Inquiétude sur l’indépendance des médias

Au théâtre du Rond-Point s’est tenu un rassemblement sur l’indépendance de la presse. Du beau linge était présent et les travées étaient pleines. A l’issue, cette réunion laisse  sceptique.

dsc_01991Le théâtre est cossu. Les auditeurs bravent un froid polaire pour se retrouver aux pieds des Champs-Élysées. Le lieu est mal choisi. On vient là, comme on va au spectacle. Le déroulement de  la soirée ne fera que conforter ce sentiment. Les organisateurs auraient pu (dû) choisir un lieu moins marqué symboliquement. Dans la perspective d’une résistance, un théâtre des quartiers somptuaires à une encablure de boutiques de luxe laisse circonspect. Les lieux populaires ouverts aux débats ne manquent pas dans la capitale.

L’entrée est balisée par des militants (SOS AFP, Acrimed, etc) qui distribuent des tracts. Quelques vendeurs de canards sont aussi de la partie dont Le Plan B, d’habitude acerbe (et sardonique) envers les puissants de la presse et les hôtes du soir.

Dans la coursive moquettée résonne la voie particulière de B.Stiegler. La soirée va donc être belle et intelligente. Malheureusement, il s’agit d’une projection d’avant-scène.

Un défilé de hautes volées
La soirée se déroule comme du papier à musique. Les invités prestigieux se succèdent au pupitre. Après l’autogestionnaire juppéiste P.Rosenvallon défilent des politiciens de tous les partis politiques (sauf Front National). D’abord N.Mamère qui mettra l’accent sur les rapports personnels entre le président de la République et les industriels. Ensuite P.Braouzec sur le même registre, mais moins emphatique.
B.Hamon du PS fera une démonstration intéressante sur la crise qui vient et le besoin d’une presse indépendante et libre, capable de relater les faits sans « apathie ».
Même la gauche radicale aura droit de citée en la personne de D.Bensaïd. Le moins consensuel malgré la présence du villepiniste H.Mariton, le philosophe du mouvement trotskiste déploie un argumentaire simple et efficace. Il n’oublie pas comme souvent le citoyen. L’accès à l’information n’est selon lui pas le seul garant de la démocratie, le temps consacré à l’information est crucial. La résonnance est assourdissante avec la pédagogie du travail martelée par le président de la République. Modèle où les espaces de réflexion et d’information s’amenuisent. D’autre part, le responsable du NPA met en évidence la précarité constante des plumitifs de la presse. Enfin, il soutient la presse partisane dont seul l’Humanité est encore un survivant. Clou du spectacle F.Bayrou. Il fait son show, citant Clémenceau, vilipendant B.Kouchner « Naufrage du boat people », raillant A.Minc de sa vacuité et de son infatuation.
J.F.Khan continue sur la lancée avec une verve tonitruante poussant les analogies trop loin. C.Serillon convaincant admoneste les politiciens (présents) sur leur tentation de la télévision comme celle de Venise. F.Bayrou ne cille pas.
V.De Filippis visiblement encore choqué conte sa mésaventure policière, insiste sur sa chance de témoigner. Il dépeint aussi une ambiance nationale qui permet ces débordements. A la suite s’enchaineront des syndicalistes, la presse régionale, mettant des mots sur les carences de la presse en France à tous les niveaux.

Impression d’inachevé
Cette noria laisse pourtant une impression d’inachevé. Les instigateurs de ce rassemblement espèrent créer une osmose pour rendre le mouvement cohérent. Ce sont des singularités que l’on voit s’exprimer.
L’ordre de passage est un réel problème. Les têtes de gondoles passent d’abord, patientent trente minutes et disparaissent. Ensuite devant une assemblée clairsemée, les petits, les combattants et syndicalistes s’escriment à raconter leurs luttes. Mais le temps fort est passé. Il est impératif d’inverser l’ordre des écoutes. Les politiciens et les « puissants » doivent d’abord entendre les petits. En goujat la star du soir, F.Bayrou, s’esquive rapidement, et l’accompagne une partie du public. Spectaculaire. Consternant. Tant pis pour ceux qui s’expriment ensuite !

Ciblage trop sélectif
L’actualité a aussi phagocyté le débat. La nomination et la révocation des présidents des médias publics par le chef de l’état sont surreprésentées. Le fait est important, mais l’issue aux problèmes de la liberté de la presse est ailleurs.
Finalement, les journalistes dans leurs pratiques ne sont que très légèrement mis en cause. B.Hamon a besoin de s’excuser avant de remémorer l’attitude de la presse lors du referendum constitutionnel. Étrangement, F.Bayrou acquiesce. Plus largement, les us et coutumes de connivences sont survolés, les intervenants concentrent leurs attaques sur N.Sarkozy et son système. C’est un peu court.
Il n’est fait mention que trois fois des blogs. Pourtant en première ligne sur la liberté d’expression. Sûrement une question de noblesse de l’art.
Le grand absent est le peuple. Le lecteur potentiel, celui qui est caricaturé, au fin fond de la France comme un beauf ou une concubine. La presse (vraiment) démocratique ne peut faire l’économie du rapport à (toute) la population.

Au dire des organisateurs, E.Plenel et J.F.Julliard, ce n’est qu’un début. Les participants politiques ont apporté leur soutien pour des actions futures. Une pétition a recueilli cinq milles signatures. Et on lance des appels. Pourtant ce n’est rien. L’oligarchie médiatique se barricade dans ses tours vitrées. Les éditorialistes précepteurs de soumission fantasment leur carrière aux côtés des puissants. Les articliers et pigistes au SMIC n’osent pas remuer.

Les appels seront-ils entendus ?

Vogelsong – 16 décembre 2008 – Paris

Sources connexes :

Intox2007

Crise dans les médias

Médiapart

5 réflexions sur “Inquiétude sur l’indépendance des médias

  1. Pas beaucoup de commentaires à faire sur cet excellent billet. L’aspect théâtral du lieu, je ne me souviens plus qui l’a remarqué en premier. Ca me semble évidemment révélateur, comme tous ces détails (ces sécrétions du temps, comme disait Foucault http://crisedanslesmedias.hautetfort.com/archive/2008/11/12/les-secretions-du-temps.html) qui finalement révèlent ce que l’on voudrait cacher.

    Moi, je suis sorti de cette soirée en me disant que l’information, la liberté de la presse était une chose précieuse. Et, bien sûr, il n’y a pas de sauveurs, de maîtres à penser… Au fond, Le Point peut nous informer aussi bien que Mediapart sur certains dessous de la société. Mais il faut les deux, il faut le pluralisme.

    Et, comme toi, ou comme Farid Taha, qui fait un billet percutant sur le sujet, je ressens beaucoup^de frustration en lisant la presse française…

    Il n’empêche que la soirée de l’autre jour n’était pas inutile et plutôt réussie.

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  2. Eric, c’est toi qui a fait la remarque sur le spectacle et la société du spectacle. Je t’ai seulement soufflé que des lieux populaires devaient exister à Paris.

    La liberté de la presse est précieuse, nous sommes TOUS d’accord.

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  3. Allant parfois tous les soirs de la semaine au théâtre, j’en connais une bonne quantité. Des lieux populaires dans Paris, y en a, mais ils peuvent en général accueillir au maximum 150 personnes (et plus souvent la moitié). Dans les quartiers populaires (y en a plus bcp), y a pas de sous. cqfd. Donc on y trouve encore des cafés, des petites salles de quartier (comme le XXe théâtre, le théâtre 13, le théâtre du Lierre, Convergences,l’Atelier du Plateau etc), mais vous seriez tous restés dehors.
    Je remarque d’ailleurs que ni l’un ni l’autre n’en fréquentez puisque vous vous posez la question, hihi.

    Sinon, il y a des salles formidables, belles, grandes, sobres à Aubervilliers,Saint-Denis, Gennevilliers, Ivry, Montreuil voire à la Cartoucherie de Vincennes….

    Il ne reste plus que les cinémas mais faudrait y aller avant la première séance. Tiens, justement le trianon de romainville où tonton eddy nous emmenait…

    Le théâtre du rond point a également sans doute loué sa salle pas trop cher. Enfin, on l’espère….Et si vous aviez regardé la programmation, elle est tout public en général. Ce qui n’est pas si simple au pied des champs élysées.

    Il restait aussi le cirque d’hiver….

    On verra le 20 janvier à la maison des métallos.

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