Sur Internet, on n’envisage pas l’anonymat

Une autre saillie contre le net. Cette fois-ci contre les blogueurs. L’attaque est portée par J.L. Masson, sénateur mosellan de son état qui souhaite ni plus ni moins, réviser la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique. Son objectif : mettre un terme à l’anonymat des blogueurs en obligeant ces derniers à se plier aux mêmes contraintes que les éditeurs de sites professionnels. Nom, prénom, numéro de téléphone, toute cette batterie d’infos devra désormais être visible si cette proposition de loi passe

La croisade d’un allumé de première

La charge est rude et l’on peut légitimement s’interroger sur les raisons d’une telle croisade. J.L. Masson souhaiterait-il se faire un nom ? Décrit comme un « allumé de première », un franc-tireur manifestement capable de s’engouffrer dans ce genre de combat en solo. Soit, après tout pourquoi pas, il est vrai que depuis 2004, J.L. Masson n’appartient plus à l’UMP et à plusieurs reprises il n’a pas hésité à faire entendre une voix discordante au sein de la majorité. Néanmoins étant donné le ramdam qu’a provoqué cette proposition de loi, on ne peut que s’étonner du mutisme qui règne au sein des rangs de l’UMP. Surtout que volontairement ou non, cette polémique s’inscrit dans un processus plus large de dénigrement systématique du web. Bien que l’on voie mal comment un tel dispositif pourrait être réalisable (héberger son blog à Palo Alto est désormais à la portée de n’importe quel internaute quelque peu débrouillard), des élus de la République, responsables, continuent de fantasmer sur le contrôle total de la société. Ici le vieil adage : »on a peur de ce que l’on ne connaît pas » prend tout son sens.

Pour les gens de pouvoir, il s’agit ici de mettre un visage sur une menace potentielle. Une menace qui déclenche une lubie (encore une) d’un sénateur incompétent sur le sujet. Récemment E. Kaspersky s’était prononcé pour la création d’un passeport digital pour lutter contre l’anonymat sur le web, J.L. Masson n’en est malheureusement pas au même stade de réflexion.

On peut donc s’interroger sur les raisons de cette attaque contre une activité non constituée, versatile, et finalement si peu influente ? Une Erreur, sans doute.

Presse/Blog analogie inepte

Au comble de l’ignorance, le député Masson fait l’analogie avec ce qui lui tombe sous la main, c’est-à-dire la presse. Comme si ce modèle de droits et de devoirs pouvait s’appliquer aux blogs. Lorsqu’un journaliste gagne de l’argent avec sa signature (son nom), le blogueur peut, lui, en perdre. Ce que monnaye le journaliste c’est sa plume, son réseau, contre un salaire dans une entreprise qui lui permettra de publier ses articles (modèle théorique parfait). Il en va tout autrement pour le citoyen internaute. Décrire la réalité crue et ennuyeuse d’un open-space peut lui coûter son poste. Pointer les turpitudes de ses élus pour un électeur de base peut avoir certaines répercussions domestiques. Dans ce cadre, l’anonymat (supposé) du blogueur est la dernière défense face à l’arbitraire des groupes constitués. Si le journaliste, normalement, dispose d’une structure économique et légale pour faire paraître l’information en s’affranchissant des pressions (encore le modèle théorique), le blogueur n’en bénéficie pas. Mais le sénateur J.L. Masson semble l’ignorer.

Sélection naturelle

Le pleutre se camoufle pour commettre ses méfaits. C’est un peu en ces termes que les tenants du « bon sens » s’attaquent au problème. C’est encore très mal connaitre l’écosystème du net. Si le cas C. Bruni / B. Biolay fut une dérive de la rumeur, il reste circonscrit, précis. Mais au contraire J.L Masson érige ces micro-exceptions en cas d’école. Au micro de J. Martin de Rue89, il affirme que : « régulièrement, on a affaire à des gens qui se livrent à des propos diffamatoires, injurieux«  sur le web…

Mais c’est très mal connaître la blogosphère qui fonctionne cruellement par sélection naturelle. Diffuser une fausse information une fois peut passer. Ensuite c’est l’éjection. Avec ou sans anonymat. D’autre part, c’est oublier que la fausse rumeur est relayée par des médias de masse. Sans eux elle serait circonscrite au microcosme. Se pose alors la question de savoir, qu’est-ce qui coince ? La peur de la rumeur diffamatoire, pour la mise en exergue d’informations déplaisantes, mais vraies comme le cas Hortefeux?

L’anonymat, une furtivité

L’anonymat sur internet est une entreprise éprouvante. Il faut du matériel, des connaissances pointues et être méticuleux. Un travail à plein temps. Ce qui est en jeu relève plutôt de la furtivité. La faculté de rester discret et de dire des choses avec l’impression (seulement) qu’une certaine difficulté à être identifié désinhibe. L’expérience montre que les dispositions contre la diffamation existent déjà.

Mais il ne faut pas se méprendre, dans le cas (extrême) de l’atteinte à la sécurité nationale, le débat sur l’anonymat relèvera du folklore. Il est hautement probable qu’il faudra moins d’une demi-heure par localiser précisément le rédacteur d’un blog « dangereux ».

Et c’est encore mal connaitre cet univers paradoxal fait de discrétion et d’égo démesurés. Garder l’anonymat, tout en voulant être influent. Les blogueurs participent à des évènements politiques, mondains, investissent certaines fois l’Assemblée nationale ou le Sénat. Ils s’érigent en influents, se gargarisent des classements. Aiment être connus. De cet univers nombriliste, certains en ont fait un business. Dès lors, ses marchands du temple n’ont pas mis longtemps à s’élever pour protéger l’anonymat des blogueurs. À défaut de pouvoir se fédérer, les blogueurs s’en remettent à des boucliers mercantiles.

Finalement J.L. Masson répond involontairement à une aspiration inassouvie, la quête d’influence. Un fantasme qui perdure depuis des années auquel cette loi répond de la plus belle manière. La blogosphère se réjouit, si le pouvoir se met à craindre les blogueurs, c’est qu’ils ont donc une influence, une légitimité. Le web ayant pour vocation de devenir tôt ou tard le lieu central du débat public

[tweetmeme source= « Vogelsong »]

Reversus & Vogelsong – Paris – 26 mai 2010

19 réflexions sur “Sur Internet, on n’envisage pas l’anonymat

  1. Vous êtes vachement détendu sur le sujet, c’est bien ;) Personnellement, je ne vois même pas différence avec le journalisme, si l’anonymat des journalistes est tombé c’est parce qu’il ne concerne qu’une minorité que personne n’avait envie de défendre. Quand votre corporation est trop faible, vous abdiquez systématiquement, si on fait le parallèle avec les blogs, il faut prendre conscience qu’aujourd’hui la proposition touche beaucoup, beaucoup, beaucoup plus du monde. Je ne pense qu’à cette armée d’ados qui possédaient quasiment tous un Skyblog (c’est comme un blog, mais en moche, avec plus de fautes et des pubs partout), c’est moins vrai maintenant avec l’arrivé de Facebook.

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    • Il y a de nettes differences avec le journalisme. Du simple fait qu’il s’agit pour les journalistes d’une activité rémunératrice. D’autres part, l’impératif de production auquel ils sont soumis.
      J’aurai du mal à traiter de faible la corporation des journalistes.

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  2. En quoi les blogueurs seraient-ils moins fiables que les journaleux ? Un exemple parmi mille : l’autre jour, info donnée par La Télévision, je cite, textuel : « Un enfant sur deux serait exposé sur Internet à des images pornographiques ». Premier réflexe (nous sommes bien dressés) : « Ouh, c’est terrible. » Et puis : c’est tout ? Rien d’autre ? De quel âge, « l’enfant » ? Cinq ans ou douze ? Dans quel pays ? Sur quelle période ? Sur quel échantillon ? Quel type d’images ?

    Le phénomène s’accentue à la télé avec cette manie des infos style « dépêche AFP » défilant en permanence, phrases absurdes la plupart du temps, inventaire à la Prévert d’un occident fatigué.

    Internet a bon dos…

    Oui, la liberté d’expression se paie par l’approximation. D’accord. Peu importe.

    Je ne sais pas qui m’agace le plus : un Hortefeux, un Mariani, un mari de chanteuse italienne sourde-muette et leurs réflexes ORTFiens, ou le brame de la presse invoquant à grands cris Voltaire pour justifier leur casse-croûte…

    La politique aussi a ses paparazzi.

    Enfin, si, je sais qui m’agace le plus, en fait… Si l’UMP n’était pas clownesque il décevrait. Mais la presse ! On hésite à en faire le deuil ; on a de l’affection encore, pour la vieille tante. On est un peu triste.

    Quant à la proposition Masson, je n’ai même pas envie de souligner à quel point elle est ridicule ; tu l’as noté, n’importe qui sur la Toile peut jouer depuis n’importe où à qui tisse le plus loin.

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    • « En quoi les blogueurs seraient-ils moins fiables que les journaleux ? » Je n’ai pas lu ça.

      Les exemples de défaillances des médias de masse sont pléthores

      Pour le reste assez d’accord.

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      • Exact, je n’attaquais pas en disant ça le contenu de ton billet, mais dérivais et surenchérissais : voir le discours d’un certain journalisme (surtout audiovisuel) mettant en garde contre les blogueurs sous prétexte que « attention, hein, c’est pas des « vrais » journalistes, c’est pas rigoureux… »

        Alors que, par exemple, je ne vois aucun panneau publicitaire sur cette page, sauf erreur.

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        • C’est la tempête dans la profession. Tout est bon pour redorer un blason complètement terni par les petits arrangements.

          Des questions se posent tout de même. Les editocrates pissent de la pensée molle. Les smicards de rédaction font de la production formatée pour débiles. Admettons que les blogueurs puissent en faire autant.
          Par contre, je ne vois pas qui ramènera des images, photos de zone de conflit, par exemple.

          Quant à la pub, pour être franc, j’avais un bandeau jusqu’au mois de mars pour soutenir (gratuitement) le journal Vendredi. Une parution papier du « meilleur » des blogs…

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  3. Billet remarquable.

    La seule véritable analogie que l’on peut faire avec la presse est d’ordre juridique. Le blogueur est à la fois un auteur et un éditeur de contenus, contenus qu’il rend publics.

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  4. Pingback: aux blogs citoyens ! « le blog de polluxe

  5. Très pertinent, le point sur la différence presse/blog, et la différence de pressions. Il n’y a qu’à voir les procès intentés à certains blogueurs, je pense à Fansolo, le coût du jugement, insupportable pour un particulier. Effectivement, c’est impensable de faire un procès aux « Guignols de l’Info », mais les blogueurs n’ont pas le même poids.

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  6. Pingback: Lettre anonyme à Monsieur Masson, tueur de blogs « humeurs de gauche

  7. Ton article est vraiment bon. J’ai pour ma part co-écrit avec Corinne Morel Darleux le communiqué du PG appelant au rejet de cette proposition : http://www.lepartidegauche.fr/editos/arguments/2843-non-au-musellement-des-blogueurs avec une invitation à le reproduire sur le plus possible de blogs en appelant à signer cet appel pour le droit à l’anonymat sur internet : http://www.wikio.fr/article/appel-defense-droit-anonymat-internet-190719788

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  8. il y a anonymat et anonymat.Vous pouvez rencontrer des « agités » sur un blog, par exemple, avec qui vous vous prenez de bec. « l’agité » en question est soit un salarié de la radio qui gère le blog, soit un copain. Je veux savoir, si, par la faute du gestionnaire, il peut réellement connaître l’identité, l’adresse etc. de son « opposant », quelque soit le sujet, ou pour quelque raison qui l’intéresse ? Je ne suis pas très calée en informatique, mais je veux venir à bvout de cette question, et pas par des échappatoires….A priori, je pensais qu’une protection était garantie, sauf en cas de nécessité bien sûr.Le cas peut se présenter plus souvent que vous n’imaginez.

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