DSK et la presse, la peur du vide

“Quel crédit s’attache encore aux mensonges dont l’énormité souleva, comme une vague, l’enthousiasme et la férocité des prosélytes, soutint les causes également nobles et ignobles, livra aux feux de l’extase et des tourments les hordes de militants fanatisés” R. Vaneigem in Adresse aux vivants

Entrainer les foules dans la spirale de l’identification demeure la grande réussite de l’information spectacle. Les images d’un oligarque menotté sidèrent en grande partie grace au capital d’empathie accumulé. Le citoyen français finalement sait peu de choses sur D. Strauss-Kahn. Candidat putatif à l’élection présidentielle, ancien ministre socialiste, que l’on brosse à grands traits comme un homme sérieux, intelligent, responsable. Le coup de tonnerre de sa possible (ou même de l’hypothèse de sa) disparition médiatique laisse un microcosme politico-médiatique traumatisé. Orphelins d’un de leurs fétiches, les amuseurs omniprésents du cirque politique transfèrent une inconsolable frustration. Il est insupportable d’imaginer une sommité hexagonale tant louée, éconduite ainsi par les autorités américaines. Comme la perte de l’objet transitionnel, la presse exhibitionniste inflige les gémissements de son désarroi face au vide. Entre stress-test éditorial et dissonance cognitive journalistique.

Un élément majeur du dispositif médiatique s’évapore. Avant son oblitération il brille de mille feux avant l’implosion, car tous les protagonistes du show médiatique savent qu’il manquera. Beaucoup a été investi sur l’image de D. Strauss-Kahn dans une mécanique médiatique bien réglée. T. Legrand en pleine dépression invitait le PS à suspendre le processus des primaires, l’annonce de la disparition du protagoniste principal l’ayant fortement ébranlé. B. Roger-Petit en donnera un bel exemple aussi dans son billet d’ouverture sur Le Plus, à base de sentiments, de dépit, instillant le doute, contredisant une photo pour verser dans le compassionnel “…le visage fermé afin de conserver un semblant de dignité en la terrible circonstance va nous hanter ?”. Tentative épistolaire de conjurer le mauvais sort. Une illustration de la presse (quasi unanime) qui tourne en boucle deux jours durant sur l’espoir fugace d’un complot. Dans aucune affaire aussi grave, on ne se sera donné autant de mal pour rendre possible ce genre d’hypothèse. Bien que probable, la manigance ne figure jamais dans les priorités des commentateurs optant toujours pour la version officielle, policière. Ce qui à lieu c’est la tentative folle d’un enfermement du public dans le mode de pensée des producteurs d’opinion. Le transfert de leurs frustrations quant à la possible disparition d’une figure chérie. D’un des leurs. Car il s’agit pour beaucoup d’une prise de position de caste. Une cooptation éditocratique pour un candidat qui a priori n’effarouche pas l’olympe des médias hexagonaux. Que représente D. Strauss-Kahn pour le citoyen en dehors de l’image que ses zélateur en ont donné ? C’est-à-dire une construction médiatique arrondie, lisse, présidentiable qui ne peut être soupçonnée d’un quelconque écart. Un avatar irréprochable à destination de M. Tout le monde. Loin du traitement de l’homme de la rue pris dans les tourments médiatico-judiciaires similaires.

Une grande partie de la médiasphère se trouve enfermée dans une hypothèse qu’elle n’arrive pas à accepter. Elle a massivement investi dans l’hypothèse DSK. Pour beaucoup la conversion a été douloureuse, le ralliement (a priori) au social libéralisme n’allait pas de soi. Apparaît une dissonance entre l’idée qu’ils se sont fait de leur champion et le chemin que prennent les évènements. Alors, le rééquilibre s’avère complexe, il faut réduire l’écart entre le souhaité, l’envié et les éléments qui se cristallisent sous leurs yeux. Dans l’impossibilité de modifier leurs croyances immédiatement, se propagent toutes sortes de scénarios jamais évoqués dans d’autres circonstances ou pour d’autres individus. Or dans cette perspective, les argumentaires les plus cocasses ont débondé, de “l’homme étant un séducteur, il ne peut s’adonner à ce type de comportement”, en passant pas “compte tenu de sa puissance il n’a pas besoin d’utiliser la force pour assouvir ses besoins” jusqu’aux enquêtes suivies de conclusions par des apprentis Sherlock Holmes à plus 6 000 km de là. Des explications plus ou moins fantaisistes pour remettre, en vain, le réel en consonance.

La question ici, n’est pas de statuer sur l’innocence de l’homme, car c’est impossible. Mais de contempler avec effarement le comportement irrationnel d’un univers médiatico-politique en perdition. Du simple fait de la mise en échec de l’un de ses favoris. Les hérauts ont perdu un de leurs champions, ils ne savent comment s’en remettre. Alors vient le concert de pleurnicheries dément et assourdissant, qu’ils infligent sans retenue à leurs ouailles.

Vogelsong – 17 mai 2011 – Paris

31 réflexions sur “DSK et la presse, la peur du vide

  1. C’est bien dit. Sauf que tu oublies un peu facilement la place prise par le système accusatoire américain dans l’organisation de ce grand cirque planétaire où opinions publiques et médias de masse se disputent aujourd’hui la dépouille de DSK, et demain peut-être celle de la plaignante. Où est le réel dans cette vaste mise en scène où tous les coups sont et seront permis ? Où la justice fait et manipule le spectacle ?

    Et DSK n’était pas mon champion, loi de là.

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    • Je ne l’oublie pas. Je suppose que nos amis editocrates ne sortent pas beaucoup de leur périmètre. Je crois que méconnaissant le système accusatoire US, ils l’ont prix en pleine poire.
      D’ailleurs aujourd’hui on perçoit un léger retournement, face à la mise en cause du système de copinage de la presse française.

      Quant à savoir qui soutient qui, ce n’est pas le propos du billet.

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  2. Hier, il y avait jean-François Kahn sur France Culture. En gros, il disait que nous vivions dans l’illusion qui devenait notre réalité. Sauf que, depuis dimanche, la réalité, pour certains, est devenu l’illusion.

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  3. j’allais justement commettre un billet sur le même sujet (je m’en abstiendrai donc), avec des arguments similaires, pour évoquer l’énormité de ce qui se joue là, cette bulle médiatique construite de toute pièce par les tenants du système libéral autour de la probable/improbable candidature de DSK… Comme ils doivent être déçus, ceux qui ont contribué à la naissance et à la consolidation de cet investissement politique virtuel !

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  4. Très bon papier ! Dans cette journée folle, même le nom de Fabius y a été prononcé comme pour conjurer le mauvais sort qui s‘abattait sur eux. Avoir un bon copain… !!! Toutes mes condoléances à tous les journaleux qui ne pourront, plus dorénavant sucer, eux aussi en avaient l’habitude, le petit bout de Mr S. K. Qui va devenir le nouvel apollon ou minet ?

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  5. Papier d’un style un peu ampoulé et pédant mais qui est bon sur le fond c’est le plus important.
    Moi ce qui m’amuse c’est de voir les dévots zélateurs de cet ordre mondial liberalo-fasciste crier au complot alors que ce sont les premiers à dénoncer la folie des théoriciens du complot. Bichettes va. En tout cas je me marre assez.

    Tout comme voir l’éditocratie française tenter de trouver une explication nationale à une affaire planétaire. DSK était une bête médiatique ( je ne parle pas d’autre chose…) facile pour notre pays qui n’a plus beaucoup d’importance dans la marche du monde anglo-américain. C’est un pion du FMI qui a sauté car pas assez pugnace dans la mise en œuvre d’une monnaie mondiale qui exigera la destruction des économies nationales sans états d’âmes. DSK était peut-être trop latin, trop frenchy pour le coup. Exit DSK.

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  7. Les hérauts ont perdu un de leurs champions, ils ne savent comment s’en remettre

    Oups, j’avais lu « les herons ont perdu un de leur champions ». Référence à l’oiseau qui pioche dans la vase et qui a l’air aussi con qu’un gallinacé dont on fait notre symbole: Il chante même quand il a les pieds dans la merde.

    Tu aurais pu citer le zombie médiatique Jack Lang, qui a osé hier lors du journal de France 2, ça:  » mais y’a pas mort d’homme quand même ». Celui-là un culot proportionnel à ($^ù^$ù$^$^$ù`ù$ auto-censure) .

    Une dernière remarque: Ces élites mediocratiques ont un souci en plus: Ils ne regardent pas la télé. Et n’ont donc jamais vu de séries avec bad cop US, ou des reportages sur les chaines de télé sur le fonctionnement du système judiciaire US où des tas de choses sont autorisées comme filmer. Et aussi qu’un président US a failli se faire démonter complètement par ce qu’il s’était fait sucer dans son bureau lors d’un acte pourtant consenti.

    Bref, des incultes donneurs de leçons !

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    • « les herons ont perdu un de leur champions »
      C’est pas mal. :)

      Je n’avais pas entendu J. Lang. Pathétique.

      Tu as raison, les commentateurs ne sorte pas de leur périmètres, et prennent le système accusatoire en pleine gueule.

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  8. Bonjour,

    Effectivement il est toujours assez étonnant de voir le médias devenir complotistes…Il est plus étrange encore de voir la « populace » totalement délaissée et méprisée par une caste de dirigeants, prendre la défense de ses dirigeants.

    Les Français sont tellement miséricordieux quant il s’agit des puissants. Ils ont pardonné à Chirac ses « écarts », ont pardonné à Juppé ses « fautes », pardonnent tout à fait à Mitterrand « paix à son âme », n’en veulent d’ailleurs plus à son frère pour sa « faiblesse » vis à vis des gamins thaïlandais…

    Bref, autour de moi le Français de base, qui passe pourtant son temps à se plaindre « formellement » de tout et de rien, à pourtant perdu toute capacité à s’interroger sur le fond d’un système. Il ne parvient pas à se comparer à ses « élites » et admet inconsciemment que celles ci peuvent légitimement échapper aux lois régissant le commun des mortels.

    Beau travail de distanciation et de sacralisation des dirigeants…Le temps des monarchies n’est pas loin : il suffit d’ailleurs de regarder 90% des dessins animés destinés à nos chers enfants, mettant en scène, de gentils princes, de belles princesses, de gros rois sensibles et leur reines si douces… De cendrillon, au Roi Lion en passant par Pocahontas, la Petite Sirène…

    Quant au cérémonial entourant la République n’en parlons pas…

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  9. Commentaire brillant, billet qui met dans le mille ! Car le problème reste entier : les publicistes, les journalistes, bref tous ceux qui ont pour tâche d’informer, de rapporter les faits et les éclairer d’analyse correctement étayée, ne se contentent plus que de participer à des actions de publicité ou de propagande ; ils sont donc prisonniers de leur attachement et leur dépendance, leur intégrité morale entachée et leur liberté menacée. Cet événement grossit comme un microscope tous les maux de notre société politique et médiatique. Farce collective et tragédie personnelle, le théâtre humain se dévoile. Ne peut-on rêver meilleure entrée en matière préélectorale ?

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  10. Excellent article. Une analyse parfaite de cette perte de repère dont souffre cette caste qui a essayé d’imposer à l’opinion « son » candidat, comme naguère Balladur, puis Jospin, et dans une certaine mesure, était restée partagée à parts égales entre Royal, Sarkozy et Bayrou en 2007.

    Ce qui semble le plus fou, c’est que pendant 2 ans, ce « héros » ait été construit à coup de unes plus dithyrambiques les unes que les autres, de sondages flatteurs, sans que à aucun moment, quelqu’un ne vienne dire « eh, y’a un peu de poussière sous le tapis, tout de même ». Visiblement, à part Jean Quatremer, ils n’ont pas été nombreux, alors que de toute évidence, c’eut été utile !

    Ce que je pense surtout : certains journalistes, éditorialistes, se sont transformés en dangereux petits dictateurs, lorsqu’ils faisaient pression sur Hollande pour le dissuader de participer à la primaire, annonçant même que cette dernière était inutile et dangereuse. Un pur déni de démocratie, alors que la présente affaire montre à quel point elle n’a jamais été aussi nécessaire, ne serait-ce que pour trier l’avoine de l’ivraie.

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  11. On peut ajouter que si tous ses messieurs savaient sur le comportement assez « étrange » de l’individu fait de frénésies boulimiques, il y a non-assistance à personne en danger ou du moins il vaut mieux prévenir que guérir.

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  12. Contrairement à toi, je n’ai jamais eu l’impression que la blogosphère (qui penche à gauche, on le sait) se pâmait pour DSK, et/ou que la majorité des blogueurs s’était résignée à voter pour lui dès le premier tour, au contraire.

    En revanche, pour les éditocrates issus des médias traditionnels, la DSKphilie/DSKlâtrie était évidente. Et ton analyse de leur réaction face à la mort politique de DSK tape dans le mille. C’est étrange de voir certains d’entre eux élaborer des thèses complotistes qu’ils condamnent dans le cas du 11 septembre 2001, ou de la mort de Ben Laden. Ce serait comique si l’enjeu (la désignation du candidat du principal parti de l’opposition à la présidentielle) n’était pas si important…

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  13. Pingback: DsK, version féministe. | Les coulisses de Sarkofrance

  14. Que DSK soit innocent ou coupable n’y changera rien, sa carrière politique est réduite à néant … L’Histoire gardera de lui que c’est « celui qui était au top des sondages à 1 an de la Présidentielle »… vous voyez,on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve !

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  15. Bravo Chantdoiseau, génial. Ceux qui connaissent un minimum de Common Law, ou droit anglo-saxon, savent qu’il n’y a pas d’arrestation possible, surtout d’un personnage si important, sans des indices très forts de forensic evidence, preuves valables dans un procès.

    Ceux qui veulent être objectifs savent, ou sauront :

    que la défense de DSK ne peut pas plaider (et ne plaidera pas) qu’il n’y a pas eu de contact sexuel, au vu de la forensic evidence susmentionnée (veuillez excuser l’anglais). Ce qui contredit les dires de DSK, qui a nié tout dès le début. Donc, s’il y a complot, on peut noter que DSK est du moins un peu naïf en se laissant séduire comme ça. La défense, va devoir plaider que la femme de chambre a agressé DSK après un rapport sexuel consensuel, vu que, probablement, DSK a le dos griffé, et la femme avait de la peau de DSK sous ses ongles. La presse parle peu de ça.

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  16. ton billet que je découvre (oui, je sais, je suis en retard ! mais comme personne ne te lit, ce n’est pas bien grave ;-) résonne avec celui de Narvic. Le cirque médiatique perd l’équilibre et tente par tous les moyens d’éviter la chute. Mais l’exercice d’équilibriste touche à son terme, non ?
    Vivement la suite ! (demain, si j’ai bien saisi ?)

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