Mais tout est politique, même l’éventuelle rémunération du blogueur

“Ce que je sais : aujourd’hui, à LEXPRESS.fr, nous ne payons pas les blogueurs. Par souci de bonne gestion, mais aussi par principe.” Sentence déjà culte d’E. Mettout rédacteur en chef de l’express.fr

La gauche a tout à voir avec la rémunération. Qu’elle soit de blogueurs ou autre. D’ailleurs la droite aussi. Car il s’agit d’une question éminemment politique. Celle du partage de la valeur, de la circulation des idées et de l’exploitation (attention gros mots) dont on en fait. E. Mettout a le mérite dans son billet d’incarner la figure la plus caricaturale, même s’il feint de ne pas avoir de «réponses toutes faites», concernant la production de « richesses » issues de la médiasphère. D’ailleurs dans une note du 22 décembre, le blog “Québec Solidaire” d’abord disposé à ouvrir les vannes du gratuit, se ravise en commentant : “Après avoir mieux saisi la nature complexe des problèmes que suscitent ces nouvelles plateformes de communication de masse, nous avons donc décidé de nous abstenir de toute collaboration directe avec le HP (Huffington Post)”. Complexe en effet.

Christopher Dombres

E. Mettout touche juste sur plusieurs points néanmoins. Il n’est pas si évident de considérer la production d’un articulet de blog comme un travail. Il note judicieusement que l’accord “affichage contre gratuité” se fait de plein gré. Le blogueur étant comme il le dit, majeur et vacciné. Nous y reviendrons.

Là où les choses se corsent, c’est quand il évoque le fonctionnement des médias et les relations entre producteurs de contenus et exploiteurs de contenus, « c’est le système : ils négocient». Un peu comme quand L. Parisot se dégrise sur la précarité. Ou quand P. Kosciusko-Morizet fait mine sur une radio publique le 26 décembre au matin, de ne pas saisir le lien entre l’économie, le marketing et la consommation de masse et la Politique.

La Politique en somme ne serait qu’un thème traité dans les médias (comme L’Express), mais totalement étranger à ceux-ci dans leur fonctionnement interne. Une sorte d’hygiène, résumé par l’adage d’entreprise “on ne fait pas de politique”. Pourtant on ne fait que ça. Outre le traitement de l’info, en référer à l’immuable système, comme M. Thatcher en référait au marché, ou M. Dassault aux idées saines, est en l’espèce, de la politique. Enormément de politique. Foutrement de la politique.

Et il est aisé de produire quelques figures, A. Sinclair ou M. Pigasse, comme incarnations essentielles de l’idée de gauche pour se dédouaner de ses valeurs. Ils sont avant tout des entrepreneurs que le landerneau classe à gauche, parce qu’il en faut bien. Et qui perpétuent les rapports de domination, et de subordination au sein de structures qu’ils dirigent. Comme des entrepreneurs… de droite.

En l’occurrence E. Mettout aussi. Il omet la puissance symbolique dans cet univers de signes. Il fait mine de ne pas entrevoir les rapports de domination qui existent entre un hebdomadaire qui a pignon sur rue et qui tire à des centaines de milliers d’exemplaires, et un anonyme à qui il promet une fugace exposition. Il ignore l’asymétrie de pouvoir entre la structure et l’individu. Il fait mine de ne pas connaître l’irrésistible attraction qu’engendrent les médias. De ce fort contraste, il tire un rapport de force totalement inégal qui lui permet, sous prétexte de consentement (majeur et vacciné), d’exploiter un contenu, en toute gratuité.

On en oublie presque la finalité des entreprises d’information, qui n’est pas d’informer, mais de générer assez d’activité avec de la substance rédactionnelle pour être rentable. Et dans ce contexte, le rédacteur en chef de lexpress.fr compte garnir les pages de son espace commercial avec des articles négociés gratuitement. Jouxtant d’ailleurs ses propres productions journalistiques, elles, rémunérées. La question n’est pas d’opposer journalistes et blogueurs, ce fameux “principe” dans l’article publié sur le blog de l’observatoire des médias. Car si on comparait les articles de Maitre Eolas avec ceux d’E. Mettout, ou les dentelles de SebMusset avec les aigreurs d’I. Rioufol on finirait par être surpris de ce que l’on appelle “valeur”.

Il faut considérer non pas le statut, mais le contenu produit. En l’occurrence, ne pas rémunérer le blogueur (comme travailleur), mais valoriser sa production insérée dans un espace profitable. Afin que chacun assume sa position, les uns produisant, les autres les publiant. Et sortir des caricatures lénifiantes du “regard décalé”, coquetterie médiatique insupportable…

Mais tout ceci est de la Politique. Et un peu gauchisante. Comme mettre en exergue les rapports de domination, la logique de soumission. Faire de la Politique comme le fait aussi E. Mettout, c’est stériliser ces antagonismes et s’en remettre au gré à gré dans un style très libéral. L’entreprise contre l’homme. En souhaitant que jamais ces écrivaillons en trop plein d’idées et en manque de reconnaissance ne s’entendent pour jouer collectif…

Vogelsong – 27 décembre 2011 – Paris

8 réflexions sur “Mais tout est politique, même l’éventuelle rémunération du blogueur

  1. Mettout n’a pas tout compris… notamment quant aux rapports de domination… Ton billet est un peu trop complexe pour un rédac chef de site d’information. Surtout à l’Express… N’est pas barbier (de séville ?) qui veut. Si Mr Mettout mettait une écharpe rouge, peut-être ?

    Bon, moi, pour une fois, j’ai tout compris. Mais je ne m’en fais aucune gloire : je suis le dominé.Le dominé comprends souvent mieux que le dominant. Ce dernier en effet subit l’effet d’un parasite qui floue sa pensée : l’argent. Et comme je n’en ai guère… surtout en ce moment. (j’ai cassé ma ouature… bouhhhhhh).

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  2. « si on comparait les articles de Maitre Eolas avec ceux d’E. Mettout, ou les dentelles de SebMusset avec les aigreurs d’I. Rioufol on finirait par être surpris de ce que l’on appelle « valeur » »

    En fait, non. La valeur, c’est du monétaire. On paie pour lire l’Express (papier), pas pour lire Eolas. Les annonceurs paient pour rémunérer Aphatie ou Rioufol, ou Barbier, pas pour les blogueurs. Mais ça peut changer!

    Oui, la finalité des médias a changé, globalement, mais Françoise Giroud le disait dans les années 70: dès lors que les titres deviennent des groupes capitalistes, les journalistes se battent moins pour la liberté d’expression que pour réaliser des profits. Même si, bien sûr, le journaliste n’a pas ça en tête: il vise juste à produire une information intéressante, captivante, qui donne envie de réagir, voire de réfléchir. Son ADN, c’est l’information.
    La presse reste essentielle à la démocratie. Il se trouve qu’elle est aussi une « aventure capitalistique ». La blog est juste une aventure égotique, bien sympathique.

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  3. Salut Eric, d’accord et pas d’accord.

    Dans certains cas, la marque est plus forte que le contenu. Alors oui, il faut deux, trois éditos dans « la ligne » qui rassurent, mais le reste est parcouru d’un oeil distrait, entendu d’une oreille. Dans un second temps, ça devient « ah oui on a parlé d’untel sur Europe 1 » ou « ils en ont parlé dans l’Express »… La marque fait « qualité » auprès d’une certaine clientèle encroûtée (qui achète sur abonnement).

    Ce vieux modèle survit encore grâce aux vieux justement. D’où une certaine inclinaison des médias vers la droite, là où le lectorat (et l’électorat) se trouve. Mais, leurs jours sont comptés : il n’y a pas de renouvellement du lectorat et des auditeurs. Et ça ne peut passer que par du sang frais, journalistes, chroniqueurs ou blogueurs.

    « La presse reste essentielle à la démocratie » : on est bien d’accord. Les titres de presse (papier ou web confondus) qui remplissent réellement ce rôle à mes yeux se comptent désormais sur les doigts de la main. Ça fait un bail que Barbier est plus essentiel à la survie de la filière industrielle de la confection d’écharpes qu’à la conception que je me fais de la démocratie.

    « Son ADN c’est l’information ». Eric, l’ADN est en pleine mutation.Il s’oriente méchant vers la photocopie de dépêches AFP. Le process en cours c’est la précarisation de tous (journalistes entrants et autres) sauf des colonnes publicitaires baladées d’un plateau TV à l’autre
    (Zemmour – 333 apparitions TV radio cette année – , Apathie, Thréard, Rioufol…) et désormais plus connues pour ce qu’elles disent sur nos écrans que pour ce qu’elles écrivent (ou pas) dans leurs canards.

    Pour la vieille clique, l’aventure multi-média se limite à squatter la télé et la radio (et de remplir pour pas cher le web tout en le canalisant pour ne pas perdre de PDM).

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  4. @Eric

    « Les annonceurs paient pour rémunérer Aphatie ou Rioufol, ou Barbier, pas pour les blogueurs »

    Pas d’accord, l’annonceur se contrefout du contenu et de qui l’a écrit ! Ce qui l’intéresse c’est le nombre de pages vues (son audience) et qui voit sa publicité (sa cible, son client, son prospect)… Donc la rémunération de l’auteur n’a rien à voir la dedans…

    En outre, certains titres affirment qu’ils ne rémunèrent pas les blogueurs car ça leur est économiquement impossible… Ce qui est faux ! En tout cas, il pourrait étudier une rémunération en fonction de leurs possibilités… Marianne2 qui ne rémunère pas ses blogueurs a, si on étudie le compte de résultats de Marianne, les moyens de le faire ! A condition, ne supprimer cette séparation print/web que les médias créent quand ça les arrange (par contre, ils souhaitent de pouvoir publier leurs journalistes sur tous les nouveaux supports sans rémunération supplémentaire).

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    • Je voulais dire que les annonceurs paient pour ces médias, pas forcément pour mettre leur nom à côté de Rioufol ou Aphatie! C’est juste un fait que je voulais souligner. Ils paient pour le package global, la marque. RTL ou la Figaro, c’est une marque. La valeur est là.

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  5. Le Figaro est une marque de droite, assumée et sans complexes. Parce que son lectorat existe, et continuera à exister (des vieux réacs de père en fils, « tombés dans la marmite » dès quand ils étaient petits), il perdurera, et les marques qui lui font confiance continueront.

    En revanche, que dire de supports dont la position politique est pour le moins ambiguë ? Vont-ils longtemps encore recevoir l’onction de pubs qui les maintiennent à flot malgré une baisse des ventes ? L’ouverture au Web, même payant, sera-t-elle leur viatique ? La question mérite d’être posée, me semble-t-il.

    Si les blogueurs s’unissent pour tenir un média uniquement Web, uniquement bénévole, à l’orientation idéologique claire, et en même temps de bonne tenue, il pourrait y avoir du remue-ménage dans le Landerneau du contenu informatif. Certaines options pourraient avoir des soucis face à ce phénomène. Plus terrible encore, cette nouvelle donne n’attend qu’une décision politique collective pour exister. A vue de nez, un site de ce genre (bénévole), porté par un hébergeur fiable, ne reviendrait qu’à deux cents euros par an.

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