Hollandisme révolutionnaire, E. Todd persiste et signe

« (Journaliste du New York Times) Il y a beaucoup de points communs entre les positions de Hollande et Sarkozy sur bon nombre de réformes ? S’agit-il de choisir un caractère ? – (François Hollande) Oui il y a deux façons de faire : Brutalement ou harmonieusement.  » Propos recueillis par L. Binet dans son livre « Rien ne se passe comme prévu »

Alors déçu ? C’est la question brulant les lèvres que l’on veut poser à E. Todd. Lui qui à bout de sarkozysme avait déclaré sa flamme au « hollandisme révolutionnaire ». Peut-être l’oxymore politique majeur de ces dernières années. Les deux mots mis bout à bout sonnent étrangement, et ce surdoué de la locution s’en est forcément servi pour que cela fasse écho. Que cela reste dans les mémoires. Au risque même d’y perdre sa crédibilité. Celui de l’oracle. Car on ne le loupera pas quand F. Hollande se sera minéralisé, delorisé, giscardisé…

Jusqu’au-boutisme

Christopher Dombres

E. Todd campe sur ses prophéties, une sorte de jusqu’au-boutisme qui fait écho à l’attitude politique du parti socialiste. Le mitterrandisme à l’envers, entendre un début de quinquennat au centre droit (ou gauche) pour le finir en gauche assumée sonne surtout comme un aveuglement. Opérer un virage social en 2014 revient à s’automutiler deux années supplémentaires. En somme, il s’agit de supposer que les Français seront tellement laminés qu’ils accepteront, demanderont même, une réelle politique sociale. Enfin.

Cela revient à énoncer en creux que la situation n’est pas assez catastrophique pour prendre des mesures fortes de régulation et de protection. A continuer dans le momentum des élections à faire à ce qui échoue depuis une trentaine d’années. C’est-à-dire une politique mi-figue mi-raisin, fortement aiguillée par des considérations de groupes spécifiques. Souvent minoritaires mais influents, et très éloignés des préoccupations de ceux qui sont dans le laminoir.

Science-fiction

C’est beaucoup miser sur la culture égalitariste de la France que de penser qu’au bout du bout, F. Hollande et les siens prendront à bras le corps la politique et transformeront trente années de soumission à l’Europe technocratique, la mondialisation et les marchés, pour se dresser, revêches, et remettre les choses dans le bon ordre pour les intérêts des Français. Ceux qui les ont élus.

C’est faire un pari très osé sur le code génétique de la classe politique française. De ce cercle de la raison névrosé, stratifié, bégayant les mêmes mantras depuis le milieu des années 80. Qu’est-ce qui différencie F. Hollande de ses ainés, à part peut-être le crédit supplémentaire que lui porte E. Todd ? On regarde le passé, on peut envisager le futur. Avec une faible incertitude. Qui peut penser que M. Sapin martèlera en 2014 l’impératif vital de nationaliser certaines entreprises ? Ou que dans le même temps J. Cahuzac mettra en place un impôt confiscatoire pour ceux qui font bombance depuis des décennies ? Ceux, pour reprendre les mots d’E. Todd , qui ont « tondu la société ». Ou plus cocasse, que M. Valls tiendra haut et fort un argumentaire sur la nécessité vitale pour l’économie française de sortir du carcan de l’euro. F. Hollande intervertira-t-il le majordome libéral J. H. Lorenzi pour un hétérodoxe comme F. Lordon dans la liste de ses conseillers ?

Le scénario classique

À la fin du laminage, à la suite de l’impact total et complet des dévastations sociales induites par le système économique, ce n’est que très rarement de redressement social dont il est question. N. Klein dans l’ouvrage La stratégie du choc a bien décrit comment après un traumatisme, le corps social était apte à des bouleversements négatifs qu’il n’aurait pas acceptés dans son état initial. Dans cette optique, il est plus à redouter un accaparement supplémentaire de l’oligarchie, qu’un endiguement ou un refoulement de celle-ci hypothétiquement impulsé par le parti socialiste français. Il est frappant de voir comment évolue la situation dans la crise, devenue un système politique plus qu’un état transitoire, équarrissage après équarrissage. Avec l’approbation cynique de ceux qu’E. Todd voit en futurs révolutionnaires.

Mais plus grave, remettre à plus tard le soulagement des peuples implique de prêter le flanc aux menaces brunes déjà bien enkystées en Europe. Attendre deux années supplémentaires que la peste s’étende.

Le gambit Hollande, cette conjecture révolutionnaire s’avère tout de même très osée.

Vogelsong – 17 octobre 2012 – Paris

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La complainte du parvenu

“Je suis issu d’une famille aimante dont le statut social ne saurait être comparé à celui de la famille d’Emmanuel Todd. Ayant quitté l’école après un BEPC obtenu difficilement au repêchage,…” J.M. Aphatie sur son blog

L’éditocratie française dispose d’une capacité rare d’indignation. Une capacité sélective à juger ce qui doit ou ne doit pas être ou dit. J. M. Aphatie, ancien de Politis aujourd’hui à RTL, a atteint le pinacle dans cet art consommé de la répétition exaspérée. L’éditocratie française se caractérise par le mâle blanc, quinqua, arcbouté sur les acquis de la génération 80-90. C’est-à-dire le discours de la rigueur répété à l’envi, ad nauseam, jusqu’à ce que de sens il n’y ait plus. J. M. Apahtie c’est l’homme de la dette, celui de la rigueur aveugle. Le contrôleur général des finances avec une carte de presse. Un journaliste militant qui a cessé de voter avec un bulletin, mais qui s’acquitte de cette noble tâche avec son micro ou son clavier.

Christopher Dombres

J. M. Aphatie débonde quand on moque son accent. J. M. Aphatie se répand en martyr quand on lui expose clairement, techniquement sa qualité de trompettiste du PAF : sa vacuité sur ses fixettes économiques, reprenant une mixture conceptuelle entre la Fondapol, l’UMP, et F. de Closets. C’est-à-dire un discours éculé sur les finances publiques. Qu’il tient d’un paradigme ambiant largement en vogue ; des banques, aux inspecteurs des finances, pour finir dans les mégaphones télévisuels d’encravatés.

D’ailleurs, il tient à mêler les deux (son accent, et sa totale médiocrité en économie), sachant que l’on retiendra plus le racisme (selon lui) piquant son phrasé, plutôt que sa qualité de prescripteur du vide. Le problème quand il met en exergue sa condition de départ modeste (en comparaison d’E. Todd) c’est qu’il s’indigne de peu et se regarde avantageusement dans le miroir de sa réussite médiatique.

Qu’est-ce que le journaliste de RTL fait pour les milieux modestes à part s’indigner de leur capacité à vivre au-dessus de leurs moyens ? Qu’est-ce que J. M. Aphatie pense de la redistribution des richesses, en France sur le continent, mais aussi sur le globe ? Ne conçoit-il pas un instant que son discours pédagogique de soumission nourrit les intérêts d’une partie (très infime, quelques centiles) de la population ? Celle qui se fiche comme d’une guigne des conséquences de politiques d’austérité façon grecque. Il se contrefout là, totalement, des classes populaires dont il se vante d’être issu. Sans se poser la question des conséquences sanitaires et économiques de ses saillies bien ciblées.

Le chroniqueur multicartes s’en tient paresseusement à une vulgaire vision économétrique du sujet. Reste un domaine aveugle, lourd de conséquences. Le social.

De dominé, il a atteint les cimes des dominants. En a totalement épousé les causes. Poussant la coquetterie jusqu’à endosser (quand cela l’arrange) les oripeaux de gueux que l’on racise pour un accent. Qui en ce qui le concerne, se situe au sud de la Loire dans l’hexagone. J. M. Aphatie est un journaliste parisien, mâle, blanc, quinqua qui officie sur un groupe de médias transnational, Bertelsmann. Qui ne se préoccupe de stigmatisation qu’au moment où l’on pointe son inflexion langagière.

E. Todd aurait pu se passer de ce type d’argutie. Le débat politique ou médiatique mérite évidemment mieux. Et la question de savoir si J. M. Aphatie en joue est superfétatoire.

J.M. Aphatie rappelle N. Sarkozy, dont il fit la manucure le 27 février dans la matinale de RTL, qui brouille totalement les cartes des normes sociales. En prétendant représenter les sans-grades avec l’appui du MEDEF et d’une partie conséquente des médias et milieux financiers.

Qu’est-ce qui pose davantage question finalement, qu’un intellectuel bourgeois comme E. Todd puisse porter un discours de classe (cela dit très tempéré), et s’indigne des inégalités ou qu’un journaliste multicartes exposant ses extractions populaires prenne fait et cause pour la classe dominante ?

Vogelsong – 27 février 2012 – Paris

L’alternative protectionniste #1 – Déminer le débat

“La fonction du Front National dans toute cette histoire ? Le Front National, je le vois dans le système. C’est le truc qui permet aux journalistes du Nouvel Observateur de dire qu’on ne peut pas parler de protectionnisme.” E. Todd le 16.06.2011

La mondialisation avec son corolaire libre-échangiste bénéficient du soutien (de plus en plus tacite) des élites depuis plus de deux décennies. Comme son avatar techno-européen, la propagande ultralibérale tire le meilleur parti des a priori positifs. Dans un consensus virtuel nourri aux « gros » concepts connotés tels que liberté, paix, développement, croissance. On pouvait subodorer que la réalité fut tout autre, qu’in fine face à la désindustrialisation, la baisse des salaires, la mise en concurrence générale du travailleur planétaire et ses conséquences, les Français (mais aussi nombre d’européens) ressentent un court malaise suite au traitement qui leur est infligé. Pour s’en assurer, l’Association pour un débat sur le protectionnisme a commandité, à l’aide de moyens privés une étude. Elle tend à démontrer – si un sondage peut démontrer quelque chose – qu’une large majorité de Français vivent la globalisation comme une contrainte. Douloureuse.

De l’utilité d’un sondage pour démontrer ?

E. Todd invoque le déni de démocratie en brandissant les feuillets du sondage. Selon le démographe, ce serait une faute démocratique dorénavant d’ignorer l’alternative protectionniste. Un débat trop longtemps mis sous le boisseau qu’aujourd’hui les Français par leurs réponses plébiscitent. Or, un échantillonnage de Français n’a jamais fait les Français. Mais ce débat aurait dû avoir lieu sans l’aide d’un sondage. Pour autant les sondages ne représentent pas démocratiquement les Français, pour autant les l’opinion d’experts médiatiques ne valent pas science exacte, certitude révélée. Omniprésents louangeurs du libre-échange, prêcheurs de l’équilibre immanent des marchés, pédagogues du « c’est plus compliqué que ça »ou comme A.Duhamel déclarer « la démondialisation c’est archaïque ». Sans qu’aucune alternative à cette théologie ne soit permise. Dans cette guerre d’artefacts, le sondage vaut tout autant que l’avis d’un conseiller émargeant dans une banque, un analyste convaincu du bien fondé de la spéculation financière, ou une éminence grise présidentielle. Mais reste l’écueil politique, et l’agitation de figures repoussoirs pour stériliser le débat. Le rendre impossible. Pour que tout change sans que rien ne change.

FN idiot utile

L’analyse de la position du FN soulève quelque paradoxe. Bien qu’elle permette à l’orthodoxie du cercle de la raison d’agiter ce croque-mitaine, le parangon des idées qu’il ne faut pas suivre (en l’espèce le protectionnisme), les mêmes ou presque s’évertuent à dédiaboliser l’objet. Le FN aurait gagné en crédibilité depuis l’avènement de M. Le Pen. Une nouvelle étiquette que l’on doit au changement de leader et à quelques reniements de façade. Mais de façon opportune, quand le besoin se fait sentir, on replace ce parti dans sa ligné nauséeuse. De façon plus générale, le consensus libre-échangiste ne gênait aucun économiste quand (jusqu’à une période très récente), le FN se réclamait du thatchérisme. Quand J.M. Le Pen se mirait dans l’incarnation du reaganisme. Et donc cheminait au côté d’une grande partie de la droite républicaine et autres centristes, ainsi que d’un quarteron non négligeable de responsables du parti socialiste. Dans l’appel du large, celui de « la mondialisation heureuse ». Il aura suffi qu’il épouse des thèses économiques minoritaires dans l’oligarchie (pro libre-échangiste) pour en faire une mauvaise fréquentation.

Pourtant le protectionnisme frontiste tire tous azimuts. Culturel, humain, gastronomique, religieux, une liste infinie de ce que l’on peut appeler « national ». Or le protectionnisme raisonné (celui qui doit faire débat) ne s’attache qu’à réguler lede biens et services, et les flux financiers. Pour contre-balancer le dumping social qu’impose le libre-échange. La dimension xénophobe s’avère donc hors propos.

Finalement, le parti frontiste, contrairement à ce qu’il prétend, s’intègre parfaitement au dispositif libre-échangiste. Il permet de canaliser les idées, en l’occurrence le protectionnisme, et d’en faire une caricature infréquentable. Que l’on accole selon son gré et les opportunités aux idées de l’adversaire. Intégrer le FN dans l’équation du libre-échange/protectionnisme, c’est stériliser le débat. Et revenir au ronron permanent des sujets subalternes. Et de la semoule tiède des zélateurs du libre-échange.

Pourtant comme le note E. Todd (et que nombre de commentateurs oublient) « il est dans la nature des partis d’extrême droite de raconter n’importe quoi. »

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Vogelsong – 18 juin 2011 – Paris

La gauche, là où on l’attend…

(Comme un bilan de l’année 2010)

“Au-delà de ce que le personnage de Sarkozy peut avoir de cafouilleux, d’erratique, d’imprévisible, la droite a une ligne cohérente pour affronter cette perspective, dans un pays où la population est rebelle et a un tempérament égalitaire.” E. Todd

E. Todd, magnifique optimiste déclare au soir de la mobilisation contre le projet sur les retraites du gouvernement, “la France est toujours là”. Une France qu’il juge plus combative que râleuse. Combative manifestement, mais mal représentée. Car devant les effets de la conjoncture, telle que l’austérité, la paupérisation, l’écrasement de la classe moyenne, la gauche n’a pas réellement changé de position. N’a pas non plus échafaudé de projet capable de contrer l’inexorable glissement vers l’atomisation des rapports sociaux issue du modèle économique dominant. Il existe des embryons de projets au parti socialiste, par exemple, mais dont la finalité, l’adhésion du groupe, mais surtout l’adéquation avec le canevas d’ensemble laisse circonspect. M. Sapin archétypal, qui débattait sur une radio publique avec N. Dupont–Aignant sur l’hypothèse d’une sortie de l’Euro, n’a pas su se départir d’une atonie bien spécifique à la gauche du moment. Parce que sur le fond ses arguments pouvaient signifier, mais à aucun moment il n’a pris le parti des gens. Les travailleurs, les jeunes, les précaires, les chômeurs, les délocalisés, les discriminés, les broyés pour qui une incantation supplémentaire sur une hypothétique “harmonisation fiscale européenne” et autres tirades technocratiques n’a plus aucun sens. Il n’est point question de populisme, là. Mais d’une opportunité (d’ailleurs ratée) de pouvoir profiter encore de forces vives.

Un sérieux souci électoral

Comment expliquer qu’en 2010, après huit années complètes d’opposition, la perspective de remporter les échéances électorales reste encore incertaine ? Comment compte tenu du bilan économique, social et symbolique de la droite régnante, la gauche ne garantit pas avec une quasi certitude une alternance ? Les “progressistes” persistent sur une esquisse électorale incertaine. Une posture proprette, polie, proche des cercles de la raison mais littéralement dépassée par le paradigme du moment. La continuation d’une figure gestionnaire et sérieuse, choisissant le camp des réalistes pour atteindre le pouvoir. Dans le fond de l’air libéral, la posture réaliste, gestionnaire et sérieuse revient à accompagner gentiment les “réformes” sociales. Une stratégie perdante depuis plus d’une décennie. Une attitude molle qui tranche avec le rythme d’enfer que les néo-conservateurs imposent. Sur le plan économique, après un sauvetage étatique du système bancaire, la droite a réussi à faire éponger le coût à la population et en même temps à prescrire une diète sociale des plus draconiennes. Deux ans après le choc financier, deux années de cotisations supplémentaires sont imposées, par exemple, aux travailleurs français. Dans un pays qui compte près de 4 millions de chômeurs, 1 million de plus qu’avant la crise. Ce n’est plus une double peine, mais délibérément une mise au supplice. De surcroit, le spectre de l’extrême droite plane sur les prochaines échéances. Comme un retour sur mai 2002.

Un mai 2002 toujours incompris. Les études concernant le vote frontiste montrent qu’il s’agit d’un basculement radical à droite d’électeurs déjà à droite, concomitamment à une démobilisation de l’électorat progressiste. Focalisée sur le centre, terrorisée par les extrêmes, la gauche ne parle plus aux exclus de la démocratie. Elle préfère psalmodier dans l’agora des participants au lieu d’y associer les laissés pour compte. Chasser l’électorat “UDF”, minauder sur les républicains, enfourcher les discours sécuritaires ne sert à rien. Ce qui peut expliquer la relative sûreté affichée par la droite. Qui joue sur ses points forts, sur son terrain, c’est-à-dire un vieillissement de la population, un contexte sécuritaire favorable et une abstention teintée de désaffection pour la chose publique.

Et comme un écueil syndical

Se borner à maintenir le contact dans un rapport de force fait nécessairement parti du rôle des organisations syndicales. Ceux qui y voient une matrice révolutionnaire se fourvoient. Tant il est vrai que les sobriquets “soviétisants” fleurissent dans la presse. De fausses pistes pour “antagoniser”, étirer, caricaturer le spectacle des mouvements sociaux. Pourtant, le rôle des organisations aujourd’hui est, ou devrait être, la mise en place d’un rapport de force tel que les échanges puissent se dérouler hors des conditions léonines qui aujourd’hui sévissent. C’est à une usure inconsidérée de force que se sont livrées les centrales lors du vaste mouvement contre les retraites de septembre-octobre 2010. Livrer une bataille asymétrique contre le pouvoir UMP demande plus d’imagination, d’organisation, de gestion des ressources que ce qui fut déployé. Et si elles ont fait ce qu’elles ont pu en la matière, il est raisonnable de penser qu’elles sont vouées à un avenir moribond. Démontrer qu’avec moins de 20% de syndiqués on peut organiser des marches nationales et regrouper jusqu’à 3 millions de personnes semble largement insuffisant. Surtout face à une machine déterminée comme le pouvoir Sarkozyste.

Comment expliquer l’atonie étudiante ? Comment penser gagner un conflit à l’aide d’une poignée de salariés qui bloquent les raffineries ? D’autant plus que le problème des retraites touche tout le monde ? Peut-on réellement estimer que les bureaucraties syndicales avaient une vision claire des événements, étaient pourvus d’une volonté de faire plier le gouvernement ? Mais plus que cela, d’une stratégie calquée sur un agenda pour peser. Enfin même si cela est secondaire (et pourrait s’entendre comme un délit de sales gueules), que peut-on penser des duettistes à la tête des deux grandes centrales ? Incarnant par leur comportement, leur habitus, un archaïsme poussé à son degré suprême. L’opinion (concept vaporeux) ne suffit pas. La grève par procuration non plus.

Canaliser les forces évidemment, opérer un suicide (du mouvement) social laisse pourtant pantois. Symptomatique du désarroi face à cet échec, un footballeur narquois s’improvisera mentor d’une révolution mondiale bancaire. Avec le retentissement que l’on connaît. Mais cela illustre bien l’état des forces sociales, alors que le contexte pourrait être favorable.

L’égalité n’est plus une valeur… de gauche

La discorde sur le projet socialiste d’égalité réelle éclaire d’un triste jour le nouveau paradigme à gauche. Il y aura toujours un G. Collomb, un P. Moscovici ou un M. Valls pour considérer que l’un des fondements socio-économiques de ce pays (l’égalité) relève d’un concept dépassé. Pourtant, les revenus des 1% de Français les plus aisés ont augmenté plus rapidement que ceux de l’ensemble de la population entre 2004 et 2007 (et il est peu probable que depuis l’effet se soit inversé). Ces 1% disposant d’un salaire annuel brut d’au moins 215.600 euros, soit sept fois plus que la moyenne des salariés à temps complet du secteur privé (autour de 32.000 euros). Tout concourt à prendre cette thématique au sérieux, la réalité des chiffres, le sentiment de déséquilibre dû aux “réformes” qui ne servent qu’une niche aisée de la population, enfin et surtout parce que l’égalité est un élément facilement réactivable dans le corps social spécifique hexagonal. Opportunité que s’échine à gâcher une bonne partie de la gauche qui ressasse une “modernité” dont il est difficile de percevoir les contours, mais surtout les finalités.

Par facilité, et esquive du débat de fond, un cas d’école : on stigmatise la gauche radicale, en l’occurrence J.L. Melenchon jusqu’à le Lepeniser. Certes vibrionnant, erratique dans ses points de vue, et ses accointances médiatiques, mais qui indéniablement replace la question égalitaire au centre du débat. Il semble pourtant urgent de sortir du créneau ronronnant de la pensée molle à usage anesthésiant. Bien qu’il opère encore, il séduit manifestement de moins en moins de monde. S’en remettre à la lassitude (de la droite) et à la victoire par défaut illustre la perte de repères. Plus que cela, on a substitué à la réflexion globale, une ambiance de vaudeville mâtiné de coups tordus (proprement insignifiants) et d’homme providentiel jouant le fils prodigue de la nation. Et finalement s’appuyera le moment venu sur le sempiternel vote utile et le bon report de voix.

En 2010, la gauche se situe où on l’attendait, c’est-à-dire dispersée. Dans les idées, incapables de dégager des fondamentaux forts comme la notion d’égalité. Pourtant si simple à affirmer et étayer. Dans les figures, stériles et inaptes à incarner une voix citoyenne. Pourtant nécessaire pour faire front face à la dynamique néo-conservatrice. Au lieu de cela, la problématique politique (et économique) française s’embourbe dans la bipolarité molle. E. Todd, magnifique réaliste, constate que “sur la question fondamentale, c’est-à-dire l’organisation économique des sociétés, la gauche et la droite sont totalement alignées. Elles se distinguent sur la gestion des conséquences”.

Vogelsong – 20 décembre 2010 – Paris