Le complexe du larbin

« Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, nous a dit : ne bougez pas, attendez, ils vont finir par téléphoner, car ils vont avoir besoin de nous pour les aider » Jean Quatremer (plume de Pierre Moscovici) dans Libération

Avec la victoire électorale de Syriza en Grèce on a vite pu mesurer le niveau de soumission des gouvernements de l’Euroland. Plus, on a pu mesurer à quel point l’émancipation incommodait au plus haut point ceux qui se complaisent à mettre au supplice leur corps social. Que ce soit la France « socialiste », l’Espagne, L’Italie, ou L’Irlande personne n’a saisi l’unique chance de modifier le rapport de force institué en Europe.

000_was6495402Or, c’est en véritables petits larbins que ce sont comportés ces pays, et en particulier la France de « gauche » de F. Hollande. Le candidat de la renégociation des traités européens d’avant son élection, transformé en factotum du capital le mois qui la suivit.

C’est en véritable petit larbin de l’hégémonie (suicidaire) allemande que la France a laissé le gouvernement grec se faire broyer par les institutions européennes et les mandarins qui y gravitent. Pour s’en rendre compte, il suffit de reprendre le récit ahurissant de Jean Quatremer, porte-voix de Pierre Moscovici sur son Blog. On y décrypte un rapport de force asymétrique  entre une technocratie ivre de sa puissance et une démocratie aux abois, tentant d’affirmer sa liberté face à une structure colossale qui va la mettre fatalement à genoux. On connaît la fin. Et comme le présageait F. Lordon, si le salut n’arrive pas du renversement de la table, Syriza devra se contenter de passer en dessous. Sous l’œil goguenard de ses dociles voisins méditerranéens.

Dont la France. Disciplinée, subordonnée, atone, inexistante, embourbée dans sa crise identitaire et existentielle. Une France plus capablesde saisir la portée de résultats électoraux  tant elle se voue corps et âmes aux préceptes bureaucratiques bruxellois, c’est-à-dire, l’orthodoxie budgétaire, les réformes économiques libérales, les réformes économiques libérales et surtout les réformes économiques libérales.

Tel le larbin, le bizuté qui honnit celui que veut échapper aux corvées arbitraires, la France (prétendue de gauche) regarde sans broncher la Grèce (réellement) de gauche mise au supplice. La France ne pense plus Politique mais appuie la technocratie qui soumet un peuple qui a eu l’outrecuidance, la souveraineté, de vouloir s’émanciper de la troïka et des desiderata ordo libéraux allemands. Une puissance ostentatoire et économiquement expansionniste. Alors, la France n’ a d’autre projet que de réaliser celui de l’Allemagne.

Vogelsong – 16 mars 2015 – Paris

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Le Mouv’, une campagne indigne (Poisson d’avril…)

“La faillite de l’État-providence, la paupérisation et le chômage sont évidemment des sujets immédiats à traiter (ils le sont d’ailleurs mal par ceux qui prétendent s’y concentrer). Mais les tensions nées du multiculturalisme sont plus graves…” I. Rioufol

Non, tout progrès n’est pas un bienfait. Il est même, on le constate aujourd’hui, vecteur de chaos, de perte de repère, d’annihilation de l’identité. De ce qui constitue l’humus du pays. Or la pensée bobo libertaire ne cesse de saper les fondements de la cohésion nationale, avec sa bonne conscience en bandoulière et ses génies de la communication qui arment les consciences universalistes. La campagne de publicité pour la radio publique “Le Mouv’” se situe bien dans cet esprit. Un matraquage des esprits post-soixante-huitards financé avec les deniers publics. Une antenne sous couvert de jeunisme profilée pour distiller le multiculturalisme et la société mixte. On reconnaît bien ici les méthodes révolutionnaires gauchisantes, capable d’imposer les pires des méfaits grâce aux plus séduisants des outils.

D’où une obligation d’être (ou de redevenir) réactionnaire. De se battre continuellement contre le formatage de la pensée instituée par les propagandistes socialo-bobos des cirques politico-médiatiques. Car on a beau jeu de rappeler qu’avant les choses n’étaient pas si bien, comme pour s’exonérer des impérities actuelles.

Convoquer cette image raciste de l’Amérique pour laisser penser que depuis l’antiracisme bien pensant a réalisé des prouesses, relève de l’escroquerie intellectuelle. Tout le monde le sait (s’il lit consciencieusement le blog d’I. Rioufiol, ou les fulgurances d’E. Brunet) l’antiracisme nourrit le racisme. Les idiots utiles des nazillons sont les universalistes bobos qui font le terreau de l’anti-France. Il faut être réaliste, c’est-à-dire réactionnaire, et ne pas se laisser berner par l’anti-occidentalisme, et ce racisme anti-blanc qui se répand dans les périphéries de cités de l’hexagone. Les communiquants du “Mouv’” n’ont rien trouvé de mieux que de ressasser de vieilles lunes progressistes qui conduiront le pays, ses racines, sa culture, à l’anéantissement sous anesthésie mondaine.

La pensée molle post-communiste a accouché d’une vision idéaliste de la société libérale. Où tout le monde vivrait heureux en harmonie. Une caricature pour bisounours. Car si la chute du mur fut un évènement, c’est surtout pour la liberté de commercer et faire des affaires. Les majorettes de l’État providence, biberonnées à la l’interventionnisme étatique nous font croire qu’il existerait quelque chose de mieux derrière le mur du Stalinisme. Elles se rappellent alors aux bons souvenirs et aux vertus de l’économie libre, de l’entreprise comme acteur social majeur. Mais pas trop. Elles ne cessent de chercher une solution de rechange à leur paradis perdu. Elles feignent de se réjouir de la chute du mur, mais ne savent pas quoi proposer. S’en remettant à la pensée automatique que déclenche une affiche représentant la porte de Brandebourg derrière le mur de la honte.

Il est urgent de se rendre à l’évidence. La mondialisation et l’économie de marché sont inexpugnables de nos vies. Nous ne pourrons jamais empêcher des balais à chiottes venus de Hongrie, ou des “sextoys” importés de Jiangsu d’inonder notre marché. Ce sont des produits inanimés de consommation qui ne menacent par l’intégrité culturelle. Ils permettent à nos leaders de l’industrie de réaliser des économies substantielles, et apportent dans une certaine mesure une prospérité à des pays encore économiquement arriérés. Il en va tout autrement du franchissement humain de nos frontières. Cette immigration de peuplement, qui remet en question la cohésion nationale du pays. Et cette idée que les murs sont une mauvaise chose, comme le laisse penser cette publicité pour la radio “Le Mouv’”, résonne gentiment dans l’esprit formaté du citadin bienpensant. Car les murs sont utiles pour arrêter les hordes qui veulent envahir l’espace encore prospère de notre si beau pays.

Il est donc urgent de sortir de la pensée automatique que nous livrent les communicants de la gauche bienpensante, pour faire un état des lieux et sortir la nation de son marigot actuel. Car il en est encore temps. La première des choses consiste à débusquer les relents de pensée molle qui colonisent notre espace mental et qui ne nous permettent pas d’aborder les problèmes du multiculturalisme et de ses conséquences, comme l’insécurité et le terrorisme, dans de bonnes conditions. Cette propagande du Mouv’, un ersatz de service public, en est le parfait exemple.

Ivan Vogelsong – 1er Avril 2012 – La Buvette

Ou comment écrire de la merde au kilomètre… 

Les réactionnaires, c’est du Ramones (ou l’éloge du bobo)

“One, two, three, four” Ramones

La subversion prend d’heureux détours. J. Ramone déclarait lors d’une remise de récompense “dieu bénisse G. Bush, dieu bénisse les USA”. Les Ramones, c’est la ligne nihiliste rock, précurseur du mouvement punk, légataires de ce que la musique de la fin du XXe siècle a fait de plus abrasif, de plus véloce, de plus direct. Ils incarnent l’attitude ravageuse, si tant est que la musique ait pu l’être.

Christoper Dombres

Le hype dorénavant se niche dans la roideur. Après l’“anar” de droite blasé, place aux réactionnaires “joli teint” dont le phrasé rugueux tient lieu d’authentique pensée révolutionnaire. Aux USA, on voue une haine sans borne aux “latte”*, les bobos version US. Individu honni, être conformiste qui ventile des idées vaporeuses sur le monde “oui-oui”. Les nouveaux réactionnaires, ici et là-bas, sont les nouveaux révolutionnaires au sens primaire du terme, celui du retour aux sources.

Croire penser, ce n’est pas penser. Pérorer, jacasser avec rigidité n’est pas changer la société. L’obscène par ces temps ne s’incarne plus dans le raciste, le corrompu, le conservateur, mais dans le bobo, le bienpensant et mollasse. Dont la vacuité intellectuelle n’a d’égal que son ralliement au modèle dominant. En somme le libéralisme économique dont il a épousé tous les vices. Et dont il se permet d’en critiquer les finalités. Le traitre !

Il faut clore le débat. Le bobo n’existe pas. N’a jamais existé et n’existera jamais. Il sert seulement de projection fantasmatique à la conception étriquée de l’univers pour une sarabande de penseurs omniprésents. De Marianne à Atlantico, du Figaro au Spectacle télévisuel faisant tourner en fractales le nuancier des opinions dites “à rebrousse-poil”.

Car on commet une erreur majeure en opposant ce mouvement de réaction au paradigme libéral. On s’enfonce inexorablement dans le marigot nauséeux de l’assimilation, du parallèle, de la valorisation des hommes et de celle des objets. Que l’on traite d’égale façon. Tout d’abord le libéralisme (économique s’entend) s’accommode parfaitement de la politique des valeurs et de la rectitude imposée par ces réactionnaires. On peut même discerner une tendance à l’épanouissement des classes dominantes en milieu hautement policé. Comme si, sous l’œil des caméras de surveillance et de la “police” privée, les affaires prenaient des allures plus ouatées.

Ensuite, comme dans tout système bien rodé il faut des idiots utiles. En ce sens, les réactionnaires du Spectacle qui vomissent la mondialisation n’ont jamais fait avancer d’un iota les combats contre le libre-échange. Par contre, ils sont largement paraphrasés par les dirigeants au pouvoir dans leurs diatribes anti immigration (du sud), du retour des valeurs (travail, nation). On assiste à une entreprise de dépoussiérage qui pourvoit un argumentaire facile à un gouvernement en manque d’idées et d’initiatives. En somme de la sous-traitance de la pensée de marché.

Un lexique racialiste, un retour fondamental sur l’éducation, et surtout un cynisme envers ce qu’ils appellent “les bons”. Car eux sont les mauvais lucides, les empêcheurs de penser en rond, qui remettent les pendules à l’heure du monde réel. Qui tirent brutalement les « intellos de gauche» du rêve éveillé des utopies.

Alors, la mode est au dandysme nouvelle formule du vachard. Subversif, proche du peuple, car il le comprend, le connait. Il est l’âme du pays. Il tient d’un échange avec une boulangère ou un vendeur de légumes la quintessence de l’esprit gaulois. Bien loin du bouffeur de bio, ou autre adepte de la macrobiotique.

Les nouveaux punks sont dorénavant structurés. Ils récurent les tympans de leurs stridences haineuses. Et comme les (anciens) punks, ils sont recyclés au mieux par la machine à Spectacle. Qui s’entiche de ces défricheurs, hors normes, visionnaires. Des «empêcheurs de penser en rond», ainsi était qualifié joyeusement le contributeur réactionnaire de Rue 89 par son fondateur P. Haski. Ou bien, penseurs à rebrousse-poil qu’on décore de colifichets officiels. Tel E. Brunet, pourfendeur de tabous qui écrit “Être de droite un tabou français”, épinglé pour son oeuvre.

Les Ramones, fabuleux, ne comprenaient en leur sein qu’un seul membre reaganien et antisémite. Unique trublion, fasciné par la violence qui fit fantasmer et défraya la chronique. Un parfait idiot en somme.

*par opposition aux “coffees”, vrais américains buveurs de jus de chaussette. – Cf. Thomas Frank “What’s the Matter With Kansas? How Conservatives Won the Heart of America” 2004

Vogelsong – 3 janvier 2012 – Paris

German Totem

“…un candidat à la présidentielle ne peut pas être l’otage complaisant d’une dérive stupide aux rentes germanophobes” F. Fillon

En 2010 Y. Threard, vigie du Figaro, taxait élogieusement A. Merkel de “Bismarck en Jupon”. L’euro n’était pas au bord du gouffre, l’humour était de rigueur. Coup sur coup, les socialistes ont franchi la ligne Maginot comme se plaît à le signaler sur twitter un des gardiens du bastion européen A. Leparmentier (dans un article du Monde). En effet J.M. Le Guen a affublé le président de la République de “Daladier à Munich”, tandis qu’A. Montebourg gratifiait son auditoire de : “la question du nationalisme allemand qui est en train de ressurgir à travers la politique à la Bismarck de M. Merkel”. Relents de germanophobie dit-on.

Christopher Dombres

On ne comprendra pas l’attrait de l’Allemagne par les élites françaises sans comprendre son modèle de développement. Une machine économique totalement tournée vers l’exportation. Mais aussi une puissance continentale qui impose sa phobie historique de l’inflation à tous ses voisins.

Chez F. Fillon ou J. M. Aphatie aucune germanophilie particulière, mais plutôt un modèle de soumission à l’austérité, et aux impératifs de la mondialisation néo-libérale. Un bon support pour seriner le discours sur la reforme et la dette à un auditoire encore rétif. Le modèle allemand, c’est la névrose des classes dirigeantes françaises, comme le signale E. Todd dans un entretien donné à Mediapart. Tout représentant du cercle de la raison finira à un moment ou un autre par citer l’exemple vertueux de nos amis d’outre-Rhin. Avec de grosses ficelles relevant souvent de la métaphore footballistique. Discipline, effort, rigueur…

Or cette oligarchie qui affiche sa germanophilie ne subit pas les conséquences de la mondialisation. Pour ce cénacle, il faut transformer l’économie française en économie allemande. Ce qui pour des raisons culturelles, historiques et démographiques s’avère rigoureusement impossible.

On assiste avec l’Allemagne et les élites économiques françaises à un sauve-qui-peut intellectuel. Devant la débâcle du capitalisme globalisé, qu’ils ont promu durant trois décennies, ils cherchent un modèle encore présentable. En ce sens, les gros clichés germaniques ont encore un fort pouvoir de persuasion.

Pourtant, un modèle totalement inique puisque toute construction hégémonique édifiée sur les excédants commerciaux se fait aux dépens de pays tiers, la balance commerciale mondiale étant globalement nulle. Au lieu de ramener les Allemands à la raison en pointant leur façon unilatérale de profiter de l’euro et du marché intérieur européen, on imagine que l’on pourrait bénéficier de la même martingale du commerce extérieur. Comme si tous les pays du monde pouvaient être en excédant…

La xénophobie a bon dos quand il s’agit de critiquer un modèle économique inopérant. On a peu entendu F. Fillon prendre la défense de Grecs vilipendés pour leur laxisme dans des termes aux «relents xénophobes». On assiste aussi à un vertigineux glissement sémantique quand on se souvient de la manière dont le gouvernement français est tombé à bras raccourcis sur une poignée de Roms en juillet 2010. On voit nettement émerger la prééminence de l’économique sur l’humain au sommet de l’état. Beaucoup plus ému par des déclarations incisives sur une grande puissance économique du continent, que par des historiettes vaseuses sur les arabo-auvergnats.

Si la polémique économique sur l’Allemagne a autant agité le gouvernement et les élites françaises, c’est qu’elle ranime le sentiment égalitariste (assez français finalement), et rompt avec le paradigme hégémonique libéral : être fort avec les faibles.

Vogelsong – 4 décembre 2011 – Paris

Révolutions arabes : l’Europe, la France à rebours

“Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur les flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme. C’est toute l’Europe alors qui serait en première ligne” Allocution du chef d’état aux Français,  27 février 2011.

Alors que les nations arabes tentent de s’élever vers un idéal démocratique qui reste à inventer, les démocraties “mures”, elles, semblent décliner. Ce mouvement contradictoire prend tout son sens avec la parution du rapport de “the Economist”, annonçant la relégation de la France du club très fermé des “démocraties complètes”. Quitte à s’ingérer en Tunisie et en Algérie, la France aurait pu proposer son savoir faire en matière de médiation. Elle n’en a rien fait. Il est vrai qu’à l’époque on ne savait pas encore qui du million de manifestants ou du dirigeant acculé, était le véritable facteur d’insécurité et de violence. On croyait alors, sincèrement certainement, qu’il fallait protéger le peuple de lui même et le prémunir de ses débordements intempestifs. Un mouvement à rebours, signe évident d’un aveuglement, de pesanteurs historiques (et coloniales) mais surtout de peurs.

Le vent des révolutions n’a pas su inspirer le vieux continent. La liberté des peuples suscite une sympathie paradoxale parmi les Européens. Certes une emphase avec le souffle de l’histoire, du peuple qui emprunte le long chemin vers la démocratie. Une démocratie, il est bon de le rappeler, qui a mis plus de 100 ans à s’installer fermement en France. Mais aussi la malsaine retenue des hypothèses égoïstes. Parce que la liberté là-bas implique un changement ici. Inconsciemment, automatiquement, les Européens se questionnent sur ce qu’ils ont à perdre d’une explosion des pouvoirs dictatoriaux au sud de la méditerranée. De ces potentats sous supervision qui tempèrent les flux nord-sud. Depuis la chute de Z. Ben Ali et de H. Moubarak, les dirigeants français ont été contraints de modifier le tir, tant il devenait évident que, s’il fallait protéger le peuple, ce n’était pas de lui-même. Le mouvement n’étant pas porteur de violence, il a fallu se crisper sur des conséquences qui sont autant de scénarios catastrophes : l’immigration massive à nos portes, l’instabilité de la région ou encore la flambée du prix du pétrole. Bref, la révolution Arabe : pas une bonne nouvelle. Un sondage du Parisien indique que pour 69% des personnes interrogées ces révolutions sont un sujet d’inquiétude, alors que 49 % éprouvent de la “joie”.

Étrange réaction des états européens s’inquiétant après la révolution tunisienne d’un afflux de migrants sur les côtes siciliennes. Étrange psychologie de matons incapables d’interpréter les signaux contradictoires d’une libération. Enfin, étrange et paradoxal sentiment que d’affirmer sa supériorité dans les domaines sociaux, économiques et des droits de l’Homme et de redouter l’attrait que l’on suscite. On se veut à la fois un modèle et une forteresse. A la fois un monde libre et une prison fermée de l’intérieur.

Le continent européen se considère comme une vitrine des libertés et du progrès, rutilante, sur une planète en ruines, sans que cet attrait puisse susciter un espoir, un mouvement. C’est une logique de gardiens, que l’on n’ose pas s’avouer. Des gardiens de la culture, d’une pureté européenne impartageable que l’on perçoit. D’un repli sur soi, établi sur des bases culturelles, pour ne pas (encore) dire ethniques. Les mouvements nationalistes puissants qui émergent en Hongrie, France, Italie, Autriche et partout ailleurs sur le continent se proclament garants d’une prospérité économique et culturelle. Conserver un havre, un entre soi. Un état d’esprit qui rentre alors en collision avec les révolutions Arabes. Pourtant les choses changent. S’inversent. La démocratie recule en France. Toujours selon “The Economist”, le phare de la démocratie faiblit sur 3 points : la participation citoyenne, les institutions et les libertés individuelles. Un recul sourd et constant exercé au nom de la sécurité, sans être pour autant mieux ou moins bien protégé. Inversement elle avance au Maghreb et au Moyen Orient. Elle y a fait ses premiers pas, sans violence, ni débordement, avec un courage et une détermination pacifique qui forcent l’admiration. De cette prouesse extraordinaire, vous entendrez peu parler. Ça n’arrange personne, pas plus les idéologues sécuritaires, que les intérêts géostratégiques de l’occident.

Les signaux révolutionnaires sont contradictoires : à peine libérés, des Tunisiens par milliers débarquent sur les plages de Lampedusa. Les gouvernements sont en émoi. Les citoyens aussi et de façon ambivalente. Ils exultaient devant leur poste avec les révolutionnaires quelques semaines auparavant, et se sentent là, envahis. Pourquoi les Tunisiens, la liberté conquise, la cherchent encore ailleurs, en Europe ? N’était-il donc pas préférable de conserver les cadenas des régimes autocratiques ? Des régimes avec lesquels les pays du Nord signent des accords sur l’immigration. La Tunisie en 2008, la Libye en 2005. Un marché de la peur conclut avec la livraison de matériel de surveillance. Les zones périphériques de l’Europe, comme le Maghreb dressent un glacis à l’immigration subsaharienne.

Le changement brutal fait peur aux occidentaux calfeutrés dans de nonchalantes Républiques déclinantes. Amnésiques du prix du sang pour arracher les droits. Les européens, du simple quidam au diplomate le plus aguerri se posent la même question, qu’avons-nous à perdre de la liberté des autres ? Une question de civilisation manifestement posée là par des Européens dotés d’une double personnalité. Docteurs Jeckyll qui psalmodient des odes à la gloire des droits de l’Homme avec la mémoire d’un abominable XXe siècle, Mr. Hyde qui vivent dans le tourment des régressions identitaires et sécuritaires de leurs temps.

Zeyesnidzeno & Vogelsong – 1 mars 2011 – Paris