Le retour de la démocratie passera par la 6e République

“Si l’on se projette, quelqu’un comme Nicolas Sarkozy aurait tout intérêt à être premier ministre” B. François le 28 octobre 2011

Bastien François, inaccessible ? Son cv impressionnant pourrait le laisser penser : il dirige actuellement le département de science politique à la Sorbonne, enseigne et se trouve être un spécialiste de sociologie politique et de droit constitutionnel. Par ailleurs, il est conseiller régional en île de France sous l’étiquette de EELV.

L’histoire de Bastien François avec la 6e République commence en 2001 avec le fameux projet C6R, convention pour la 6e République avec Arnaud Montebourg et Guy Birenbaum (entre autres). Vous aurez remarqué que les chiffres romains ont été balayés comme si l’on s’affranchissait du passé et que l’on s’inscrivait résolument dans une modernité. Un symbole. Lors de son engagement auprès d’EELV, lui et quelques autres se mettent à imaginer une 6° République écologique. C’est au sein de la fondation pour la nature et l’homme de Nicolas Hulot que se concrétise ce postulat, et un livre est sorti “Pour une 6° République écologique”.

D’emblée, Bastien François, lorsque j’aborde la 6e République, me répond de manière politique. Ce projet est au loin, les négociations entre EELV et le Parti Socialiste ne portent pas sur ce sujet. Il s’agit plus de tractations sur un aménagement de la Ve République. Ce dont j’avais envie, c’était que Bastien François se lâche, me décrive le projet rêvé, son utopie, sans contraintes, ce qu’il aurait bâti s’il était aux commandes. Certaines choses restent à définir, bien entendu mais la base est là, portée en grande partie par le travail collectif du livre.

“Le monde, les relations sociales ont changé. L’accès généralisé aux études supérieures, l’ouverture des horizons géographiques, l’info largement diffusée ont contribué à bouleverser notre société. Ajoutez à cela le phénomène de la précarisation. Incroyablement, le seul truc figé c’est la politique. On reste avec des politiques qui infantilisent les électeurs, finalement. Sans compter une défiance vis-à-vis des jeunes, qui, eux sont de plus en plus angoissés. La Ve république, finalement, c’est la grande messe tous les cinq ans et pendant ce laps de temps, les électeurs n’ont quasi aucun droit. J’ai envie d’une exubérance démocratique. C’est ça la 6e République pour moi.”

Abattre les murs, sortir la France politique de sa léthargie, bouger les lignes, Bastien François s’y emploie concrètement en tant que conseiller régional. Il a institué “un droit d’interpellation populaire” permettant aux Franciliens de saisir par voie de pétition les élus régionaux. Je n’en savais strictement rien. Il suffit d’une pétition réunissant 50 000 signatures et on peut y participer dès l’âge de 16 ans. À l’évocation de cette victoire, Bastien François aura un sourire fier. Pour lui, l’important, c’est de trouver des outils pour que les politiques fournissent des réponses “au quotidien” aux questions que se posent légitimement les électeurs, des moyens pour faire surgir des problèmes qui n’émergent jamais du fait que les politiques sont probablement trop éloignés des Français.

“Je trouve aberrant que, dans ce pays, certains partis ne figurent pas au sein de l’Assemblée. La proportionnelle, peut-être pas en totalité mais partielle est indispensable. Comment voulez-vous répondre aux électeurs du Front National s’ils ne sont pas représentés ? Une assemblée nationale où il n’y a pas d’élus FN n’a pas de sens. Par ailleurs, il faut cesser le cumul des mandats, créer un turn over au sein de la politique. Pour que la démocratie fonctionne, il faut que les pouvoirs nous échappent en quelque sorte.”

Vous trouverez ci-dessous des schémas, certes imparfaits, pour expliquer les mécanismes de la 6° République rêvée de Bastien François. A la base, on trouve une constituante 2.0. Pour l’instant, par manque de moyens financiers et techniques, cette idée est au point mort. Sur la base de ce qui s’est fait en Islande sur le G1000 en Belgique, instaurer un débat entre citoyens pour déterminer quelles sont nos valeurs, qu’est-ce que la démocratie, qu’est-ce que la politique. Finalement, à contrario du débat sur l’identité nationale, ne pas déterminer ce qu’est qu’être français, mais ce qu’est la France, du moins, ce qu’elle représente et comment fonctionne-t-elle ? Un forum, des débats filmés et retransmis seraient les supports par exemple. Tout est possible. À noter que comme le racontait Lara Orsal, on pourrait très bien se servir du système Freemen. On pourrait imaginer qu’une série de recommandations émergeraient. Tout ceci constituerait une base de discussion générale.

Au chapitre proprement dit d’une 6e République : les électeurs se prononceraient sur le choix des députés et sénateurs ainsi que le Président de la République : “Le rôle du Président serait non pas exécutif mais il serait en quelque sorte un garant. Le garant des valeurs que nous choisissons, et son pouvoir s’inscrirait sur le long terme, un genre d’arbitre avec une capacité à saisir les institutions. On peut imaginer que cela soit un prix Nobel par exemple, une figure emblématique. Ce ne serait pas forcément un homme politique. Le mandat ne serait pas de cinq ans mais plus long de façon à ce qu’il ne soit pas dans le même tempo que le parlement. Un décalage nécessaire pour un travail sur du long terme.”

Le rôle de l’exécutif serait confié au Premier Ministre et au gouvernement : “Si l’on se projette, quelqu’un comme Nicolas Sarkozy aurait tout intérêt à être premier ministre plutôt que Président au sein de cette 6° République.

La notion de grands électeurs disparaît : “Ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en créant le Sénat et son système : c’était forcément un vote conservateur à l’époque. Le sénat a changé, le monde a changé. Si l’on pousse plus loin, la philosophie des Lumières n’avait pas prévu la profonde transformation du monde par les humains.

Le parlement serait composé de trois chambres : l’assemblée nationale représentante du peuple, le sénat représentant les régions (Une très grande décentralisation est nécessaire), et la troisième chambre, elle, représente la société civile et se pencherait sur les conditions naturelles de vie : “une nouvelle chambre parlementaire dédiée aux enjeux environnementaux, l’«Assemblée du long terme», composée de personnalités qualifiées et de citoyens tirés au sort. Sa légitimité ne repose pas sur le principe représentatif, mais sur sa capacité à se dégager du court terme. Préserver la biodiversité ou la stabilité du climat sont des objectifs à caractère universel et non des intérêts catégoriels. Le problème n’est donc pas de représenter tels intérêts contre tels autres. En conséquence, cette troisième chambre ne vote pas la loi, dans une délibération où s’affronte fatalement ce type d’intérêts. Elle peut uniquement, en amont, concevoir et proposer des projets de loi liés au long terme, comme la refonte du système fiscal favorisant une économie économe de ses ressources. En aval, elle dispose d’un droit de veto constructif sur les lois avant leur promulgation, qui contraint les assemblées à délibérer à nouveau. Son pouvoir consiste avant tout à injecter dans le débat parlementaire la préoccupation du long terme, à imposer justement qu’on en débatte.” (source Libération). Pour l’instant, il reste à déterminer comment et qui les choisirait, à priori, ce serait une des attributions du parlement.

Une chose à laquelle Bastien François tient beaucoup c’est la notion de débat et de contradiction : “Le conflit est perçu comme quelque chose de négatif. Regardez les réactions quand au sein d’un parti des voix dissidentes se font entendre. Tout de suite, c’est le drame. La grille de lecture concernant le conflit est exacerbée alors que la confrontation d’idées contradictoires est saine pour une société. Le délibératif est une des solutions.” Pour cela deux leviers : le véto constructif et l’expression d’opinion contradictoire encouragée. Il y a de nombreux partis en France, et avec la proportionnelle, si l’on positionne l’opposition parlementaire en “la renforçant dans sa fonction d’interpellation, dans sa capacité à mobiliser des instruments de contrôle, d’investigation et d’évaluation des politiques publiques, vous créez un véritable espace délibératif parlementaire”* (Page 12 de l’ouvrage « Pour une 6e République Ecologique« ). Le débat démocratique doit rester en permanence vivant.

Le Conseil Constitutionnel ne serait plus composé d’anciens Présidents ou désignés par le même système. Les présidents des chambres proposeraient des candidats. Ils seraient auditionnés par le parlement et élus par lui. Une qualification technique serait nécessaire pour ses membres afin que cette institution fonctionne pleinement.

Toutes ces réformes, y compris celles du scrutin “seront incapables de corriger les effets de ce que Robert Michels, au début du XXe siècle, a appelé “la loi d’airain de l’oligarchie”, qui saisit toutes les organisations y compris les plus démocratiques : reproduction endogamique et concentration du pouvoir au sein de la classe politique. D’où la nécessité de favoriser l’accès aux mandats et la rotation de leurs titulaires.(…) C’est sous la Ve République que la proportion des cumulants a connu une progression considérable (en 1988, 96% des députés sont des cumulants). (…) La suppression stricte du cumul avec l’instauration d’un mandat unique serait bien comme l’a dit Guy Carcassonne, la « mère de toutes les réformes ». Il faudrait la compléter par la limitation dans le temps de l’occupation d’un mandat afin d’obliger à une véritable rotation ».* (Page 76 de l’ouvrage « Pour une 6e République écologique« )

Ce qui compte pour Bastien François finalement, c’est que le dialogue, voire le conflit ait lieu : “Créer le débat et donner du temps voilà le nouvel enjeu de la démocratie finalement. Et de la compétence grâce à l’intervention de la société civile. Pour autant, je suis sans illusions, cette 6° République naîtra sur un coup de force ou sur une circonstance historique. Les actuels politiques sont un microcosme parisien. Ils se connaissaient tous. Michel Rocard, pour répondre brièvement à sa tribune dans le Plus du Nouvel Obs, était mon héros auparavant. C’était un type extrêmement moderne. Mais il est comme les gens de cette génération, comme mon père, il vieillit et la politique est à un tournant majeur. Regardez la résolution de la crise européenne : Angela Merkel s’est rendue tous les jours au Parlement, elle a discuté, dialogué. Nicolas Sarkozy l’a joué tout seul. Aucun débat n’a eu lieu. C’est une vision obsolète du pouvoir.”

Bastien François sourit quand il me raconte que, la plupart du temps, les politiques le prennent pour un fou : “Je vais dans le sens de l’histoire. J’aimerais si je dois laisser une trace “sociale” de mon existence qu’elle soit liée à la 6e République. C’est le projet d’une vie dont je ne verrais peut-être même pas la naissance. Mais ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est d’en faire partie.

Je l’interpelle sur une toute petite chose qui me travaille, et qui me semble symbolique de la Ve République : les titres religieux du chef de l’État, vieille réminiscence de la royauté, proto chanoine, chanoine honoraire, etc. « Je ne les conserverai pas » me dit-il. J’en suis satisfaite car je crois une coupure nécessaire avec cette tradition qui n’a plus de sens. D’ailleurs, notre seul désaccord avec Bastien François sera sur la laïcité. Il voit tout à fait l’utilité de redéfinir ce qu’est la laïcité de nos jours, pour moi, la loi de 1905 et ses ajustements sont largement suffisants. Une autre question brièvement abordée sera celle de la loi en France. Je ne sais plus qui en a parlé mais fort du principe que nul n’est censé ignorer la loi dans ce pays, il me semble ahurissant qu’une refonte du code civil et pénal, ne parlons pas de l’administratif ne soit pas envisagée. Bastien François veut bien y réfléchir mais il n’a qu’un seul objectif : la 6e République, écologique de préférence.

Instaurer grâce à des institutions une exubérance démocratique, c’est cela le but de Bastien François. Je rajouterai pour ma part que la France est un grand pays, patrie des droits de l’homme et de ce qui s’approche le plus d’une démocratie. Mais tout cela a été dévoyé. Nous sommes en oligarchie. Ce que je trouve formidable avec le projet de Bastien François et de ses compagnons de route, c’est que si la 6e République était instaurée, la France aurait réinventé la démocratie au sein du XXIe siècle. Les possibilités pour les citoyens de participer existent, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Il faut s’adapter. Les taux d’abstention sont parlants, on élit un “roi” et les “états généraux” et on s’en détourne aussitôt. Afin de donner un coup de fouet, il faut faire bouger les lignes dans les institutions pour restaurer la confiance auprès des électeurs. Ce ne sont pas les partis qui sont en cause quelque part mais le système lui-même, un système qui n’affronte quasi aucune contradiction politique. La présence de la société civile serait un des moyens de les déclencher. Par ailleurs, le temps de la politique telle qu’on l’a connue, une politique du court terme est terminée. Les enjeux sont colossaux, l’humanité a appris au cours du XXe siècle que son monde avait des limites, des limites en terme d’écologie et en terme de systèmes économiques et politiques. Réinventer la démocratie est impératif ; la 6e république en est l’incarnation pendant que la Ve n’en finit pas d’agoniser…

Pour une 6e République écologique » sous la direction de Dominique Bourg aux Editions Odile Jacob
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@Catnatt – Paris – 14 novembre 2011

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Primaires, destination finale

“Ce parti n’est pas aimable” Un responsable socialiste

On fourbit ses armes avant le moment fatidique. L’instant crucial de la votation. La gauche organise des primaires pour désigner le candidat qui la représentera lors de l’apothéose démocratique de la Ve République. Un spectacle avant le spectacle, un tour de chauffe autour de ce que les promoteurs de l’évènement considèrent comme un évènement démocratique. Même au-delà, de C. Barbier à I. Rioufol en passant par Y. Calvi toute la quincaillerie de la médiasphère évoque ce moment électoral, ce vote “a prime”, comme un projet louable. Mais de quelle démocratie parle-t-on ?

Il ne va d’abord pas de soi que voter garantit le processus démocratique. On se gargarise largement de ce moment ouvert à tous les citoyens. Leur donnant l’occasion (si fugace) de s’exprimer. Or on le sait depuis la Grèce Antique, le vote ne garantit rien. On lui préfère même, parfois, le tirage au sort. Ce que J. Rancière décrit âprement dans son ouvrage “La haine de la démocratie”. Il y fustige les préposés aux élections issus essentiellement des mêmes milieux sociaux, leur conférant un habitus quasi identique, une similaire tournure d’esprit face aux questions de la cité. Une classe d’élus tirés du même substrat bénéficiant d’une position au départ et de moyens pour parvenir à se hisser au sommet des institutions. Même si cela nécessite un effort violent de prise de pouvoir. Et bien que violent, il le sera toujours moins que pour le quidam sortit de l’humus plébéien. Violent aussi parce que la capacité à toucher les cimes de la démocratie en se présentant à l’élection ultime précède une “vie politique” bornée de coups bas, de traitrises et de reniements. Tout ceci ne résout en rien problème démocratique, mais y penser en se rendant aux urnes peut éclairer d’une autre lumière l’évènement. D’entendre d’une autre oreille les cris de ralliement des socialistes en frénésie, et les hourras journalistiques en manque de substance.

Et de substance finalement, il en manquera. Non pas parce que l’on se focalise sur la gestuelle, les postures et petites phrases de candidats. Sorte d’enduit médiatique, servant à coller les éléments disparates de séquences dont on doute de l’issue, et même du sens. Mais plutôt parce que le spectre politique présenté par le parti dominant à gauche (le PS) recoupe presque exactement l’offre politique hexagonale dans son ensemble. Soit il représente parfaitement la politique française, et dans ce cas caracolerait à la tête des institutions. Soit il s’agit d’un mimétisme sclérosant de la représentation de la société française. Il est intéressant de constater que l’offre politique multipolaire des primaires est constituée d’un noyau central composé de deux candidats majoritaires (F. Hollande et M. Aubry), à qui l’élection selon les commentateurs ne pourra échapper. Et dont les idées sur le fond ne se distinguent que par quelques nuances. Puis de chaque côté une offre minoritaire, un paravent pluraliste. A. Montebourg occupant symétriquement la position tribunitienne de J. -L. Mélenchon. Le reste des candidats se situant à la droite du binôme majoritaire. S. Royal étant loin et ailleurs…

La question ne tient pas dans l’assimilation du duo leader à l’acronyme “UMPS”. Quatre années d’UMP suffisent pour mesurer l’amplitude entre le décent et l’indécent, le compétent et l’aberrant. Mais s’interroger sur la capacité d’une formation politique progressiste à proposer quelque chose de différent. De penser autre chose qu’une société défaillante en tous points. Tous les candidats s’en remettent à la croissance quelle que soit sa forme. Une pensée magique largement partagée chez les experts (on ne sait qui influence qui). Or de croissance il n’y en a pas depuis 30 ans et compte tenu de l’organisation économique, elle ne reviendra pas. Aucun des candidats dits sérieux ne souhaite sortir des terrains balisés. La démondialisation, tentative de penser autrement, et même approximativement autre chose, reléguée au rang d’incongruité teintée de xénophobie. Le PS travaille, phosphore, mais surtout tourne en boucle sur des idées éculées, des grosses ficelles usées. Un peu plus ou un peu moins d’impôts, réorganisation de l’appareil de l’État, sécurité versus prévention (la nuance étant dans le dosage). De loin cela représente un consensus centriste. Le rêve des experts, commentateurs et politologues, psalmodiant une France apaisée, peu rétive aux réformes avec comme toile de fond un sempiternel pacte social. Un citoyen sommé de choisir entre des produits déclinés sans saveur et des élites en perpétuelles promesses de changement.

Le Spectacle Politique tient plus d’un régime de sevrage aux idées nouvelles, à la domestication électorale par réflexe démocratique, que d’une réelle participation à un changement. Se séparer de la clique actuellement aux affaires reste la raison à peine suffisante pour participer. Quoi que…

Vogelsong – 1er septembre 2011 – Paris

Nb : Dans le Nouvel Observateur du 1er septembre L. Joffrin commet un article qui vient conforter ce qui est dit plus haut.

L’oligarchie regarde la dictature

“Contrairement aux apologistes de l’à-quoi-bonisme, l’exemple tunisien nous rappelle l’efficacité de ce mode de revendication nommé manifestation massive et prolongée” – SebMusset

Le contact poisseux entre les “grandes démocraties” et les dictatures s’éclaire d’un jour nouveau après les révolutions (en cours) tunisiennes et égyptiennes. Symptomatique, le cas du ministre des affaires étrangères de la France, M. Alliot-Marie, pitoyable, se démenant dans l’inextricable cafouillage de sa fonction, de ses amitiés, mais surtout de son inconscience. Une inconscience quant aux rapports que les démocraties entretiennent avec ces pays. Il serait trop simple de vilipender la métallique ministre, M. Alliot-Marie, simplement représentative d’une tournure d’esprit vivace dans l’élite hexagonale. Découvrant avec stupeur la révolution, la foule, les peuples chez ceux réputés si sous-développés qu’on ne leur accordait qu’une existence virtuellement bestiale, loin des aspirations de l’homo democraticus du Nord.

Le concept de révolution est une redécouverte. Avec son lot de violence, de courage, ses héros, loin des “transitions” lyophilisées qui tiennent lieu de marche vers la démocratie marketée par les experts occidentaux. L’univers sémantique du débat public fourmille d’éléments de langage pour expliquer une réalité qui souvent échappe. On y retrouve une haine viscérale des mouvements de fond, des soubresauts populaires, des insurrections de gueux. De tout ce qui évoque de près ou de loin un renversement de l’ordre établi. Incapable de nommer les choses spécifiquement, en l’occurrence une révolution dans une dictature.

Il est troublant de noter avec quelle circonspection les journalistes porte-voix des experts relaient avec méticulosité une analyse paternaliste des situations inédites de ce début d’année 2011. Tout en jargon diplomatique, crédibilité oblige, on glose sur la capacité, la possibilité de passer d’un pouvoir autoritaire ami à un autre pouvoir autoritaire qui le serait moins. Ce qui fait peur, ce n’est pas le pouvoir autoritaire, la dictature pour faire net, mais les accointances potentielles. Et même durant les mouvements révolutionnaires, les violences, les sacrifices, se pose la question lancinante de la pertinence d’une hypothétique libération. En substance, faut-il risquer la “démocratie” ou s’assurer d’une dictature. Changer et tenter pour mieux ou conserver ce que l’on a. Le chaos avec ses opportunités de progrès contre le conservatisme et ses certitudes.

C’est d’ailleurs sur ce principe que la France, l’Europe, le monde « libre » tolèrent les régimes pudiquement appelés autoritaires. Autoritaires et paternalistes, car garde-chiourmes de populations arriérées ou présentées comme telles. Gardiens d’un cheptel qu’il faut encadrer pour préserver la tranquillité alentour. Tantôt zone tampon anti immigration subsaharienne comme les pays du Maghreb, tantôt régulateurs des mouvements radicaux religieux comme en Égypte (en plus de représenter un enjeu géostratégique), tantôt vache à lait de matières stratégiques.

Les oligarchies du Nord ne savent plus parler de démocratie, n’ont plus rien à apprendre à ceux à qui durant des décennies ils ont récité la leçon, tout en laissant une situation d’oppression demeurer. Pour leur bien dit-on.

Et F. Fressoz du Monde croit en évoquant la “perte de boussole” où elle s’afflige “Quelle faute !” à propos de M.Alliot-Marie et de son époux P. Ollier (aussi ministre de la République), dédouaner le reste de la classe politique sur ses rapports avec les dictatures du Monde. Elle croit cacher la forêt des turpitudes avec une affaire de largesses entre dominants. Comme J.F. Copé, l’homme sans tabou ni langue de bois, qui ne trouve rien de mieux à opposer à la gauche que l’appartenance des partis de Ben Ali ou de H. Moubarak à l’Internationale socialiste. Comme si l’Internationale socialiste avait une quelconque utilité dans les affaires du Monde. Une rémanence de gauche inutile, mais bien utile dans la communication de crise. Car ce que pourrait reprocher J.F. Copé par exemple, ce sont les villégiatures incessantes, continues dans des dictatures, dans les riads par exemple ou l’oligarchie hexagonale se régénère. L’accueil en grande pompe de Hu-Jintao pour un gala à L’Élysée et autres M. Kadafi ou bien la présence le 14 juillet 2010 jour de la fête nationale (commémorant la Révolution française) d’une cohorte de dictateurs africains dans la tribune présidentielle. Il est préférable de concentrer les attentions sur des peccadilles. Une manière de penser qui justifie aussi la villégiature discount dans les dictatures, laissant penser aux citoyens de l’oligarchie (micro-oligarques de circonstances) qu’ils aident ses pays à sortir de l’ornière grâce aux devises. Or il semble qu’ils s’en sortent, non pas par la condescendance des ex ou néo colonisateurs pourvoyeurs de billets, mais par le courage de la révolution.

Ce que l’on nomme communément realpolitik n’est pas une politique des intérêts, mais celle du mensonge. N. Sarkozy en campagne en 2007 déclarait avec emphase “Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’Homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’Homme partout où ils sont méconnus ou menacés et je les mettrai au service de la défense des droits des femmes”. Une politique destinée à vernir le blason national, des sornettes à usage domestique : Un auto-érotisme franchouillard.

Peur des réveils populaires, condescendances nationalistes, sentiment extrême de supériorité et d’impunité, la mediasphere politico-journalistique tourne en boucle sur une situation qu’elle sait dans le fond inextricable. Non pas les broutilles de M. Alliot-Marie et de son mari aux frais des dictateurs, mais les longues périodes de silences, de sympathie, de déclarations emphatiques favorables aux régimes iniques. Dans cette perspective résonnent les paroles de S. Allende « L’Histoire est à nous, et ce sont les peuples qui la font ». Et si justice de l’Histoire s’il y a, elle ne retiendra pas un sombre ministre monnayant ses sociabilités avec les régimes dictatoriaux, mais les braves, tel Mohamed Bouazizi.

Vogelsong – 5 février 2011 – Paris

Evénements en Tunisie – Une élite française dépassée

“Je n’ai pas à qualifier le régime tunisien. Je suis Français, je n’ai pas à juger de l’extérieur comme ça un gouvernement étranger” – B. Le Maire – Ministre de la République

S’il en avait le temps, un Tunisien se frotterait les yeux devant le spectacle consternant qui s’offre à lui. Mais il a bien mieux à faire. Un Tunisien en observant la France, son gouvernement, son intelligentsia considèrerait indubitablement que quelque chose de sombre s’est abattu sur l’hexagone : ce rivage lointain, ce continent proche, cet autre soi par la culture, la langue, à une encablure de cyberespace. Un Tunisien constaterait après un mois de lutte sociale et un lourd tribut payé pour la conquête de la démocratie, que finalement la France n’est pas (plus) ce qu’elle prétend. La patrie des droits de l’Homme. Mais plutôt une succursale ou service marketing dépositaire de cette marque, véhiculant une image, un concept tant que les affaires n’en pâtissent pas. Ainsi, il contemplerait anxieux les turpitudes d’une société dévastée par la xénophobie. Et découvrirait comme dans son pays, la brutalité en moins, que le gouvernement considère aussi le peuple en ennemi.

Un Tunisien serait fort aise d’écouter M. Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, énoncer de sa voix métallique qu’“on ne peut que déplorer les violences (sans préciser lesquelles). [….].Plutôt que de lancer des anathèmes, je crois que notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation”, proposant de go le savoir-faire français à la police tunisienne. Un peuple en soulèvement reste un peuple à mater, mais dans les normes occidentales, c’est-à-dire sans trop de décès. Comme service rendu de l’Etat français à l’Etat tunisien, on offre une répression propre et technologique. L’observateur tunisien décontenancé se souvient (s’il est un peu au fait des historiettes hexagonales) que la même ministre (à l’époque de l’Intérieur) s’était occupée avec grande diligence des factieux anarcho-autonome de Tarnac. Partant d’un complot terroriste pouvant faire vaciller le système, pour aboutir piteusement à un embastillement sans preuve de post-adolescents radicaux. Il y trouvera alors une similitude dans la paranoïa des élites à l’égard de ses gueux. Cette solidarité oligarchique qui pousse l’ordre et la matraque à se porter volontaire par principe contre les manifestants et les activistes.

Un Tunisien féru de culture Française (peut-être lecteur de Montesquieu) aurait été saisi par les déclarations très distancières du ministre de la culture F. Mitterrand pour évoquer le régime de Z. Ben Ali, “En Tunisie, la condition des femmes est tout à fait remarquable. Il y a une opposition politique mais qui ne s’exprime pas comme elle pourrait s’exprimer en Europe. Mais dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré”. Il ne serait pas exagéré que le ministre français qualifie le régime actuel : Démocratie népotique, Dictature éclairée, Oligarchie populaire ? En tout cas, un régime vu de France et désigné comme seul rempart aux islamistes. Condition qui ouvre un droit quasi illimité aux exactions. Un Tunisien pourrait demander au ministre de la République française, si l’accaparement des richesses du pays par une infime minorité relève d’une exagération. Si l’aspiration à un Etat de droit confine à la démesure. Si les 50 morts résultants de la répression policière sont un coût humain exorbitant. Si enfin, s’immoler à 20 ans est outrancier.

Un Tunisien écoutant les chaînes pourrait être pris de nausées, en tombant sur les déclarations de J.M. Le Pen à propos de l’incapacité des pays du Maghreb à la démocratie : “Le régime démocratique à l’anglaise ou occidental n’est pas compatible aux mœurs de ces pays”. Il aurait compris qu’il ne s’agissait pas d’un épiphénomène mais d’idées largement propagées dans le pays (25% des sondés se déclarent en accord avec les idées du FN). Qu’il ne s’agit pas d’un accident médiatique, mais d’une réalité hexagonale, le tréfonds d’un atavisme colonial. Il aurait enfin compris la position de la France en observant la manifestation de soutien à E. Zemmour devant le journal conservateur Le Figaro. Un penseur mainstream de la France de N. Sarkozy qui déclara “Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C’est un fait”. Il aurait enfin compris que les élites françaises ne sont plus au niveau de leur réputation, ni de leur Histoire. Une clique se réfugiant derrière un universalisme ou Républicanisme en toc et à usage domestique. Un colifichet pour gogos de la médiasphère qui s’écoutent bavasser de jolis contes.

M. Marzouki, opposant à Z. Ben Ali explique au micro de France Inter les raisons qui pousse l’oligarchie française à soutenir le régime tunisien. Une vision simpliste mêlée de xénophobie. La Tunisie considérée dans un étourdissant euphémisme comme une “petite démocratie” et bénéficiant comme telle d’un traitement de faveur. Mais la Tunisie est surtout envisagée comme un rempart. A l’islamisme d’abord, malheureusement, et au grand dam des dirigeants Européens, cet alibi n’a pu être invoquer pour soutenir Z. Ben Ali, puisque d’intégristes il n’y a point dans cette insurrection. A l’immigration ensuite, la Tunisie fait office de barrière aux Africains en route vers l’eldorado occidental. Une dictature comme police de frontière au sud et gratuite, qui convient parfaitement au gouvernement de N. Sarkozy. Enfin et surtout M. Marzouki évoque un culturalisme couvert de racisme, qui veut que la démocratie soit un luxe pour les arabes, citant J. Chirac qui déclara “ils mangent c’est déjà pas mal”. Pour l’opposant, la démocratie est une nécessité. Et il affirme, un peu euphorique, que les Tunisiens vont se la payer.

Vogelsong – 12 janvier 2011 – Paris

La constante raciste

« Le racisme est le moyen pour les maîtres de communier avec les serviteurs » J.P. Sartre

Un de plus. Les dérapages de N. Sarkozy se succèdent. Mais le caractère très connoté historiquement des déclarations du 30 juillet 2010 à Grenoble dénote d’une volonté d’aller très loin dans l’infamie. M. Le Pen saluera, d’ailleurs, l’artiste en assurant que N. Sarkozy validait le programme du Front National. Lui enjoignant d’aller plus loin sur le code de la nationalité. En l’espèce, le chef de la majorité UMP associe clairement immigration et insécurité. Immigration bien ciblée, puisqu’il pointe tacitement les Maghrébins et les noirs. Quelques jours avant, les Roms subissaient une attaque en règle de la part du président de la République. Rien de moins qu’un passage à tabac institutionnel sur des bases ethniques. Cette fois au vu et au su de tous. D’ailleurs, il faut que cela se sache. Car dans l’équation présidentielle, avec l’abstention et la démotivation, il y a aussi le racisme.

Changement de paradigme
Le 21 avril 2002, la grande victoire de la droite nationale depuis plus de 50 ans n’a pas échappé aux séides de l’UMP. Derrière quelques cris étouffés, l’arrivée de deux candidats de droite au second tour d’une élection majeure semble avec le recul avoir été vécue comme un aboutissement. Un consensus tacite d’un demi-siècle, qui reléguait les miasmes au second plan du débat politique. Un cordon sanitaire démocratique, fort de l’expérience tragique de nos anciens, inscrit dans le code génétique de la République, pour que cela ne se reproduise pas. Mais N. Sarkozy et sa suite opèrent un changement de paradigme. Fini les oeillades discrètes pour rabattre les électeurs trop à droite dans le filet des classiques. Aujourd’hui c’est l’édifice conservateur dans son ensemble qui doit basculer dans le champ réactionnaire. Celui de la droite dure, sécuritaire et éthnocentrée. Retourner les immondices putrides, qui exhalent ce vieux fumet nauséabond afin de proposer un nouveau modèle de majorité à ce pays. Un modèle bâti sur des bases entreprenariales et « racistes ». Moderne en somme.

Le 21 avril 2002, une matrice du sarkozysme
Ramasser le vote des exclus perdus au Front National, tel est le couplet classique servi à droite comme à gauche pour masquer les évidences du vote extrémiste. À la sortie de l’accident de 2002, les spécialistes de l’opinion ont fait une lecture misérabiliste, mais surtout partiale du vote d’extrême droite. En effet, 30 % des suffrages des chômeurs se sont portés sur J.M. Le Pen, presque autant pour les ouvriers. Laissant entendre que le vote extrême était l’apanage de désespérés qu’il faut canaliser, raisonner. On oublie (volontairement) que le leader de l’extrême droite a recueilli aussi 30 % des suffrages chez les commerçants, les artisans et les chefs d’entreprises. Faut-il en conclure qu’il s’agit ici aussi de groupes sociaux en marge ?
D’autre part, si on considère le score des chômeurs, 30 % de suffrages pour J. M. Le Pen, il ne faut pas omettre l’abstention et la non-inscription de ce « groupe » social. Ramené à la population de sans-emploi, on peut estimer que le score de 30 % du FN représente 15 % des chômeurs. Ce qui change drastiquement les conditions de l’analyse sur les raisons d’un tel vote. En particulier la thèse expliquant majoritairement le vote frontiste par des difficultés d’orde social. En réalité, le vote extrême traverse toutes les couches de la société française. Les commentateurs se rassurent en incriminants les manants, les fous, les sans voix. Une posture tellement plus élégante que le questionnement du vieux fond nauséeux hexagonal.

Un discours « raciste » pour des « racistes »
Les outrances de la droite moderne par la bouche du président de la République n’ont pas pour objectif de ramener des brebis égarées dans le giron d’une droite républicaine. Le discours à deux tonalités cherche à galvaniser tous les fascistoïdes de l’hexagone. Qui fera croire, à part le très respectable D. Paillé, que la stigmatisation ethniquement ciblée constitue une politique de bon sens ? Car c’est bien du « racisme » dont il s’agit de traiter, l’une des choses les mieux partagées en France. En particulier quand elle vise les Maghrébins, les noirs, les tsiganes.

À droite depuis quelques mois, les mots démocratie et république sont sur toutes les lèvres. Autour des séides du sarkozysme qui poussent toujours plus loin l’outrance, vivote une majorité de notables, députés installés qui préfèrent tourner le regard ou deviser sur le sport, la météo ou les affaires courantes. On pourrait penser à un sursaut républicain, ou quelque chose s’en approchant. Nenni. De leur silence dépend leur survie politique et matérielle. Un troupeau de démocrates silencieux face au « racisme » instrumentalisé au plus haut niveau de l’état. Un parterre pansu très disert sur l’exemplarité de l’élu, mais qui le moment venu se défile. Le « racisme », finalement, étant peut être la chose la mieux partagée, et représentée dans ce pays.

Sources : Statistique et citation de préambule : Collectifs les Mots Sont Importants –

Vogelsong – 31 juillet 2010 – La vigie

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