Les matinales de droite sur France Inter

« Nicolas Beytout propose une analyse de l’actualité, ses prises de positions ne sont pas idéologiques.» »P. Val

De quoi la matinale de France Inter est-elle le nom ? La première émission du matin en audience, le lundi 12 novembre 2012 accueille F. Baroin. Estampillé droite classique, conservatrice « old fashion » c’est-à-dire le sarkozysme sans la xénophobie programmatique. Le tout chapeauté par le très libéral N. Beytout qui besogne à chaque ouverture hebdomadaire pour caser dans son édito fourre-tout, « dette publique », « charges sociales », « baisse du coût du travail » et « compétitivité ». Poussant le professionnalisme jusqu’à intervenir dans la partie interactive de l’émission. Finalement, pas si interactive que ça. Si le programme du 12 novembre est emblématique, représentatif, ce n’est pas pour la qualité du débat, ni pour le niveau académique de ses intervenants, mais pour ce qu’elle dit des orientations médiatiques sous un gouvernement de gauche. Ou qui se présente comme tel. Et du sensible glissement des rédactions sur les concepts généraux (charges sociales, compétitivité, croissance). Des thématiques univoques qui instaurent la suprématie idéologique de la droite. Ce que ces débats préparent c’est la future majorité, la prochaine alternance, déjà.

Christopher Dombres

P. Val déclarait en septembre 2012 qu’il se battait pour « que France Inter ne pense pas à la place de l’auditeur, mais donne des éléments du débat pour qu’il pense par lui-même ». Vœu pieux, on se demande alors pourquoi, « sa » matinale se compose exclusivement de ce que la pensée moyenne du pinacle journalistique peut produire. Un mélange homogène de sociaux-démocrates européistes (B. Guetta dont les analyses politiques sont aussi plates que le programme économique de F. Bayrou) mixé à des journalistes totalement soumis à l’ordre économique dominant. Si l’auditeur peut penser par lui-même ce n’est surement pas à l’aune d’un questionnement hors cadre ou dégagé du consensus économique libéral. D’ailleurs F. Baroin résume assez bien le contexte de ce direct en pérorant « la mondialisation c’est comme la météo ». On ne peut rien y changer. Ce qui au mieux s’interprète comme un fatalisme face à la mise en coupe réglée du modèle de développement occidental (santé, éducation, biens communs), au pire, souligne l’inutilité du politique (et de lui-même) face aux tempêtes qui s’annoncent.

Que N. Beytout puisse donner le la, lorsque J. L. Melenchon est invité cela peut se concevoir. Que les présupposés économiques de ce libéral décomplexé colorent toute la matinale alors que F. Baroin est l’invité, dénote une cocasse mise en place des contradictions. Et si l’auditeur peut penser par lui-même comme le prétend P. Val, il fera surement, ailleurs. Et loin. Les idées arrivant avec les mots. Qui, sur cette station ne seront jamais prononcés.

On attend manifestement plus du service public qu’une causerie monotone. France Inter aurait pris un maquis virtuel (de droite). Que la déploration patronale soit à la mode, qu’elle ait un petit côté subversif sous un pouvoir socialiste, cela pourrait passer. Sauf que la matinale d’information ne fait pas son travail. Elle laisse entendre que la France serait en voie de soviétisation, que le matraquage fiscal (comme le dit N. Beytout, qui ne sera pas repris par ses camarades) est une réalité. Que la baisse du coût du travail s’avère une impérieuse obligation. Or c’est très idéologique et partial. Car si matraquage il y a, il s’abat sur les classes moyennes. Si baisse du coût du travail il y a, c’est au détriment de la protection sociale des masses. Petites nuances que les trois autres journalistes laissent passer. Ils laisseront passer le socle de ce qui fait le débat social dans ce pays face aux grincheux de la taxe. Comment faire fonctionner l’État ? Comment maintenir un service de santé, d’éducation décent et universel ? Comment répartir l’effort ? Au lieu de cela on se perd dans des réflexions de comptoir servies par le trublion du jour N. Beytout, à peine plus friedmanien que l’invité (F. Baroin). Et dont l’objectif existentiel ultime se résume à rendre les citoyens compétitifs en baissant les impôts des nantis. Et ce sans que quelqu’un puisse faire entendre un autre point de vue.

S. Halimi déclarait qu’il faudrait des milliers d’heures de médias pour compenser la propagande économique dominante. Certains comme P. Val semblent estimer que c’est inutile. Que l’auditeur sous matraquage médiatique libéral pourra se soustraire à la pression. Par un processus magique. Qu’en d’autres termes peu importe la tendance politique des journalistes, le bon sens l’emportera ! En l’admettant, si tout ceci est sans conséquences, alors pourquoi il n’y a aucun éditorialiste radical dans la matinale ?

Vogelsong – 12 novembre 2012 – Paris

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Un échange précaire avec l’oligarchie de Manpower

« Fluidité maximale propageant le mimétisme comme une gangrène, confusion de la mobilité avec le « nomadisme » douteux des jobs et temps partiels, solidarités expéditives de camaraderies de survie, tels sont les caractères de la nouvelle société civile asservie à l’équilibre » Gilles Châtelet dans « Vivre et penser comme des porcs »

Ce sont de petits miracles quotidiens dont nous gratifient les médias hexagonaux. Depuis 2008, on a pu se rendre compte à quel point le système économique, ses commanditaires et ses profiteurs fonçaient droit dans le mur. Conduisant avec eux 99 % de la population. C’est donc par miracle que l’on peut encore se référer à de telles ignares pour continuer à commenter l’actualité économique. Ces petits bouts de miracles qui permettent à ces incompétents de rester en vie médiatique, on les doit, par exemple, à A. Bensaïd, animatrice d’une chaine publique, France Inter, qui inflige chaque semaine à ses auditeurs, une leçon de pragmatisme économique vu de tout en haut. « On n’arrête pas l’éco », titre inéluctable du programme. Inéluctable, mais pas tout à fait définitif, puisqu’elle pourrait facilement y accoler « de marché ». Puisqu’on ne parle que pratiques libérales du monde globalisé. En somme, un bavardage entendu sans une once d’alternative.

Le 22 septembre 2012, c’est F. Gri, directrice France et Europe du sud de Manpower qui débonde sur le travail, la flexibilité et la croissance. Une ennuyeuse leçon de vie en milieu professionnel qui aboutira au clou de l’interview avec la conclusion que « On a imposé le CDI comme une espèce de dogme !« . En forme de regret. Le salut passerait donc par la flexibilisation du marché du travail. F. Gri déplore les avantages de certains, les dualités et le risque. Elle dont l’activité principale consiste à faire facturer le risque du CDI contre l’assurance de ne pas se coltiner un salarié trop longtemps. Le travail intérimaire. Un business prospère puisque l’intérim concernait 261 000 travailleurs en 1981, pour atteindre 674 000 personnes avant la crise de 2008.

F. Gri aime les emplois stables, puisqu’elle est à la tête de l’usine à précarité Manpower depuis 2007, sachant qu’avant ça, elle orbitait de 1981 à 2007 chez IBM. Et de préférence bien rémunérée, puisque les émoluments à Manpower tournent autour de 400 000 euros de salaire annuel fixe auquel viennent s’ajouter 200 000 de variable (source CFTC de 2008). C’est assise sur ce monticule que F. Gri administre la leçon aux Français rétifs à la modernité.

Avec un bon demi-million d’euros, les petits tracas de la vie quotidienne n’ont pas la même saveur qu’avec un SMIC voire deux. Ce qui permet manifestement de dégager du temps pour dispenser son catéchisme et écrire des livres. Par chance, les réseaux sociaux permettent l’interaction, avec certaines limites :

Un petit point qu’A. Bensaïd, en totale pâmoison devant le sermon de F. Gri omit de soulever. Mais qui concerne une bonne partie de ses auditeurs.

La réponse arriva sans tarder. Qui ne manque pas de piquant, puisqu’elle pointe un mystérieux manque de justice.

Dans les pays où il n’existe pas de CDI, en pratique, de protection pour le salarié, il y aurait nous dit F. Gri plus de justice et moins de risques. C’est ce qu’essaie d’exprimer la championne de la flexibilité, qui n’a pas connu de précarité depuis 1981…

Le dogme c’est les autres, F. Gri est évidemment dans le concret du haut de ses  400 000 euros annuels. Le dogme, ça sonne évidemment « communiste », « lutte des classes »,  vieilles lunes utopiques. Ce qui intéresse F. Gri, c’est la justice. Une forme de justice. En substance tout le monde sous le même régime de flexibilité…

Que finalement, les nantis disposant d’immenses avantages, ce sont toujours les autres. En l’occurrence les travailleurs ayant un salaire moyen. Qui dispose d’un avantage divin, le CDI.

Mais puisqu’il faut être pragmatique, proposer des solutions en vue de rétablir la justice et l’équité, on pourrait supposer que la patronne de Manpower qui a des idées sur tout, soit réceptive à une proposition (honnête) :


Mais, de fait non…

Moralité : Il ne faut pas abuser de la patience de ceux qui savent.

PS : Les plus de 6 000 euros ne correspondent pas au 1er centile mais sont plutôt autour du  8eme.

Note : L’intégralité de la conversation est ici.

Vogelsong – 23 septembre 2012 – Paris

Quand un journaliste de marché et un économiste de marché vendent un bouquin dans la matinale de France Inter

« Pour tromper le monde, ressemblez au monde » W. Shakespeare in Macbeth

 Lorsqu’un disciple de L. Walras dénonce la cupidité du monde et la mainmise de l’économie sur nos existences, il est bon de rester sur le qui-vive. D’autant plus quand on est un journaliste du service public. Le 4 septembre 2012, P. Cohen accueille chaleureusement D. Cohen pour l’aider à vendre son dernier ouvrage. C’est avec une certaine audace que l’animateur de la matinale a fait l’impasse sur les activités passées (et pas si lointaines) de son invité. Qui se lance dans un propos qui ne manque pas de piquant : benoitement refourguer le retour du politique face aux inepties du calcul froid des agents économiques. De ces calculs mêmes qui ont mené les sociétés humaines au bord du gouffre économique. Et dont D. Cohen, Walrassien et néo-classique, même s’il n’en est pas directement responsable en est tragiquement complice, au moins par son incompétence et son aveuglement.

Christopher Dombres

En 2004, D. Cohen déclarait « A priori, je suis catalogué parmi les économistes dits néoclassiques, héritiers des théoriciens de l’équilibre général à la Walras. Je me définirais plutôt comme un économiste pragmatique ». Le journaliste de la chaine publique aurait pu recueillir cette information en quatre clics, histoire de savoir et de comprendre d’où vient et d’où parle son prestigieux invité. Et d’en faire profiter ses nombreux auditeurs assoiffés de sens. Gageons qu’il le savait mais qu’il a préféré passer ces éléments trop complexes sous silence.

Car D. Cohen est un personnage prestigieux dans le monde de l’astrologie économique. Conseiller de la Banque Lazard auprès de la Grèce et de son dirigeant G. Papandréou. Avec les résultats économiques et les conséquences humaines que l’on connaît. C’est un invité plutôt guilleret qui déverse son savoir pendant 40 minutes d’entretien cordial. Cordial et vertical. P. Cohen simulant l’inculture candide face à l’expert académique assénant sa « science ». Laissant penser que la « science » (économique) ne justifiait aucune objection idéologique de la part du journaliste. Puisque comme tout le monde le sait, l’économie n’est que la chronique objective du libéralisme.

Belle mise en abîme d’ailleurs puisque l’ouvrage achalandé dans la matinale traite de l’hyper puissance économique et son incapacité à se remettre en cause, avec en filigrane le retour du politique comme possible critique et solution. Mais en pratique, cela reste l’économiste qui fait son autocritique, dans une posture tellement plus confortable, avec un monsieur loyal mettant en scène cette pitoyable autoanalyse.

Outre sa Légion d’honneur, D. Cohen entre aujourd’hui dans les médias avec un certificat de bonne conduite à gauche, puisque conseiller du président de la République F. Hollande. Pour l’auditeur qui n’a pas la mise en perspective du passif pragmatique, néoclassique et Walrassien, tout semble donc sous contrôle. Pourtant, c’est bien la religion libérale des équilibres optimaux sur un marché qui sont à la source de la crise. Crise systémique dit-on. C’est précisément cette croyance d’économistes banquiers qui a irrigué toute la pensée économique d’avant le collapsus de 2008. Et ensuite, étrangement.

D. Cohen a le droit de changer d’avis face au réel. Il est aussi capital de savoir qui change d’avis et pourquoi. De garder en mémoire que ceux qui se trompent depuis 30 ans continuent d’apporter des solutions aux éléments qu’ils ont eux-mêmes eu l’incompétence de négliger. Des impérities qu’ils ont coproduites avec la presse, qui ne se borne qu’à commenter (sans critiquer) le système économique dominant. Des journalistes bien contrariés quand il fallut normalement se passer d’experts économiques incapables qu’ils favorisèrent eux-mêmes. Soulignant de fait une de leurs propres incompétences dans le choix des spécialistes. Au lieu de s’en séparer et d’en délivrer les auditeurs, ils optent pour une énième possibilité offerte au loser de se planter une fois supplémentaire. Et qui sait, de faire machine arrière pour opérer un retour à ses fondements neo classiques au gré de nouvelles circonstances.

En l’occurrence D. Cohen, banquier, a l’opportunité rare de faire commerce de ses retournements de vestes, de ses nouvelles dispositions morales face à l’argent roi. Après tout.

Il existe des économistes hétérodoxes (entendre non libéraux) n’ont pas voix au chapitre. Des économistes qui ne disposent pas d’une possibilité de se gourer (sans cesse). Parce qu’on ne sait jamais, ceux-là pourraient avoir raison du premier coup.

Vogelsong – 4 septembre 2012 – Paris

Le fact-checking, l’interview post mortem

“Permettez-moi de vous dire que s’il y a un chef d’Etat qui, dans le monde, n’a pas frayé avec Monsieur Kadhafi et est responsable de son départ et de ce qui lui est arrivé, je pense peut être que c’est moi” N. Sarkozy sur France Inter le 17 avril 2012

Le fact-checking s’apparente à la voiture-balai de l’interview politique. Un politique vient sur l’antenne, travestit la réalité en sa faveur – et c’est son travail. Les intervieweurs laissent filer, par ignorance ou complaisance. Et l’affaire se retrouve ensuite sur des papiers web. Les décodeurs, du Monde.fr, se sont spécialisés dans la traque aux pièces défectueuses dans l’immense usine à bobards du cirque mediatico-politique.

L’interview de N. Sarkozy, ce mardi 17 avril sur France Inter en est un exemple frappant. S’il doit exister un maillon fort du journalisme sans concession, il devrait se trouver là, dans cette tranche horaire, sur cette station. De cet étalonnage on pourrait ensuite tirer quelques conclusions des interviews “trou noir”, pratiquées par d’autres. Histoire d’avoir un point de vue assez général sur la capacité de la presse hexagonale à animer le débat démocratique.

Oui, mais voilà : le fact-checking, c’est un coup d’épée dans l’eau. C’est la “vérité” d’après, celle qui n’a plus de connexion avec l’évènement. Lorsque l’on connaît la propension de l’électeur à voter sur des considérations émotionnelles, le fact-checking ne sert de révélateur qu’à une poignée d’initiés, qui se gausse des bévues sarkozienne.

Le fact-checking, c’est beaucoup de temps perdu, pour un résultat assez maigre. Et, quand Nicolas Sarkozy profère à peu près n’importe quoi sur des ondes nationales, il sait que l’impact de ses affirmations (quelles qu’en soient la teneur) aura bien plus de force que les démentis cliniques sur pages web. Il sait que le decorum, le contexte, l’ambiance, l’emportent sur l’analyse post mortem de ses envolées.

Si l’on considère que les journalistes présents dans le studio de France Inter ce matin-là, ne sont pas partisans, et ne cherchent pas à avantager le candidat sortant, reste l’hypothèse de la paresse. Ou de la peur. Il est d’ailleurs intéressant de noter, que les questions “sales”  font maintenant l’objet de prestation de service. Sur la chaine publique, toutes les incongruités sont laissées à la discrétion, soit d’un jeune intervieweur là pour l’occasion, qui, ce matin-là, évoque après 30 minutes “les affaires”, soit à des auditeurs dits “turbulents”, soit à l’humoriste qui clôt la matinale.

La question n’est pas d’extirper la vérité. Elle n’existe surement pas. Et chaque chiffre, fait ou argument a au moins deux interprétations. Ce qui importe c’est de sortir du caractère émotionnel des péroraisons d’un invité qui raconte ce qu’il veut, comme il veut. Et pour cela, il y a une seule solution. Non pas le fact checking à froid, trois heures après l’interview. Mais le fact-checking avant interview. Ce qui implique beaucoup de travail sur l’information. Mais il parait que c’est le job d’un journaliste.

Vogelsong – 17 avril 2012 – Paris

De la difficulté d’interviewer l’extrême droite

“Ils subissent (les maires) une rétorsion. Est-ce que c’est démocratique ?” M. Le Pen le 25 janvier 2011 sur France Inter

Transformer le rendez-vous le plus écouté des matinales d’information radiophoniques en ring de boxe, c’est le pari de M. Le Pen. Un pari tenu dans les studios de France Inter, le 25 janvier 2012. La question n’est pas de faire la leçon aux journalistes (aguerris) qui se sont fait rouler par la vieille technique frontiste, la posture du martyr médiatique. Cet échange révèle tout d’abord que rien n’a réellement changé dans la stratégie du Front National avec les médias, même si on joue des deux côtés la dédiabolisation. Et ensuite qu’il s’avère périlleux de tenir le crachoir à une formation qui utilise la “démocratie”, et l’un de ses piliers, la presse, pour coloniser le débat de valeurs antidémocratiques, tel le rejet, la xénophobie voire le racisme d’État. Les journalistes souvent paresseux se font prendre presque à chaque fois, dans le paradoxe inextricable du Front National. Parti très “représentatif”, qui tout en ayant pignon sur rue, une vaste surface puisque “bankable ” médiatiquement, n’en reste pas moins une usine à haine difficilement contrôlable dans le format des émissions proposées.

Comment extirper en vingt-six minutes le sens de ce que M. Le Pen veut vraiment dire ? Comment figurer réellement ce qui se niche sous les vocables “préférence nationale” ou “retraite à la carte” ? Il faudrait probablement une dizaine d’heures pour faire le tour du premier sujet et presque autant pour arriver au bout du second. Or, ce matin du 25 janvier 2012, pour évoquer les concepts du Front national, parti d’extrême droite rassemblant dit-on un votant sur cinq, nous aurons une petite trentaine de minutes. Derrière une simple question de temps se cache toute la difficulté de l’éclairage politique dans la “démocratie”.

Se profile aussi une autre problématique. Selon quelques commentateurs, blogueurs et spécialistes (de gauche), le seul moyen de sortir du piège de l’extrême droite consiste à abandonner la « diabolisation ». Cette mise au ban organisée par les bobos bienpensants, insensibles à la souffrance du “populo”, premier réceptacle aux idées du FN. Ce qui pourrait se décrypter autrement : les classes moyennes et populaires blanches ont un problème avec l’immigration africaine, il faut faire quelque chose. Ou bien (plus raide), ils sont un peu xénophobes, on les canalise comment ? Les non-dits sont cruels en “démocratie”, et ce type d’accommodation de langage ne circule qu’en circuit fermé et privé.

D’ailleurs concernant la dédiabolisation, sur ces mêmes antennes de service public, le 19 janvier 2012,  W. de Saint-Just, conseiller en communication pour M. Le Pen, confiait que le principal objectif du Front National était, selon ses propres termes, “la dédiabolisation”. On s’étonnera, peut-être (ou pas), de cette convergence entre débatteurs, experts, journalistes  (certaines fois de gauche) et membres influents du parti d’extrême droite. On soutiendra bien évidemment qu’il ne s’agit pas de la même “dédiabolisation”… A moins d’une confluence, si ce n’est idéologique, d’intérêts…

L’esclandre du 25 janvier 2012 sur France Inter a une saveur particulière, puisqu’on peut déceler à chaque instant de l’interview la façon dont M. Le Pen monte doucement dans les tours pour atteindre, à la toute fin, le climax de sa (fausse) colère. Un story-telling bien mené, d’abord sur sa difficulté à obtenir les signatures nécessaires à sa candidature à la présidentielle. Une brimade supplémentaire de l’“établissement”. D’ailleurs elle gratifiera une question de T. Legrand sur sa légitimité, puisqu’elle peine à trouver ses parrainages, d’un cinglant “c’est n’importe quoi ce que vous dites”. “Je suis une femme libre” pérorera-t-elle quelques instants plus tard, un ton au-dessus. C’est B. Guetta qui essuiera la plus douceâtre des vacheries suite à une remarque sur le soutien du FN au régime de B. El-Assad, “Mais où avez-vous lu ça ? Dans un Carambar ?”. S’ensuivra un feu d’artifice d’invectives (et une menace de diffamation) après l’évocation de F. Chatillon pro-Syrien (proche du FN) par P. Cohen. “Et votre boulangère qu’est-ce qu’elle pense de la Syrie ?” lancera-t-elle, l’ire à son comble, aux journalistes après la fin de l’émission, considérant peut-être que l’ambiance n’était pas encore assez plombée. Tout ceci formidablement interprété, la morgue tout en maitrise.

Ce qui aura échappé aux journalistes dans la tourmente, c’est que M. Le Pen reprend quasiment mot à mot les arguments d’A. Soral sur la Syrie, en particulier concernant le “double jeu du Qatar”. Un auteur, ex-membre du FN, qu’elle potasse et écoute assidument… Si l’on en croit les ouvrages qu’elle exhibe sur son bureau.

M. Le Pen réussit l’invraisemblable. Squatter le système médiatique, rouler les journalistes, et continuer de faire comme si elle figurait hors du champ. Une virginité sans cesse renouvelée par le paradoxe des mass media, à la fois pilier du modèle de  “démocratie libérale” servant la soupe à une formation qui ne la respecte pas, et en même temps si friand de cette nouvelle égérie électorale. Car le FN et M. Le Pen font comme si, brimés par l’industrie de l’information, ils étaient parvenus à rassembler potentiellement 20 % des électeurs par le seul effet du bouche à oreille et d’une campagne alternative hors des grandes chaines. Par un mouvement spontané d’adhésion aux thèses nationales et xénophobes. De la belle mythologie.

Quant aux intervieweurs ils sont à la fois complices et victimes : valser avec les démons comporte quelques menus désagréments…

Vogelsong – 25 janvier 2012 – Paris