La rééducation nationale

« Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident – d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis. Ce mouvement, à la très forte capacité d’attraction et de diffusion de violence, est en expansion. » General Vincent Desportes à propos de Daech

Si sombre est cette époque pour qu’à l’unisson, nous décidions de mettre en suspens toute tentative d’explications et de nous réfugier dans des expédients intellectuels. Le dépliage de causes et de conséquences des évènements dramatiques qui ont frappé la France en janvier 2015 sont complexes et multifactoriels. Mais au final, une fois pris le recul et dépoussiéré de tous les parasites émotionnels le message du gouvernement peut se résumer abruptement à : L’école de la République va devoir supporter les impérities politiques de 30 ans d’ignorance, les errements géostratégiques de N. Sarkozy en Libye et plus tragiques, ceux de G. W. Bush dans ses aventures irakiennes.

Disclaiming

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Christopher Dombres

Soyons clairs, tout d’abord, il n’est pas question ici de 1/ minimiser les risques d’attentats, 2/ d’ignorer la nécessaire prise en compte de la surveillance et du renseignement pour se prémunir le mieux possible des risques  3/ de décréter que tout va bien. Les sobriquets en ces temps de surveillance et de punition s’abattent comme à Gravelotte et si l’on n’y prend garde, de se choper celui d’ « angélisme multiculturaliste » doublé de « culture de l’excuse ». Ce dont il vaut mieux, compte tenu de l’ambiance, se garantir.

Par quelle magie les guerres qui secouent le monde et déstabilisent des régions lointaines peuvent revenir au cœur même de l’Europe ? Alors que les clercs médiatiques tiennent l’explication sur l’enchainement des évènements. C’est  simple et limpide. Il n’y en a pas. Ce qui est arrivé est arrivé par le simple fait que ceux qui l’ont commis étaient issus d’une communauté religieuse et ethnique. Point.

Les experts savaient, eux

Le tour d’horizon vertigineux de ceux qui avaient tout prévu ressemble à une plongée en eaux troubles.  Leurs solutions sont élémentaires : soit la dilution dans un moule mythique Républicain (version la plus soft), ou l’évocation d’un grand refoulement hors des frontières de la France d’une partie de la population triée sur des critères éthnico-religieux (version hard). Si cette dernière solution est totalement aberrante, elle en dit long sur ce qui est intellectuellement possible aujourd’hui. Quant à la répétition pathologique des principes de la République comme des Mantras qui pourraient nous protéger des mauvais sorts, elle relève souvent d’une infirmité politique. Sachant que ces principes, liberté, égalité, fraternité et l’adjuvant de laïcité ne concernent qu’une maigre partie de la population. Celle qui n’en a absolument pas besoin. Les progressistes où ceux se qualifiant comme tels, ont décidé que l’école serait le lieu des rectifications. C’est certes plus constructif que le bannissement de populations, mais est-ce bien raisonnable (et efficace) ? À part gesticuler sur de grands principes pour se rassurer. On se souviendra également que pour la majorité des experts et des politiques, l’école et l’éducation n’était, il n’y  pas si longtemps, qu’un centre de coûts qu’il fallait « reformer ».

Le triomphe du courtermisme

On voit ici la tentative de filtrage d’une génération d’enfants que l’on soumet aux aléas des inégalités, mais que l’on souhaite redresser par un martelage idéologique de principes qu’on ne leur applique pas (égalité zéro, liberté zéro, fraternité zéro). Égalité Zéro, il faudrait évaluer combien de citoyens de Neuilly sur Seine possèdent autant que toute la ville de Grigny.
Liberté Zéro, à part celle de rester ad vitam dans les mêmes barres d’immeubles. Fraternité zéro,  facilement identifiable par le flot de haine déversé à longueur d’antennes sur la populace dangereuse. Quand au saupoudrage de laïcité, il sert souvent de paravent à la bouc-emissarisation. La seule issue est l’échec. Et sur le long terme, une catastrophe.

Les perdants du système perdent donc deux fois. Parce qu’en plus de subir les remontrances outrées de ceux qui faillissent depuis des décennies dans leur gestion de la ségrégation entre dominants et dominés, il faut aussi embarquer de nouvelles prérogatives scolaires. La normalisation des enfants dans le moule républicain. Dont on ne connaît pas bien les contours. En d’autres termes, et dans l’esprit étroit des gouvernants, la transformation des élèves des quartiers difficiles, terme euphémisant pour parler de zones économiquement abandonnées, en jeunes têtes blondes issues de la France rêvée des années 1920. Cette école qui ne réussit pas à donner à chacun la possibilité de gagner sa vie dans la jungle concurrentielle du marché va devoir se coltiner la mise aux normes des cerveaux réfractaires.

Vogelsong – 26 janvier 2015 – Paris

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La banlieue, objet apocalyptique de nos fantasmes #2 – Vers la militarisation

“Les conséquences de la colère sont beaucoup plus graves que ses causes.” Marc Aurèle

Consensus militaire autour du déploiement de forces dans les cités de la République. À chaque acmé en banlieue, on invoque l’inflation de moyens pour mettre fin aux violences. Cette fois une histoire de gangs. En somme, la force publique en l’état ne peut plus assurer la sécurité des habitants de certaines enclaves. S. Gatignon maire de Sevran, classé à gauche, se joint à la noria de véhéments pour faire respecter l’ordre public. À coups de canon s’il le faut…

Un feu médiatique

La pauseuse E. Levy évoquait déjà l’idée en pleine fournaise estivale de l’année 2010, “On est en guerre, on est zone de guerre, on a des gens qui tirent sur les flics à l’arme lourde”. Nonobstant le fait qu’une arme lourde s’entend comme une arme de gros calibre destinée à détruire des infrastructures ou des véhicules, que E. Levy confond surement avec “armes automatiques”, ou “armes de guerres (comme le fusil d’assaut)”, la dialectique belliqueuse ciblant les territoires de la République envahit inexorablement le débat. Et de façon dramatique. Et dramatisée.

On se souvient des appels de la droite politique lors des émeutes de 2005 pour réclamer ce type de mesures draconiennes. Plus récemment, I. Rioufol, jamais en reste quand il faut sévir sur la piétaille des périphéries, concernant l’appel à l’aide du maire de Sevran illustra la situation par le terme “libanisation de certains quartiers”. Dans la bétonnière qui lui sert de système de pensée, il n’oubliera pas de lier cette “libanisation” à la question ethnique, déclarant de go la “faillite du vivre ensemble”. Quelques jours plus tard, le quotidien France Soir du 10 juin 2011 publie en une le définitif “L’armée dans les cités, les français disent oui”. Dans la foulée un dossier de quatre pages du quotidien Le Parisien du 14 juin 2011 au titre filmesque “La cité où les enfants ont peur”. Derrière ce feu médiatique nourri, les va-t-en-guerre en papiers tentent d’oblitérer l’essentiel. Un recours à la force brute en écran de fumée qui masque les problématiques essentielles des zones de non-droits.

Conséquence de la pacification

La question n’est pas de légitimer les trafics ou l’économie parallèle, mais de s’interroger sur son remplacement. Qu’est-ce qui permettra aux centaines de milliers de personnes qui vivent (plus ou moins bien) de ces activités délictueuses de trouver des sources licites de subsistances ? Dans son ouvrage “La loi du ghetto”, L. Bronner décrit minutieusement la stratification des revenus du trafic de drogue qui s’élèvent à 2 milliards d’euros par an*. Selon l’auteur : “60 000 à 120 000 personnes seraient impliquées” au bout de la chaîne du trafic, qui tireraient entre 4 500 et 10 000 euros par an. Une réelle économie de substitution et de survie.

Au-delà de l’efficacité du déploiement militaire (et en imaginant que cela fonctionne), comment ces zones asséchées de l’économie souterraine s’acclimateront au nouvel ordre militaire ? Par quels moyens, autres que l’assistanat, tant vilipendé par les autorités, les habitants de ces quartiers vont trouver les ressources nécessaires au minimum des standards du pays ? Que proposent comme alternatives les va-t-en-guerre, que la survie améliorée pour ces territoires, qu’E. Zambeaux appelle “ces plaques détachées de la banquise” ?

Étant entendu que la pacification comme condition initiale à la revitalisation est une vaste plaisanterie, car même dans les zones où les trafics ne posent pas de problèmes d’hyperdélinquance, rien n’est fait pour sortir les quartiers du marasmes.

La question de la violence

On assiste à une inflation de la réponse sécuritaire. Sans que – on l’aura remarqué – la situation s’améliore. Le pouvoir n’a plus que ce rudimentaire expédiant pour communiquer sur le sujet avec les Français. Dans son shoot quotidien aux faits divers. De façon mécanique on répond à “violences” par “plus de violences”. D’ailleurs la militarisation des forces en banlieue est déjà une réalité. Toujours selon L. Bronner, “Aux violences parfois inouïes (…), répondent des dispositifs policiers toujours plus denses, plus complexes. Une “militarisation” du maintien de l’ordre : Utilisation d’hélicoptères dotés de caméras infrarouges… ; expérimentation de drones ; mise en place d’équipes spécialisées dans les départements urbains, (…)”. Cette stratégie ne mène à rien sur le long terme. Sauf à dévoiler un tropisme de dominants, un réflexe revanchard de la bonne société sur ses parias.

De ce paroxysme de la violence symbolique, exhalent relents xénophobes et prolophobes. En l’occurrence, les pauvres se vautrent dans oisiveté et assistanat, surtout quand ils sont d’origine étrangère. Toute la prose, qui vise à rallier la violence militaire, d’I. Rioufol, d’E. Levy et autres dealers de haines accrédite la thèse racialo-culturelle, bien répandue maintenant, de l’inadaptation de certaines catégories de population bien spécifiques à la vie dans la société française. Dans ce rapport essentiel et mythologique de la nation aux citoyens : de race blanche, de culture chrétienne, d’extraction prospère ; ou d’ailleurs et (dans ce cas) totalement soumis à la domination des suscités.

La question de la force publique dans les zones actuellement dévastées de la République se posera réellement quand les standards d’activités économiques et sociaux auront le niveau médian du reste du pays. En d’autres termes quand tout aura été (réellement) mis en œuvre pour traiter pacifiquement et habilement la question.

Et que seule l’hyper violence, alors, s’imposera comme ultime recours.

*La totalité du plan banlieue de F. Amarra représente en tout 500 millions.
 

Vogelsong – 15 juin 2011 – Paris

Vous reprendrez bien un “21 avril 2002” ? Non plutôt un “27 octobre 2005”…

“Le réel c’est quand on se cogne” J. Lacan

La France sue la panique. La minuterie électorale s’emballe, le personnel politique conscient qu’il faudra émerger des décombres s’excite comme un pantin frénétique. Depuis 2002, date du basculement dans le préfrontisme, les baudruches électorales s’en sont remises aux recettes politiques incantatoires, occupant le terrain médiatique des positions acquises. Pour les partis d’opposition, particulièrement le PS, une décennie paralytique. Avec comme credo lancinant, pathétique : “on va s’y mettre”. À droite, c’est l’hémiplégie idéologique, puisque seules les sirènes extrémistes et réactionnaires résonnent aux oreilles du quarteron de dirigeants. Horizon Mai 2012, une multitude de prétendants, un seul élu, une ribambelle de déçus avec comme effet collatéral la possibilité d’un nouvel accident démocratique. Pourtant, rien ne change, on se complait dans l’anticommémoration d’avril 2002, sorte d’exorcisme républicain destiné à chasser ce mal qu’on aime tant finalement. Car il ancre l’ordre social, ramène les citoyens au stade infantile. Une démocratie fantasmée, sage comme une image, rythmée de campagnes électorales, puis d’une élection moyenne. Au bout du compte, mieux vaut un “21 avril 2002” qu’un “27 octobre 2005” ?

On s’active dans les états-majors des partis politiques. La machine électoraliste fonctionne à pleine puissance. Les responsables politiques se shootent aux sondages administrés à une population qui n’en peut mais. Une énergie délirante dépensée en anticipations, projections, analyses à la petite semaine d’échantillons d’individus désaffectés de la chose politique. Les partis échafaudent des stratégies de gestion optimales du corps électoral, pour rafler la mise. Des embryons de programmes politiques lâchés en place publique pour donner l’impression du mouvement, comme au PS, sachant que le candidat en fera ce qu’il voudra. Un défilé incessant d’égo qui squattaient déjà la place il y a 30 ans. À droite on mime une démocratie interne en envoyant en première ligne des seconds couteaux pour appeler à des primaires. Simulacre puisque la messe est dite. Tout un barnum politico-médiatique avec comme toile de fond le spectre du Front National.

Mais finalement que risque la démocratie avec la menace du Front National au second tour ? Un camouflet symbolique, privant d’une finale rêvée le cénacle de la raison du petit monde politique ? La remise en cause d’une bipolarisation qui se dissipe, non pas par la jonction des deux principaux partis, UMP et PS, mais dans la radicalisation réactionnaire du premier (matinée de frénésie entrepreunariale) et l’affadissement du second engoncé dans ses compromis gestionnaires et stériles. Finalement ce qui se joue c’est la survie d’un parti (au choix), pas de la démocratie dans son état actuel, décrépite. Un second tour comportant le FN ne fait aucun doute sur l’issue. Ne pas avoir tenu compte de 2002, et faire la morale sur les nécessités du rassemblement pour 2012 confine au ridicule politique.

En octobre 2005, trois années après les lamentations d’avril 2002, les banlieues s’embrasent. C’est l’irruption violente dans l’espace médiatique des habitants du no man’s land de la République jusqu’ici simples objets de discours. Pendant trois semaines les medias se perdent dans la fascination du feu. Donnant presque (et) par mégarde (un peu) la parole aux habitants des quartiers. Pas pour très longtemps évidemment, l’ordre sécuritaire bien hérité de 2002 retrouve sa primauté. Des sondages “qui changent tout”* comme celui du Parisien du 9 novembre 2005 viennent appuyer les nervis gouvernementaux. Puis le discours carré des responsables de tous bords, “favorables” à l’arrêt des violences (notamment contre le mobilier public et les voitures).

Pourtant, 2005 cristallise sous toutes ses formes les impérities de la République, celle que F. Fillon, dans une décomplexion orwellienne, un peu plus tard dans sa loi antiburqa décrira comme “fondée sur le rassemblement autour de valeurs communes et sur la construction d’un destin partagé, elle ne peut accepter les pratiques d’exclusion et de rejet”.

Dominations culturelles, économiques et symboliques, ségrégations géographiques, stigmatisation religieuse, les émeutes d’octobre 2005 en comportent les ferments, les échos politiques. Des échos qui résonnent jusqu’en 2007 puis 2012. D’ailleurs, la matraque Lepeniste sert parfaitement la dénégation des causes sociales aux problèmes périurbains, dépeinte comme de la violence pure, bestiale… Dans cette demande sécuritaire relayée de Marianne au Monde (L. Bronner) puis dans la sphère politique par les dérapages des sarkoziens (B. Hortefeux, C. Guéant) et socialistes (M.Valls). “avril 2002” a ravagé tous les esprits.

Pour les présidentielles de 2012, le programme de la gauche ne sera manifestement pas révolutionnaire, dans le sens où il ne changera pas les données fondamentales qui régissent l’ordre social. En particulier dans les banlieues, ce point focal, ce maillon faible, mais aussi ce miroir grossissant de toutes violences économiques et politiques. Il suffit de tendre l’oreille aux propos programmatiques des caciques socialistes comme F. Hollande “Il faut réussir le mariage entre la gauche et la France.” ou P. Moscovici qui “ne veut pas promettre la lune”…

Alors, éviter un nouveau “21 avril 2002” évitera-t-il un nouveau “27 octobre 2005” ?

* 73% des français pour le couvre-feux entre autres

Vogelsong – 21 Avril 2011 – Paris

La banlieue, objet apocalyptique de nos fantasmes #1

“Cette restauration de la sécurité, nous l’avons engagée sur tout le territoire national, y compris dans les cités qualifiées de “zones de non-droit”. En ces lieux, nous avons bousculé les habitudes les plus discutables, traqué les trafics, contesté la logique des rapports de force, dénoncé la culture de l’irrespect”- N. Sarkozy ministre de l’intérieur – 15 novembre 2005

Les banlieues ne manquent pas d’attentions. Ni des médias, ni des politiques. Pourtant, une situation inédite perdure. Une trentaine d’îlots enclavés du territoire français survivent en marge. Coupés du pays. À chaque soubresaut, on se lamente sur le manque d’ambitions, la désertion de l’état, les trafics en tous genres et la violence. Après le gros temps, les enquêtes sociojournalistiques vont en pèlerinage pour y découvrir les contrées vierges de civilisation et de progrès. Arte s’y est essayé récemment. Une émission sur le sexisme en banlieue avec en toile de fond le calvaire de Sohane. Un programme d’autant plus retentissant qu’il fut annulé pour cause de menaces. Plus que l’information par le documentaire, c’est la révélation des pratiques (en l’occurrence des pressions) dans ces territoires sauvages qui éclairent crûment le sujet. Le propos n’est pas de minimiser le machisme et la violence brute qui y sévissent, ces phénomènes sont une réalité effrayante. La question est plutôt de savoir pourquoi et comment les politiques ainsi que les médias, benoîtement, découvrent le pays, leur pays, à intervalles réguliers.

Les figures de l’angélico-laxiste et du pragmatique

On redécouvre aussi deux figures du débat à propos des banlieues. Le laxiste, le doux rêveur adepte de l’excuse, qui disculpe les malfrats, les petits caïds et autres crapules. Un profil de gauchiste intellectuel éloigné du réel qui calque les théories sociologiques livresques aux accidents du terrain. Pour cette figure quasi mythologique, la question des banlieues est exclusivement sociale. Juché sur son char débordant de victuailles, il prodigue gracieusement des subsides aux assistées vivotant dans les barres HLM. Car il s’agit bien d’un mythe. Personne aujourd’hui n’aborde la question des banlieues sous l’aspect exclusivement social. Personne non plus ne pratique l’excuse aux exactions commises dans les zones périurbaines. À part les “héros”inventés des discours de N. Sarkozy qui use de ces figures repoussoir pour étayer sa vision “pragmatique”. Une vision (sécuritaire) de ses “solutions” en banlieues. Car le pragmatique, seconde figure, est plus en vogue. Il a compris le besoin d’autorité, a décelé les caractères quasi génétiques des problèmes des quartiers. Mais il fait surtout comme si la misère économique ne comptait pas. Oblitérée par la question essentielle : être pauvre en toute tranquillité. Le Président de la République depuis son avènement (prise d’otage de la maternelle en 1993) ne représente que le symptôme de ce basculement sécuritaire. Une grande partie, voire la totalité de la sphère médiatico-politique lui a emboîté le pas. Un exemple, Marianne, réputé anti-sarkozyste. Quand M. Szafran dans sa supplique à S. Veil affirme que lui comme beaucoup (à Marianne) “pouvions approuver certains aspects de sa (N. Sarkozy) démarche sécuritaire”. Il oublie que N. Sarkozy c’est le sécuritaire. Sa carrière s’est construite sur ces bases. Et les pragmatiques y sont légion, une petite recherche sur le site de Marianne avec comme mot clef “banlieue”fait apparaître de belles manchettes vitupérant la victimisation et autres théories de l’excuse. Enfin, on se souviendra de N. Domenach soutenait E. Zemmour (encore un pragmatique) sur le principe, lors de ses légers débordements xénophobes. Mais l’exégèse sécuritaire minutieuse de Marianne constitue un sujet à part entière.

Misère économique normale

La banlieue est un monde à part hors de toutes limites de la République. Des zones de non-droits comme le relève L. Bronner dans son hallucinante plongée dans les ghettos français. Par non-droits il n’évoque pas seulement ce que les pragmatiques s’entêtent à restituer sur les plateaux TV, c’est-à-dire la sécurité caparaçonnée et lourdement armée. Il parle aussi et surtout des droits simples de tous les citoyens du territoire : l’accès à de vulgaires services publics en état de fonctionner, des transports réguliers, des zones d’activité pour travailler, en d’autres termes une vie sociale normale. Partie intégrante du territoire national donc soumis aux mêmes règles il semble que tous, au-delà des discours et des mines concernées, se satisfont de ce bannissement. De cet apartheid économique. À Aulnay-sous-Bois par exemple, le revenu annuel moyen dans le quartier des 3000 s’élève à 7 735 euros contre 13 185 euros dans la commune.

Le traitement au coup par coup démontre bien qu’il s’agit de zones spécifiques hors du champ des politiques publiques de redistribution. Pour sortir les adultes de la “glandouille” en paraphrasant F. Amara, on s’appuie sur les ressorts très sarkoziens du “mérite” et de l’inadéquation du marché de l’emploi. Le mérite car pour le Président, sa secrétaire d’État et une grande partie de son mouvement, l’inactivité est une convenance. Alors que les quartiers plafonnent à 40 % de taux de chômage, une bonne partie de ceux qui travaillent le font en intérim ou pour un SMIC et des cacahuètes. Inadéquation du marché du travail sous entend le manque de formation des habitants de banlieue conjugué à la mauvaise volonté des employeurs. Alors, on fait des plans (com). À titre de comparaison la ligne budgétaire du mirifique plan espoir banlieue (500 millions au total) destiné à la réussite éducative pèse un peu plus de 12 millions d’euros, le business de la drogue est estimé lui entre 1,7 et 2 milliards d’euros.

Une tournure d’esprit dans l’air du temps qui sonne le glas des politiques macroéconomiques destinées à modifier drastiquement l’espace social dans son ensemble. L’État se contente d’un saupoudrage ciblé suivi d’effet d’annonces. On tolère la pauvreté, la paupérisation, la misère à condition qu’elle soit calme. Le débat se réenclenche régulièrement. On ressort les mêmes discours, les mêmes mines concernées, les mêmes plans bancals. Il n’y a manifestement aucune volonté de modifier ce schéma qui ne fonctionne pas si mal (pour certains). On établit des piloris de béton, on y fait charger la maréchaussée quand la situation dégénère. Le débat se noue alors entre laxistes et pragmatiques. Les médias font du papier. À la fin des fins, la politique sécuritaire ratisse les suffrages.

Sources : “La loi du ghetto” – L. Bronner – Calmann-Lévy 2010

Vogelsong – 6 septembre 2010 – Paris