Le FN, nouvel idiot utile ?

“L’euro, c’est l’argent des riches” E. Todd sur France Inter le 30 mars 2011

Symptôme de déliquescence avancée du débat public en France, c’est aujourd’hui le Front National qui tient l’agenda. Il aura fallu attendre une nouvelle percée du parti d’extrême droite pour que se posent enfin des problématiques évacuées précédemment, portées notamment par des personnalités, ou partis de gauche (mais pas seulement). En particulier la sortie de l’euro, les conséquences de la mondialisation libérale, ou la paupérisation économique. C’est une profonde erreur puisque ces sujets à débattre passent par le prisme de l’immigration insécuritaire, la haine de l’autre, de l’étranger, ou la stigmatisation de minorités. Le cœur de programme du parti de M. Le Pen n’est pas comme le laisse entendre les médias (en particulier Libération du 7 avril 2011 qui titre en une “Le FN rallume le débat”), l’antimondialisation, la sortie de l’euro ou le protectionnisme, mais plutôt l’antimondialisation comme bouclier contre les non-blancs, la sortie de l’euro sur des fondements nationalistes, ou le protectionnisme aux relents grandiloquents du roman national. Soit il s’agit d’une erreur de jugement mettant en avant ces thèmes en raison du succès électoral du FN, mais alors la problématique est biaisée. On stipule que le FN aborde les sujets, alors qu’elle les tient en laisse pour déployer sa doxa antimigratoire. Soit se rejoue la partition de l’idiot utile, cette fois-ci à l’extrême droite pour discréditer la nécessité du débat sur les conditions économiques imposées à l’hexagone dans un contexte de mondialisation.

L’ouvrage d’E. Todd, Après la démocratie paru en 2008, démontait l’histrionisme politique qu’incarnaient les deux candidatures présidentielles principales de 2007, S. Royal et N. Sarkozy. Pas à la hauteur des défis, n’ayant pas intégré l’incident démocratique de 2002, cette classe politique française oscillant entre le bonapartisme patronal et la loufoquerie programmatique. Le livre étaye les prémices d’une réflexion pour un débat sur un protectionnisme à échelle continentale, et surtout pose d’emblée la stigmatisation de groupes ethniques et religieux pour de crasseuses manœuvres électoralistes. Pour le parti présidentiel, la cause semble perdue, la question ne se pose pas en termes de développement ou de progrès, mais essentiellement frénésie d’accaparement et de conservation du pouvoir. D’une perpétuation oligarchique, qui a substitué la pratique démocratique par la saturation médiatique à doses massives de débats racialistes (identité nationale, laïcité). La gauche de gouvernement, un fugitif instant s’est tournée vers les concepts économiques de régulations fortes. Trop centrifugée par ses hiérarques, elle s’est adonnée en fin de compte, pour occuper la galerie, à des concepts fumeux et moins contraignants comme le “care”. E. Todd n’a pas découvert le protectionnisme, et il n’est pas d’extrême gauche, il avoue même “voter socialiste sans état d’âme”. Pourtant la question du protectionnisme se pose au sein de la gauche depuis le traité sur la constitution européenne en 2005. Une partie de la droite s’en est aussi emparée comme N. Dupont-Aignan s’appuyant sur les travaux de J. Sapir. La réflexion en bon ordre sur le sujet, loin du fumet putride de la xénophobie fut possible. Un temps. Elle ne l’est donc plus.

Le Front National serait passé du reaganisme à l’ouvriérisme affiché. La presse en frémit, les éditorialistes s’en pourlèchent. C’est surtout occulter toute la structure du discours programmatique servi aux clients/électeurs par le parti d’extrême droite. Un discours totalement articulé sur la thématique migratoire. La revivification du débat imaginé par la presse grâce au FN, sur la posture antimondialisation ou de sortie de l’euro par exemple est un faux nez. Car cela permet de porter sur la place publique des thèmes, de mimer une intense réflexion sur le sujet, puis de l’écarter puisqu’issu des rangs de l’extrême droite. Une autre manière aussi de voir dans certaines idées la grande alliance entre la gauche radicale et l’extrême droite. Il est facile alors de jeter au visage de J. -L. Mélenchon ou d’E. Todd, leur alignement sur les thèses frontistes.

Longtemps le TINA (“there’s no alternative”) fut la seule alternative argumentaire aux critiques de la mondialisation libérale. Ordre immanent, évolution nécessaire, l’adaptation avec ses coûts, mais aussi ses avantages, vision totale qui ne souffrait d’aucune critique réaliste. Les contempteurs du libéralisme planétaire disposent donc d’une seconde corde à leur arc. La mystification du débat pour cause d’indignité.

Tout d’abord, le FN serait venu aux thèses “sociales”. Le coup de barre “à gauche” sur le protectionnisme, l’Europe, est postérieur à l’affirmation forte des altermondialistes sur ces sujets. Au lieu de lancer l’anathème sur les critiques du libéralisme économique de gauche parce qu’ils partagent le même point de vue que le FN, il serait peut être judicieux de demander pourquoi un tel alignement après la crise financière de 2008 ? Est-ce que ce retournement n’en cache pas un autre dans les années à venir (à nouveau vers du thatchérisme) si la conjoncture se retourne ? Plutôt que d’assimiler la gauche radicale à l’extrême droite, pourquoi ne pas assimiler l’extrême droite à l’opportunisme ? Au lieu d’en faire un déclencheur de débats nationaux et par ce biais d’en accréditer le sérieux juste nécessaire à disqualifier l’autre gauche.

M. Le Pen déclarait sur RTL début avril 2011, que ses relations avec les médias se détendaient. Il n’en va pas de même pour J.-L. Mélenchon par exemple. Le Front National représente une manne spectaculaire (et donc publicitaire) qu’il faut savoir amadouer. Lui donner ses titres de noblesse dans le débat public pour aborder des sujets supposés novateurs, puis le discréditer par des arguments d’autorités (comme D. Seux des échos sur la sortie de l’Euro) et des allusions sur le registre ethnique. Par là même, tenter de faire d’une pierre deux coups. Cantonner et amalgamer la gauche et l’extrême droite. Conserver le pseudoconsensus du centre et des idées saines.

Une approche vouée à l’échec. Si comme le disent les politologues, le vote FN est un vote de colère, les démonstrations rationnelles (du type de celle de D. Seux sur la sortie de l’euro) sont inefficientes. Si comme le prétendent d’autres, il s’agit d’un vote essentiellement raciste, les thématiques de gauche relèvent simplement de l’affichage.

En somme, on s’est passé d’un débat sur des sujets importants (euro, mondialisation, protectionnisme) avec des participants respectables, pour tenter de le tenir avec des dealers de haines.

Vogelsong – 7 avril 2011 – Paris

5 réflexions sur “Le FN, nouvel idiot utile ?

  1. Excellente analyse. Pour ma aprt, après avoir tenté un temps l’aventure de convaincre, d’opposer des arguments purement factuels à des théories discriminantes plutôt fumeuses, je me suis rendu compte que cela ne servait à rien, les militants et sympathisants du FN n’étant pas sur le registre de la rationalité, mais de l’émotion : peur, haine, rancoeur, aigreur resassée et jalousie sans fondements utilisant tous les amtériaux qu’elle trouve pour alimenter son ressentiment envers une population ou une catégorie (tantôt les arabes, tantôt les fonctionnaires) que le pouvoir en place et ses élites désignent à présent si volontiers et ouvertement à la vindicte populaire.

    Je te remercie par ailleurs de remettre les arguments respectifs des uns et des autres en perspective, et notamment de rappeler que le FN s’est permis d’uiliser avec opportunisme les arguments de l’Autre gauche envers l’Europe, ce qui ne suffit pas pour autant pour classer cette dernière dans la même niiche, ce qui en arrange plus d’un parmi ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que le système économique européen, et même mondial, bouge, dans la emsure où il sert ses propres intérêts : ceux des gens qui n’ont aucun problème de précarité… et se permettent pourtant d’agiter des chiffons rouges pour continuer de manipuler les masses, qui n’y voient pour l’instant que du feu. Jusqu’à quand ? Quand ils vont s’en rendre compte, ça va faire mal….

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  2. ô Marine, si tu pouvais…

    Marine ne me fait pas peur dit la plus jeune d’entre nous
    Mais Marine ne cherche pas à te faire peur, ma petite chérie
    Marine voudrait juste te l’entendre dire
    C’est là-dessus qu’elle excelle
    Quand elle parle… quand on parle d’elle
    Surtout quand ils disent : « surtout pas elle »
    Et que les ânes leurs emboitent le pas
    En hésitant entre la carotte et le bâton

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/04/o-marine-si-tu-pouvais/

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  3. Pour moi, le FN n’est pas un idiot utile, mais le vilain utile, parce qu’il a longtemps été diabolisé, non sans raison. Et Marine Le Pen n’est pas une idiote dans le sens où elle a compris qu’en lissant le discours du FN, elle allait attirer l’attention médiatique sur elle, et partant, définir l’agenda médiatique et obliger tout le monde politique à se par rapport au FN. De plus, elle a eu l’habileté de ne pas en rajouter quand les sarkozystes multiplient les déclarations à caractère racialiste et xénophobe, quand ce n’est pas antisocial. Ces derniers sont les vrais idiots utiles. Chaque initiative, chaque déclaration, du nombre soi-disant trop élevé de musulmans à la limitation de l’immigration légale, en passant par la proposition de travail obligatoire pour les chômeurs et RSAistes, fait le jeu du FN, qui se contentera de dire « On vous l’avait bien dit » et n’aura plus qu’à ramasser la mise dans les urnes.

    Cependant, et je rejoins Vogelsong, le pseudo recentrage du FN a pour effet d’escamoter les vrais enjeux de la campagne électorale à venir : la mondialisation, l’avenir de l’euro et la question du protectionnisme. Et comme le dit Gauche de Combat, le FN a récupéré des idées élaborées par la gauche non PS pour faire croire à son recentrage. Du même coup, tous ceux qui, à gauche mais aussi à droite, posent la question de la sortie de l’euro et/ou du protectionnisme sont aussitôt mis par les éditocrates dans le même sac que les lepénistes, avec des propos du style « Les extrêmes se rejoignent », et les mêmes éditocrates de déplorer la progression du populisme…

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  4. Ca fait bien longtemps qu’on ne parle plus de « mondialisation » pour désigner le libre-échangisme généralisé à l’ensemble de la planète. La mondialisation est un phénomène d’ordre technique (transport, internet), tandis que le « mondialisme » est la volonté politique d’une élite depuis lontemps mondialisée, et s’appuyant sur des institutions telles que FMI, OMC, OMS, ONU….
    L’immigrassionisme et le métissage forcé qui en est la conséquense, et qui n’est plus l’enrichissement par l’apport mutuel de deux cultures, mais la destruction des ces deux cultures par le choc volontairement provoqué, fait partie intégrante de cette stratégie mondialiste pour faire tomber les défenses des peuples dont la culture et l’enracinement sont un frein a celui-ci.
    Ce sont donc bel et bien les immigrassionistes bien-penssants et gauchisants qui sont les idiots utiles du mondialisme.
    Et surtout souvenez-vous: Guévara était un nationaliste, comme Chavez aujourd’hui.

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  5. Pingback: Variae › Normopathie nationale

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