Le vieux débat sur les retraites n’aura pas lieu ? (Chronique d’un entre soi politique et médiatique)

“Et taxer les riches, c’est le miracle ?” A. Chabot

“Et taxer les pauvres, c’est le miracle ?” S. Royal

‘A vous de juger’ sur France 2 – 09.09.2010 circa 22h

F. Fillon est venu. Il a parlé du capital. La France n’aura pas de débat. Sur la question des retraites, il n’y en a jamais eu. Il n’y en aura certainement pas. Comme le démontre ce simulacre télévisuel du 9 septembre 2010 présenté par A. Chabot sur le service public. À quoi bon débattre puisque « personne » ne le souhaite. Rôles balisés, personnel de cire au cynisme violent qui prétend parler du réel. Les mediacrates “à perruque” batifolent en milieu clos. Ce petit monde homogène théâtralisé offre un spectacle attendu au citoyen qui n’en peut mais. Il a voté en 2007 l’affaire est close. Le bien public est entre de bonnes mains, de vieilles mains. Circulez donc. A moins…

Avachissement total de l’appareil médiatique

Difficile le métier de journaliste. Pour preuve, A. Chabot s’échine à baliser les options gouvernementales depuis plus de 5 ans et se voit malgré tout tancée. Pas assez servile. Ce métier tourne à l’esclavage, à l’humiliation même, pour les éditocrates. “La vache sacrée” du service public comme la surnomme J. L. Mélenchon ne s’est pas démobilisée. Fidèle à ses habitudes, elle a concocté un plateau de choix au premier ministre. Un tunnel de parole, où il a pu faire la pédagogie de la réforme des retraites. L’œuvre finale du quinquennat Sarkozy, sa dernière touche, qui tendrait au sublime du AAA version Fytch. Une sublimation qui met quand même plus de 2,5 millions de personnes dans la rue. Pour passer les amuse-gueules, la rédaction a ressorti J. Boissonnat du formol, éditorialiste à La Croix en 1967… Ce fils d’ouvrier a traversé le siècle et a choisi son camp. Face à F. Fillon, il nuance. Car une différence subtile sépare les deux hommes, l’un n’a aucun scrupule et applique point par point les prérogatives du MEDEF. L’autre n’a aucun scrupule et applique point par point les prérogatives du patronat. Question de génération. J. Boissonnat mâtine sa frénésie patronale de paternalisme catholique. Éreintant. La France des années 50 qui déblatère sa morale à la génération Y. Celle qui bâfre pendant les 30 glorieuses et qui appelle doctement aux sacrifices avec des airs pontifiants. Et qu’il faudra remercier pour le legs. Il donne presque envie du “modernisme”, du cynisme de F. Fillon. Une attitude franchement détestable, car assumée, mais plus franche dans son rapport de classe. Le premier ministre a pu déployer son argumentaire comme on déroule un menu chez des amis. Avec pour entrée, toujours délicieux : les comptes sociaux dans le rouge qu’il faut rétablir. En plat de résistance gratiné : l’allongement de la durée de la vie impliquant de travailler plus longtemps. Pour le dessert, le douceâtre : la crise est passée par là, le gouvernement est blanchi. Il concédera pour faciliter la digestion, une “avancée” sur la pénibilité. Tout ce petit monde bavasse dans une ambiance surannée malgré l’éclairage éblouissant. Des feux qui mettent en relief les fards, la gomina et les choucroutes.

S. Royal et…

Au comble de l’ennui F. Fillon rince le prime time. Laissant place nette pour les autres voix. La contestation. À cet instant le coma a gagné l’hexagone des téléspectateurs. S. Royal mettra cinq bonnes minutes pour tirer tous ceux qui ont survécu de leur léthargie. Réveillant l’héritage de Mitterrand elle entame un pilonnage en règle. Lors du dernier conseil des ministres, le président socialiste, qu’elle cite, évoquait le réflexe pavlovien de la droite dans le saccage de la sécurité sociale et du système de retraites. Un testament politique qu’elle transforme en héritage. Pour conclure par un “nous nous battrons dos au mur”aussi très mitterrandien. Ciblage précis, le tout arrivant par salve et surtout de la gauche. On pourra encore (et toujours) critiquer la sorcière du Poitou, ses militants un peu allumés et parfois insupportables. Sa posture opportuniste (mais qui ne l’est pas), dans la nouvelle confraternité du parti socialiste. Et même son énigmatique jouvence. On pourra aussi pointer son manque de gauche. Mais pas là. Pas dans ces conditions où tout est bon à prendre. Surtout pas là, car elle fait le boulot, et le fait bien, sous l’œil mi-amusé mi-inquiet de B. Hamon. Pas là, quand les conditions du débat public s’articule entre les sachants et la plèbe. S. Royal, droitière, rigide fait un carton sur France 2, c’est inespéré pour 2,5 millions de français qui ont manifesté et que l’on tient pour mal-comprenants et irresponsables. Il ne faut pas s’y tromper, en fin d’émission S.P. Brossolette et O. Duhamel commentent l’intervention de S. Royal avec l’aigreur de ceux qui sentent que la voix a porté. Et qu’elle peut résonner malgré le créneau horaire. Bons émissaires du journalisme momifié, cette éditocratie vieillotte déroule l’information sous sa forme la plus décatie. Prodiguant ses conseils et avis autorisés à l’encan, à l’écoute d’elle-même et très haut perchée sur ses certitudes. Et là est le problème.

…les zombies

Une génération quinqua/sexagénaire (voire plus) confisque un débat générationnel. Le jeunisme ne peut constituer une politique. Le vieillisme non plus. A. Chabot 59 ans, J. Boissonnat 81 ans, F. Fillon 56 ans, S.P. Brossolette 56 ans, A. Duhamel 70 ans, E. Woerth 54 ans, F. Chérèque 54 ans, B. Thibault 51 ans, S. Royal 57 ans (à sauver du naufrage ?) sont les protagonistes de cette « soirée/débat ». Qui n’en est pas une. Agora squattée par des grabataires du monde réel. Un gouvernement pour vieux élu par des vieux avec une vision de la société de vieux. Une éditocratie verrouillée qui radote les mêmes préceptes depuis plus de quatre décennies. Une microsphère qui bave sur les idiots utopistes. Pour beaucoup, enfin, un logiciel bloqué début les années 70. En somme, un monde médiatique constitué de forteresses en ruine peuplées de zombies qui s’agrippent.

M. Hirsch dans un moment d’égarement chez J. Sorman sur France Inter proposait de pondérer les votes par l’espérance de vie. Le citoyen de 20 ans disposerait d’un vote plus significatif que celui de 85 ans. Avec un raisonnement simple, les conséquences à long terme des décisions pèsent davantage et à proportion sur les plus jeunes. La question des retraites l’illustre. Idée séduisante, mais irréaliste de l’ancien secrétaire d’État. La sphère médiatico-politique souffre du même mal. La même clique se perpétue de décennie en décennie. Une minorité appartenant aux mêmes cercles (siècle, think tank,…), de la même classe d’âge et surtout du même milieu social. Pas question de changer le paradigme du débat public. Quelques-uns, fortunés, installés, distants pensent et décident pour tous. Et par-dessus le marché veulent faire avaler leurs bouillies de vieux pouacres. Par souci de cohérence, A. Chabot devrait renommer son entre soi, son petit spectacle politique “A nous de juger”.

Vogelsong – 10 septembre 2010 – Paris

26 réflexions sur “Le vieux débat sur les retraites n’aura pas lieu ? (Chronique d’un entre soi politique et médiatique)

  1. Billet délicieux. Il faut dire que pour commenter le « travail » pénible des momies il faut prendre des pincettes, elles pourraient s’écrouler.

    Terrible constat : aucun « expert » des choses en question ou de sa propre vie de moins de 40 ans dans ces émissions : aucun sociologue, médecin du travail .. a croire que tout est bien dans le meilleur des mondes : celui de la dictature molle des vieux nantis aidées par les vieux électeurs des zones pavillonnaires à nain de jardin.

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  2. moi aussi zaime… Et surtout ce pasage bien senti que je partage : « Une minorité appartenant aux mêmes cercles (siècle, think tank,…), de la même classe d’âge et surtout du même milieu social. Pas question de changer le paradigme du débat public. Quelques-uns, fortunés, installés, distants pensent et décident pour tous. »

    Comme c’est bon… Mais dis moi : c’est quand qu’on va où ?

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  4. Dans un tel théatre, Ségolène Royal, habile et combative, ne pouvait que séduire. Le cynisme naît alors : L’ambition qui prend les habits de la révolte. Je ne lui reproche pas son incompétence, ni même son gout démesuré du pouvoir. Je lui reproche de mentir au peuple d’en-bas. Le « droit dans les yeux » de la retraite à 60 ans mais le « bout des lèvres » concernant les annuités, le maintien du niveau des pensions sans parler de revalorisation pour les plus démunis, la pénibilité selon les règles du BIT sans parler des millions d’employés qui ne bénéficieraient pas de ces règles …

    le « et taxer les pauvres, c’est le miracle? » était quand-même sympa :-)

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  5. ça reflète tt à fait ce que tu disais hier soir ! ça me rappelle le lapin de Peillon : lui non plus n’avait pas envie d’être le dindon de la farce à l’instar d’un Chérèque (mais lui le mérite) ou d’un Thibaut ! mais pas d’une Ségo dont la pugnacité et la pédagogie m’ont étonnée.
    Rien à voir (enfin si, quand même) mais en parlant de génération Y, je suis tombée sur ce billet …qui mérite d’être lu !

    Une jeune journaliste raconte comment les 20/30 ans voient le travail


    voir aussi le billet original en anglais (lien dans l’article)

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  6. Très bon billet comme à ton habitude. Ségolène Royal et le PS avait parfaitement préparé l’emission. SR a été très bonne pédagogue et c’était un délice quand elle renvoyait Chabot et Boissonat dans leurs 22 par des petites phrases bien sentis. Chabot devrait changer de métier et devenir porte parole du gouvernement

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  7. Merci de souligner l’aspect générationnel de ce débat, et des tensions de notre société, un aspect régulièrement oblitéré des discours de masse. On essaie de noyer ce poisson, sans doute inconsciemment en partie. Ca me donne l’impression qu’après avoir conquis l’Olympe en 1968 (grossièrement), les baby-boomers mangent leurs enfants comme Cronos, pour éviter qu’il leur arrive ce qui est arrivé à leurs parents.

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  8. Tu décris parfaitement cette crise de conformisme aigu chez nos élites médiatiques. C’est de loin ce qu’il y a de plus usant sur le sujet des retraites.
    Ce TINA qui tourne en boucle, tout médias confondus, toutes tendances confondues, programmé dans les têtes les mieux faites et relayé par les langues (habituellement) les plus critiques. Affirmez que la reforme des retraites imposée par Sarkozy est déséquilibrée, improbable ou bornée, et vous appartiendrez à la horde des ploucs et des ignorants. Pas de débat, c’est plié, tout le monde s’est mit d’accord : « les français sont résignés ». Et si jamais un sondage venait contredire cette tendance, on corrigera, et on expliquera que les Français sont résignés, mais facétieux aussi. Ça doit être ça qui distingue la « plèbe » du « sachant », son goût prononcé pour la blague potache.

    Cette petite musique d’accompagnement était devenue insupportable.

    Et puis il y a eu mardi et la bonne surprise de cette mobilisation massive. Et puis, il y a eu jeudi et la bonne surprise Royal. Face à Chabot, elle était à très l’aise, claire et structurée. Combative et souvent convaincante. Et tout ça en se payant le luxe d’être fidèle a elle-même, et fidèle au PS !!

    Bing ! sur confusion entretenu par le gouvernement entre pénibilité et invalidité, Bong ! sur les Français qui travaillent moins longtemps que les autres. Avec un peu plus de temps, elle aurait même plus clairement expliquer ce qu’elle entendait par « c’est la reforme du Medef », celle d’une progression discrète vers la retraite par capitalisation (pas de complément, mais de substitution).

    Ces 2 bouffées d’air frais ont fait bien à tous ceux consternés par ce débat confisqué. Alors même si les éléments de langage de la majorité sont les seuls avis autorisés. Même si la mobilisation syndicale peine a trouver son mot d‘ordre. Même si l’opposition a tardé a mener ce combat (combat/débat qu’elle a peut être elle-même empêché en dégainant – trop vite ? – la promesse de revenir sur le texte si elle l’emporte en 2012), le doute, cette semaine, a commencé à s’immiscer dans les esprits. Ce qui était il y a quelques jours encore, totalement inconcevable. Voici ce que j’appelle un encouragement à ne rien lâcher.

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  9. Toujours des mots, paroles, paroles…
    Mais que dire d’un système construit sur la solidarité intergénérationnelle il y a plus de 65 ans? C’est à dire les actifs cotisent pour payer les retraites des inactifs, système valide pour 4 actifs pour un inactif e, 1960, en 2010 le rapport est de 1,4 actif pour 1 inactif et dans 10 ans de 1 pour 1.
    Nos enfants devront consacrer environ 60 % de leurs revenus pour payer nos retraites, le remboursement de la dette actuellement de 1 500 Mds€, se nourrir un peu, se loger mal, se divertir pas souvent. Feront-ils des enfants? J’en doute. Ils n’auront pas de retraite. Ils maudiront leurs parents, je crois.
    Je n’ai pas entendu la solution stable d’avenir ce soir là. Dommage, foutu rêve éculé.

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  10. Mais comment toute « l’élite » de ce pays qui a tant raillé Royal a-elle pu se pâmer devant ce voyou de Sarko et donc le faire élire ?
    Maintenant ils piaillent parce que ce salopard démolit à coup de pic tout ce que nous avions arraché à commencer par la République.

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  11. Pingback: Retraites : Eric, fais-moi peur ! « Un blogue de plus

  12. . Je crois sincèrement que l’allongement de l’âge de la mise à la retraite est un faux problème pour les pays dits “riches”. En effet, avec les progrès de la productivité, les délocalisations, l’automatisation voire la robotisation etc…le salariat, comme le soulignait André Gorsz dans “Les métamorphoses du travail” ne pourra que s’amenuiser. le “travailler plus pour gagner plus” est donc une fumisterie sinon une escroquerie intellectuelle.
    Les problèmes qui vont se poser aux pays industrialisés sont:
    – Comment gérer le temps libre pour qu’il soit source d’épanouissement?
    et
    – l’allocation sociale universelle…
    . C’est pourquoi les 35 heures sont considérées comme la source de toutes les misères.
    Le problème des retraites ne doit pas être isolé du phénomène général , déjà largement amorcé, du transfert des profits vers le capital et non vers le travail, il illustre la crise de la civilisation du travail et annonce l’enrichissement plus grand des nantis et la pauperisation de la grande majorité convient, en conséquence, de soulever une problématique moins parcellaire mais ô combien plus fondamentale !! Pierre Ranjeva
    Septembre 2010

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