Les retraites, une prise d’otages présidentielle

“Le grand forestier ressemblait ainsi à un médecin criminel qui d’abord provoque le mal, pour ensuite porter au malade les coups dont il a le projet” E. Jünger – Les falaises de marbre

Les coups de billard à quatre bandes donnent l’air intelligent, surtout quand on a fait mine de les anticiper. D. Schneidermann du site “arrêt sur images” épingle T. Legrand dans sa lecture du conflit sur les retraites. Pondre une chronique quotidienne fatigue. La spéculation laisse même la place aux élucubrations. Le journaliste de France Inter représente assez bien la pensée “complexe” anti-luttes sociales. Une tournure d’esprit où tout conspire contre la gauche, sauf quand elle baisse la garde, s’affadit, et devient “raisonnable”. De droite. Une conception de la politique hypnotisée par les faits et gestes du président de la République. Car finalement quoi qu’il fasse, il est le plus malin et il gagnera. A bien y réfléchir on peut se demander si T. Legrand et ses confrères, dans ce schéma prophétique ne le souhaitent pas ardemment, même malgré eux.

L’alchimie des manifestations

La France adore la mystique des manifestations et des luttes sociales. Le conflit sur la contre réforme des retraites n’y coupe pas. Chaque bord scrute la manipulation d’en face. Chacun y va de son augure sur la destinée du mouvement. D’un côté, la projection fantasmatique de lunes révolutionnaires. On vitupère contre les syndicats marcheurs, incapables de renverser le gouvernement et d’entraîner le pays dans une guerre civile. Dont l’issue, on le sait, annoncera une aube nouvelle dans une société nouvelle. Une croyance fortement ancrée dans une grande partie des manifestants. La force ultime des luttes sociales de l’hexagone. Une volonté farouche nourrie de cette part d’utopie qui rend toute chose possible. Et qui, de fait, donne son souffle aux démonstrations populaires. Sauf que, dans le présent cas de figure la révolution s’avère hors de propos. La retraite par répartition qu’ils se sont donné de sauver issue d’un consensus réformateur d’après-guerre n’est pas d’essence révolutionnaire. Révolutionner la société par la rue repose sur un tout autre projet. Dont on peut imaginer qu’il réunirait bien moins de monde.

De l’autre bord, le verbiage mielleux de la soumission loin des masses croupissantes tient lieu de réflexion. Une supériorité affichée du politologue stakhanoviste dont la pensée supérieure engloutit par sa fulgurance la petitesse d’esprit du péquin larmoyant sur ses deux longues années supplémentaires de turbin. Le commentaire au lieu de l’action, la spéculation politique en écran de fumée. T. Legrand comme les siens ne peuvent voir ce qu’il se passe. Ils l’interprètent au travers du commentaire politique. Prisme déformant étalonné à leur petit égo d’éditorialistes multicartes. Tournant autour de la seule question intéressante, la manière dont N. Sarkozy gagnera les présidentielles de 2012.

Débat pris en otage

Le président ne cèdera pas. Non pas parce qu’il est inflexible, courageux, pugnace, visionnaire, ou on ne sait trop quoi. Il ne cèdera pas parce que l’entièreté du débat s’est focalisée sur sa prétendue intransigeance. Une prophétie autoréalisatrice sur les (supposés) atouts présidentiels. L’alpha et l’oméga du projet de contre-réforme se cristallisent sur la capacité de résistance du patron de l’Élysée à la pression incohérente de la rue. Une résistance qui lui ouvrirait grand les portes d’un second mandat. Divagations politologiques aussi solides que la lecture dans les entrailles de poulets. Cela implique une forte amnésie populaire doublée d’une propension immodérée à réélire un incompétent notoire. Pas impossible si on estime que les Français sont des veaux informés par des butors, mais néanmoins discutable. Mais plus que ça c’est oblitérer l’enjeu fondamental du sujet. Oublier que ce qu’il advient avec la modification des régimes de retraites altère substantiellement l’existence des Français. Ce qui importe, c’est l’ici, le maintenant. Pourtant, on continue de proférer des allégations qui consistent à faire d’une lutte sociale la primaire pour les présidentielles de 2012.

De manière assez cocasse T. Legrand publiait en janvier 2010 un ouvrage intitulé, “Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre notre temps”. Il y contait un univers médiatique fasciné par les faits et gestes d’un oligarque qui occulte les vrais enjeux politiques. Et pourtant, le même (avec bien d’autres) amplifie les gesticulations par des conjectures électoralistes et politiciennes. Par exemple la position imparablement inconfortable du PS dans les manifestations. Un parti dont il est bon de dire, et de répéter qu’il ne propose rien mais qu’il pousse au crime. Ou bien concernant les propos oiseux sur le sérieux de la participation lycéenne. Et ce, non pas sur une base d’une discussion à propos de leur avenir, mais sur les fondements sarkozistes de la sécurité et de la rectitude.

Quelqu’un, comme T. Legrand ou ses confrères, pourrait glisser au président que s’il décidait de (re)discuter de son projet de contre-réforme, il pourrait aussi gagner en 2012. Que T. Legrand comme ses semblables pourraient même lui faire gré d’une certaine posture consensuelle. Celle qui donne à un politicien la potentialité de devenir président de la République (réélu). Nenni, il est davantage galvanisant de s’improviser vaticinateur du prince, et de conter ses fortunes.

L’approche reptilienne des relations sociales par le Président, dans le cas présent celui des retraites, s’apparente plus à l’attitude d’un maniaque. Attitude bien mise en scène par les commentateurs. Une boucle infernale sans issue. Pourtant, si on écoutait attentivement ce que veulent les opposants au projet, il poindrait une nuance subtile avec l’attitude de forcené du chef de l’état. Une opposition populaire qui quémande à coups de jours de grèves, de manifestations et de blocages, un tour de table prenant en compte tous les avis concernant une modification substantielle du mode de vie des Français. Une attitude qui serait vulgairement démocratique.

Vogelsong – 13 octobre 2010 – Paris

22 réflexions sur “Les retraites, une prise d’otages présidentielle

  1. Des éditocrates comme Legrand élucubrent comme tu dis, ils ne nous apprennent rien… Ils sont simplement là pour apporter une énième déclinaison du discours dominant. Cela m’étonnerait qu’il ait cité l’exemple de la Bolivie sur les retraites…

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  2. Ah comme je me retrouve dans vos propos très justes ! Je fais pourtant partie de cette « France d’en bas  » qu’on veut à tous prix infantiliser et que l’on traite « d’irresponsable » quand elle n’obéit pas aux injonctions du maître ( ou plutôt mètre) à penser ! Car pour tous ces toutous obséquieux , si sarkozy a été élu c’est qu’il est le meilleur !
    Un « vulgaire camelot » , oui , encore ai-je plus de respect pour ceux qui vendent des batteries de cuisine que pour ce charlatan qui n’a à nous offrir que ses fantasmes personnels et ses solutions psycho-rigides sur sa prétendue société idéale.
    La rue est le dernier espace où sont poussés les peuples à exprimer leur désarroi quand ils se sont aperçu qu’on a leur a vendu un article pourri .
    T. Legrand , comme tous les spécialistes auto-proclamés de la politique sarkozienne , n’est rien d’autre qu’un petit bourgeois déguisé en journaliste , qui a peur de l’ ombre que pourrait lui porter un mouvement populaire dont il ne maitriserait plus le langage , et pour cause , il n’a que celui des privilégiés !

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    • Ce billet n’est pas seulement une charge contre T. Legrand. Juste une entrée vers la focalisation des enjeux de la lutte sur les présidentielles. Si nous sortions de ce prisme, les choses seraient plus simples.

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  3. 54 % des Français favorables à une « grève générale comme en 1995 ».

    Les Français sont favorables à 54 % à ce que « les syndicats organisent une grève générale comme en 1995 » si le gouvernement refuse de revenir sur sa décision de repousser l’âge de départ à la retraite, selon un sondage BVA pour Canal Plus, diffusé jeudi.

    Les plus favorables sont les 25 à 34 ans (68 %), les salariés du secteur public (71 %), et les ouvriers (70 %).

    Les plus de 65 ans sont au contraire seulement 35 % à y être favorables.

    http://www.liberation.fr/societe/01012296236-54-des-francais-favorables-a-une-greve-generale-comme-en-1995

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  4. Il est avéré, en effet, que bien qu’ayant crayon sur revue, certains chroniqueurs sont plutôt des gros-niq… Celui dont vous parlez n’est pas un cas isolé. Ce qui est le plus inquiétant c’est que dans de nombreux domaines on est jamais descendu aussi bas.
    Je suis à me demander si Nicolas n’a pas pris au pied de la lettre les propos de Benoit à Rome: « Dieu seul est le fondement de votre autorité et la source de vos lois »…

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  5. Puisque tu utilises le mot de démocratie pour conclure (« Une attitude qui serait vulgairement démocratique. »), je me permet de rappeler que la démocratie, justement, consiste à voter pour des représentants qui débattent au parlement, et pas à faire le concours de qui à la plus grosse … ligne de manifestants (au passage, en pipeautant les chiffres de manière éhontée).

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    • Genre voter pour un candidat qui annonce qu’il ne touchera pas à la retraite à 60ans parce qu’il considère qu’il n’a pas le mandat pour ?

      La démocratie, c’est donc quelques jours tous les 5 ans ?

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  6. Cher(s) Amis,
    Le troisième épisode de la bataille parlementaire au Sénat est arrivé : http://www.dailymotion.com/video/xf6q01_bataille-parlementaire-sur-la-refor_news#from=embed
    Dans le cadre de la lutte contre le projet de loi sur les retraites, nos sénateurs du Parti de Gauche ont mis en place un dispositif permettant à tous de suivre les débats au Sénat. En effet, les sénateurs sont appelés à se prononcer sur ce texte qui remet en cause le droit à une retraite à 60 ans à taux plein depuis le mardi 5 Octobre.
    Au Parti de Gauche, comme au Front de Gauche, le cœur de notre projet politique est la « Révolution citoyenne ». Ainsi, nous pensons qu’il est important que tous les citoyens qui le souhaitent puissent s’impliquer activement dans ce débat sur les retraites, symbole de notre contrat social.
    Pour ce faire, nos sénateurs Marie-Agnès Labarre et François Autain vous invitent à vous rendre sur le site du Parti de Gauche, http://www.lepartidegauche.fr, pour suivre tous les deux jours des comptes-rendus de la bataille parlementaire au Sénat (en haut à droite sur le site). En effet, tous les deux jours, sur les coups de 20h, sera mise en ligne une petite vidéo revenant sur l’évolution de la discussion au Sénat. Cette petite série s’intitule « Chronique de la bataille parlementaire contre le projet de loi sur les retraites ».
La première vidéo est d’ores et déjà en ligne.
    Vous pouvez aussi la retrouver sur dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/xf6q01_bataille-parlementaire-sur-la-refor_news#from=embed
    Sacha Tognolli

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  7. Concernant spécifiquement les carburants, le ministère de l’Ecologie a assuré que, grâce au déblocage des réserves et les importations, il n’y a aurait aucun problème jusqu’au « début du mois de novembre ».

    « Au-delà, nous trouverons des solutions en développant les importations », a-t-on souligné au ministère.

    Actuellement les importations proviennent, par camions, par barges et par bateaux, d’Italie, d’Espagne, de Belgique et d’Allemagne.

    http://www.romandie.com/ats/news/101016084335.6v90jayt.asp

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  8. Un témoignage plein d’espoir de la raffinerie de Donges.

    Je suis allé, ce soir, à Donges avec les collègues du collège Pierre Norange qui voulaient apporter l’argent qu’ils ont récolté dans la journée. Nous avons été super bien accueillis par quatre responsables de la CGT (ceux qui sont venus au lycée jeudi matin).

    Cela m’a regonflé pour la semaine prochaine. Ils sont déterminés à continuer car ils se sentent soutenus : une personne leur a envoyé une journée de salaire de Nouvelle Calédonie, des étudiants de Rennes 2 puis des étudiants de Nantes sont venus à leur rencontre…..

    Ils se sont aperçus, ce matin, quand ils avaient besoin de monde au dépôt, que plein de gens sont arrivés pour les soutenir face aux éventuels CRS.

    Quand je leur ai demandé comment, concrètement, nous pouvions les aider, la réponse a été simple : allez chercher de l’essence aux pompes !

    Ils nous ont expliqués que ce n’est pas très grave si les CRS débloquent les dépôts. De toute façon, les raffineries ne fonctionnent plus. En conséquence, dans quelques jours, il n’y aura plus rien dans les cuves. C’est à nous de créer la pénurie. Plus vite les cuves seront vides, plus vite le gouvernement sera au pied du mur. Dites le autour de vous…

    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article108069

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    • BA,
      Merci pour l’info , c’est aussi ce que j’ai entendu .
      La Loire Atlantique , Saint-Nazaire en particulier (tout près d’où j’habite) est un haut-lieu de luttes syndicales avec ses chantiers de l’Atlantique , et sa raffinerie (Donges).
      Mai 68 n’a pas été seulement un mouvement étudiant mais surtout un très grand mouvement syndical avec occupations d’usines et même séquestration des patrons ( comme à Sud-Aviation à Nantes) . Etudiant à l’époque , j’ai largement participé et soutenu tous ces évènements .
      Nous avons subi alors exactement les mêmes répressions qu’aujourd’hui ainsi que le même mépris du pouvoir .
      30 ans plus tard , la même colère gronde dans la population , sans doute au centuple , car les injustices sont beaucoup plus accentuées et nombreuses .
      La loi sur les retraites ,une loi inique de plus et de trop , a mis le feu aux poudres !
      On lisait sur les affiches « l’ORTF vous ment » , on pourrait dire exactement la même chose aujourd’hui tant les « grands » médias nous expliquent que tous ces manifestants ne sont que des irresponsables et tant ces journalistes essaient pitoyablement de relégitimer un pouvoir qui ne l’est plus depuis longtemps ( depuis le diner au Fouquet’s).
      Les mêmes techniques , les mêmes arguments , la matraque est toujours dans le mêmes camp.

      Mais plus l’économie va se bloquer et plus nous verrons à la télé les visages haineux de ceux qui vivent grassement du travail des autres !
      C’est bon signe ! J’y crois beaucoup plus qu’à l’idée de Cantona , même si au bout c’est par l’argent qu’on les fera plier .
      « ce n’est qu’un début , continuons le combat » !
      CG

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  9. Quand les Français ne se déplaçaient même pas pour aller voter, on disait :

    « Les Français ont voté avec leurs pieds ! »

    Aujourd’hui, comme hier, beaucoup de Français ont compris que pour bloquer le pays, il fallait suivre la consigne des travailleurs CGT de la raffinerie de Donges.

    « Quand je leur ai demandé comment, concrètement, nous pouvions les aider, la réponse a été simple : allez chercher de l’essence aux pompes ! »

    http://www.7septembre2010.fr/post/2010/10/17/Bonnes-nouvelles-de-la-raffinerie-de-Donges-%2844%29

    Aujourd’hui, comme hier, beaucoup de Français ont suivi la consigne et sont allés faire le plein de leur voiture, ou de leur moto, ou de leur jerrican.

    Cette action n’est pas seulement une action de précaution ou une action de panique.

    Cette action est aussi une action politique de chaque automobiliste, de chaque motard.

    Cette action a comme conséquence concrète la pénurie de carburant dans cinq régions françaises : Ile-de-France, Pays de la Loire, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes, Provence Alpes Côte d’Azur.

    Les journaux télévisés diffusent en ce moment la carte de la France : ces cinq régions sont en rouge (= très grande difficulté pour trouver du carburant).

    De plus en plus de régions sont en orange.

    De moins en moins de régions sont en vert.

    Nous sommes en train de gagner la guerre du carburant.

    Si nous arrivons à créer une pénurie de carburant sur tout le territoire français, le gouvernement sera forcé de reculer.

    « Les Français ont voté avec leur voiture ! »

    « Les Français ont voté avec leur moto ! »

    « Les Français ont voté avec leur jerrican ! »

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  10. Dimanche 17 octobre 2010 :

    Seules 200 stations-service sur 13.000 étaient « gênées » en France, a affirmé le secrétaire d’Etat aux Transports Dominique Bussereau sur Europe 1.

    http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5j29ijdvNScFqHll4Rm1KgmqyO-tw?docId=CNG.2af5526021d4fb9e8c9306f1ce8b643b.461

    Seulement 200 stations-service en rupture de stock ?

    La France compte 100 départements, donc il n’y aurait que 2 stations-service en rupture de stock dans chaque département ?

    Seulement 2 stations-service en rupture de stock dans chaque département ?

    Foutaises !

    Ce chiffre est scandaleusement sous-estimé.

    Ce chiffre, c’est de l’intox.

    Dominique Bussereau ment presque autant qu’Eric Woerth.

    Ce gouvernement est un club de menteurs.

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  11. Dire que j’avais raté ce billet ! Heureusement que Seb avait mis un lien ds le dernier qu’il a commis !
    « approche reptilienne des relations sociales »…très joliment imagé !
    Quant à Legrand, comme les autres, il est bien vite tombé dans la routine…c’est Lordon me semble-t-il qui avait demontré l’impossibilité d’un chroniqueur de garder sa distanciation dés lors qu’il intervient fréquemment ds lémédias

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  12. Mardi 19 octobre 2010 :

    La France au bord de la rupture.

    « Cette réforme est essentielle, la France s’y est engagée, la France la mettra en œuvre ». La parole ne peut pas venir de plus haut. Elle est signée Nicolas Sarkozy. Après François Fillon, dimanche soir, le chef de l’Etat a donc porté l’estocade, hier soir, à cette France qui défilera aujourd’hui pour la sixième fois depuis le mois de Septembre.

    Attention à la panne d’essence.

    Face à cette posture inflexible, le conflit sur les retraites, lui, est monté d’un cran hier. Les routiers sont passés à l’offensive avec des opérations escargots et des blocages de dépôts pétroliers, ravivant la crainte d’une pénurie d’essence avec 3500 stations-service à sec.

    http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/3997196/La-France-au-bord-de-la-rupture.html

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