Blogueur en campagne – François Hollande

“Plus ils sont exposés meilleurs ils sont…. Après il ne faut pas se bruler” F. Hollande parlant des candidats à l’élection présidentielle – Le 6 septembre 2011 à l’annexe de l’Assemblée nationale

Une escouade fantôme de blogueurs bavarde avec M. Aubry, une vingtaine selon les réseaux sociaux. Le soir même F. Hollande recevait dans l’annexe du Saint des Saints de la représentation nationale, une longue brochette de blogueurs politiques (ceux bien identifiables). Nouvelle configuration dans le paysage médiatique ? Difficile de décrypter les signes et signaux. Quand par envie, par la force des choses, on participe à la lente gesticulation.

Blog versus politique

Les entretiens politiciens-blogueurs ont des caractéristiques particulières. Une spécificité studieuse où chaque convive arrive là avec le sentiment de pouvoir apporter quelque chose au débat, que l’on peut jauger à l’épaisseur du nombre de pages de calepin grattées en préparation du happening. Nourrir le débat certes, mais de façon étonnement biaisée. Car plus que le caractère studieux, on mesure à quel point on se fond imperceptiblement, mais inéluctablement dans le cadre imposé. Les internautes, si petits soient-ils, ne représente rien, mais surtout personne. Approcher les figures du papier glacé s’avère souvent une expérience complexe, frustrante et piégeuse.

Les propos de l’entrevue avec F. Hollande seront largement diffusés. Trois caméras, prises de son, une douzaine d’invités, des proches, des membres du parti. La question de la furtivité ou anonymat sera laissée au vestiaire. Comment participer tout en restant discret, dans un même temps afficher ses opinions et rendre compte ? Un cap compris, mais difficilement franchi.

Le blogueur tend à mimer la posture de l’intervieweur professionnel, c’est-à-dire le journaliste, davantage rompu à l’exercice. La performance s’en ressent. Pour de multiples raisons : Proximité de vues et éloignement du langage. Quand un Hollandiste questionne un Hollandiste ? Quand un militant gorgé d’informations s’attaque à un animal politique et reproduit les circonvolutions selon les mêmes schémas de pensée ? Ou quand à gauche on ne veut pas saboter (symboliquement, s’entend) ce qui pourrait être sa seule planche de salut pour sortir du cauchemar Sarkozien ?

Politique versus blog

Sur le fonds, le candidat aux primaires, charmant, exécute sans coup férir chacune des questions qui lui sont proposées ; mondialisation, protectionnisme, immigration, sécurité, nucléaire, organisation de l’État, fiscalité. Parfaitement à l’aise et structuré dans le déroulé argumentaire. Une certitude, les échéances de l’année électorale qui s’ouvre, sont parfaitement maitrisées. Trois points saillants toutefois :

Le 20 juillet 2011, F. Hollande avait promis de rencontrer les réfugiés tunisiens de Botzaris. Manifestement il est embarrassé par la “polémique” que suscite cet engagement public, pour l’instant non tenu. Très assertif, il tient à clore ce très symbolique sujet. Soit en programmant un déplacement sur place, soit en organisant une rencontre.

Sur ses options économiques, on aura droit, là comme tout au long de la campagne (certainement) à une approche ultra-orthodoxe de l’économie, calibrée aux standards du libre-échange et de la compétitivité. Dans l’impossibilité de penser le protectionnisme, les barrières douanières, et le démondialisation (même intelligente). Égratignant au passage ses adversaires du moment A. Montebourg et S. Royal (sans les citer). Le paradigme du candidat sérieux, dans l’obligation de coller à la réalité (pré-)fabriquée par trente années d’hégémonie du libre-échange servi à toutes sauces d’experts et de journalistes. En sortir c’est (en plus de se dédire) faire figure d’iconoclaste, prendre le risque de se couper de sa base partisane et culturelle. Apparaître comme clivant. Plutôt que neuf (“pas nouveau”), apaisant, “jeuniste” et normal.

F. Hollande a tranché, il préfère être un candidat “mainstream”, plutôt qu’un candidat de changement (de système). Il s’oppose ainsi au Sarkozysme de 2007 dans la forme, celui de la rupture (libérale) et du vote “vieux”. Un challenge risqué quoiqu’il puisse dire sur l’empathie des anciens sur leurs descendances. En 2007, l’élection de Sarkozy a montré que l’individualisme (des vieux) l’avait largement emporté sur la capacité à faire un choix collectif et trans générationnel (billet à suivre – La stratégie Hollande).

Ils ont voté comme prévu pour leurs intérêts. Auront-ils changé d’état d’esprit après les coups de grisou de 2008 et 2011 ? Se rappelleront-ils qu’ils vivent dans une société ? Croit-on encore en une forme de solidarité ? L’équipe de F. Hollande en a fait le pari.

Vogelsong – 7 septembre 2011 – Paris

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Primaires, destination finale

“Ce parti n’est pas aimable” Un responsable socialiste

On fourbit ses armes avant le moment fatidique. L’instant crucial de la votation. La gauche organise des primaires pour désigner le candidat qui la représentera lors de l’apothéose démocratique de la Ve République. Un spectacle avant le spectacle, un tour de chauffe autour de ce que les promoteurs de l’évènement considèrent comme un évènement démocratique. Même au-delà, de C. Barbier à I. Rioufol en passant par Y. Calvi toute la quincaillerie de la médiasphère évoque ce moment électoral, ce vote “a prime”, comme un projet louable. Mais de quelle démocratie parle-t-on ?

Il ne va d’abord pas de soi que voter garantit le processus démocratique. On se gargarise largement de ce moment ouvert à tous les citoyens. Leur donnant l’occasion (si fugace) de s’exprimer. Or on le sait depuis la Grèce Antique, le vote ne garantit rien. On lui préfère même, parfois, le tirage au sort. Ce que J. Rancière décrit âprement dans son ouvrage “La haine de la démocratie”. Il y fustige les préposés aux élections issus essentiellement des mêmes milieux sociaux, leur conférant un habitus quasi identique, une similaire tournure d’esprit face aux questions de la cité. Une classe d’élus tirés du même substrat bénéficiant d’une position au départ et de moyens pour parvenir à se hisser au sommet des institutions. Même si cela nécessite un effort violent de prise de pouvoir. Et bien que violent, il le sera toujours moins que pour le quidam sortit de l’humus plébéien. Violent aussi parce que la capacité à toucher les cimes de la démocratie en se présentant à l’élection ultime précède une “vie politique” bornée de coups bas, de traitrises et de reniements. Tout ceci ne résout en rien problème démocratique, mais y penser en se rendant aux urnes peut éclairer d’une autre lumière l’évènement. D’entendre d’une autre oreille les cris de ralliement des socialistes en frénésie, et les hourras journalistiques en manque de substance.

Et de substance finalement, il en manquera. Non pas parce que l’on se focalise sur la gestuelle, les postures et petites phrases de candidats. Sorte d’enduit médiatique, servant à coller les éléments disparates de séquences dont on doute de l’issue, et même du sens. Mais plutôt parce que le spectre politique présenté par le parti dominant à gauche (le PS) recoupe presque exactement l’offre politique hexagonale dans son ensemble. Soit il représente parfaitement la politique française, et dans ce cas caracolerait à la tête des institutions. Soit il s’agit d’un mimétisme sclérosant de la représentation de la société française. Il est intéressant de constater que l’offre politique multipolaire des primaires est constituée d’un noyau central composé de deux candidats majoritaires (F. Hollande et M. Aubry), à qui l’élection selon les commentateurs ne pourra échapper. Et dont les idées sur le fond ne se distinguent que par quelques nuances. Puis de chaque côté une offre minoritaire, un paravent pluraliste. A. Montebourg occupant symétriquement la position tribunitienne de J. -L. Mélenchon. Le reste des candidats se situant à la droite du binôme majoritaire. S. Royal étant loin et ailleurs…

La question ne tient pas dans l’assimilation du duo leader à l’acronyme “UMPS”. Quatre années d’UMP suffisent pour mesurer l’amplitude entre le décent et l’indécent, le compétent et l’aberrant. Mais s’interroger sur la capacité d’une formation politique progressiste à proposer quelque chose de différent. De penser autre chose qu’une société défaillante en tous points. Tous les candidats s’en remettent à la croissance quelle que soit sa forme. Une pensée magique largement partagée chez les experts (on ne sait qui influence qui). Or de croissance il n’y en a pas depuis 30 ans et compte tenu de l’organisation économique, elle ne reviendra pas. Aucun des candidats dits sérieux ne souhaite sortir des terrains balisés. La démondialisation, tentative de penser autrement, et même approximativement autre chose, reléguée au rang d’incongruité teintée de xénophobie. Le PS travaille, phosphore, mais surtout tourne en boucle sur des idées éculées, des grosses ficelles usées. Un peu plus ou un peu moins d’impôts, réorganisation de l’appareil de l’État, sécurité versus prévention (la nuance étant dans le dosage). De loin cela représente un consensus centriste. Le rêve des experts, commentateurs et politologues, psalmodiant une France apaisée, peu rétive aux réformes avec comme toile de fond un sempiternel pacte social. Un citoyen sommé de choisir entre des produits déclinés sans saveur et des élites en perpétuelles promesses de changement.

Le Spectacle Politique tient plus d’un régime de sevrage aux idées nouvelles, à la domestication électorale par réflexe démocratique, que d’une réelle participation à un changement. Se séparer de la clique actuellement aux affaires reste la raison à peine suffisante pour participer. Quoi que…

Vogelsong – 1er septembre 2011 – Paris

Nb : Dans le Nouvel Observateur du 1er septembre L. Joffrin commet un article qui vient conforter ce qui est dit plus haut.

Le spectacle continue au PS

Les esprits chagrins pointent la propension à juger du verre à moitié plein. Les primaires au PS ou à gauche, ou dans le camp d’en face se profilent. L’intention est louable, les efforts colossaux. Ce qui marche pour N. Sarkozy et sa légion silencieuse laisse toujours un goût d’inachevé à gauche. Les « opposants » au leader conservateur sont en mouvement, enfin. En place pour un grand show sanglant. Les hiérarques du parti présidentiel vont pouvoir contempler et boire du petit lait. Dans l’attente d’achever d’hypothétiques survivants.

TNIl n’est pas trop tôt pour penser à l’échéance primordiale de 2012. Pour les poujado-conservateurs, les choses sont entendues. On ne change pas une marionnette qui triomphe. C’est humain. Compte tenu des enjeux économiques, mégoter même une victoire crasse serait déraisonnable. Le script semble acquis, les Français finalement friands de dynasties vont avoir leur polichinelle. Le reste (valeur travail, pragmatisme économique, sécurité…) n’est que littérature et packaging.

Devant ce néant, la gauche de gouvernement rejoue un spectacle dont elle seule connaît les ficelles. Une tragédie maintes fois ressassée, maintes fois interprétée. O. Ferrand du « think tank » Terra Nova monte le nouvel opus. Diplômé d’HEC, énarque et haut fonctionnaire, il présente son projet de primaires à gauche comme un choix clair entre « H. Emmanuelli ou B. Hamon et E. Valls« . Et pourquoi pas entre « S. Royale ou D. Strauss-Khan* et L. Blum » tant qu’il y est ? Mettre fin à la crise de leadership en poussant dans l’arène les hypertrophiés de l’égo. Et trancher, pour soulager ce corps politique stérile et sclérosé. L’ancien conseiller de L. Jospin travaille ardemment à la création d’une alliance « arc-en-ciel ». Le conseiller au grand emprunt mandaté par N. Sarkozy s’inspire de l’expérience magnifique de R. Prodi*. La stratégie de recentrage par l’exercice démocratique est en marche.

La perspective de nouveaux psychodrames au PS est saluée par les médias avec entrain. Le PS est un sujet inépuisable d’articles au vitriol et de bons calembours. Et psychodrame, il y aura. On reprend les mêmes (qu’à Reims), en y ajoutant les quadras et d’autres, si l’on s’en tient à la parole de M. Aubry. Chacun croit en sa bonne étoile. Conscient qu’il est médiocre, mais lucide sur l’absence de géants en lice. Les factions échafaudent en catimini des scénarii victorieux pour leurs champions. Une paix armée s’instaure en attendant le massacre.

Lors du congrès de Reims, la S. Royale, seule, avait rassemblé la moitié (et plus pour certains) des militants. Cette base paraît suffisante pour asseoir son avance sur les sympathisants de gauche. Son positionnement anti-système PS pouvant lui servir de sérieux argument.

Pour éliminer la présidente du Poitou-Charente, l’appareil du parti mise sur ces mêmes sympathisants. Tempérer l’engouement en interne de S. Royal par une frange des électeurs « de gauche » bien plus rétifs à recommencer l’expérience de 2007. En effet, les enquêtes d’opinion donnent D. Strauss-Khan en tête des candidats les plus sérieux pour battre N. Sarkozy. Au PS, les prophéties auto-réalisatrices sondagières pourraient servir les ambitions du directeur du FMI. Beaucoup y pensent, en particulier les instigateurs du processus de primaires. Seul subsiste un contre temps dû à ces responsabilités internationales que l’ancien ministre négociera sans mal.

La direction du PS annoncera les modalités du scrutin à l’automne. La danse macabre pourra alors commencer. Avec un ressentiment et une haine tels que les uns pensent éradiquer, impitoyablement, définitivement les autres.

Ensuite, le MODEM, et les verts entreront dans la mêlée. À moins que F. Bayrou ose d’emblée. En septembre 2007, J. Dray avait évoqué l’hypothèse d’une OPA de l’ancien ministre balladurien sur la gauche. Cela avait beaucoup amusé son auditoire…

Que cela se fasse sur une primaire, lors d’alliances ou au second tour de la présidentielle, chacun pense, surtout en jaugeant les autres, qu’il peut être le leader de l’opposition. Derrière les déclarations, les leaders ont en tête des hypothèses pour appliquer le baiser de la mort à leurs (ex-)partenaires.

Au mois d’août 2009, l’euphorie d’une initiative (comme les primaires) à gauche cache les prémices d’une séquence sanglante. Une faction aura le droit d’exister. Toutes les autres accumuleront encore des rancoeurs. Les fabiusiens, strauss-khanien et autres aubrystes mettront-ils encore toutes leurs forces pour soutenir S. Royal dans une campagne électorale si elle vire en tête ? Et la réciproque ? Le Nouveau Centre présentera un candidat, combien d’électeurs du MODEM se réfugieront (en cas de frustration) dans ce vote conservateur ? Quid des candidatures sauvages ?

Discréditer toute démarche « positive » à gauche, comme les primaires est un exercice facile. Cette initiative permet, il est vrai, l’amorce d’un mouvement. Personne ne battra N. Sarkozy en demeurant statique. Personne ne battra N. Sarkozy en se présentant lessivé par des luttes intestines. À gauche chaque initiative se transforme en mauvaise solution. L’exercice consiste alors à choisir la moins pire en tentant de limiter les écueils. Le recentrage issu d’une élection primaire annonce de belles empoignades programmatiques et idéologiques. Un boulet que traîne la parti socialiste et dont il n’est pas prêt de se défaire.

*dont O. Ferrand fut (aussi) conseiller (D.Strauss-Khan pendant les primaires 2006, R. Prodi, L. Jospin, une belle collection de gagneurs)

Vogelsong – 31 août 2009 – Paris