonjour, Mathieu Plane revenant sur ses chiffres, j’ai été chercher sur le site de l’INSEE, et effectivement, les chiffrages de l’INSEE arrivent encore à un actif net pour le secteur public, ce qui est une bonne nouvelle et valide sans doute votre appréciation (vogelsong) sur mes a priori !

    Cet actif net repose essentiellement sur la valorisation des bâtiments appartenant aux administrations publiques (hors logements), pour 731 milliards d’euros fin 2007 (dont 44 milliards, je crois, pour l’Etat), soit 25% du patrimoine immobilier national total (hors logement). En clair, les autoroutes étant vendues, la dette financière du secteur public est gagée sur la valeur marchande de l’Elysée, des mairies et des gymnases.

    J’aime

  5. Bonjour Frédéric.

    D’abord merci d’être repassé par là. Malgré nos nettes différences, tu es vraiment le bienvenu.

    Ces derniers mois, j’ai repensé certaines fois à notre échange. Quand j’ai écrit ce billet, la crise et les plans pharaoniques de soutien aux banques n’avaient pas été lancés.

    Il est troublant qu’aujourd’hui, on déclare l’état solvable (cf. ta dernière réponse). Tu ne trouves pas ?
    Je suis pour une gestion serrée des comptes publics, comme toi. Ce qui me terrifie c’est la géométrie variable et la justification des aides.

    Est-ce qu’un plan anti pauvreté de 15 millions d’euros aurait eu sa place il y a quelques mois ?
    Plus de 1 200 milliards pour les banques US. Rien de tel depuis 50 ans pour le développement… (par exemple)

    Quand une relance keynésienne fut demandée lors des discussions sur le TCE, les frénétiques europhiles sortaient la carte déficit. Où sont les mêmes aujourd’hui?

    Je suis TOUJOURS pour une bonne gestion des deniers publics, mais toujours opposés à la foutaise. Car c’est de cela que l’on parle.

    À bientôt

    J’aime

  6. reBonsoir,

    et merci pour cette réponse !

    Eh non, je ne crois pas plus à la relance keynésienne aujourd’hui qu’il y a un an. À la rigueur, quand keynésien signifie « investissement public rentable » (qui réduira demain la dette), p.ex. quand Obama indique vouloir mettre le paquet sur l’éducation (encore plus en retard chez eux que chez nous).

    Je serais certainement keynésien au sens de Michel Volle http://www.volle.com/travaux/keynes.htm

    La panique généralisée fait oublier aux décideurs, aux médias, qu’un euro est un euro. Ils s’en souviendront amèrement ensuite, et le contribuable plus encore. Comme en 1976 après la relance Chirac, comme en 1983 après la relance Mitterrand, comme en 1995 après la relance Balladur. Ça a raté trois fois, ça ratera une quatrième.

    C’est peut-être de la pensée unique de ma part, mais pas « unique » au sens de « UMPS » ! (même si je suis prêt à imaginer qu’un Jean-Louis Bianco ne serait pas choqué par ce commentaire).

    Bien cordialement

    J’aime

Laisser un commentaire