Mélenchon : Violence Versus Violence

« C’est une des raisons qui font que les journalistes sont parfois dangereux : n’étant pas toujours très cultivés, ils s’étonnent de choses pas très étonnantes et ne s’étonnent pas de choses renversantes… » P. Bourdieu – Sur la télévision

Sarkozy maniait l’invective sans objet. Un parler cash qui n’impliquait aucune remise en cause d’un ordre établi. Il mimait une connivence populaire. Ce bon client convenait plutôt bien aux médias. On s’est bien esbaudi d’un « casse-toi pov’ con », mais la relégitimation s’est faite quasi instantanément. Parce que cela ne signifiait rien. Ne dérangeait pas en tout cas. La mise au pilori de J. L. Mélenchon et des membres du Front de gauche sur le registre de la malséance qui nuirait au bon déroulement du débat politique est d’un tout autre ordre.

20Il n’échappe à personne que J. L. Mélenchon dit des choses. Et des choses fortes sur le fonctionnement global de la société de marché. Il n’échappe aussi à personne qu’il les dit sur un ton qui tranche avec la petite musique lénifiante des invités permanents du Spectacle des médias. Ce Spectacle qui ne renâcle pas aux parodies de débats où le verbe est haut. Du moment que rien ne se dit. Où que ce qui se dit est dans le cadre strict de la pensée dominante. On a vu L. Parisot patronne du MEDEF hurler sur O. Besancenot à propos de l’amnistie sociale. On entend régulièrement M. Le Pen s’époumoner sur la menace étrangère. Défendre l’Olympe symbolique ou vomir sa xénophobie fait partie du pain quotidien des médias de masse. Il s’agit, là, d’une violence maitrisée bien en phase avec les préoccupations journalistiques (que l’on présente comme des sujets prioritaires pour les Français).

Or ce qui tranche avec J. L. Mélenchon c’est qu’il entre en collision avec l’ordre économique dominant et ceux qui le propagent. Notons au passage que l’ordre économique dominant se satisfait pleinement des outrages xénophobes. Créneaux vendeurs de papiers et d’espaces publicitaires connexes. Percuter à la fois la pensée dominante et ses séides relève de l’impossible. Comment critiquer un système à l’intérieur d’un système par l’intermédiaire des acteurs qui font le système. De façon automatique, quand le leader du Front de Gauche déboule à France Inter, ses échanges avec les tenanciers de la matinale sont encore plus exécrables qu’avec les représentants de la droite réactionnaire. Ce qui en dit assez long sur le conformisme d’une certaine pensée. Et sa plasticité à la violence extrémiste.

Reste enfin que sur le registre de la violence, personne n’est en reste. Que la violence imputée à J. L. Mélenchon à l’endroit de quelques journalistes repus n’a aucune équivalence avec la violence symbolique propagée par les médias où officient ces mêmes outrés. Personne ne s’étonne de la violence distillée par le Journaliste I. Rioufol. Pas une tribune, pas un billet pour dénoncer ou mettre en exergue les appels à la haine quasi quotidiens sur le mode de la France éternelle. I. Rioufol colporte ses miasmes avec bienséance et bonne tenue. Personne ne s’étonne que N. Beytout chaque semaine sur France Inter fasse l’apologie de la domination libérale. Qui n’est rien d’autre que de la violence de classe, exprimée sur un ton soyeux. On pourrait citer en vrac C. Barbier, E. Lechypre, J. M. Aphatie et bien d’autres, interchangeables qui, chacun à leur manière, répandent une violence symbolique, prêtant main-forte à une autre violence, celle-ci bien réelle, du monde sensible.

Il est pratiquement impossible de recenser les violences symboliques dispensées par les médias en faveur des dominants. Les unes, les articles, les émissions, les entrefilets, qui imposent à flux massif et constant l’hégémonie d’une classe, d’une caste. Une violence autolégitimée et euphémisée par ceux qui la pratiquent. Responsables du contenant et de l’interprétation du contenu.

J. L. Mélenchon est condamné. Sa violence « minoritaire » ne reçoit aucun écho dans un environnement structurellement hostile. Tenter de décrire un système médiatique dans ce système médiatique est voué à un échec infini. Tant celui-ci tend vers un seul objectif, la normalisation du « débat ». Il sera sempiternellement relégué au rang des trublions vociférants. Et on lui soumettra sans cesse l’argument de la bienséance comme passe-droit au cercle de la raison : en somme, se conformer, se plier aux règles (des médias de marché truffés de journalistes de marché) que lui-même tente ingratement de dynamiter.

Vogelsong – 26 mars 2013 – Paris

35 réflexions sur “Mélenchon : Violence Versus Violence

  1. Pour illustrer cet article, première question ce matin de P.Cohen à M.LePen : « que propose le FN pour combattre cette montée du chômage ?  »
    La question demande une solution, une alternative…j’auras aimé que Cohen pose la même question à JL Mélenchon.

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  2. Patrick Cohen avait parlé des cerveaux malades qu’il ne faut pas inviter,selon lui, mais il ne sait pas que les petites cervelles sont tout aussi nuisibles au débat et à l’info . C’est ainsi qu’il a passé 6 mn sur 10 le 26 mars sur F.Inter, à reprocher à Mélenchon son langage à propos des 17 salopards de l’eurogroupe dont, sacrilège, fait partie Moscovici, au lieu de parler du chômage .
    La violence médiatique, elle, peut s’exercer tranquillement mais en termes choisis, comme le sondage commenté par Pujadas le 21 mars au sujet de l’Islam ennemi de la République .
    http://television.telerama.fr/television/une-vague-de-racisme-deferle-sur-france-2,95115.php

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  3. Votre billet me renvoie au texte d’Halimi « les nouveaux chiens de garde ». J’ai écouté l’interview par Cohen de Mélanchon, je comprends la violence et la colère de Mélanchon, et oui l’absence de journaliste pèse sur la qualité des débats, car les débats sont confiés à des animateurs radio et/ ou télé !

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  4. Il est effectivement une violence qui ne se montre pas telle, celle d’un Xavier Bertrand ou d’un Coppé, toujours très polis et bien propres sur eux, voir même avec le sourire, mais néanmoins bien plus brutale pour les masses populaires par les idées qu’elle véhicule… Cette violence symbolique là (et pas que, quand on en voit les conséquences bien concrètes sur le monde du travail… et la domination de l’homme par l’homme, qui elle les effraie beaucoup moins) n’est jamais décriée par les médias complaisants… Et pourtant. Ne fait-elle pas plus de dégâts que les gros mots de Mélenchon ou Delapierre ?

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  5. En usant d’un ton violent, Mélenchon joue un rôle, renvoie l’image que les médias attendent de lui. Ce faisant, on retient ses attaques ad hominem, ses petites formules… et son discours politique passe à la trappe.

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  6. Bonjour à tous. Je respecte votre analyse. Sauf que, selon moi, vous avez tout faux.
    1: La Révolution Citoyenne que nous voulons accompagner, ce ne sont pas d’abord ceux qui manient bien la langue et qui ont les bonnes manières qui la feront. Ce sont les gens qui jubilent quand Jean-Luc dit à Patrick Cohen qu’il fait « prout-prout », et qu’il est un hypocrite.
    2: Vous vous trompez lorsque vous croyez que les gens du peuple ne peuvent pas réfléchir AVEC leur langage et leur affect. Il n’y a pas qu’une langue, qui serait la nôtre, pour réfléchir. Jean-Luc a le verbe haut devant la meute. Il montre les dents. On ne peut pas le domestiquer. L’obliger à parler la langue qu’ils veulent parler, bla-bla-bla. Il les re-cadre. Ça prend 6 mn sur 10 ? O.K. Il en reste 4 pour exposer une pensée, un programme et des solutions. C’est dense. Et là, la meute n’a rien à objecter. Visionnez la vidéo  » Jean-Luc Mélenchon persiste et signe ». Nombre de visites. Ces idiots sont obligés de TOUT mettre en ligne. Lisez le blog de Mélenchon. Vous y trouverez une vidéo où, dans une entrevue avec un jeune JOURNALISTE tunisien, il parle autrement. Il se trouve qu’avec celui-ci, il n’y a pas besoin de la phase préliminaire.
    3: Au P.G, nous n’avons pas honte d’être les tribuns du peuple. Quand je tracte hier soir en gare, je parle fort pour annoncer la couleur. Les jeunes et les travailleurs pauvres prennent mes tracts,de plus en plus. Le message est passé. Ne les méprisez pas, ils savent lire.

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  7. Quand il développe sa pensée comme ici Vogelsong est bien plus intéressant que quand il éructe avec arrogance sur Twitter. Peu importe ! Il a raison en ce qui concerne Mélenchon, les médias et la bienséance. Sauf que Mélenchon n’est pas condamné à l’échec, ses propos suscitent la haine des libéraux mais aussi la réflexion, la prise de conscience de certains et dans toutes les couches sociales face au système libéral. Comme une évidence, un autre discours que sa rudesse rend plus audible face au consensus médiatique. Le rouleau compresseur des médias est puissant et des Mélenchon il en faut.

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  8. Je ne crois pas qu’il soit condamné, mais de toute façon la personne de JLM n’est pas importante. Ce qui est important, ce sont les idées du FDG. Il ne faut pas surestimer le pouvoir des medias traditionnels. Ils étaient à 90% pour le TCE qui a été rejeté en 2005. Il n’y a pas de sondage (sauf peut-être sondages confidentiels, ce qui expliquerait certaines choses) mais je pense que les idées et le programme des partis du front de gauche sont en nette progression. J’en veux pour preuve la panique au PS.
    Comme l’écrit PG77 : les gens lisent les tracts. Et ils voient bien que le merkelisme n’amène que la misère. La révolution citoyenne est trop lente, mais elle est inéluctable.

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  9. La violence que nous subissons chaque jour dans chaque journal de chaque chaîne de télé ou station de radio n’émeut pas autant cette engeance de pseudo-journalistes : nous sommes sans cesse pointés comme des resquilleurs, des flemmards, des bons à rien, des nuls en anglais, des nuls en tout, nos enseignants sont attaqués presque chaque jour et traités d’incompétents et de corporatistes psycho-rigides, tout comme nos magistrats, et pourtant ces gens travaillent dans des conditions inimaginables de pénurie , nos ouvriers sont tous des casseurs quand on les licencie et des tire-au-flanc quand ils sont au chômage, nos retraités sont tous des jouisseurs égoïstes, nos jeunes sont soit amorphes soit délinquants…C’est un scie lancinante, sempiternelle, à note unique : nous faire entrer par tous les trous le libéralisme, la LOI du marché qui prime sur toutes les autres. Alors, Méluche-le-violent, vas-y, lâche-toi, fais ça pour moi ! merci !!!

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  10. « J. L. Mélenchon est condamné. Sa violence « minoritaire » ne reçoit aucun écho dans un environnement structurellement hostile.
    Tenter de décrire un système médiatique dans ce système médiatique est voué à un échec infini. Tant celui-ci tend vers un seul objectif, la normalisation du « débat ». Il sera sempiternellement relégué au rang des trublions vociférants. Et on lui soumettra sans cesse l’argument de la bienséance comme passe-droit au cercle de la raison : en somme, se conformer, se plier aux règles (des médias de marché truffés de journalistes de marché) que lui-même tente ingratement de dynamiter. »

    Ok, sauf pour ce dernier paragraphe; On dirait du TINA – « There is no alternative ». Il me semble que ce soit tout le contraire. La violence de JL. Mélenchon a un effet, mais pas celui que vous lui prêter, peut-être. JL. Mélenchon et le front de gauche ne cherchent pas a faire une révolution dans les médias. Il me semble que les dernières péripéties ont pu montrer comment on l’a invité (Cohen) pour le plier et lui demander des excuses publiques et comment cela s’est finalement retourné contre les accusateurs lorsque finalement des ARGUMENTS ont fais leur apparition sur la scène et ont alors pu atteindre les oreilles de nombreux auditeurs. Sans combat médiatiques, l’alternative n’y existe pas. Cela n’empêche pas d’autres combats, à d’autres endroits et avec d’autres armes. Mais les médias de masse étant la source d’information de la majorité d’entre-nous, il me semble essentiel d »y imposer une dissonance, tout en faisant attention de ne pas s’y laisser séduire, ce que JL Mélenchon réussit plutôt bien.
    Salutations !
    A.

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  12. Ce qui me fait problème n’est pas ce qu’on dit être de la « violence » chez Mélenchon. J’ai entendu Mélenchon parler calmement avec des journalistes qui veulent un débat calme (mais tranchant – pas incompatible)

    En l’écoutant, j’entends surtout un ton vif, vivant, des réponses du tac au tac bienvenues dans l’argumentation et toujours une analyse juste et justifiée. Hé, nous sommes en guerre tous azimuth.

    Je situerai le TON-Mélenchon du côté de l’Amour ( de la « violence » des sentiments).

    Non, ce qui me pose problème c’est le « salopard » («Dans ces 17 salopards, il y a un Français, il a un nom, il a une adresse») c’est ce « salopard » de Lapierre dit à la tribune dimanche dernier. Voir mon billet.

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  13. C’est la première fois que je tombe sur votre blog. Je le trouve tout à fait admirable, autant par la qualité de votre expression que par l’originalité et l’intérêt de votre pensée.
    Comme dit Antoine : Salutations !

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  16. Mélenchon fait partie du spectacle, il est celui qui canalise les énergies ; la critique intégrée au système. Sa rhétorique dépassée et caricaturale est pastiche, kitch, simulacre. Il est parfait dans sons rôle. D’ailleurs, il est correctement rémunéré pour cela.

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  17. Ce n’est pas sa supposée violence qui me gêne, je préfèrerai parler de vulgarité, non c’est surtout le fait que Mélenchon est un homme politique du système, du sérail dont il s’est bien servi pour sa carrière, appelant aujourd’hui à brûler ce qu’il a adoré hier! Mélenchon voit rouge mais pas forcément clair!

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  18. Il n’échappe à personne que JL Melenchon est un homme de l’appareil politique, ayant fait la majeure partie de sa carrière au PS, ayant vendu Maastricht en 92 pour le rejeter 15 ans après.
    Mélenchon a beau voir Rouge ce n’est pas pour autant qu’il y voit Clair!

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