Ce que les Français pensent tout bas…

“La domination et la survie du conservatisme reposent sur le fait que les gens n’établissent jamais de connexions intellectuelles entre les divers éléments du monde réel”. T. Frank in “What’s the matter with Kansas?”

En paraphrasant J. M. Le Pen, sur ce que les Français pensent tout bas, L. Wauquiez s’arroge l’immense privilège de sonder leurs âmes. D’y faire émerger de leur tréfonds le bon sens du petit peuple inaudible, submergé par la bienséance du discours compassionnel des élites pansues. Dont lui-même, énarque, haut fonctionnaire, bourgeois accompli dans son habitus, son idéologie et sa pratique politique, en est le prototype même. On ne lui reprochera pas son manque d’empathie, puisqu’il verbalise ce que la plèbe a rentré. En l’occurrence beaucoup de bassesses sur “l’assistanat, ce cancer de la société”. L. Wauquiez comme beaucoup des siens se pose en porte-voix des veuleries du peuple pour le meilleur compte des dominants.

L. Wauquiez touche juste à plusieurs niveaux dans sa harangue sur l’assistanat. D’une part, il reprend des propos de comptoir et les élève au statut de débat national. Une technique qui malgré moult dénégations du landerneau ne permettra pas au bout de la discussion d’inverser la tendance sur la connotation parasitaire. Ce n’est pas le point de vue d’un quotidien comme le Monde qui changera le message global instillé au fil de l’information. Une infosphère (du Monde à TF1) qui se repait depuis des décennies des turpitudes des profiteurs de subsides de l’État. Sur cette polémique, les chantres du parasitisme disposent de milliers d’heures de propagande d’avance. Or, réenclencher le sujet n’a d’autre objectif que de provoquer un écho à ce capital informatif déjà stocké. D’autant plus que ceux qui prennent un air courroucé, des responsables socialistes aux éditocrates du tout Paris, n’ont pas de leçons à donner. Ils ont à leur niveau contribué à assoir l’une des ces thèses : soit les gueux ont mérité leur sort, soit il y a une mystérieuse cause à la misère.

Le parasitisme des aides sociales est une histoire ancienne. R. Reagan, chantre de l’ultralibéralisme s’emportait déjà en 1976 sur la “Wellfare Queen”, une traitresse qui “cumule 18 noms, 13 adresses, 12 cartes de sécurité sociale, dispose de pensions militaires de 4 maris morts. Elle bénéficie de l’aide médicale et des bons alimentaires. Son revenu net d’impôt se situe à 150 000 dollars”. L’histoire montrera qu’il s’agit d’un mythe, cette reine sycophante n’existant que dans l’esprit malade des spin doctors nourris à la doxa de l’école de Chicago. Mais qu’importe, l’image reste vivace. Un vieux marronnier que N. Sarkozy en 2007 s’adressant aux “Français qui se lèvent tôt” puis L. Wauquiez évoquant “le cancer” s’évertuent à perpétuer. Avec un discours à double portée.

Consolider le modèle dominant de privatisation de l’économie, avec pour corollaire la supériorité du modèle d’individualisation. Ce qui sous-tend les diatribes sur l’assistanat, c’est la thèse selon laquelle ceux qui s’échinent au travail sont amputés d’une partie de leur effort (calculé en rémunération), par l’intermédiaire des cotisations sociales, qui sera distribuée à des profiteurs (entendre non-travailleurs). En d’autres termes, le tassement des revenus de la classe moyenne qui a un emploi est directement corrélé au système de transferts sociaux en faveur de ceux qui s’alanguissent. On retrouve ici l’ode à la valeur travail et à l’effort individuel. Avec pour conclusion la disparition progressive de l’espace de solidarité, pour un modèle où chacun sera livré à lui-même. Qu’il y ait du travail, des richesses ou pas.

Consolider la thèse de l’échec du multiculturalisme. Dans le mythe de la “Wellfare Queen”, les communicants républicains visent spécifiquement l’archétype du profiteur “modèle américain”, c’est-à-dire une femme noire vivant dans les faubourgs décrépis d’une mégapole. Pour L. Wauquiez faire référence au cancer, même si cela peut prêter à débat, rappelle cette excroissance qui menace l’intégrité, la pureté du corps social. Dans le contexte pré frontiste de 2011, l’évocation est frappante. Quant à N. Sarkozy, son adresse aux “Français” qui se lèvent tôt ôte toute ambigüité.

Seuls les paresseux de la presse hexagonale ont cru au mirage du concept de droite sociale. Le Sarkozysme et ses séides font du social comme ils font du populaire, c’est-à-dire en discriminant, stratifiant les citoyens. Le gouvernement cible dans cette polémique la classe moyenne blanche, occupée, dont une partie côtoie le déclassement. Une catégorie en panique sur l’éventualité de rejoindre les laissés pour compte dans la débâcle.

Vogelsong – 13 mai 2011 – Paris

Publicité

Une République en délabrement – #2 La corruption de la démocratie

“Dès que l’on met un qualificatif derrière le mot République, il faut s’inquiéter. Soit on est fort sur les principes, soit on les aménage…” S. Tessier à propos de la « République irréprochable » de N. Sarkozy le 12 juillet 2010
.
La voix puissante de F. Fillon résonne dans l’hémicycle “Vous avez perdu, la démocratie a gagné”. C’est en ces termes que le premier ministre en 2010 conçoit le jeu démocratique entre les acteurs de la scène politique française. Une dichotomie franche entre les méchants et les gentils. Pourtant, pris au coeur de la tourmente de conflits d’intérêts et de présomption de financements illicites, c’est avec l’assurance des vainqueurs que les politiciens de l’UMP, promus au rang de dictaphones, déversent à l’envi des généralités sur la République. Comme le souligne S. Tessier de l’association « Anticor« , la corruption gangrène la démocratie, et plus que cela elle évoque par des pratiques politiques et culturelles la corruption même de la démocratie.
.
Un jour avant la fête nationale, l’association Anticor a remis une lettre dans une enveloppe Kraft aux 577 députés de l’Assemblée nationale. Signifiant à la représentation du peuple qu’ils ne signifiaient plus rien. Ou plus grand-chose. Que devant le discrédit de la classe politique française, il fallait prendre ses responsabilités. Changer. Changer, car le rôle de la représentation nationale ne se borne pas à entériner les petits caprices du gouvernement à l’écoute de seuls intérêts particuliers, mais doit le contrôler dans ses excès. Et ce n’est plus le cas depuis longtemps.
.
L’intérêt particulier élevé au rang d’idéologie
C’est probablement ce qu’il restera du sarkozysme, une fois que la poussière des fracas sera retombée. La contemplation d’une société névrosée enfermée dans ses petites turpitudes, ses petites combines où l’autre n’est plus un concitoyen partageant le même espace national, mais un concurrent dangereux à l’impitoyable jeu de la réussite. Où tout se vend, tout s’achète. Car ce qui s’est instillé depuis la prise de pouvoir de la nouvelle génération d’élus UMP constitue une autre de manière d’appréhender le « bien commun ». Non pas par une vision collective du bien public, souvent très différente, voire antagoniste des intérêts privés, mais plutôt une société de la débrouille où les plus nantis s’égayeront à leur gré, laissant les outsiders à leur médiocrité. Ce qui restera de l’ère Sarkozy ce sera ça. Une société recroquevillée et paranoïaque.
.
Le règne de l’intérêt privé par les lois
Derrière le discours manichéen, il y a les faits. Le gouvernement de F. Fillon a dispensé les largesses de la République à des intérêts catégoriels, spécifiques qui entraînent de facto un pourrissement de l’idée de démocratie. En pratique depuis son accession, les amis de N. Sarkozy se sont largement goinfrés. Par le biais des normes législatives ou des décisions politiques. Que cela soit sur la libéralisation des jeux d’argent, où l’on apprend que la femme du ministre E. Woerth qui présente la loi d’ouverture des jeux en lignes est liée à la direction du PMU. Un petit exemple de ce que la république fait de plus irréprochable. Dans un autre domaine, la campagne de vaccination menée par R. Bachelot semble s’apparenter plus à du copinage d’officines qu’à une politique de santé publique rigoureuse. Les entrepôts garnis de vaccins l’attestent. Mais plus important, l’orientation générale donnée par le gouvernement sur sa politique économique et sociale. Outre la loi TEPA sensé booster l’économie, le gouvernement a prétendu moderniser le pays et faire face au défi de la mondialisation. Mais plus grave, il finance les délocalisations. Par l’intermédiaire d’aides de l’État jamais soumises à contreparties. Les entreprises détruisent des emplois puis délocalisent. Le centre d’appels « teleperformance »,  par exemple, prestataire de l’Etat français, dégage des bénéfices, dispose d’aides publiques, mais transfère ses emplois au Maroc.
De quel intérêt général s’agit-il ? Un député (quel que soit son bord) peut-il l’expliquer à un honnête citoyen ?
.
La France un havre fiscal
La France sous certains aspects peut s’apparenter à un paradis fiscal. Une panoplie de défiscalisation a largement été déployée. Elle l’a été notamment au profit d’une catégorie spécifique de la population. À ce petit jeu, les plus fortunés y trouvent leur compte. Le taux marginal d’imposition peut chuter jusqu’à 25%, c’est-à-dire le taux d’imposition d’un salarié moyen.
D’autre part, la république a procédé à un désarmement unilatéral face à la fraude fiscale. Une fraude qui représente 50 milliards d’euros par an. Une peccadille que F. Baroin préfère ignorer. Concentrant son attention à la fraude aux prestations sociales et à la baisse des aides aux logements étudiants. S’il était besoin de montrer la détermination de la droite pour récupérer l’argent soustrait au fisc, c’est 15 000 postes d’agents qui auront été supprimés sur 10 ans. F. Baroin, le gouvernement Sarkozy n’inverseront pas la tendance.
Alors que l’État n’a plus de ressources, le gouvernement consent depuis une décennie des  avantages de plus en plus grands aux catégories les aisées de la population. Les élus de la république rendent indirectement plus de comptes aux actionnaires qu’aux citoyens.
De quelle démocratie s’agit-il ? De quelle souveraineté populaire parle-t-on ?
.
La politique de la démotivation
Mais il semble que la majorité actuelle pense tirer profit du dégout général. Au petit jeu de l’abstention ou de l’émergence du Front national, c’est la droite qui l’emporte. À la fin. Toujours. Par ces pratiques culturelles, le petit monde politique français tend à dépolitiser le débat. Et ce n’est pas un hasard si les représentants de la droite se sont engouffrés dans la récitation des grands principes démocratiques. L’intérêt supérieur se substitue à l’intérêt général. Un intérêt supérieur derrière lequel tout est imaginable. Par exemple, faire rempart au trotskysme ou au fascisme.
En ce sens, le délabrement de l’idée même de République tient en deux grands axes. Servir les intérêts particuliers et les puissances de l’argent, écartant d’un revers de main toute critique, car il ferait le « jeu des extrêmes ». Ce faisant il démotive le citoyen blasé de la chose publique, car tous pourris. D’une pierre deux coups, c’est l’accaparement du pouvoir pour une minorité et la conservation de celui-ci par défaut.
.
C’est ensuite au quatrième pouvoir de rentrer en scène. Le lieu de l’information par  lequel peut s’établir un débat sain sur le sens que l’on veut donner à la République. Doit-on accepter d’un commun accord le glissement vers une société d’intérêts privés, où la corruption serait un élément moteur de la dynamique citoyenne ? Faut-il donner un coup d’arrêt aux dérives actuelles et rendre aux citoyens leur capacité de juger ? À la vue des prestations journalistiques, comme celle de D. Pujadas face au président, relevant plus de la manucure que de l’interview à proprement parlé, il est permis de se poser quelques questions sur le sens que prendra le débat. S. Tessier déclarait très sérieusement à la fin d’un entretien “On ne va pas se mentir, on n’est plus en démocratie”.
.

[tweetmeme source= « Vogelsong »]

Vogelsong – 14 juillet 2010 – Paris

L’héritage du CNR battu en brèche

« L’union des représentants de la Résistance pour l’action dans le présent et dans l’avenir, dans l’intérêt supérieur de la patrie, doit être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant. Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme, tout ferment de division qui pourrait freiner leur action et ne servir que l’ennemi. » – LE CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE


Faire table rase du passé. D. Kessler*, figure influente du patronat français se réjouissait lorsque N. Sarkozy accédait à la présidence de la République. La promesse de mise en coupe réglée du consensus établi au Conseil National de la Résistance (CNR). Fondement du modèle social français, il constitue, pour les chantres de la mondialisation, une plateforme dont il faut nécessairement se soustraire pour rentrer de plain-pied dans l’économie globalisée. Les petits apprentis du libéralisme oublient que l’assentiment national de l’époque avait une portée philosophique et sociale. Des domaines de plus en plus étrangers aux frénétiques de la marchandisation du monde.

La crise du capitalisme a douché les ardeurs du duo MEDEF / UMP. Le président de la République victime des évènements a du remettre à plus tard ses grands projets de démolition du modèle social. Un schéma économique boursouflé et handicapant qui met, aux dires de la colombe L. Parisot, la France à la traîne dans la compétition avec les pays à bas coûts salariaux. L’aplanissement social ne date pas d’hier. Dans l’hexagone depuis 25 ans, quelle que soit la couleur du gouvernement en place, les protections présentées comme des entraves au développement et à la liberté ont été méthodiquement oblitérées. En pratique, la gouvernance Sarkozy a dû refréner ses ardeurs après un départ en trombe. De telle manière qu’à mi-mandat, les éditorialistes et commentateurs trouvent au président des vertus interventionnistes, voire néo-keynésiennes. La première mesure de N. Sarkozy fut de supprimer la carte scolaire. Toujours en délicatesse avec la culture et le savoir, cet ignare, sous couvert de liberté éducative, préfère ouvrir aux quatre vents les mobilités scolaires toujours avantageuses aux plus nantis, que de favoriser la mixité. Un objectif bien trop difficile à atteindre. Il instaura ensuite un bouclier fiscal pour préserver les plus riches de l’impôt, pauvres fortunés ! Puis fidèle à sa faribole de campagne (travailler plus pour gagner plus) proposera aux Français, en complet contresens avec l’histoire, de turbiner davantage. Dernière mesure dont plus personne ne cause, le gouffre qui sépare aujourd’hui le réel et les promesses étant si grand après la crise de 2008. Elle porte un coup d’arrêt aux grandes manœuvres. Pourtant l’activisme visant la destruction des accords d’après-guerre continue de plus bel, mais sur un autre registre. Très focalisés sur les ravages de la « marchéisation » de l’école, des services publics et de la santé, d’autres dangers sortent du champ de l’analyse. Le grand renversement souhaité par l’oligarchie constitue aussi une remise en question complète des valeurs.

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le patronat essentiellement collaborationniste a, bon gré, mal gré accepté le large consensus du CNR. Les gaullistes évitèrent l’hypothèse de la République soviétique, les communistes instillèrent des avancées conséquentes, crédibilisant leur mouvement. En creux, la mise à l’écart de l’extrême droite dans la gestion des affaires du pays. L’instauration tacite d’un accord national démocratique de salubrité pour éviter de remettre dans le circuit de l’administration française les tenants d’une idéologie méphitique.

En 2007, N. Sarkozy accède à la plus haute fonction de l’État en singeant le programme du Front National, parti d’extrême droite xénophobe. Ce n’est pas (seulement) une rupture économique, mais historique que la droite française opère. Finies les oeillades discrètes aux classes populaires frontistes, finis les dérapages contrôlés, la droite classique donne aujourd’hui dans la xénophobie ordinaire, l’abjection d’État. Décomplexée dans son bourrage de charters et dans son exhibitionnisme nationaliste et identitaire, l’administration trahit sa glorieuse mémoire. Elle plonge la France dans la fange.

Quand le volet économique de la rupture rencontre un écueil, la rupture politique continue. En ce domaine rien ne peut l’arrêter. Pas de crise économique pour démontrer que le système est inepte. Le gouvernement joue à fond la haine reptilienne de l’autre. Et ce ne sont pas les micro-manifestations de la CIMADE, de RESF et d’autres qui démontreront l’inhumanité du régime qui sévit.

Kessler et les dominants qu’il représente mesurent la portée des régressions. Il est peu probable que leurs godillots médiatiques soient à la même enseigne. Que dire alors des citoyens noyés sous la nécessité de modernité, d’efficience productiviste pour les besoins de la compétitivité commerciale globalisée . Si en trois ans de règne sarkozyste, le programme économique du CNR a continué régulièrement de perdre des plumes, on ne peut en dire autant de l’universalisme de son message. De ce qui faisait le rapport à l’autre et du bannissement de la bête immonde fascisante. Et là se situent la rétrogression massive, l’abaissement national. La tache indélébile qu’une génération de citoyens, de commentateurs, d’élus contemplent sidérés et atones.

*D. Kessler, ancien vice-président du MEDEF, a déclaré dans le magazine Challenges (4 octobre 2007) qu’il fallait « défaire méthodiquement le programme du CNR » en précisant : « le gouvernement s’y emploie ».

Vogelsong – 28 novembre 2009 – Paris

Du bon usage du populisme

Il aura fallu un mois* en sarkozie pour découvrir à quel point ce pays avait basculé dans le fatras idéologique. À quel point aussi l’élite, parée d’atours progressistes, maniant le verbe communicationnel se protège derrière une cohorte de plumitifs. Un cordon sanitaire déployé autour de l’aristocratie républicaine qui ferraille, usant de tout son talent, de son érudition et de son aura médiatique pour sauver des eaux et de la vindicte ses généreux bienfaiteurs. Le maillage informel entre les intellectuels de palais, les journalistes de bouche, et les décideurs de canapés montre toute sa puissance en période de crise. Bien au-delà des convictions, ces bataillons zélés qui pensent à géométrie variable, protègent une nobilitas grégaire en survie perpétuelle.

populismeC’est du peuple dont il faut se prémunir. Avec ses réactions reptiliennes qui troublent la béate tranquillité des prescripteurs d’opinion. A. Finkielkraut adepte du don de soi, s’est sacrifié pour la démocratie. Dans une intervention d’anthologie le 9 octobre 2009 sur l’antenne de France Inter, il prend, bravant périls et interdits, fait et cause pour les puissants. Au menu de sa croisade antiobscurantiste, le lynchage instrumenté par le web, la dépravation inexorable de l’occident et l’irrespect pour les patriciens. Pour ces « nouveaux » penseurs du conservatisme chanci, le coup de savate venu de la toile est intolérable. Plus possible de penser entre-soi, la pression des nouveaux médias est devenue trop forte. Dans le cas de F. Mitterrand, le web n’a qu’une contribution relative à son obligation de justification au « 20 heures » de TF1. M. Le Pen, dignitaire du Front National exsangue, car pillé par l’UMP, fait « tapis » en reprenant des passages vils d’un récit autobiographique pendant un spectacle politique télévisé. Quelques caviardages plus tard, c’est sous la houlette de L. Ferrari que le ministre de la Culture se refait une virginité. Le lendemain, les manchettes sont unanimes, il y eut « erreur, mais certainement pas faute, encore moins crime ». Les instituts de sondages donnent aussi un verdict sans appel ; absolution totale par le peuple. À l’UMP, la stratégie de communication est limpide. Mimer les progressistes sur l’homosexualité, même touristique et tiers-mondiste tout en louant la franchise, le courage du ministre, qui soutint R. Polanski lors de son arrestation en Suisse pour pédophilie. Les pères la rigueur de la droite française qui condamnent pour racolage passif, qui infligent des peines plancher, qui pratiquent la justice d’abattage en comparussion immédiate pour la petite délinquance sont beaucoup moins « populistes » quand il s’agit de proximité d’intérêts. Pour faire la morale aux racailles lors de vols de matériel et infliger des sanctions sévères, toutes les outrances sont permises. La victime fut le thème de prédilection du candidat Sarkozy. Il fustigeait les juges qui relaxaient les bourreaux et qui ne pensaient pas aux persécutés. Mais quand il faut morigéner un semblable du panthéon, c’est une tout autre affaire. On aborde le sujet de manière bien moins emphatique. Ce n’est plus une gamine, mais une Lolita, ce n’est plus un gosse transformé en esclave sexuel, mais un éphèbe…

Le pathétique A. Finkielkraut ne sort pas de sa torpeur pour prendre la défense des nécessiteux, des soutiers que l’on affublent dans la grande presse de sobriquets péjoratifs (du type « concubins » ou « maîtresse »). Il n’emploie sa science que dans les grandes occasions. Là, un ministre de la Culture couplé d’un réalisateur césarisé, une immanquable brochette. Et dans sa mission, les journalistes dont les plus sérieux comme N. Demorand l’aident doucettement. Le dispositif se répète en fractale sur tous les médias nationaux selon un processus inévitable. Reprise des moments d’anthologie du larmoyant « 20 heures » de la veille, journalistes installés qui passent les plats, et invités de circonstance qui tempèrent. Le remède anesthésiant le plus efficace pour contenir le populisme et la réactivité brutale des foules.

C’est aussi un accablement politique. Là où est attendue la gauche égalitariste pour remettre les puissants face à leurs faciles destins, c’est le parti de la peine de mort, de la xénophobie, de la haine qui met le nez des dominants dans leur fange. Un citoyen qui trouve inacceptable la copulation avec une gamine, même consentante et délurée se retrouve « ami » du Front National et catalogué fasciste. Idem pour la villégiature libidinales dans les contrées orientales. À gauche B. Hamon, porte parole du PS s’est risqué à une sortie, bien solitaire sur le sujet. Au ressac, seul avec le Front National il a dû rétropédaler, question d’image.

Le régime sarkozien relève de la prestidigitation. Il n’y a pas de magie, seulement des trucs entre initiés. Le sarkozisme est un « populisme » car il use et abuse des grosses ficelles poujadistes : une descente sécuritaire avant chaque élection, des propos racistes distillés régulièrement, la sempiternelle référence au pragmatisme et au bon sens (populaire). Il mobilise aussi la fine fleur de la pensée hexagonale pour justifier les écarts de l’oligarchie. Pour un résultat à front renversé. Les conservateurs se transforment en hédonistes libres penseurs. Les jouisseurs** d’antan trouvent timidement à redire. Et finalement, piteux, ils se taisent. Sous les miradors de l’intellectualisme de confrérie, la droite obtient victoire à tous les coups. Le régime sarkozien adapte habilement la pensée de ses zélateurs et affidés aux intérêts d’une minorité. Des intellectuels de revirement qui s’émancipent dans un contexte idéologique ruiné par la paresse et le spectacle.

*Les épisodes : B. Hortefeux, R. Polanski, F. Mitterrand entre septembre et octobre.
** D. Cohn-Bendit reste opportunément fidèle à ses idéaux.

Vogelsong – 9 octobre 2009 – Paris

La confusion des hémisphères ou les petites compromissions

Sectaires et fermés. Qualificatifs récurrents adressés à ceux qui ne participent ou n’approuvent pas les projets gouvernementaux, quel que soit le domaine. Le temps fait son œuvre, les plus rétifs rentrent dans le rang. Conscients que l’UMP est là pour un moment, conscients que trois années de mainmise totale n’ont entamé en rien la crédibilité d’un président qui avait tout pour lasser. On s’y résout, s’y adonne, prétexte à l’appui pour en croquer ou même, servir la gamelle.

RoseDesVentsUne démocratie apaisée nécessite de la part de toutes ses parties, un respect de règles tacites. L’empoignade idéologique sur des sujets de société fondamentaux impose l’acceptation par la majorité d’un rôle réel dans le processus de décision.
F. Mitterrand lors de sa réélection avait largement pioché dans la société civile pour composer un gouvernement de « rassemblement national ». À ceux qui critiquent N. Sarkozy pour sa politique de débauchage, les éditorialistes vautrés ou les politologues de salons ont beau jeu de rappeler que le seul président de la République de gauche fit de même. Mais, mis à part un goût immodéré pour les vestales, il n’y a rien de commun entre F. Mitterrand et N. Sarkozy. Rien.
La stratégie du régime consiste à garder le pouvoir par dislocation idéologique. Semer la zizanie dans un espace politique, déjà en décomposition avancée, s’adresser à des bêtes blessées, grabataires ou malades, les recruter pour en faire des émissaires, des porteurs de fanions ne constitue pas l’ouverture dans une démocratie apaisée. Seulement une manière crasse de gérer la cité dans la perspective unique de rester aux commandes, de profiter des affaires.

Chantre de la deuxième gauche, M. Rocard s’est porté volontaire au nom de « l’intérêt du pays » pour servir de héraut à la politique anxiogène du régime. Le président du pouvoir d’achat, pour annoncer des impôts supplémentaires (en l’occurrence une taxe dite écologique) désigne, non pas son sinistre et oisif chef de gouvernement, mais un birbe dignitaire de la gauche. Le « never been » M. Rocard ne peut ignorer que cette taxe va entrer dans le dispositif général de la politique économique du gouvernement. La miraculeuse loi TEPA, le suivi des chômeurs par des opérateurs privés, la casse de l’éducation nationale ne peuvent être dissociés d’une prérogative annoncée comme ponctuelle, même au nom de l’écologie. C. Lagarde rassure tout le monde en déclarant benoite sur les ondes d’une radio publique que cet impôt sera compensé par une baisse équivalente d’autres prélèvements. Une approche globale donc.
Vendre sa minuscule notoriété pour servir l’opposition dans des projets écologiques discutables est une chose, d’autres, en authentiques cyniques foulent au pied les valeurs, les convictions, les aspirations pour sous-traiter le siphonnage électoral de l’extrême droite. Il y a avait un homme pour cela. Capable d’allier avec autant d’abnégation le mensonge, la froideur avec une antipathie naturelle qui confine au destin unique. Celui de l’ordure. Un seul, peut être. Et N. Sarkozy le déniche.
Ratisser l’ivraie chez l’adversaire pour lui faire faire les basses œuvres est malin, mais pas digne de la démocratie apaisée que la communication gouvernementale évoque à longueur de dépêches.

Dans une logique diamétralement opposée, quelques figures du gouvernement issues de l’UMP font office de gracieux partenaires. N. Kosciusko-Morizet est de ceux-là. Gracile, diaphane, elle serait appréciée, dit-on, pour sa connaissance des dossiers. Experte en écologie, elle pense, par exemple, que la croissance économique infinie n’est pas incompatible avec le respect de la planète. Courbes spéculatives de cloches à l’appui. Elle fit une campagne hardie pour le productiviste président N. Sarkozy. Finalement, récompensée par une pluie de nomination tant à l’UMP qu’au gouvernement. C’est pourtant en vierge sylvestre qu’elle débarque à l’économie numérique. Elle réussit même à passer pour fréquentable auprès des écœurés du sarkozysme. Dans son sillage une ribambelle de « geeks » fascinés qui pensent ou veulent penser qu’ils en mordront. La galerie de portraits du sarkozysme fait oublier les plus élémentaires des vérités. N. Kosciusko-Morizet partage solidairement, comme membre du gouvernement, les décisions concernant la politique d’immigration, les réformes économiques ou l’embastillement des internautes. Elle fait banc commun, cause commune, avec M. Alliot-Marie, E. Besson ou B. Hortefeux. Elle reçoit ses subsides par la voie hiérarchique. Quand F. Lefebvre s’exprime au nom du gouvernement, il y inclut inévitablement la sympathique maire de Longjumeau. Et le président déclare probablement qu' »elle fait un travail remarquable ».

Grosses ficelles, plus que génie politique, on use et abuse de subterfuges. La médiasphère se regarde regarder ces pitoyables comportements sans y apporter le moindre éclairage. Il y a assez de gens de talent à droite pour faire un gouvernement complet. Faire croire en des « tasks forces » réunissant les « bonnes volontés » pour trouver des solutions consensuelles dans l’univers étriqué du sarkozysme est une fable. Tout est pouvoir. Le conquérir, le garder. Les petites compromissions comme les mascarades nombrilistes ne servent en rien la démocratie. Quoi qu’en pensent les serviteurs zélés et les opportunistes de ce régime plébiscitaire.

Vogelsong – 31 juillet 2009 – Paris