L’enterrement théâtral du mouvement social par Yves Calvi, François Chérèque et Laurence Parisot

  • Petit spectacle télévisuel à usage propagandiste

“D’où cette proposition simple : allez tous vous faire enculer, avec votre condescendance à notre endroit, vos singeries de force garantie par le collectif, de protection ponctuelle ou vos manipulations de victimes…”* V. Despentes – King Kong Théorie – 2006

C’est une page d’histoire qui s’écrit, puis qui se tourne. Devant les yeux abêtis de ceux qui la regardent et qui l’ont faite. En octobre 2010, tout conspire à la seule issue raisonnable à la protestation qui secoue l’hexagone. Celle que le cercle de la raison auto-proclamé a décidée, quoi qu’il arrive, d’imposer. Le laminoir de la vérité, exigence sommitale qui nécessite une mise en spectacle. C’est une page d’histoire qui s’est écrite et qui se tourne. Une histoire circulaire où les mêmes plastronnent ivres de leur puissance, les mêmes trahissent pour une pitoyable aumône. Enfin, les mêmes donnent le change et perdent leurs frocs.

Seize secondes de bonheur

La lumière crue d’un plateau de télévision a pu révéler, l’espace fugitif d’une image l’incarnation même de la veulerie. Tout se passe comme si se nouait devant les yeux du monde l’histoire d’un mouvement social et la sortie par le haut de tous ses acteurs. Le spectacle politique en cette soirée du 25 octobre 2010 a pu dévoiler la théâtralisation de la soumission aux puissants. Y. Calvi journaliste d’accointance gouvernementale sautille frénétiquement sur son siège. Il a dénoué le conflit sur la “réforme des retraites”. In extremis à la fin d’un plateau, il obtient ce que trois semaines d’efforts populaires n’ont pas réussi à extirper. Dans l’interstice laissé frivolement par le publiciste majordome, L. Parisot conclut en seize secondes un accord de négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors avec F. Chérèque. Tout le reste alors devient superfétatoire. Deux heures de débats pour seize secondes. Seize secondes impromptues. La fameuse négociation que tout le monde attend soutirée par la marraine du projet de réforme au parrain des reculades sur les acquis sociaux.

Un théâtre de marionnettes

Qui va croire à cette grossière mise en scène ? Ce jeu de marionnettistes dont les cordes sont visibles depuis les boulevards de la capitale qui mènent à l’Élysée. Mais tout se passe comme si la grâce finalement saisissait les acteurs du conflit. Revenus à la raison, au moins pour l’un d’entre eux face à l’inflexibilité du guide de la République. Qui peut croire en ce film, mal produit ? Dont le prologue s’éternise, C.Estrosi le sourire cireux, les cheveux impeccablement teints qui ressasse les éléments de langage sur le démocratisme. Ces mêmes éléments recyclés par Y. Calvi, toujours en pointe dans son soutien à N. Sarkozy. Tel un séide du Figaro en transit sur la télévision publique déversant sa logorrhée antisociale, vaillamment juché sur sa déontologie journalistique.

Les insignifiants

B. Thibault lui, sauve son scalp, laissant au traître habituel (son alter égo François) le rôle du traître. Lui conserve sa niche contestataire. La CGT rangée au rayon du marketing télévisuel, remisée aujourd’hui  en syndicat acteur du spectacle pitoyable de la débandade sociale. Tout ceci serait aussi insignifiant que ces acteurs s’il n’y avait pas des Hommes sacrifiés. Trois semaines de luttes exténuantes physiquement et nerveusement, de sacrifices sur les salaires, purgés en seize secondes. Le dévouement d’une partie des salariés soldé à l’encan du journalisme d’état, et de la basse œuvre spectaculaire du dialogue social. Qui aura les mots pour expliquer ce dialogue aux lycéens fraîchement entrés en lutte, au quinquagénaire devant son brasero dont une dizaine de journées payées sont parties en fumée ?

Après avoir synchronisé toutes les attentions pendant une petite heure, apprêté le public au climax du spectacle, L. Parisot porte l’estocade aux représentants syndicaux. F. Chérèque acquiesce d’un mouvement névrotique des cils, statufié par la méduse. B. Thibault fixe le lointain, penaud. La France décroche un dialogue social sur l’emploi des jeunes et des seniors avec celle qui prétendait dans une fulguration existentialiste “La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?”. Que va bien pouvoir proposer le MEDEF, alors qu’il n’a rien cédé sur les retraites ? Sur quelles bases autres que libérales F. Chérèque pense-t-il pouvoir dialoguer ? Un nouveau tour de piste pour discuter de ce qui a pu être sauvé de la précédente négociation. Un joli coup de poker bien orchestré par Y. Calvi pour le compte du gouvernement. Rideau.

*Cette phrase issue de l’opuscule de V. Despentes qui a trait au féminisme peut sembler incongrue. Pourtant cette owni de la littérature contemporaine s’intéresse aussi à la domination, au viol, au libéralisme économique,…

Vogelsong – 26 octobre 2010 – Paris

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Nicolas Sarkozy et les retraites, l’instant Thatcher ?

« La guerre c’est la paix » G.Orwell – 1984

Que pèse la survie du système de répartition dans le combat qui l’oppose à la volonté forcenée de conserver le pouvoir ? Ce Graal politique, objet de toutes les tactiques, et  nécessitant la mise sous tension du pays dans son ensemble. La crispation sur les retraites illustre parfaitement le basculement des termes socio-économiques qui régissent l’espace public. La France avec 30 ans de décalage vit un instant Tatcher infligé par une droite vidée de sa substance républicaine, ne répondant plus que par réflexes conditionnés au péril du peuple. Celui qui renâcle à passer sous la toise du modèle global de la compétition économique totale. Celui qui bat le pavé, harnaché de pancartes, grimé de slogans, qui quémande, à force de blocage et en dissipant une énergie infinie, l’ouverture d’un dialogue. Un simple dialogue. La France de 2010, après trois années de complète apnée, mais aussi d’oubli d’elle-même se retrouve. Un peu. Non pas pour marcher vers le progrès, mais pour endiguer le mépris et le cynisme. Dans une épreuve de force asymétrique. Où il n’y a rien à gagner, juste s’épargner l’inconcevable. Rien à gagner, à part, peut être l’opportunité d’exister.

L’instant Thatcher

En 1984, les mineurs anglais commençaient un conflit qui finira (l’année suivante) brisé sur l’inflexibilité de la dame de fer. La même année, étrangement, la droite française organisait l’une des plus grandes manifestations du pays. En réponse à la loi Savary, tout ce qu’il y a de conservateur en France faisait débonder les boulevards parisiens en passant la barre du million de personnes. N. Sarkozy n’est pas M. Thatcher. La France n’est pas le Royaume-Uni, pourtant sur quelques points, apparaissent des similitudes. On observe de manière saillante à chaque fois la volonté d’humilier l’autre, les autres. En France N.Sarkozy en fait une question politique, une condition sine qua non pour souder son camp en vue des présidentielles de 2012. La question économique agitée comme prétexte, celle de l’obligation de réformer s’avère finalement accessoire. Bien que sur toutes les ondes, les dictaphones de l’UMP tournent en boucle sur l’impérieuse nécessité du projet. De ce projet. Il n’y a aucune alternative, aucun dialogue. Ce n’est pas sans rappeler le leitmotiv thatchérien, le TINA préalable à toute décision politique. L. M. Chatel par exemple déclarait sentencieux et définitif « la réforme des retraites n’est pas une option ». En substance, tout ce que fait le gouvernement n’est ni un choix, ni une alternative, ni le fruit d’une vision politique, mais la seule et unique solution à un problème donné. Quel qu’il soit. L’annihilation du débat, le blanc seing technocratique comme seul horizon politique. Pourtant loin de la neutralité présupposée, le projet de réforme s’inscrit dans une dynamique de libéralisation économique. Option dogmatique que beaucoup de commentateurs dénient à N. Sarkozy.

Le mouvement immobile du pouvoir

L’affirmation que F. Fillon premier ministre se situe dans la mouvance politique de la droite sociale suffirait certainement à englober l’absurdité de la situation. Tout devient possible avec le langage. On substitue la vérité par une affirmation que l’on renomme vérité. On fabrique des artefacts que l’on jette quand ils ne servent plus. Le 18 octobre 2010, le ministre des Transports déclarait qu’il n’y avait pas de pénurie d’hydrocarbures. De manière débonnaire, avec la sûreté qui sied à la vérité profonde. Alors que dans le monde physique des dizaines stations-services versaient leurs dernières gouttes d’essences. Mêmes affabulations dans les rapports chiffrés du taux de grévistes. Une communication bien planifiée dans la perspective de saper les volontés. Briser la conscience commune de participer à la même action. Dans une unité qui s’affranchit de l’espace pour atteindre un objet collectif. Face à cela, on essaie de déployer une rationalité numérique. La froide sentence qui quantifie l’échec. À la seule condition que les trains roulent. Mais la poisse, ils ne roulent pas. Ou très mal.

L’opinion, construction éthérée nécessaire au consentement, trahit ses maîtres. Jusqu’en mai 2010, le gouvernement s’appuyait sur le concept pour vendre son projet. Depuis, plus aucune référence. Une géométrie variable que l’on constate aussi sur l’attitude vis-à-vis de la mobilisation des lycéens. Pas assez matures pour montrer leur désaccord dans la rue, mais assez pour devenir auto-entrepreneurs. Pas assez responsables pour s’occuper de la retraite, mais à 13 ans assez âgés pour être pénalement responsables.

Les mineurs anglais ont mis un an à crever. Sans rien obtenir, mais surtout en perdant toute crédibilité. Plus que le projet de fermeture des mines M. Thatcher* a humilié un monde. Terrassant l’infâme ennemie ouvriériste. Le mouvement social en France ne s’éternisera pas, mais la même tournure d’esprit habite la droite. Éradiquer la contestation, la mettre à genou, pour démontrer à la manière « gramscienne » que le nombre ne suffit pas, seule la volonté l’emporte.

A. Minc, le petit mandarin du Tout-Paris moque les lycéens qui manifestent, les grévistes privilégiés qui s’accrochent à leurs avantages. Un mépris affiché, jeté à la face de ceux qui luttent. Et qui luttent pour eux, mais aussi et surtout pour les autres. Ce qui manque à A. Minc, ainsi qu’à une partie de la droite c’est la faculté d’intégrer quelques données simples. Le seul moteur des décisions humaines n’est pas la cupidité. La société est là, les personnes ne sont pas des atomes errants à la recherche exclusive d’une satisfaction égotique. Humains, ils tissent des relations, des affects qui dépassent le calcul rationnel profitable. Choses que la désaffection libérale a pensé annihiler. La mauvaise nouvelle d’octobre 2010, c’est que la société existe toujours.

*M. Thatcher le 31.10.1987 « And, you know, there is no such thing as society. There are individual men and women, and there are families.« 

Vogelsong – 18 octobre 2010 – Paris

Les retraites, une prise d’otages présidentielle

“Le grand forestier ressemblait ainsi à un médecin criminel qui d’abord provoque le mal, pour ensuite porter au malade les coups dont il a le projet” E. Jünger – Les falaises de marbre

Les coups de billard à quatre bandes donnent l’air intelligent, surtout quand on a fait mine de les anticiper. D. Schneidermann du site “arrêt sur images” épingle T. Legrand dans sa lecture du conflit sur les retraites. Pondre une chronique quotidienne fatigue. La spéculation laisse même la place aux élucubrations. Le journaliste de France Inter représente assez bien la pensée “complexe” anti-luttes sociales. Une tournure d’esprit où tout conspire contre la gauche, sauf quand elle baisse la garde, s’affadit, et devient “raisonnable”. De droite. Une conception de la politique hypnotisée par les faits et gestes du président de la République. Car finalement quoi qu’il fasse, il est le plus malin et il gagnera. A bien y réfléchir on peut se demander si T. Legrand et ses confrères, dans ce schéma prophétique ne le souhaitent pas ardemment, même malgré eux.

L’alchimie des manifestations

La France adore la mystique des manifestations et des luttes sociales. Le conflit sur la contre réforme des retraites n’y coupe pas. Chaque bord scrute la manipulation d’en face. Chacun y va de son augure sur la destinée du mouvement. D’un côté, la projection fantasmatique de lunes révolutionnaires. On vitupère contre les syndicats marcheurs, incapables de renverser le gouvernement et d’entraîner le pays dans une guerre civile. Dont l’issue, on le sait, annoncera une aube nouvelle dans une société nouvelle. Une croyance fortement ancrée dans une grande partie des manifestants. La force ultime des luttes sociales de l’hexagone. Une volonté farouche nourrie de cette part d’utopie qui rend toute chose possible. Et qui, de fait, donne son souffle aux démonstrations populaires. Sauf que, dans le présent cas de figure la révolution s’avère hors de propos. La retraite par répartition qu’ils se sont donné de sauver issue d’un consensus réformateur d’après-guerre n’est pas d’essence révolutionnaire. Révolutionner la société par la rue repose sur un tout autre projet. Dont on peut imaginer qu’il réunirait bien moins de monde.

De l’autre bord, le verbiage mielleux de la soumission loin des masses croupissantes tient lieu de réflexion. Une supériorité affichée du politologue stakhanoviste dont la pensée supérieure engloutit par sa fulgurance la petitesse d’esprit du péquin larmoyant sur ses deux longues années supplémentaires de turbin. Le commentaire au lieu de l’action, la spéculation politique en écran de fumée. T. Legrand comme les siens ne peuvent voir ce qu’il se passe. Ils l’interprètent au travers du commentaire politique. Prisme déformant étalonné à leur petit égo d’éditorialistes multicartes. Tournant autour de la seule question intéressante, la manière dont N. Sarkozy gagnera les présidentielles de 2012.

Débat pris en otage

Le président ne cèdera pas. Non pas parce qu’il est inflexible, courageux, pugnace, visionnaire, ou on ne sait trop quoi. Il ne cèdera pas parce que l’entièreté du débat s’est focalisée sur sa prétendue intransigeance. Une prophétie autoréalisatrice sur les (supposés) atouts présidentiels. L’alpha et l’oméga du projet de contre-réforme se cristallisent sur la capacité de résistance du patron de l’Élysée à la pression incohérente de la rue. Une résistance qui lui ouvrirait grand les portes d’un second mandat. Divagations politologiques aussi solides que la lecture dans les entrailles de poulets. Cela implique une forte amnésie populaire doublée d’une propension immodérée à réélire un incompétent notoire. Pas impossible si on estime que les Français sont des veaux informés par des butors, mais néanmoins discutable. Mais plus que ça c’est oblitérer l’enjeu fondamental du sujet. Oublier que ce qu’il advient avec la modification des régimes de retraites altère substantiellement l’existence des Français. Ce qui importe, c’est l’ici, le maintenant. Pourtant, on continue de proférer des allégations qui consistent à faire d’une lutte sociale la primaire pour les présidentielles de 2012.

De manière assez cocasse T. Legrand publiait en janvier 2010 un ouvrage intitulé, “Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre notre temps”. Il y contait un univers médiatique fasciné par les faits et gestes d’un oligarque qui occulte les vrais enjeux politiques. Et pourtant, le même (avec bien d’autres) amplifie les gesticulations par des conjectures électoralistes et politiciennes. Par exemple la position imparablement inconfortable du PS dans les manifestations. Un parti dont il est bon de dire, et de répéter qu’il ne propose rien mais qu’il pousse au crime. Ou bien concernant les propos oiseux sur le sérieux de la participation lycéenne. Et ce, non pas sur une base d’une discussion à propos de leur avenir, mais sur les fondements sarkozistes de la sécurité et de la rectitude.

Quelqu’un, comme T. Legrand ou ses confrères, pourrait glisser au président que s’il décidait de (re)discuter de son projet de contre-réforme, il pourrait aussi gagner en 2012. Que T. Legrand comme ses semblables pourraient même lui faire gré d’une certaine posture consensuelle. Celle qui donne à un politicien la potentialité de devenir président de la République (réélu). Nenni, il est davantage galvanisant de s’improviser vaticinateur du prince, et de conter ses fortunes.

L’approche reptilienne des relations sociales par le Président, dans le cas présent celui des retraites, s’apparente plus à l’attitude d’un maniaque. Attitude bien mise en scène par les commentateurs. Une boucle infernale sans issue. Pourtant, si on écoutait attentivement ce que veulent les opposants au projet, il poindrait une nuance subtile avec l’attitude de forcené du chef de l’état. Une opposition populaire qui quémande à coups de jours de grèves, de manifestations et de blocages, un tour de table prenant en compte tous les avis concernant une modification substantielle du mode de vie des Français. Une attitude qui serait vulgairement démocratique.

Vogelsong – 13 octobre 2010 – Paris

Pierre Laurent, nouvel architecte du Parti communiste ?

“…jusqu’à l’architecture de son siège, immeuble de verre sans secret, vitrine illuminée aux lumières des métamorphoses « in » de l’appareil. Formation de compromis entre la séduction et l’ère révolue de la révolution, le Parti communiste joue simultanément des deux cartes se condamnant avec obstination au rôle de séducteur honteux et malheureux. » G. Lipovetsky – L’ère du vide in « Séduction non-stop” – 1997

Bien lesté par les lourdeurs de l’histoire, on pénètre dans le Saint des Saints, suivant des traces profondes d’une mémoire chargée et glorieuse. On entre dans le bâtiment d’O. Niemeyer place du Col. Fabien, à reculons, rivé sur le XXe siècle. Tout y contribue, une atmosphère plombée, un ciel d’acier, des camarades qui déambulent le regard léthargique. Pourtant, il faut faire face, sortir des clichés, lâcher la rampe, s’affranchir de ce que l’on imagine être une mystique. Pour y rencontrer P. Laurent le récent Secrétaire général du Parti communiste français. Personnage énigmatique, peu connu sinon comme fils de, en charge d’un fort héritage, et d’idées qui dit-on, sont sur le déclin.

Une heure d’échange où l’on mesure un déphasage. Celui qui existe entre la préparation dans un café cossu pour la gentry du centre de Paris et l’entretien en question. L’idée première était de lancer la discussion sur une phrase de l’ancien premier ministre de droite, J.P. Raffarin. Dans Libération 1er octobre 2010 celui-ci déclarait que “Face à la crise, les citoyens réagissent de manière plus individuelle. Les solutions collectives n’apparaissent plus comme efficaces, mais si les idéologies sont fragilisées, les valeurs restent vivantes.

Une bonne entame pour parler du communisme, des utopies perdues, et de la marche du monde. Une bonne entame pour parler de l’idée de partage, de changement de société. Mais refus d’obstacle, préservation aussi, d’une certaine intégrité dans un lieu symbolique. Impossible d’évoquer l’homme du service marketing de Jacques Vabre, celui des aphorismes ridicules tels que “La route est droite, mais la pente est forte” et “To Win the Yes needs the No to win against the No !”. Renoncement en forme d’éthique molle, hygiène intellectuelle de gauchistes et de coquetterie (sûrement malvenue). On se dirige alors paisiblement vers un entretien où P. Laurent prend le temps d’exposer ses vues. C’est ce qui suit :

  • L’idée communiste a de l’avenir dans le XXIe siècle

  • Le grand affrontement actuel entre N. Sarkozy et la société française c’est sur la remise en cause d’un modèle social qui a été invité à la libération par le Conseil National de la Résistance et dans lesquels les communistes avaient pris une part importante.

  • Quand Sarkozy fait sa sortie sur les Roms cet été, il croit qu’il fait un bon coup

  • Quartiers populaires – “On a perdu des batailles, on en gagnera d’autres

  • Retraites – “Ce n’est pas 3 millions de personnes qui ont manifesté, c’est beaucoup plus que ça

  • Retraites des femmes – “La réforme gouvernementale totalement inadaptée. Une réforme qui ne sauve pas le système. Une réforme qui amplifie les inégalités

  • Retraites et Sarkozysme – “Ils ont cru à son discours sur la revalorisation du travail

P. Laurent annonce que sa mandature comme secrétaire national ne sera pas la dernière du Parti communiste. Le parti a un avenir, les idées qu’il porte aussi. Selon lui, la difficulté essentielle réside dans la mise en adéquation avec le peuple. La manière d’y parvenir ne semble néanmoins pas très claire. Sera-t-il le 3e personnage de transition après G. Marchais ? Un régent supplémentaire préposé à la mémoire des luttes. Veilleur symbolique d’un électorat peau de chagrin. Ou sera-t-il l’architecte d’un nouvel élan communiste, enfin dépouillé des expériences catastrophiques, affranchi de ses épais murs de béton du XXe siècle ?

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Vogelsong – 10 octobre 2010 – Paris

La cause des femmes au secours de la contre-réforme des retraites

“Donner la priorité à la lutte contre les écarts de salaire, voilà l’un des principaux défis pour améliorer la retraite des femmes. Ce défi est réel, il est colossal, il concerne absolument toutes les femmes” E. Woerth – N.Berra – N. Kosciuzko-Morizet – G. Tron – N. Morano – le Monde 4 octobre 2010

Comme une habitude, s’appuyer sur un progrès pour instituer un recul. La contre-réforme des retraites hoquette. Une opinion revêche, des manifestations solides, pourtant tout est mis en oeuvre pour clore le processus au Sénat. Les arguments d’autorités sur le problème de l’espérance de vie n’ont pas porté leurs fruits. La mort est devenue un problème. Il faut donc en passer par le sexe. L’inégalité salariale hommes-femmes s’invite donc dans le débat. L’entrée de la question de genre, accompagnée de quelques avancées sur le sujet pour faire passer le tout. La dernière phase, semble-t-il, d’une mécanique de persuasion bien pensée.

Méthodologie du dressage

Le gouvernement veut porter l’estocade avec la question féminine. Les syndicats, l’opposition ont pointé les lacunes d’un allongement de l’âge légal de départ à la retraite (de 60 à 62 ans), ainsi que celui du taux plein (de 65 à 67 ans) pour les femmes. Elles font des carrières moins régulières, et perçoivent en moyenne des salaires moins élevés. Ce qui devait être un argument déterminant face à la contre-réforme des retraites a judicieusement été retourné par le gouvernement. D’une situation d’inégalité générale sur la question de la répartition, la communication de l’Élysée a trouvé un point d’appui sur un aspect spécifique du projet. Un processus habituel d’individualisation dans le cheminement des politiques néo-conservatrices. Une stratégie qui permet d’éparpiller les forces. Et dont l’objectif consiste à raboter les résistances en consentant aux moins mécontents de menues concessions.

L’UMP découvre la lune

E. Woerth le 21 septembre déclarait au parisien que “La plus grosse injustice (…), c’est l’écart de salaire entre les hommes et les femmes”. Il découvre enfin, au crépuscule de son mandat l’ampleur du travail qui l’attend dans son ministère. Il a surtout pris conscience de l’immense potentiel que représentait l’argument progressiste “féministe” dans la bataille sur les retraites. Le 4 octobre, juste avant l’arrivée au Sénat, N. Kosciusko-Morizet, N. Berra, G. Tron, N. Morano viennent au secours d’E. Woerth dans une tribune du Monde commençant ainsi “les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes demeurent une injustice criante, c’est une évidence et c’est inacceptable. La réforme des retraites voulue par le président de la République est l’occasion de progresser ensemble sur cet enjeu de société”. S’en suit une série de “désintoxications” sur l’argumentaire des “anti-réformes” concernant le travail des femmes. Une désintoxication partisane, mais plutôt bien sentie, qui ne brille pas par la limpidité ou la fulgurance de l’argumentation, mais par sa focalisation sur une partie du problème. Une focalisation qui permet de faire passer le reste. Le gouvernement possède encore quelques francs-tireurs capables de dégainer de minimes avancées pour emporter la totalité de la mise. Comme G. Larcher, qui lui aussi, très préoccupé par la condition féminine propose de conserver l’âge du taux plein (65 ans) pour celles qui auront eu trois enfants. Une certaine conception du féminisme.

Mauvais interlocuteurs

Tombés des nues, les promoteurs du projet de l’UMP s’appuient sur une situation qui perdure. Rien n’a été fait sur les disparités de salaires, mais cette tare sert de levier pour emporter l’assentiment. On découvre le “féminisme” presque 40 ans après le premier texte de loi instituant l’égalité salariale, en l’occurrence la loi du 22 décembre 1973 et le décret du 15 novembre 1973 qui posent le principe de l’égalité des rémunérations auquel est assortie une sanction : celle de la nullité de plein droit de toute disposition contraire. On découvre aussi l’alinéa 3 du préambule de la constitution de 1946 qui reconnaît que la “loi garantissait à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”. Cette situation demeure, elle n’est pas imputable à l’UMP spécifiquement. Mais en utiliser le motif pour asseoir un recul social relève de la mauvaise foi crasse. Les syndicats ne sont pas les bons interlocuteurs dans ce cas de figure. Les décisions de management et de politique salariale ne se prennent pas au siège de la CFDT. Elles sont l’apanage exclusif des directions d’entreprises. Une fois les dispositions de grilles respectées et le salaire minimum atteint, les sociétés font ce qu’elles souhaitent. Dans l’éditorial des mousquetaires de l’UMP, il n’est à aucun moment fait mention du MEDEF, de la CGPME ou d’une autre organisation patronale. Organisation potentiellement capable de remédier au problème si crucial des écarts de salaires. À moins que ce soit l’État, le ministère, ou bien celui qui peut tout en France : N. Sarkozy. Parler de disparités de salaires dans ce contexte c’est prendre le problème par la fin. Mélanger causes et conséquences.

L’équité au secours de l’inégalité s’inscrit dans la communication habituelle qui accompagne le recul de droits acquis. Les questions de progrès sociétaux se retrouvent souvent dans la panoplie argumentaire des néo-conservateurs. Ces questions sont souvent avancées pour les opposer aux droits sociaux. L’UMP par exemple n’a aucun tabou à évoquer l’égalité des sexes, la non-discrimination dans les entreprises. Cette communication de crise, bien que touchant des thèmes cruciaux, sert principalement à distraire le public de l’enjeu principal. Faire miroiter des avancées marginales dans une problématique générale. En l’espèce, le recul pour tous (hommes, femmes, maris, épouses, concubins, amies, frères, enfants, etc.) et avec pertes et fracas d’un droit primordial, celui de finir décemment ses jours.

Vogelsong – 5 octobre 2010 – Paris