L’enterrement théâtral du mouvement social par Yves Calvi, François Chérèque et Laurence Parisot

  • Petit spectacle télévisuel à usage propagandiste

“D’où cette proposition simple : allez tous vous faire enculer, avec votre condescendance à notre endroit, vos singeries de force garantie par le collectif, de protection ponctuelle ou vos manipulations de victimes…”* V. Despentes – King Kong Théorie – 2006

C’est une page d’histoire qui s’écrit, puis qui se tourne. Devant les yeux abêtis de ceux qui la regardent et qui l’ont faite. En octobre 2010, tout conspire à la seule issue raisonnable à la protestation qui secoue l’hexagone. Celle que le cercle de la raison auto-proclamé a décidée, quoi qu’il arrive, d’imposer. Le laminoir de la vérité, exigence sommitale qui nécessite une mise en spectacle. C’est une page d’histoire qui s’est écrite et qui se tourne. Une histoire circulaire où les mêmes plastronnent ivres de leur puissance, les mêmes trahissent pour une pitoyable aumône. Enfin, les mêmes donnent le change et perdent leurs frocs.

Seize secondes de bonheur

La lumière crue d’un plateau de télévision a pu révéler, l’espace fugitif d’une image l’incarnation même de la veulerie. Tout se passe comme si se nouait devant les yeux du monde l’histoire d’un mouvement social et la sortie par le haut de tous ses acteurs. Le spectacle politique en cette soirée du 25 octobre 2010 a pu dévoiler la théâtralisation de la soumission aux puissants. Y. Calvi journaliste d’accointance gouvernementale sautille frénétiquement sur son siège. Il a dénoué le conflit sur la “réforme des retraites”. In extremis à la fin d’un plateau, il obtient ce que trois semaines d’efforts populaires n’ont pas réussi à extirper. Dans l’interstice laissé frivolement par le publiciste majordome, L. Parisot conclut en seize secondes un accord de négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors avec F. Chérèque. Tout le reste alors devient superfétatoire. Deux heures de débats pour seize secondes. Seize secondes impromptues. La fameuse négociation que tout le monde attend soutirée par la marraine du projet de réforme au parrain des reculades sur les acquis sociaux.

Un théâtre de marionnettes

Qui va croire à cette grossière mise en scène ? Ce jeu de marionnettistes dont les cordes sont visibles depuis les boulevards de la capitale qui mènent à l’Élysée. Mais tout se passe comme si la grâce finalement saisissait les acteurs du conflit. Revenus à la raison, au moins pour l’un d’entre eux face à l’inflexibilité du guide de la République. Qui peut croire en ce film, mal produit ? Dont le prologue s’éternise, C.Estrosi le sourire cireux, les cheveux impeccablement teints qui ressasse les éléments de langage sur le démocratisme. Ces mêmes éléments recyclés par Y. Calvi, toujours en pointe dans son soutien à N. Sarkozy. Tel un séide du Figaro en transit sur la télévision publique déversant sa logorrhée antisociale, vaillamment juché sur sa déontologie journalistique.

Les insignifiants

B. Thibault lui, sauve son scalp, laissant au traître habituel (son alter égo François) le rôle du traître. Lui conserve sa niche contestataire. La CGT rangée au rayon du marketing télévisuel, remisée aujourd’hui  en syndicat acteur du spectacle pitoyable de la débandade sociale. Tout ceci serait aussi insignifiant que ces acteurs s’il n’y avait pas des Hommes sacrifiés. Trois semaines de luttes exténuantes physiquement et nerveusement, de sacrifices sur les salaires, purgés en seize secondes. Le dévouement d’une partie des salariés soldé à l’encan du journalisme d’état, et de la basse œuvre spectaculaire du dialogue social. Qui aura les mots pour expliquer ce dialogue aux lycéens fraîchement entrés en lutte, au quinquagénaire devant son brasero dont une dizaine de journées payées sont parties en fumée ?

Après avoir synchronisé toutes les attentions pendant une petite heure, apprêté le public au climax du spectacle, L. Parisot porte l’estocade aux représentants syndicaux. F. Chérèque acquiesce d’un mouvement névrotique des cils, statufié par la méduse. B. Thibault fixe le lointain, penaud. La France décroche un dialogue social sur l’emploi des jeunes et des seniors avec celle qui prétendait dans une fulguration existentialiste “La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?”. Que va bien pouvoir proposer le MEDEF, alors qu’il n’a rien cédé sur les retraites ? Sur quelles bases autres que libérales F. Chérèque pense-t-il pouvoir dialoguer ? Un nouveau tour de piste pour discuter de ce qui a pu être sauvé de la précédente négociation. Un joli coup de poker bien orchestré par Y. Calvi pour le compte du gouvernement. Rideau.

*Cette phrase issue de l’opuscule de V. Despentes qui a trait au féminisme peut sembler incongrue. Pourtant cette owni de la littérature contemporaine s’intéresse aussi à la domination, au viol, au libéralisme économique,…

Vogelsong – 26 octobre 2010 – Paris

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Retraites : Le bal des schizophrènes

Et je crois que vous devriez aller voir un psychiatre du gouvernement ; vous êtes très malade” – P. K. Dick – Le Bal des Schizos (1972) – p. 442 Coll. Omnibus
La parole gouvernementale se déploie sur deux tons. Deux niveaux de compréhension. Le premier, mitigé, presque rassembleur évoque souvent un rattachement aux grands principes républicains. Le second s’accorde plus subtilement avec les invectives Sarkoziennes, empruntées à la révolution libérale de la campagne de 2007. La contre-réforme des retraites, symptomatique de cette pathologie politique, de ce dédoublement du langage atteste du niveau actuel de communication : une incantation aliénée.
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Dans la bouche de F. Fillon, les paroles n’ont plus de sens. Il déclarait au quotidien Nice-Matin “Le système par répartition est au coeur de notre solidarité et de notre pacte républicain. Nous devons le sauvegarder. C’est ça, la priorité, pas de disserter sur un changement radical d’organisation du système auquel je ne crois pas”. L’homme de la faillite de la France, qui distille les peurs domestiques, celles d’un pays qui doit être géré comme une entreprise ou une famille, enfile ses hardes du « grand forestier »* pour soumettre le pays au désir impérieux des marchés. Pour la besogne, il se réfère aux fondements de la cohésion nationale en souhaitant ardemment garder le système de répartition, un acquis d’après-guerre. Mais dans le même temps supprimer par petits morceaux ce même système en augmentant la durée de cotisation, et en repoussant l’âge de départ légal à la retraite. Conserver tout en détruisant. La reptation peut commencer. Une tâche dévouée au cauchemardesque E. Woerth, petit comptable de Province et idéologue de classe, qui doctement expose les choix courageux et rationnels du gouvernement. Il proposait sur RTL “L’allongement du temps de travail, quand vous vivez plus longtemps, vous devez passer plus de temps au travail (…) L’âge légal de 60 ans est évidemment en débat, il ne faut pas avoir de tabou dans ce type de sujet”.  Une atmosphère de paranoïa peu propice à un débat sérieux. Car augmenter les durées de cotisations, compte tenu de l’âge de cessation d’activité moyen des Français (58,8 ans), entraîne mécaniquement une baisse des pensions. Une aubaine pour les sociétés d’assurances qui rêvent de jouer au casino avec les deniers des frustrés de la redistribution. Car finalement, la manœuvre consiste à aiguiller les Français vers la capitalisation, voire le boursicotage. Pourtant, on continue d’affirmer que la pérennité du système, largement plébiscité dans les études (dit-on), constitue l’objectif du gouvernement. Insensé.
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Les psychopathes de la dette continuent de ressasser les mêmes rengaines sur le système social trop dispendieux. Si l’âge de départ moyen à la retraite est de 61,5 ans, il est souvent précédé d’une période d’inactivité (chômage, maladie). Plus de deux années et demie (entre l’âge de cessation d’activité et l’âge de liquidation de la retraite), qui pèsent sur les comptes sociaux.
L. Parisot, l’amnésique de l’UIMM déclarait au détour d’un délire “Il faut changer l’âge légal de départ à la retraite […] L’espérance de vie approche les 100 ans , […]”. Comme C. allègre, elle s’amuse (avec les statisticiens du MEDEF) à gribouiller des courbes d’espérance de vie, en spéculant sur une progression linéaire. Elle oublie que l’espérance de vie en bonne santé est estimée à 64,2 ans pour les femmes et à 63,1 ans pour les hommes (source INSEE). La patronne du patronat oublie surtout d’intégrer dans son équation d’espérance de vie ses propres variables, c’est-à-dire un allongement de la durée du travail. Car l’accroissement de l’espérance de vie est aussi dû aux constants progrès des conditions sociales. Le MEDEF par son dictaphone l’UMP semble aborder la question hors de toute contingence sociale. Un pur délire scientisto-mécaniste où le progrès se réduit à la capacité de l’homme à produire rationnellement les éléments nécessaires à sa survie. Les conditions d’existence (physiques et psychologiques) reléguées au second plan ou simplement oblitérées. Beaucoup plus simple.
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Grâce à E. Woerth, F. Fillon ou L. Parisot la frontière entre le progrès et la régression est devenue si ténue qu’on ne distingue plus la différence entre un projet de classe, un projet de société, la mise en coupe réglée de la classe moyenne pour la calibrer aux impératifs de production, ou plus vulgairement la perte intégrale de repères sociaux. La lévitation dans des sphères hors du sens commun. Atteint de bipolarité aiguë, le gouvernement met sur les rails un projet d’allongement de la durée du travail, soufflé par une organisation patronale le souhaitant vivement. Qui dans le même temps en son sein, par ses pratiques quotidiennes (le MEDEF) met littéralement à la casse des salariés de plus de 50 ans. Les économistes, plutôt que de pointer des contradictions internes au même sujet, divaguent sur la relativité de l’âge de la retraite. Au comble de l’aphasie, ils estiment que l’allongement de l’âge de départ rajeunirait les seniors au sein des entreprises. Un monde de dingues…
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*Croque mitaine dans « Sur les falaises de marbres » E. Jünger
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Vogelsong – 10 juin 2010 – Paris