Le Sénat tente de sortir de la brume sondagière

“Une armée entière de critiques ne saurait arrêter les sondages” G. Gallup  -1949

Sincérité et transparence. C’est en ces termes que le sénateur socialiste J.P Sueur présente le rapport sur la proposition de loi concernant les sondages. La République se shoote aux sondages, plus de 2 000 publiés chaque année. Ausculter l’opinion, la suivre, se plier à ses désirs intimes, définit le nouveau credo de l’action politique. Mais bien au-delà, l’accoutumance touche les observateurs de la vie publique. Le lecteur, se définissant par rapport à l’artefact nouvellement créé, se positionnant en fonction de : “Suis-je d’accord ou pas avec le résultat du sondage ?”. Puis, la presse et les éditorialistes y puisent des arguments d’autorité. Soit pour étayer une démonstration subjective, soit pour exprimer le point de vue subjectif “des Français”.

Impossible d’écorner ce que le sénateur appelle la liberté d’expression de la “sondomanie” ambiante. La presse doit pouvoir publier ce qu’elle veut (même des absurdités), le législateur ne peut intervenir dans la production qualitative de l’enquête. Par contre, l’objectif de la loi consiste à s’adresser à l’intelligence du récepteur (auditeurs, lecteurs, téléspectateurs) afin qu’il juge de la pertinence de ce qui lui est servi. En ce sens, le projet stipule qu’une série d’obligations incomberait aux instituts et aux émetteurs de sondages d’opinion. La transparence et la sincérité s’appuieraient en particulier sur une notice (méthodologique) d’explication consultable sur le site Internet de la commission des sondages. Elle comporterait notamment : L’objet du sondage, les méthodes selon lesquelles les personnes interrogées ont été choisies et la composition de l’échantillon, les conditions de réalisation, les marges d’erreurs selon l’échantillon, la proportion des réponses, et notamment le texte intégral des questions, et les redressements.

Le scénario des sondages

La mise à disposition du texte intégral de l’enquête comporte un certain nombre d’avantages. Elle permet de contextualiser, d’éclairer sur “l’effet de halo”. En l’occurrence l’influence des premières réponses sur le reste de l’enquête. De plus, dans la litanie des questions il sera possible de discerner la “mise en scène” d’un questionnaire. Une mise en condition cruciale pour la thématique sécuritaire par exemple. Tout le monde a en tête le sondage du Figaro tombé (opportunément) après le discours ethnicosécuritaire de Grenoble du président de la République en août 2010. Dans quelles conditions a été réalisé ce sondage ? N’a-t-on pas par des questions non publiées instillé une atmosphère anxiogène qui conditionne les réponses ultérieures ? Des questions qui se posent notamment après le contre-sondage publié par Marianne quelques jours plus tard ? Un contre-sondage qui ne résout rien, mais qui interpelle sur la manipulation et l’interprétation par chacune des parties (émetteurs, récepteurs, commanditaires) des résultats ? Après cet épisode, on ne sait qu’une chose c’est qu’on ne sait rien. Rien de précis sur “l’opinion” des français. Une des propositions de la loi oblige à rendre public le déroulé complet des questions du sondage. Afin d’éclairer un peu plus sur la fabrique de ces derniers. D’y déceler peut-être des biais.

La cuisine scientifique des sondages

Quand on interroge un citoyen sur ses préférences politiques, et s’il répond, on peut se demander dans quelle mesure il assume ses choix d’autant plus s’ils sont radicaux, voire extrémistes ? À tort ou à raison, une stigmatisation du vote Front National s’opère dans les médias (et dans une moindre mesure celui de l’extrême gauche). Depuis 2002, on relâche l’étreinte, une sorte de décomplexion se produit sur ce type de vote. L’avènement du Sarkozysme y concourt aussi. Néanmoins, les sondeurs disposent de méthodes “maison” pour rectifier les non-dits du citoyen. En général, ils comparent les résultats bruts des enquêtes avec les réalités du vote, puis effectuent des corrections. Avec un train de retard, et beaucoup d’incertitude sur l’air du temps. Ainsi que sur le niveau de désinvolture électorale. Les entreprises commerciales de sondages, pudiquement (auto) qualifiées d’instituts, prétendent user de méthodes scientifiques pour apprécier les redressements et corrections. Le sénateur J.P. Sueur évoque l’extrême réticence de ces sociétés à livrer leurs formules secrètes (magiques), dont elles prétendent qu’elles sont issues de réflexions intenses. Il s’étonne de réponses de responsables qui ne veulent pas divulguer leurs “secrets de fabrication”, “comme de grands cuisiniers qui ne veulent déflorer le secret de leur art”. À une exception notable, ces entreprises d’opinion disent opérer dans le champ scientifique des études sociales, non pas dans la gastronomie. Selon le sénateur le fort embarras à publier les données brutes de l’étude, et d’y mentionner les corrections montre surtout le manque de méthode solide sur le sujet. La pratique du “doigt mouillé” en l’espèce.

Une loi, pourquoi ? Pour qui ?

Les récents événements concernant l’affaire E. Buisson et des sondages de l’Élysée (classés) démontrent le caractère supérieur des sondages dans la capacité d’un gouvernement à comprendre, mais surtout canaliser son opinion publique. L’artefact sondagier constitue un élément essentiel de la communication dans la fabrication d’un consentement général. Bien que P. Bourdieu ait raison sur l’inexistence de l’opinion publique, la médiacratie moderne substitue un vide par une construction statistique. Même inepte, elle est élevée au rang de source sérieuse, d’état de la pensée générale au sein d’un pays, d’une communauté. Même inepte, il faut composer avec. C’est ce que les deux rapporteurs H.Portelli (UMP) et J.P. Sueur (PS) tentent de faire. Un bien curieux attelage des deux formations centrales de la démocratie française. Ce rapport a été bien accueilli de chaque côté et sera étudié avant la fin de l’année 2010. Compte tenu de l’agenda, l’élection de 2012, cette loi serait une petite révolution dans l’abord des enquêtes d’opinion. On doit se poser la question de l’opportunité pour la droite de débroussailler le maquis “sondagier”. Un président friand, une presse aux ordres, des journalistes perroquets, pourquoi modifier un dispositif bien rôdé ? Pour le sénateur socialiste, il s’agit d’éclairer le citoyen, lui permettre de se forger une opinion de l’opinion. Dans cette étrange relation qu’il peut avoir avec ce qu’il croit penser des autres et ce qu’il croit que les autres pensent. Pourquoi H. Portelli (UMP) pousse-t-il dans le même sens ? Brûler l’idole sondagière déchue à l’aube d’une compétition difficile pour la droite ? Amender si brutalement que rien ne change en profondeur ? On ne peut imaginer la majorité UMP ne pas verrouiller un tel le sujet sur un tel enjeu.

Pour J.P. Sueur le suivisme sondagier s’apparente à un abaissement du Politique. Toute l’action et la grandeur de l’action publique reposent sur les convictions et la capacité de convaincre dans le sens du bien commun. C’est la subtile nuance qui peut séparer une idée, une conviction solide d’une vague opinion qui fluctue au gré des turpitudes. S’en remettre à des artifices d’opinion pour conduire une politique, sachant qu’elle repose sur une construction virtualisée, qu’elle varie selon les humeurs, revient à renier la Politique en tant que telle. Les accrocs continuent de plébisciter cette démocratie d’émotions. Il est peu probable qu’une loi si transparente soit-elle participe au sevrage de l’avatar citoyen-opinion.

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Vogelsong – 5 novembre 2010 -Paris

3 réflexions sur “Le Sénat tente de sortir de la brume sondagière

  1. J suis d’accord avec toi.
    Mais je me pose une question. Mme Médzf, elle n’est pas aussi une Mme chef d’Institut de sondage ?
    Le cas échéant, n’y aurat il pas un jeu de maçons derrière tout ça ? tu m’aides, je t’aide et tout le monde est (malheureusement) content…

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  2. Pingback: Variae › Les caractères de la politique (2) : l’effarouché des sondages

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