Résignez vous !

“Créer c’est résister. Résister c’est créer” – S. Hessel

La saison est ouverte. Sur un tir nourri de toutes parts ciblant l’ouvrage de S. Hessel titré “Indignez vous !”. Ce ne sont pas 450 pages programmatiques commises par un penseur comme l’élite politique nous en prodigue depuis plus de 30 ans (avec les résultats que l’on sait). Comportant des idées modernes (surtout), un plan de bataille pour faire gagner la France (ce pays de râleurs) dans la mondialisation heureuse. Non. Au contraire. S. Hessel a l’outrecuidance de ne rien proposer (quoi que). 27 pages d’indignation qui mettent en émoi la fine fleur du cénacle de la raison. En particulier E. Le Boucher (plutôt amateur de N. Baverez) qui qualifiera les combats de S. Hessel de « moulins à vent », ou de C. Askolovitch qui affublera le contenu du livre de “brouet”. Avec l’opuscule de S. Hessel, nous assistons à la révélation puis l’autopsie d’une caste d’omniprésents s’adonnant au marketing de la pensée flasque. Une tournure d’esprit qui encombre le débat public depuis trop longtemps avec ses certitudes sur ce qu’il faut dire et imaginer. Une approche qui canalise la politique dans l’étroitesse du libéralisme économique (de gauche ou de droite). Qui, sous des atours pragmatiques et volontaristes distillent à flux constant ce qui a finalement aboutit au Sarkozysme : La résignation.

On fait dire beaucoup de choses à S. Hessel. On lui fait surtout dire ce qu’il ne dit pas. Au crépuscule de sa vie (étourdissante), l’homme propose de rallumer la flamme de l’indignation. Et loin de ne servir qu’à s’apitoyer comme veulent bien le penser ses détracteurs, elle est selon lui le détonateur de l’implication et de l’action. Pour S. Hessel, l’indignation c’est l’ignition de l’engagement et de la responsabilité personnelle dans la société. Il souhaite “qu’à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé”. Une ode au militantisme et aux convictions. Dans un pays où les classes populaires ne votent plus, où la moitié du corps électoral se contrefiche des scrutins. S. Hessel propose simplement et humblement de se saisir des sujets forts, de s’impliquer pour agir. Par l’indignation, il invite le citoyen à franchir la première étape de l’engagement. Face au “je m’en fichisme” du consommateur pâteux à l’opinion tempérée. Il ouvre cette alternative de la prise de conscience. Sans être sûr d’y parvenir à chaque fois. Car au détour d’un combat, d’une lutte, d’un dégoût, il peut y avoir une révélation du monde. Une révélation crue qui mène à l’activisme pour changer ce qui ne doit pas l’être. Au lieu de rester sagement spectateur d’un monde qui déraille.

Mais le militant est honnis, trop subjectif et souvent trop à gauche. En tout cas turbulent. Un militant même s’il change de camp, assomme par sa subjectivité, s’implique durablement dans la chose publique. A-t-on déjà vu les militants, activistes, sympathisants déserter en masse le débat pour des futilités ? Les a-t-on déjà vus se détourner des urnes ? Ceux qui agissent ainsi sont les consommateurs de la démocratie voguant au gré des seules promesses et des déceptions. En somme S. Hessel suppose qu’un citoyen indigné peut devenir un citoyen engagé. Passant par exemple du féminisme à l’antiracisme, du soutien aux sans papiers aux luttes contre le mal-logement. En somme, de croire qu’il est possible de faire. Mais semer la graine de la révolte face à l’inadmissible serait-il trop dangereux ?

Dans le maintien de l’ordre, E. Le Boucher, comme C. Askolovitch (archétypes non exclusifs) sont les sous-officiers d’un immobilisme, en première ligne de la démotivation et du désarmement des troupes. Qui assènent leurs directives en surplomb du monde réel. Quand S. Hessel propose une lecture de classes, C. Askolovitch* rétorque comportements individuels. Quand S. Hessel évoque les systèmes et structures, C. Askolovitch se réfugie derrière l’atomicité des comportements humains. Croyant annihiler la question il l’esquive à peine. Se détournant de la problématique du changement réel et historique, pour se cantonner en bon libéral aux Hommes et leurs petites turpitudes. Mais surtout pour marteler l’impossibilité de la remise en cause des grands équilibres et de leurs immanentes conséquences : inégalités croissantes, xénophobie entretenue, domination oligarchique. L’éditorialiste du Journal du Dimanche se tourne en conclusion vers D. Strauss-Khan. Technocrate froid, gestionnaire orthodoxe des chaos du monde. Qui face à l’indignation de S. Hessel constitue une solution proprette dans l’évitement du débat sur une possible (même mineure) transformation sociale.

Loin du simplisme prétendu, l’opuscule de S.Hessel touche au point crucial du débat politique. Le constat que ce qui est n’est pas conforme à l’idée de progrès. Il est perçu comme fariboles utopistes par l’intelligentsia hexagonale. Pour laquelle les acquis sociaux pour le plus grand nombre ne font plus partie des priorités. La sarabande de sachants relègue ce type d’ouvrage hors du champ du possible. Les inégalités et injustices constituent le produit du système dont ils font partie, dont ils sont les bénéficiaires et qu’il ne faut pas modifier. Pour certains il peut s’agir au mieux d’un fond de commerce misérabiliste pour remplir des feuilles de choux. Pour d’autres, il est préférable de garder l’indignation sous l’éteignoir, pour ne pas risquer la propagation. Et on préférera une commisération plus contemplative (et télévisuelle). Bien moins subversive. Typique, E. Le Boucher reprend le couplet libéral sur la richesse du monde, un classique qui l’exonère (et par là même les plus opulents) du délicat problème de la répartition. Un évitement plus qu’une réponse. Encore.

L’ouvrage se vend à des centaines de milliers d’exemplaires, dans une France refroidie par la déroute sur la contreréforme des retraites, tétanisée par une opposition toujours plus inefficace, assommés par le story-telling gouvernemental. Etrangement et toutes tendances confondues (des féministes aux militants sarkoziens), il est de bon ton et prétendument salutaire de tomber à bras raccourcis sur ce “phénomène marketing gauchisant”. Attribuant cette subite montée de fièvre aux délires d’un birbe donneur de leçons dont le seul programme serait la réactivation du CNR de 1944. Un salmigondis d’acquis sociaux archaïques qui ne font pas un projet…

Alors que, par exemple, l’éducation est un sujet prioritaire, tout le monde en convient. L’abandon du système éducatif depuis l’avènement de N. Sarkozy est patent. Les parents assistent inertes à la baisse des effectifs d’encadrement, au transfert de fonds publics vers l’éducation privée, à la baisse générale des moyens mis en oeuvre pour instruire leurs enfants. S. Hessel lui, s’indigne. Et soutient publiquement les professeurs-désobeisseurs dans leur mobilisation contre ce qu’ils pensent être une régression. Une attitude ringarde et passéiste pour les visionnaires comme E. Le Boucher ou C. Askolovitch. Eux préfèrent le citoyen tempéré, détaché, désaffecté qui accorde plus d’intérêt à la page faits divers de son canard local, qu’aux discriminations de classes produites par le système économique. Un citoyen qui face à la domination et au déclassement choisira la solution placide de l’attentisme et de l’homme providentiel. Un choix, de raison dont on subodore le slogan pour un monde meilleur : Résignez vous !

*C. Askolovitch ne semble par croire aux rapports de classe, concept crypto-marxisant (donc désuet). Il devrait comparer sa feuille de salaire avec une caissière de la grande distribution. Pour ressentir.

Vogelsong – 2 janvier 2011 – Les Comtes

20 réflexions sur “Résignez vous !

  1. Vogelsong, tu es dur, très, trop avec l’ami Claude.
    BiBi a en effet appris – via Bakchich – que Claude Askolovitch, était en pleine fièvre. Il aurait deux livres en préparation. Un sur DSK le favori de Claude pour 2012 (« Il pense une idée à la minute ! ») et un autre – en libre entretien – sur Carla Bruni Sarkozy, sa grande amie.
    Dur, tu es très trop dur avec le journaleux !

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  2. Inutile de défendre Hessel, les lecteurs et ceux qui savent de quoi ils parlent et ce qu’ils écrivent jugeront… Et le font déja, le succcès de ce livret en témoigne. Quant à Askolovitch, comment dire… Tu fais une fixette ? Il n’existe pas : à part nous, personne ne le connait. Et c’est tant mieux. Alors qu’Hessel restera durablement inscrit dans les mémoires pour ses combats. Nobles.

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    • Malheureusement, Claude n’est pas connu que de vous. De moi aussi. et de quelques autres. Mais je suis d’accord: ce mec est une imposture, un vide béant, du vent, du rien. Mais il écrit dans des journaux, parle à la Radio, à la TV, et il est payé pour ça. dommage. De l’argent par les fenêtres!

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  3. Pingback: Variae › Les mots de la politique (2) : « Indignez-vous ! »

  4. La subversion , ce n’est pas un gros mot ça ?
    Je croyais qu’il fallait être « responsable » , c’est à dire accepter sans rechigner les paroles des maîtres-moralistes à deux balles .
    Se prosterner devant l’ordre du monde , dire « ma pauvre dame ou mon pauvre monsieur , c’est comme ça , on n’y peut rien , il faut faire avec  » .
    Vieux relents d’un judéo-christianisme qui nous enseignait « malheureux sur terre , bienheureux au paradis » , faisant taire ainsi les récalcitrants , faisant passer toute rébellion comme un affront à Dieu !
    Aujourd’hui , Sarkozy a remplacé Dieu le Père , ses visites à Rome sont tout un symbole …vulgaire .
    Quoi d’étonnant que toutes ces « grenouilles de bénitiers » que sont les bien-pensants se précipitent au chevet du Dieu mourrant ?
    Quoi , un appel à la rebellion des ouailles ? Mais c’est un délit de Sarkozy divin ça !
    ….Ils sont rendus si bas , ils ont les dieux qu’ils peuvent !
    Et comme à leur habitude , pas question de partager avec les manants les pouvoirs qui leur sont conférés ! Que le peuple « s’indigne » et il sera châtié . Allo TF1 …

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  5. Un bon petit livre que j’ai acheté, pas par effet de mode, mais surtout parce que les occasions de se motiver à l’action ne sont pas si nombreuses que ça. Au final je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’écrit SH (mais ce n’était pas le but, je crois) mais je crois que je serai durablement marqué par ce livre et surtout par son auteur.

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    • Hessel ne prone pas l’indignation pour l’indignation. Ce qu’on veut lui faire dire. Je ne suis pas non plus (comme toi) en phase avec tout.

      Mais c’est un petit ouvrage qui vaut mille pages de cuistres….

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  6. On me l’a rapporté dans une valise « parce que tout le monde le lit »… Je dois dire que j’étais passée à travers.
    Je ne suis pas d’accord sur sa vision trop simpliste du conflit Palestinien et sur les solutions qu’il ppose même si c’est l’occasion d’amorcer son passage sur le terrorisme compréhensible mais injustifiable (très bon passage, d’ailleurs).
    maintenant, je ne partage pas sa vision du conflit qui doit être obligatoirement non violent. Ensuite il s’adresse à une génération perdue : de zappeurs, d’enfants gtés par des parents qui ont toujours galérés, de voyageurs, de cosommateus… il n’y a qu’à regarder du côté des assoss dans les petites villes : toujours les memes peronnes qui se bougent pour les autres, on croise toujours les mêmes êtes dans les réunions, des faces souvent ridées parce que peu de jeunes ne bougent. Je suis à 800% d’accord avec le fond, daccord avec toi aussi sur le fait qu’ est loin de pseudos élites éclairées qui ont foncé dans le mur jusqu’à aujourd’hui.

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  7. Hessel, subversif ? Peut-etre dans son petit bouquin… Sinon, il se range derriere le PS, souhaitant l’éléction de M. Aubry, de préférence, et sinon de DSK, lui aussi…

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  8. Un homme se juge aussi aux haines qu’il suscite. Se faire éreinter par Zemmour, Le Boucher, Bilger sur Marianne, Taguieff , Rozenzweig sur causuer, et j’allais oublier Askolovitch.. bref tout ce que la réacosphère compte de plumitifs aigris, de réactionnaires rances, et de confits en dévotion devant le marché, ça prouve que le vieil Hessel a frappé juste et ne fait que renforcer mon estime. Je lui pardonne même de rester socdem!

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  9. Les idées du FN gagnent du terrain… surtout à l’UMP.

    22 % des Français se disent d’accord avec les idées défendues par le Front national, un chiffre en hausse de 4 points par rapport à l’an dernier, mais qui reste minoritaire et stable sur le long terme, révèle mercredi 12 janvier un baromètre TNS-Sofres pour Le Monde/Canal+/France Inter, qui note une forte progression de l’image du FN chez les sympathisants UMP.

    S’agissant de la question délicate politiquement des alliances électorales avec le FN, ce baromètre montre une forte évolution des sympathisants UMP en leur faveur.

    Ils sont ainsi 35 % (+16) à estimer que leur parti devrait en faire « selon les circonstances » et 8 % (+4) à penser qu’il devrait passer une « alliance électorale globale », soit au total 43 % (+20 points) favorables à des accords.

    http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20110112.OBS6083/les-idees-du-fn-gagnent-du-terrain-surtout-a-l-ump.html

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