L’axiome de Proglio ou le chantage à l’emploi

“Au delà de la bombe, il y a une économie derrière…” R. Yade à propos du nucléaire dans “ce soir ou jamais” le 16 novembre 2011

Le sentiment de trahison. Carole, épouse d’un “conti” de Clairvoix dépeint la brutalité d’une décision qui coûte son emploi à son mari, ainsi qu’à 1120 salariés de l’usine. C’est autant de familles qui sont touchées. Mais au-delà du tissu industriel, les propos de la “compagne courage” dans l’émission de K. Evin sur France Inter mettent en relief l’attachement fort au travail, à l’usine, à l’emploi. A l’impression de faire quelque chose. D’être “utile” socialement. Mais aussi de faire partie d’un réseau, bien réel celui-là. Un réseau de connaissances, d’amitiés, de luttes. Pourtant, ce qui les a unis, l’usine, les pousse vers la souffrance. Jusqu’à la plus noire des dépressions, et pour certains le suicide.

En ce sens, les dominants ont trouvé la double utilité de l’instrument de production. A la fois libérateur et asservissant. Le système industriel a réussi à faire de l’homme sa machine. Il maugré après elle au quotidien, mais il erre dans un vide absolu quand elle l’abandonne.

C’est jusque dans ce tréfonds que les professionnels de la communication de crise vont puiser. Parce qu’il n’est plus une décision politique “défavorable” aux grands industriels qui ne passe sous la toise de l’emploi. Comme argument ultime, dans la mise dans la balance du sacrifice. Et de façon diamétralement opposée, leurs adversaires (souvent de gauche) s’escriment à parer l’argument de l’emploi par l’emploi. Peine perdue.

Christopher Dombres

Remarque liminaire, il faut bien savoir que les industriels en général se fichent comme d’une guigne du niveau d’emploi dans un pays donné. Ils s’en fichent (à tort d’ailleurs) autant que du niveau de salaire, d’éducation ou de solidarité des services collectifs. Il en va aussi des hommes politiques souvent issus du même cercle ou vivotant des mêmes réseaux. Mieux : ils partagent grosso modo la même idéologie de libéralisation du travail, des marchés, de toutes les facettes du quotidien… Mais eux malheureusement doivent passer devant le suffrage universel, celui du citoyen, travailleur ou chômeur. D’où ce commode argument de l’emploi.

En 2008, le premier ministre F. Fillon et le Président N. Sarkozy annonçaient que 2,5 millions de personnes travaillaient dans la branche automobile de l’industrie. On ne s’en souvient plus. Tant les annonces s’accumulent, les arguments s’entassent, saturant l’espace, les consciences et le jugement. L’objectif à l’époque consistait à lâcher plus de 7 milliards d’euros pour “sauver” ce secteur. Un secteur stratégique disait-on les trémolos dans la voix. La réalité est un peu différente. En France un peu moins de 300 000 personnes travaillent pour le secteur automobile. L’imagination féconde de conseillers en communication en a ajouté 2,2 millions. Car ils ont probablement mis en sus des 300 000 besogneux, les vendeurs, les assureurs, les transporteurs de marchandises, les pervenches, les ambulanciers et peut être même les croque-morts qui mettent en bière les accidentés. Ce chiffre de 2,5 millions d’emplois se retrouvera dans le rapport du très sérieux conseil économique et social. Et 2,5 millions de potentiels chômeurs constituent un argument indiscutable par les temps qui courent.

Le site du gouvernement stipule “En contrepartie de ces aides, les constructeurs ont pris un engagement sur l’emploi et sur la pérennité des sites d’assemblage en France”. En novembre 2011, ces promesses sont un lointain écho. A l’ordre du jour d’un comité central d’Entreprise de PSA, la direction annonce une suppression de 6 000 emplois en Europe dont 5 000 en France…

La France subit depuis des décennies un endoctrinement nucléaire. Une croyance forte doublée d’une sensation cocardière quant à son indépendance énergétique. Il vient s’y ajouter, dit-on, un prix de l’énergie à la sortie de la centrale défiant toute concurrence. Tout ceci est partiellement vrai, suffisant en tout cas pour marginaliser les antinucléaires. Les cantonner au rôle de vieux rétrogrades à la mode seventies. Jusqu’à la catastrophe de Fukushima et la fusion de trois réacteurs de la centrale. L’opinion vacille. Dès lors la machine à communiquer redémarre : intellectuels (P. Bruckner), politiques de tout bord (E. Besson, M. Rocard), journalistes comme D. Abiker par exemple qui évoque l’attitude “bêtement antinucléaire de certains”.

H. Proglio est passionné de cuisine italienne et de vitesse, mais il s’y connaît aussi en grosses ficelles. Voire même énormes, puisque le PDG d’EDF parle d’une menace sur 1 million d’emplois liés à la filière nucléaire. Aux 400 000 emplois directs et indirects, il ajoute gaillardement 500 000 autres du secteur industriel qui utilisent massivement de l’énergie. La question ici n’est pas de savoir combien d’emplois directs et indirects appartiennent au secteur. Selon Europe Écologie c’est 125 000. Selon les mêmes ce sont des centaines milliers d’emplois de reconversions dans les énergies renouvelables qui peuvent être créés. Mais ce débat a eu lieu, ailleurs. Ce qui importe finalement c’est la démesure (on ajoute à la pelle des demi-millions d’emplois) et on fait un usage massif d’arguments d’autorité comme artifice de communication.

L’évocation du niveau d’emploi et de la perte de centaines milliers de postes sonne comme une dévastation dans un pays qui connaît un chômage endémique depuis plus de trente ans. Destiné à frapper les consciences, les mandarins connaissent l’impact de ce discours. Tout un chacun a, à un moment ou un autre, vécu ou vu dans son entourage le naufrage de l’inactivité et du dénuement. Il suffit d’une formule prononcée en “centaines de mille ou en millions” pour provoquer le choc, le doute et extirper l’assentiment. Sans qu’il soit besoin de trop entrer dans le détail du propos. Souvent d’un cynisme sans borne, puisque ce sont les mêmes qui dégraissent pour des questions de rentabilité à un moment, puis se posent en défenseurs de l’emploi à un autre moment. Ou mieux, en maîtres chanteurs à l’emploi national.

Vogelsong – 16 novembre 2011 – Paris

5 réflexions sur “L’axiome de Proglio ou le chantage à l’emploi

  1. L’évocation du niveau d’emploi et de la perte de centaines milliers de postes sonne comme une dévastation dans un pays qui connaît un chômage endémique depuis plus de trente ans.

    « Le chômage doit baisser. Il faut du travail pour tout le monde. Le plein-emploi est un objectif à atteindre. »
    Certaines croyances sont ancrées si profondément dans la société que nous ne les remettons jamais en cause.

    Pourtant, si nous parvenons à produire nos richesses plus efficacement, de manière à ce que moins de travail soit nécessaire, n’est-ce pas préférable ? Le travail humain n’est pas un but, mais un moyen : il permet de surmonter les obstacles à la satisfaction des besoins. Regretter la trop grande facilité avec laquelle les obstacles sont franchis (car alors il y a moins de travail pour y parvenir), c’est vouloir combattre le but (la satisfaction des besoins) pour préserver le moyen (le travail). Frédéric Bastiat expliquait très clairement cette confusion entre l’obstacle et la cause.

    Supposons alors que l’on parvienne à une efficacité de production telle que l’emploi de 5% de la population active suffise à satisfaire les besoins de tous : nous serions dans une société qui n’a jamais été aussi productive et riche. Pourtant, nous aurions un taux de chômage de 95%. Si les revenus étaient exclusivement issus du travail rémunéré, une écrasante majorité de la population n’aurait aucun revenu. Restaurer une situation de plein emploi, impossible en pratique, serait très critiquable en théorie : il s’agirait d’imposer à de nombreuses personnes l’occupation d’un emploi utile ni pour elles, ni pour la société.

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  2. On pourrait aussi rigoler des scénarios « Verts » qui nous promettent de diviser par 2 ou 3 la consommation des gens pour coller à leur envie de supprimer le nucléaire .. sans avoir fait d’audit de cette consommation à un niveau suffisant… c’est à dire sur presque tout le monde.

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