Mauvais œil

«Vous en avez assez, hein ! Vous en avez assez de cette bande de racailles ! Bien on va vous en débarrasser. (…) On est là pour éradiquer la gangrène.» N. Sarkozy le 25 octobre 2005 à Argenteuil

Le cadrage est mauvais, la caméra mal positionnée, la scène a lieu dans une cage d’escalier de la banlieue de Bagneux. Un reportage qui illustre la campagne de porte-à-porte initiée par le PS pour susciter l’adhésion à F. Hollande. Un bout de film anodin lancé en première partie d’une émission du service public, « Des paroles et des actes », dont le candidat socialiste est le principal invité. Outre le fait que l’ambiance sur le plateau se soit significativement tendue si on la compare avec l’accueil du président sortant la semaine précédente, cette scène suscite un malaise. Un malaise presque honteux.

Bizarrement S. Royal peut se présenter à la porte d’un habitant de banlieue. Et soulever diverses réactions, mais aucune violence. En tout cas, c’est ce que montrent les images. Des gens souriants, surpris, voire gênés de trouver là, sur leur seuil, la candidate de 2007, la figure télévisuelle.

S. Royal fait le job. Elle, qui avait il y a cinq ans fait le plein de voix dans les banlieues, use de ce capital pour les besoins de la cause. Virer N. Sarkozy de l’Élysée et restaurer une république plus apaisée, sortir de l’enkystement, du rejet, de la xénophobie. Ces valeurs essentielles à la droite moderne qui saturent l’espace depuis une décade. Déjà.

Or c’est bien de cela qu’il s’agit. De ce qu’est vraiment la gauche, de ses valeurs dans le contexte xénophobe de la France de 2012. De cette image du « parti de l’étranger » (pour reprendre la terminologie frontiste, et l’inconscient sarkozien), moins rétif à l’immigration, moins anxieux sur les dangers fantasmés de l’autre, cet ennemi intérieur.

Ces images sont presque trop frappantes, car trop vraies. Elles nous renvoient à une utopie. Celle de la démocratie pour tous, même dans les zones délaissées et perdues de la République.

C’est peut-être à cet instant que se produit le renversement. Ces images sont fortes, mais infiniment dangereuses. Car on se pose immédiatement la question de son impact sur l’autre. L’électeur. Celui qui hésite à quelques encablures de l’isoloir. Celui qui baigne matin, midi et soir dans le flot incessant de l’information sécuritaire. De la logorrhée péremptoire de peur, distillée à longueur d’émission par les zélés roquets du pouvoir. Cet autre à qui l’on prête des réflexes racistes, car on pense (et l’on sait) qu’il peut mordre à l’hameçon (en 2002 (avec Le Pen), et 2007 (avec N. Sarkozy)). Cet électeur qui finalement face aux clichés du socialiste anti raciste béat, préférera l’esprit de civilisation nationale tellement plus en vogue actuellement. Il est si bon d’être réactionnaire nous dit-on. Finalement, on intègre la peau du raciste, et on se surprend à souhaiter qu’il ne soit pas trop perturbé, indisposé par ces images de S. Royal à la rencontre de Français de couleur dans les quartiers. Car il en va d’une élection primordiale et des cinq prochaines années. Le pire des paradoxes en somme, cacher son antiracisme pour qu’il prenne (un peu) le pouvoir.

Ce renversement c’est celui de l’intégration des codes d’une époque. Une époque où l’on éprouve un malaise honteux à ne pas détester l’autre pour sa différence. Où l’on se surprend à trouver ses propres valeurs (comme l’antiracisme) peu électorales compte tenu du contexte. Une époque où l’on se dit que se présenter face aux gueux issus de minorités visibles est moins payant démocratiquement que de se faire filmer entouré de vaches au salon de l’agriculture. Une époque où l’on pense qu’il vaut mieux cacher son universalisme de gauche et attendre que ça passe.

Une sale époque.

Vogelsong – 15 mars 2012 – Paris

9 réflexions sur “Mauvais œil

  1. On peut ne pas être d’accord avec cette analyse qui laisse à penser, même si ce n’est peut-être pas ton intention, qu’une majorité de français seraient en accord avec les idées sarkozystes et lepénistes racistes et xénophobes, qui tendent à se confondre. Ce n’est pas vrai, ne serait-ce que mathématiquement puisqu’une majorité de français n’ont pas l’intention de voter pour ces idées là, si l’on tient compte de tous les français, y compris les abstentionnistes.. De plus en plus de gens à droite, mais néanmoins démocrates, sont gênés par les positions extrêmistes de Sarkozy. Cependant, effectivement, je suis en accord avec toi quand à penser que l’image de cette grande bourgeoise (elle est effectivement perçue ainsi par beaucoup) dans les cages d’escaliers d’un improbable immeuble de banlieue fonctionne comme un repoussoir pour certains. C’est un fait. Qu’elle n’en ait pas conscience est dommageable.

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  2. Se sentir minable car l’on est simplement humain, ça que ces raclures auront tranquillement failli réussir à faire. Lepenisation des esprits, Sarkozysation du comportement, abrutissement généralisé souhaité et guerre intérieure de chaque individu devant se surveiller lui-même, oui, ils n’en sont pas loin et ont en parti réussi.
    Sarkozy se sentira toujours haineux de ne jamais avoir eu la charpente d’un athlète, on dirait qu’il se venge dans cette façon de chercher à « dominer » (et punir, et vouloir faire peur, et impressionner à tout prix).
    Heureusement, il nous reste la vie…

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  3. Je suis d’accord à 100% avec cette analyse .
    Au-delà même de l’aspect raciste ou xénophobe ,on se censure le plus souvent pour ne pas s’exposer , pour ne pas paraître différent , pour faire partie de cette communauté bien « pensante ».
    Devant les éternelles discussions de comptoir qui ont presque toujours comme sujet la détestation de l’autre on préfère souvent la fermer , ou poser juste une petite question à laquelle on attend les trois quarts du temps une volée de bois vert et des vérités toutes faites comme du prêt à penser !
    Effectivement détester l’autre est à la mode . Montrer ses gros bras aussi , montrer « qu’on en a » est le plus important .Le plus intelligent , celui qui aurait tout compris serait celui qui parle plus fort que l’autre .
    D’ailleurs on a ressorti hier soir Nanard de sa tanière , le macho sans scrupules et sans foi ni loi reprend du service . Les « battants » , les « gagnants » à la mode des années 90 redeviennent les modèles-étalons ( si je puis dire).

    Alors une femme bien habillée dans une cage d’escalier de banlieue qui vient pour écouter , pour essayer de réconcilier les ennemis d’hier a quelque chose d’insoutenable et de contraire à l’esprit ambiant ! On préférera mille fois taper sur la « chose » incongrue , dire que c’est une bécassine qui n’a rien compris ou pire qui est en train de trahir son camp plutôt que se demander pourquoi on en est arrivés à penser ça !

    Depuis 2007 Sarkozy a basé toute sa com là-dessus . Mais la contagion a gagné les esprits même les plus rebelles . De l’extrême droite à l’extrême gauche tout le monde s’est pris à ce jeu de rôle .
    Le problème est : comment terminer la partie ? Car contrairement aux jeux vidéos il n’y a pas de seconde vie , d’ailleurs ça fait 5 ans qu’on en crève !

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  4. « Dans les banlieues déshéritées, règne une terreur molle. Quand trop de jeunes ne voient poindre que le chômage ou des petits stages au terme d’études incertaines, ils finissent par se révolter. Pour l’heure, l’État s’efforce de maintenir l’ordre et le traitement social du chômage évite le pire. Mais jusqu’à quand ? Aucun désordre n’est à exclure quand les rapports sociaux se tendent.
    Ne laissons pas notre pays éclater en classes et en castes, avec des dignitaires arrogants, des parias désespérés et un peuple déresponsabilisé »
    Jacques Chirac, janvier 1995, dans « La France pour tous ».

    On aurait dû l’élire Président, on n’en serait sûrement pas là… ;-)
    Le problème de Chirac était qu’il posait souvent le bon diagnostic mais ne proposait jamais de remède.
    Grâce à notre excité, on a un mauvais diagnostic et en plus on ,nous administre une médication qui va tuer le malade…
    Là, on a un type expert dans l’art de trouver des boucs émissaires.
    On aurait préféré un expert dans l’art de trouver des solutions plutôt que des coupables…

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