Mélenchon : Violence Versus Violence

« C’est une des raisons qui font que les journalistes sont parfois dangereux : n’étant pas toujours très cultivés, ils s’étonnent de choses pas très étonnantes et ne s’étonnent pas de choses renversantes… » P. Bourdieu – Sur la télévision

Sarkozy maniait l’invective sans objet. Un parler cash qui n’impliquait aucune remise en cause d’un ordre établi. Il mimait une connivence populaire. Ce bon client convenait plutôt bien aux médias. On s’est bien esbaudi d’un « casse-toi pov’ con », mais la relégitimation s’est faite quasi instantanément. Parce que cela ne signifiait rien. Ne dérangeait pas en tout cas. La mise au pilori de J. L. Mélenchon et des membres du Front de gauche sur le registre de la malséance qui nuirait au bon déroulement du débat politique est d’un tout autre ordre.

20Il n’échappe à personne que J. L. Mélenchon dit des choses. Et des choses fortes sur le fonctionnement global de la société de marché. Il n’échappe aussi à personne qu’il les dit sur un ton qui tranche avec la petite musique lénifiante des invités permanents du Spectacle des médias. Ce Spectacle qui ne renâcle pas aux parodies de débats où le verbe est haut. Du moment que rien ne se dit. Où que ce qui se dit est dans le cadre strict de la pensée dominante. On a vu L. Parisot patronne du MEDEF hurler sur O. Besancenot à propos de l’amnistie sociale. On entend régulièrement M. Le Pen s’époumoner sur la menace étrangère. Défendre l’Olympe symbolique ou vomir sa xénophobie fait partie du pain quotidien des médias de masse. Il s’agit, là, d’une violence maitrisée bien en phase avec les préoccupations journalistiques (que l’on présente comme des sujets prioritaires pour les Français).

Or ce qui tranche avec J. L. Mélenchon c’est qu’il entre en collision avec l’ordre économique dominant et ceux qui le propagent. Notons au passage que l’ordre économique dominant se satisfait pleinement des outrages xénophobes. Créneaux vendeurs de papiers et d’espaces publicitaires connexes. Percuter à la fois la pensée dominante et ses séides relève de l’impossible. Comment critiquer un système à l’intérieur d’un système par l’intermédiaire des acteurs qui font le système. De façon automatique, quand le leader du Front de Gauche déboule à France Inter, ses échanges avec les tenanciers de la matinale sont encore plus exécrables qu’avec les représentants de la droite réactionnaire. Ce qui en dit assez long sur le conformisme d’une certaine pensée. Et sa plasticité à la violence extrémiste.

Reste enfin que sur le registre de la violence, personne n’est en reste. Que la violence imputée à J. L. Mélenchon à l’endroit de quelques journalistes repus n’a aucune équivalence avec la violence symbolique propagée par les médias où officient ces mêmes outrés. Personne ne s’étonne de la violence distillée par le Journaliste I. Rioufol. Pas une tribune, pas un billet pour dénoncer ou mettre en exergue les appels à la haine quasi quotidiens sur le mode de la France éternelle. I. Rioufol colporte ses miasmes avec bienséance et bonne tenue. Personne ne s’étonne que N. Beytout chaque semaine sur France Inter fasse l’apologie de la domination libérale. Qui n’est rien d’autre que de la violence de classe, exprimée sur un ton soyeux. On pourrait citer en vrac C. Barbier, E. Lechypre, J. M. Aphatie et bien d’autres, interchangeables qui, chacun à leur manière, répandent une violence symbolique, prêtant main-forte à une autre violence, celle-ci bien réelle, du monde sensible.

Il est pratiquement impossible de recenser les violences symboliques dispensées par les médias en faveur des dominants. Les unes, les articles, les émissions, les entrefilets, qui imposent à flux massif et constant l’hégémonie d’une classe, d’une caste. Une violence autolégitimée et euphémisée par ceux qui la pratiquent. Responsables du contenant et de l’interprétation du contenu.

J. L. Mélenchon est condamné. Sa violence « minoritaire » ne reçoit aucun écho dans un environnement structurellement hostile. Tenter de décrire un système médiatique dans ce système médiatique est voué à un échec infini. Tant celui-ci tend vers un seul objectif, la normalisation du « débat ». Il sera sempiternellement relégué au rang des trublions vociférants. Et on lui soumettra sans cesse l’argument de la bienséance comme passe-droit au cercle de la raison : en somme, se conformer, se plier aux règles (des médias de marché truffés de journalistes de marché) que lui-même tente ingratement de dynamiter.

Vogelsong – 26 mars 2013 – Paris

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Chiens de guerre

« On en trouve de plus en plus en France et elles sont vendues à moins de 1000 euros » A. Bauer sur les Kalachnikovs

Le 16 novembre 2011, Mathieu, 17 ans, viole et tue Agnès, 13 ans. En France, l’émotion est immense, notamment parce que Mathieu était déjà poursuivi pour un précédent viol commis sur une mineure l’année précédente. Jugé “réinsérable” par des experts et dans l’attente de son procès, il avait été scolarisé dans l’établissement où se trouvait sa future victime. “Je le ­recevais souvent avec ses parents et ses sœurs, ­raconte une voisine. C’était un garçon adorable, ­réservé. ­Absolument pas agressif”.

Christopher Dombres

Quelques jours plus tard, le gouvernement annonce vouloir placer dans des centres éducatifs fermés tous les mineurs soupçonnés de crimes sexuels.

Le 28 novembre 2011, 4 cambrioleurs “d’une vingtaine d’années” se font repérer par la BAC en train de piquer de l’alcool et des surgelés dans une zone commerciale sur l’A7, près de Vitrolles. Pour se dégager, comme dans les films, l’un d’entre eux sort une Kalashnikov et arrose. Large. Tellement large qu’il dézingue un de ses collègues et blesse grièvement un des policiers, toujours entre la vie et la mort.

Le lendemain, on apprend que le cambrioleur tué avait déjà été arrêté “40 fois”. Sur une radio de service public, un policier décrit avec force détails les dégâts que peut produire une balle de 7,62 mm. Dans les journaux, la même question qui obsède les agents de police : “Comment sécuriser la population si nous-mêmes, nous ne sommes pas en sécurité ?

Mardi, hasard du calendrier, le parti majoritaire évoquait l’opportunité de mettre en place un code pénal spécifique pour les mineurs de 12 ans.

Des chiens fous équipés d’armes lourdes qui cruisent sur les autoroutes françaises. Des loups solitaires scolarisés dans les établissements de nos enfants. Des chiens de guerre face auxquels les forces de l’ordre (la famille, l’école, la police) sont désarmés. C’est à peu près à ça qu’est réduite médiatiquement la jeunesse française. Un antagonisme. Un combat. Une menace qu’il faut contenir par un épais limès législatif.

La question n’est pas de nier ou de minorer la violence de ces faits divers mais de parvenir à échapper à ces constructions mentales qui, mettant en scène une infime partie de la jeunesse, réduisent à l’état de barbares tous les autres : ceux qui portent notre avenir.

Car, sur le terrain de la jeunesse en difficulté, hors du champ des caméras, loin des donneurs de leçon ou des provocateurs, certains se coltinent une autre réalité, moins spectaculaire, plus triviale et plus commune : celle des familles fragilisées par la crise économique et qui rament en silence, celles des jeunes un peu largués dans leurs études, parfois franchement déscolarisés, qui commencent à traîner un peu à gauche à droite en bas des immeubles des banlieues enclavées sans faire de bruit, ou si peu. Combien sont-ils à quitter l’école sans diplôme chaque année ? 150 000. La moitié d’entre eux seront – et resteront – au chômage. Pas couverture médiatique pour eux. Pas de Grenelle pour ce morceau de France qui s’englue en silence.

Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, il devient salutaire d’aborder la question de la jeunesse sérieusement, posément. Comme le fait dans son Plaidoyer pour la jeunesse en difficulté la fondation Apprentis d’Auteuil.

La semaine dernière, la “fondation catholique reconnue d’utilité publique” était sur le pont. Tandis que des tribunes de François Content, directeur général, étaient publiés sur Slate.fr et dans Le Monde, André Altmeyer, le DGA présentait à la presse le matin, à la télévision à midi, à des blogueurs le soir, leur constat et leurs propositions. Loin des caricatures et de la mythologie du nouveau sauvageon.

Le “Plaidoyer pour la jeunesse en difficulté” d’Apprentis d’Auteuil, c’est d’abord une préface destinée aux candidats à l’élection présidentielle : “La jeunesse en difficulté est le révélateur de notre échec collectif (…) nous expérimentons des solutions mais nous avons besoin de vous pour les démultiplier”. C’est aussi 80 pages de chiffres et de constats dressés sur la base de l’expérience d’un acteur de terrain qui accueille 13 000 jeunes chaque année.

Le constat ? L’aggravation de la situation des jeunes et des familles et l’urgence sur le terrain. Les solutions ? La prévention, l’innovation et la persévérance pour redonner confiance et perspectives aux jeunes. Trois champs sont explorés : la lutte contre le décrochage scolaire, le soutien à la famille dans leur rôle éducatif et l’entrée des jeunes dans la vie active.

Avec son Plaidoyer, Apprentis d’Auteuil se lance aussi dans une bagarre audacieuse, celle de rééquilibrer les lignes de force d’un système médiatique qui fonctionne trop souvent sur la caricature, là où eux proposent des témoignages de réussite modestes, pas très spectaculaires. Ici, un jeune qui reprend ses études en CAP. Là, un autre qui “gère son budget tout seul”. Là encore, ce sont des parents qui disent simplement merci. Des petites pierres mises bout à bout pour restaurer, reconstruire la confiance et “changer le regard sévère que la société française porte sur sa jeunesse”.

C’est une belle bataille qui s’apprête à être livrée avec comme armes la prévention, la prévention et encore la prévention, la confiance dans les capacités des jeunes à “réussir” quel que soit leur parcours antérieur, l’acharnement des éducateurs et des directeurs d’établissements. Face aux rafales d’articles qui suintent la peur et attirent le lecteur, face aux grenades des faits divers qui ne manqueront pas d’exploser pendant la campagne électorale, ces arguments ne semblent pas peser bien lourds aujourd’hui. Mais demain ? La lutte pourrait bien être sanglante. Chienne de guerre.

MMartin & Vogelsong – 1er décembre 2011 – Paris

La banlieue, objet apocalyptique de nos fantasmes #2 – Vers la militarisation

“Les conséquences de la colère sont beaucoup plus graves que ses causes.” Marc Aurèle

Consensus militaire autour du déploiement de forces dans les cités de la République. À chaque acmé en banlieue, on invoque l’inflation de moyens pour mettre fin aux violences. Cette fois une histoire de gangs. En somme, la force publique en l’état ne peut plus assurer la sécurité des habitants de certaines enclaves. S. Gatignon maire de Sevran, classé à gauche, se joint à la noria de véhéments pour faire respecter l’ordre public. À coups de canon s’il le faut…

Un feu médiatique

La pauseuse E. Levy évoquait déjà l’idée en pleine fournaise estivale de l’année 2010, “On est en guerre, on est zone de guerre, on a des gens qui tirent sur les flics à l’arme lourde”. Nonobstant le fait qu’une arme lourde s’entend comme une arme de gros calibre destinée à détruire des infrastructures ou des véhicules, que E. Levy confond surement avec “armes automatiques”, ou “armes de guerres (comme le fusil d’assaut)”, la dialectique belliqueuse ciblant les territoires de la République envahit inexorablement le débat. Et de façon dramatique. Et dramatisée.

On se souvient des appels de la droite politique lors des émeutes de 2005 pour réclamer ce type de mesures draconiennes. Plus récemment, I. Rioufol, jamais en reste quand il faut sévir sur la piétaille des périphéries, concernant l’appel à l’aide du maire de Sevran illustra la situation par le terme “libanisation de certains quartiers”. Dans la bétonnière qui lui sert de système de pensée, il n’oubliera pas de lier cette “libanisation” à la question ethnique, déclarant de go la “faillite du vivre ensemble”. Quelques jours plus tard, le quotidien France Soir du 10 juin 2011 publie en une le définitif “L’armée dans les cités, les français disent oui”. Dans la foulée un dossier de quatre pages du quotidien Le Parisien du 14 juin 2011 au titre filmesque “La cité où les enfants ont peur”. Derrière ce feu médiatique nourri, les va-t-en-guerre en papiers tentent d’oblitérer l’essentiel. Un recours à la force brute en écran de fumée qui masque les problématiques essentielles des zones de non-droits.

Conséquence de la pacification

La question n’est pas de légitimer les trafics ou l’économie parallèle, mais de s’interroger sur son remplacement. Qu’est-ce qui permettra aux centaines de milliers de personnes qui vivent (plus ou moins bien) de ces activités délictueuses de trouver des sources licites de subsistances ? Dans son ouvrage “La loi du ghetto”, L. Bronner décrit minutieusement la stratification des revenus du trafic de drogue qui s’élèvent à 2 milliards d’euros par an*. Selon l’auteur : “60 000 à 120 000 personnes seraient impliquées” au bout de la chaîne du trafic, qui tireraient entre 4 500 et 10 000 euros par an. Une réelle économie de substitution et de survie.

Au-delà de l’efficacité du déploiement militaire (et en imaginant que cela fonctionne), comment ces zones asséchées de l’économie souterraine s’acclimateront au nouvel ordre militaire ? Par quels moyens, autres que l’assistanat, tant vilipendé par les autorités, les habitants de ces quartiers vont trouver les ressources nécessaires au minimum des standards du pays ? Que proposent comme alternatives les va-t-en-guerre, que la survie améliorée pour ces territoires, qu’E. Zambeaux appelle “ces plaques détachées de la banquise” ?

Étant entendu que la pacification comme condition initiale à la revitalisation est une vaste plaisanterie, car même dans les zones où les trafics ne posent pas de problèmes d’hyperdélinquance, rien n’est fait pour sortir les quartiers du marasmes.

La question de la violence

On assiste à une inflation de la réponse sécuritaire. Sans que – on l’aura remarqué – la situation s’améliore. Le pouvoir n’a plus que ce rudimentaire expédiant pour communiquer sur le sujet avec les Français. Dans son shoot quotidien aux faits divers. De façon mécanique on répond à “violences” par “plus de violences”. D’ailleurs la militarisation des forces en banlieue est déjà une réalité. Toujours selon L. Bronner, “Aux violences parfois inouïes (…), répondent des dispositifs policiers toujours plus denses, plus complexes. Une “militarisation” du maintien de l’ordre : Utilisation d’hélicoptères dotés de caméras infrarouges… ; expérimentation de drones ; mise en place d’équipes spécialisées dans les départements urbains, (…)”. Cette stratégie ne mène à rien sur le long terme. Sauf à dévoiler un tropisme de dominants, un réflexe revanchard de la bonne société sur ses parias.

De ce paroxysme de la violence symbolique, exhalent relents xénophobes et prolophobes. En l’occurrence, les pauvres se vautrent dans oisiveté et assistanat, surtout quand ils sont d’origine étrangère. Toute la prose, qui vise à rallier la violence militaire, d’I. Rioufol, d’E. Levy et autres dealers de haines accrédite la thèse racialo-culturelle, bien répandue maintenant, de l’inadaptation de certaines catégories de population bien spécifiques à la vie dans la société française. Dans ce rapport essentiel et mythologique de la nation aux citoyens : de race blanche, de culture chrétienne, d’extraction prospère ; ou d’ailleurs et (dans ce cas) totalement soumis à la domination des suscités.

La question de la force publique dans les zones actuellement dévastées de la République se posera réellement quand les standards d’activités économiques et sociaux auront le niveau médian du reste du pays. En d’autres termes quand tout aura été (réellement) mis en œuvre pour traiter pacifiquement et habilement la question.

Et que seule l’hyper violence, alors, s’imposera comme ultime recours.

*La totalité du plan banlieue de F. Amarra représente en tout 500 millions.
 

Vogelsong – 15 juin 2011 – Paris

L’usage des armes

“C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Tout homme va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le nierait ! La vertu même a besoin de limites.” Montesquieu – L’Esprit des lois

Du petit lait ministériel. L’homme est malien, sans papier, de forte corpulence. Mais surtout il “pète les plombs” lors d’un contrôle d’identité comme le rapporte Libération. Par deux fois, la police fera usage (après les lacrymogènes) d’une arme à impulsion électrique. Qui a pour particularité de diffuser dans le corps des ondes de 50 000 volts à 2 milliampères. Blocage total du système nerveux, la décharge foudroyante vient immédiatement à bout de n’importe quel individu. Le nec plus ultra de la soumission. Là, l’homme meurt. D’un malaise. Le porte-parole de la police évoque une enquête qui éclaircira éventuellement le lien entre le voltage massif et le collapsus. Quant au Ministère, par la voie de B. Hortefeux, il évoque la contrainte à l’usage des armes. C’est ainsi que dans la France de 2010, on se défausse de la mort d’un “irrégulier”. Quand la violence légitime retire la vie, on euphémise, on stigmatise puis on charge la victime.

Une médiation armée

L’arme non létale, quintessence de l’oxymoron dans le maintien de l’ordre. La novlangue sécuritaire s’est parée de ce concept pour faire passer dans l’opinion des instruments plus ou moins brutaux, mais aussi plus ou moins mortels. Il n’y a pas d’“armes non létales”. Il y a des armes ou pas. Une rhétorique, avec en filigrane, l’alternative asymétrique proposée par la violence (légitime) d’État entre un projectile en métal brûlant à très haute vélocité, la balle, perforant le corps, déchirant les chairs ou l’approche plus civilisée et clinique consistant à électrocuter les rétifs aux injonctions policières. D’ailleurs, la multinationale qui livre les forces de sécurité claironne que l’arme à impulsion électrique “sauve des vies”. La violence mortelle face à la violence douce. C’est à peu près en ces termes que se définit le nouveau credo policier. Entendre que l’État prend soin de ses concitoyens, même des plus turbulents, en employant pour les neutraliser des dispositifs n’infligeant aucun dégât sévère.

Le raisonnement tient plus du concept publicitaire que de la réalité sociologique. Avec l’avènement de ces nouveaux outils de soumission apparaît une nouvelle médiation entre les dépositaires de l’autorité et les citoyens. L’alternative n’est plus la vie ou la mort, c’est-à-dire dans la plupart des cas la vie. Dans le cadre d’altercations de moyennes intensités, sortir une arme à feu relevait de l’impossible sauf à risquer la bavure. Grâce à ces nouvelles techniques d’armement, le niveau de réponse par violence physique est fortement descendu. Le recours aux armes dites non létales est désormais la réplique quasi systématique. En banlieue par exemple, les flash-balls n’ont pas remplacé les armes de poings. Mais se sont plutôt substitués au dialogue (ou tentative de dialogue).

Une violence rare, mais ciblée

De manière générale les études sociologiques (notamment menées aux USA) montrent qu’en moyenne le sentiment de violence policière envers la population est rare. Une personne sur cinq déclarait avoir fait l’objet de pressions physiques, dans la plupart des cas une saisie ou une poussée. À ceci deux remarques. Si les cas sont rares, ils sont déjà trop nombreux. Une force publique perçue par la population (même une minorité) comme brutale signifie l’échec d’une politique de sécurité. Et donc inadmissible. Plus important, le sentiment de violence augmente selon les classes sociales et les minorités incriminées. Pas vraiment une nouveauté, les rapports de la maréchaussée au XVIIe siècle évoquaient déjà comme cibles, les “gibiers de prévôts” (errants, vagabonds, migrants, etc.). Aujourd’hui aussi la violence s’exerce de manière inégalitaire dans la population. Plus on est pauvre plus la violence policière est forte. Une lapalissade que les commentateurs omettent systématiquement de préciser. Et qui change profondément la perception du fait divers. D’autant plus forte qu’elle s’ajoute à la violence économique réelle, mais aussi au sentiment de violence due aux inégalités (économiques et sécuritaires). Dans un cercle infernal mêlant pauvreté, paupérisation, violence qui s’auto-alimentent à l’infini. Enfin, se surajoutent les facteurs “raciaux”, un cocktail explosif. Dont on contemple les éruptions périodiques dans les zones suburbaines.

La question n’est pas de statuer sur la pertinence du pistolet à impulsion en tant que tel. La question essentielle tient dans l’usage systématique de la violence (même “douce”) pour soumettre un corps social. On a substitué un niveau médian d’interaction avec les forces de l’ordre sous la forme d’armes “non létales”. L’instillation à doses contenues d’une violence verticale en direction d’une catégorie de la population. En majorité pauvre et pas blanche. Reste ensuite à la justifier. Des justifications de moins en moins humaines à mesure que les esprits s’accommodent à la dystopie. Un “sans papier” dans l’atmosphère de la France 2010, contrôlé par la police a “pété les plombs”. En oubliant qu’il y avait probablement un lien entre l’attitude du forcené et le contexte. Et dont le principal instigateur de la situation, le ministre, évoque la contrainte policière à électrocuter l’homme par deux fois. Dans cette effroyable substitution des rôles, la victime devient le coupable. Et le paie de sa vie.

Vogelsong – 1er décembre 2010 – Paris

Management fatal

À France Telecom, stigmate purulent du mal-être au travail, on sécurise le bâtiment pour que le suicide ne se produise pas dans l’entreprise. X. Bertrand, le gentil patron de l’UMP, parti qui gouverne la France depuis 2002, veut faire « l’autopsie des suicides ». Les temps sont à l’individualisme, la glorification de la valeur travail et la société du produit. On élit des présidents sur ce thème, on construit des vies sur ce concept. On en meurt aussi, mais pas tout le temps.

HareX. Bertrand se réclame de l’individualisme, de la responsabilité. Pour le chef du 1er parti de France, le travail est l’alpha et l’oméga de l’activité humaine. Seul le travail créerait de la richesse, seul le travail permettrait de la répartir. À l’actif de l’UMP et ses affidés, le rallongement légal de la durée du travail. Les futurs retraités partiront plus tard. Théoriquement. Les salariés devront turbiner davantage. Aussi. On permet à l’employeur et au salarié de se séparer plus facilement, dans une sorte de consentement pacifique et mutuel. Tout cela dans un contexte d’équarrissage des services collectifs non marchands. La paix est déclarée entre les intérêts antagonistes. Le travail pour ceux qui ne le fréquentent pas prend des atours tempérés, un environnement de cravatés épanouis.

La réalité est tout autre. Le management a pris le pouvoir. Édulcorer le réel, vaincre en douceur les rétivités. Endosser le costume du manager, c’est prendre le parti de l’asservissement par le verbe et la méthode. Ces hyperactifs du brassage de concepts ont pour seul et unique objectif d’arracher un consentement enthousiaste pour l’accomplissement de tâches banales ou rébarbatives. Pour une grande partie de la population, le travail sous l’angle de l’épanouissement personnel est un but, non une réalité. Pour une grande partie de la population, le travail est vécu comme un état transitoire « sisyphien » où demain sera mieux grâce à l’évolution de carrière. Pour une grande partie de la population, à la fin des fins, à l’heure des bilans, un seul terme résume une vie entière d’activité : frustration.

D. Linhart, sociologue au CNRS*, évoque le chassé-croisé des valeurs entre le secteur public et le secteur privé. Ce qui fait sens c’est le rapport aux autres, le service que l’on rend à la collectivité. Son intrication dans la société. L’aigreur des salariés du privé envers ceux du public tient principalement à la finalité du travail de chacun. Pour une immense majorité des « créateurs de valeur » du secteur marchand, l’horizon professionnel s’arrête à l’achat et la vente d’un produit (de la cuvette WC à la chaîne HI-FI) ou à la réalisation de séquences qui, même complexes ne forment pas une finalité émancipatrice. Générer du chiffre d’affaires, atteindre un objectif abstrait pour un Homme intègre, ne peut suffire. Les méthodes modernes de management incorporent des aspects éthiques, des chartes, de l’investissement personnel et du « collectif ». Mais ces « pseudo » implications s’avèrent caduques. Il n’y a aucun socle réel à ces assertions. Il est impossible, malgré une rhétorique ciselée, de donner du sens à un non-sens. On se réveille toujours, plus ou moins brutalement, de cette anesthésie managériale. Expliquer aux vendeurs de téléphones portables qu’ils exercent une activité positive pour eux et leurs semblables relève de fariboles. À terme, pour beaucoup la plaisanterie s’achève. Ceux qui leur ont affirmé ça s’en rendent compte, aussi, avec le décalage temporel dû à leurs émoluments. De plus, le turnover imposé au salariat depuis 30 ans ne plaide pas en la faveur du paradoxe don de soi/précarité. À un moment, la conscience émerge, névrosée. Une situation intenable où la démonstration sous sa forme la plus paroxystique se manifeste par le meurtre ou par le suicide.

Généralement, la violence sourde reste contenue. L(e)'(auto)contrôle passe par l’absorption d’antidépresseurs ou la fuite dans des addictions. Pour les plus robustes, la colère est rentrée, les mâchoires serrées. Dans ces cas, pas de bruit, tant que les conséquences sont « propres ». Le système infini de production doit continuer sa besogne. On affirme benoitement que les Français, aux vues d’études et sondages, sont globalement heureux au travail. Ils s’égayeraient avec passion dans la confection d’objets inaccessibles et inutiles. Et à ce train, ils travailleront guillerets et gratuitement dans un avenir tout proche.

La souffrance à France Telecom est abordée comme un épiphénomène. La gauche tombe dans le panneau en demandant la tête de D. Lombard, le président du groupe. Mais ce n’est pas la démission d’un cynique, aux méthodes crasses qui sur le coup d’un décès parla de « mode des suicides », qui changera quoi que ce soit au monde du travail. La gauche comme à son habitude n’est plus capable de penser autrement la société. À droite, on évoque comme de coutume les problèmes strictement personnels des suicidés. Plus à un contresens près, les mêmes qui prônent l’investissement corps et âme dans le travail écartent la responsabilité des entreprises lors de ces drames par l’argument « personnel ». Tout est finalement affaire de communication et de visibilité. Une semaine, le PIB, et la production sont mis au pilori parce qu’incapables de rendre compte réellement du progrès d’un pays**. La suivante, les mêmes se réjouissent d’une croissance retrouvée***. Ce n’est pas la mort d’un salarié qui choque l’oligarchie, mais le symbole mortifère qu’elle inflige au monde de la production.

* Les méthodes managériales du secteur privé envahissent le secteur public. Le secteur privé se dote de chartes éthiques pour simuler des comportements vertueux.
 Pour le malheur de tous "Travaillez sans les autres ?" Danièle Linhart - Seuil
** Rapport J. Stieglitz suivi du discours pontifiant du président N. Sarkozy
**les suicidés par l'activité qu'ils ont générée ont, à un degré infinitésimal, créé de la croissance

Vogelsong – 29 septembre 2009 – Paris