Penser dans les clous

(Pour un débat non constructif, éloge du braillard)

« La légitimité d’une contestation ne réside pas dans une proposition alternative, mais dans l’inhumanité de ce qu’elle dénonce. » J. Généreux – La dissociété

Exhorter au pragmatisme et aux « solutions », tel est le management catéchiste pratiqué par le politicien post-moderne. Celui, qui face aux défis perdus par avance (Mondialisation, Europe, Retraites), glorifie le verbe, simule l’action. Par un mimétisme consternant, les apparatchiks de toutes obédiences se livrent aux mêmes simagrées. Prenant exemple sur leurs « aînés » ou mentors, il n’est pas rare que face au néant de leurs propres « réponses » empiriques, ils dégainent, narquois, le perpétuel : « Mais qu’est ce que vous proposez, vous ?« . Il en va de même pour les commentateurs qui se repaissent de formules magiques capables de « changer les choses« , « de faire bouger les lignes« . Dans la société du débat, où tout le monde a un avis, une solution, on omet la plus élémentaire des prudences. Questionner la question au lieu de s’engouffrer dans la répétition tels des perroquets.

La religion du pragmatisme
Sur le dossier des retraites, lors du petit jeu de cache-cache, X. Bertrand pour faire accoucher le Parti socialiste déclara fin avril « ce qui est dramatique, c’est que M. Aubry nie la réalité au lieu de se positionner sur le terrain des idées et des propositions » puis l’a exhortée à faire des « propositions« . Mi-mai, il mit bas. Aux injonctions et au principe de réalité, l’impératif de solution constitue le minimum pour intégrer le cercle des prétendants aux responsabilités. Et ce, en temps et en heure. Réforme Balladur en 1993, réforme Fillon en 2003, la question des retraites aurait dû être enterrée. C’est ce qui fut dit. C’est en 2010 qu’elle refait surface. C’est donc en 2010 qu’il faut y répondre. Séance tenante. On l’aura bien compris, il ne s’agit pas de régler le problème, mais de continuer de le gérer entre « gens responsables ». Vous prendrez bien un peu plus que 60 ans ou beaucoup plus que 60 ans ? Faudra-t-il faire contribuer les pansus, un peu, ou moyennement ? Une folie politique qui entraîne M. Aubry, leader du parti progressiste à se prononcer sur un sujet nécessitant une évaluation globale de la situation et du contexte économique. X. Bertrand à la tête de l’UMP, s’est spécialisé dans la gestion de crise par petits morceaux. En l’occurrence, aborder les pans à laisser capoter, l’un après l’autre avec le pragmatisme de celui qui ne voit pas plus loin que le pas de sa porte. Comment esquiver la question lancinante « comment sauver les retraites ? » dont se gobergent inlassablement les commentateurs en vue, « car c’est une question cruciale« . Comme s’ils s’y intéressaient réellement… Et comme on est toujours l’UMP de quelqu’un, le PS inflige la même fadaise aux formations de gauche radicale, inaptes au pouvoir, et incapables d’échafauder des propositions « sérieuses ». C’est à ce (vil) prix que se fabrique un consensus sur un sujet de société. Par le haut et par pressions successives sur les plus contestataires afin qu’ils rendent gorge. Se résolvent à tenir une position conforme ou se voient discrédités pour utopie déraisonnable.

L’étroitesse du possible
Dans ce cadre, les champs du possible se sont dangereusement amenuisés. Que l’UMP poursuive un projet catégoriel à connotation inhumaine fait sans doute partie de la panoplie des possibilités offertes à la démocratie. Projet majoritaire sur la planète. Que ce type de pensée soit devenu le pivot autour duquel toutes les problématiques, au préalable bien arrimées, doivent trouver une issue, laisse présager du type de société et du délabrement politique dans lequel la France (comme ses voisins) se débat. On aura traité par exemple le sujet des retraites sans aborder les aspects globalisants du problème. Réduire le financement des anciens à la durée de cotisations des actifs et à la participation possible des fortunes consiste à faire l’impasse sur les éléments centraux. Quid de la mondialisation dans de la compétitivité qui devait apporter son lot de prospérité ? Il faudrait des encyclopédies et la mobilisation de toutes les intelligences pour entrevoir la lumière. Mais l’adaptation à l’environnement devient le stade ultime du renoncement politique. L’abdication face aux « partenaires » européens impose une descente vers l’abîme. La France n’a plus d’autre projet de société, que la course éperdue vers des mirages et une accoutumance aux relents anesthésiques à la nouvelle donne économique. Et dans ce cadre toute critique ou contestation s’avère nulle et non avenue. Penser dans les clous, sous peine de passer pour braillard stérile. Proposer dans l’espace prédéfini de ce qui est « possible » ou plutôt « probable »…
Ce qui aboutit comme le démontre A. Minc, bateleur crépusculaire et probabiliste de la pensée de gouvernement : « Il vaut mieux des rustines qui comblent la moitié du trou plutôt qu’un trou qui double.« 

Les sociétés souffrent, mais la cavalcade continue. La dénonciation des projets inhumains qui conduisent une grande partie des peuples à une survie augmentée est réduite à l’anecdotique infécond. Pourtant, les Français passeront en moyenne 14 années devant leur télévision, une bonne vingtaine au turbin, souvent ennuyeux. Une multitude vit à crédit dans des habitations trop petites et hors de prix. Leurs enfants inhalent de micros particules que produit la vie « moderne ». Une capacité d’adaptation hors norme qui fait le bonheur des cyniques. Les sujets de progrès ne manquent pas. Le temps pour les aborder non plus (il en est tant perdu…). Ce qui manque c’est un consensus du rejet. Un consensus sans proposition, pour déclarer que la situation est intolérable. Que la semi-vie proposée à une majorité pour que se poursuive le lent glissement dans les eaux glaciales de la modernité n’est pas raisonnable. C’est seulement ensuite que viendront les propositions…

[tweetmeme source= « Vogelsong »]
Vogelsong – 19 mai 2010 – Paris

16 réflexions sur “Penser dans les clous

  1. Tu n’es vraiment pas raisonnable ! M’enfin, on te l’a répété combien de fois qu' »il n’y a pas d’alternative » ! ça va finir par rentrer ?! quoi ? tu voudrais que les gens protestent ? juste pour râler ? sans alternative concrète ? ce n’est vraiment pas rationnel mon cher ! Ce n’est quand même pas une baisse de leur niveau de vie sans précédent et la dispersion par petits bouts façon puzzle de tout ce qui créé du lien social dans notre société qui va pousser les gens à se révolter ! Il y a la coupe du monde de foot, et les vacances à crédit dans la foulée ! c’est tellement plus important

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    • Définitivement pas.

      Avoir l’outrecuidance de ne rien proposer exclut du cercle respecté de la pensée.

      Vaut proposer n’importe quoi (cf. les 30 dernières années), qui rien…

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  2. Pingback: 159ème semaine de Sarkofrance : Sarkozy ou la guerre des classes – Politiconet

  3. J’ai suivi le débat de loin je le concède mais si on m’a bien expliqué ont fait toute une salade pour un déficit des retraites qui serait de 2% du PIB en 2050? Si c’est bien ça, ça me laisse pantois. Comment peut-on faire des projections crédible à 40 ans alors qu’on est incapable d’en faire des correctes à 2 ans ? Qui plus est, même dans un cadre économique inchangé (mondialisation, etc.), il y a tellement de paramètres d’incertitudes: croissance du PIB, taux de natalité, effet de l’immigration, niveau d’emploi, espérance de vie, etc. 2% du PIB dans 40 ans c’est l’épaisseur du trait. Et l’on voit bien de ces incertitudes qu’il y a d’autres leviers que les 3 habituellement cités.

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    • Tant que nous balancerons les encensoirs au dessus des « économistes » prévisionnistes. L’enfumage et les solutions raisonnables découlent de cet inféodation.

      Quatre années d’économie « libérale » à la fac, un poste d’analyste dans une banque, donne les madames Irma du post modernisme économico-politique. Les pragmatiques qui prédisent le passé.

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  4. Mais n’existe-t-il pas de solutions ?

    Récemment je lisais l’avis, très instructif, d’un sociologue qui expliquait que la classe politique est à l’heure actuelle comme bloquée par différents phénomènes, comme la médiatisation et celui que vous décrivez dans cet article.

    Ce sociologue expliquait alors que, selon lui, il était nécessaire pour faire avancer le schmilblicik que la société civile se réveille et que des initiatives politiques soient prises EN DEHORS des partis politiques classiques, qui ont démontré leur inefficacité à traiter de certaines questions.

    Réflexionnant à tout ceci, je me dis que si un homme fortuné voulait faire avancer le schmilblick, il prendrait sur son argent d’essayer d’organiser un grand référendum en France sur la dizaine de questions que les politiques laissent en suspens depuis des années:

    référendum d’initiative populaire,
    class action à l’américaine,
    taxe Tobin,
    imposition du capital,
    taxes écologiques,
    école sélective de haut niveau ou jardin d’enfants pédagogiste,
    laicité (?),
    légalisation des drogues douces,
    cumul des mandats,
    parité homme-femme dans la politique ou ailleurs (à mieux définir),
    discrimination positive,
    protection sociale et dépassement d’honoraires des médecins,
    flexi-sécurité à la scandinave,

    Comme ça les français donneraient LEURS réponses, et les politiques n’auraient qu’à les appliquer.
    Je comprend pas qu’il y ait pas quelques hommes fortunés en France qui se lancent là dedans, je suis sur que ça améliorerait les choses.
    On arrête de se battre pour des vétilles. On demande au peuple, on l’écoute et on lui obéit.

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    • – Concernant les Hommes fortunés, je suppose qu’Ils se satisfont très bien de la situation. Une oligarchie conservatrice.

      – Concernant la voix du peuple. C’est le problème récurrent de l’objet et du sujet. Un individu qui passe en moyenne 4 heures de sa journée devant M6 ou TF1, puis 8 heures dans un labeur souvent ennuyeux, peut-il se prononcer sur la laïcité autrement que par des réflexes pulsionnels ? La question se pose. Peut-être.
      Le citoyen je crois, n’est pas né.

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  5. On retrouve ici le ton pamphlétaire qui est le meilleur de Vogelsong. Bravo. Pas vraiment d’accord au sujet du pragmatisme et des non-propositions, mais ébranlé/laissé songeur par le point de vue proposé ici, ce qui prouve l’utilité de cet article et de cette pensée. Merci à l’Oiseau d’éviter les barbarismes journalistiques, surtout, et puis d’aligner des dégommages comme « les pansus » ou « Comme on est toujours l’UMP de quelqu’un »… Petite critique à ce sujet : « Par un mimétisme » me fait un peu tiquer, « Faisant preuve d’un mimétisme »… plus correct ? Chipotage, d’accord. A bientôt.

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    • Tu auras bien compris que l’attitude de non proposition n’est qu’une phase préliminaire » pour sortir du cadre. Et puis c’est aussi un agacement. Marre des « questcequetuproposeurs »…

      Barbarisme journalistiques. :) C’est terrifiant hein ? M

      Pour « mimétisme », tu as raison c’est un tantinet lourdaud. J’ai quand meme trouver cette citation dans mon dico de référence :
      « Par un certain mimétisme, la personnalité des propriétaires a tendance à refléter celle de leur bastide. » Caroline et Jacques Bouchard, La Vie de château.
      Bon on va dire que ce n’est pas très fluide, mais que cela passe…

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  6. Combien d’actifs pourris les banques de la zone euro possèdent-elles ?

    Selon la Banque Centrale Européenne, les banques de la zone euro ont dans leurs livres 195 milliards d’euros d’actifs pourris.

    Vous avez bien lu : 195 milliards d’euros d’actifs pourris.

    Ce sont de soi-disant « actifs », mais leur valeur réelle est égale à zéro.

    Quand le patron d’une banque européenne vient frimer devant les caméras de télévision, quand il prétend que sa banque est saine, quand il raconte que sa banque est solide, ne le croyez pas.

    Les patrons des banques de la zone euro sont des menteurs.

    Les banques de la zone euro ne sont plus que des banques zombies.

    Contribuables, préparez-vous à payer.

    http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE64U0Q520100531

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  7. Je ne peux m’empêcher d’intervenir ici bas, même après quelques mois d’intervalle.
    Ce qui prouve par ailleurs une certaine justesse de l’article quant à la situation socio-politique, encore en berne ces jours-ci, voir pire…
    En fait ce qui me motive à réagir est la fameuse réplique de l’alternative… comme la plupart de nous tous j’imagine (ou peut être est-ce plus de l’espoir?), car alternative il y en a qui s’y sont essayés, et pas des moindres !
    Mais le problème récurrent, selon moi, si l’on ne considère que les plus « réalistes », est que chacune ne considère qu’un problème à la fois, ou au mieux qu’un domaine social.
    En oubliant dans le même temps la problématique de la sur-médiatisation des politiques et donc de l’étouffement des « non-professionnels » et de leurs idées.
    L’alternative crédible serait alors une synergie de ces alternatives, portée par la base, hors-piste et surement périlleux pour sa santé mentale et son intégrité philosophique.
    Avis aux amateurs, nul besoin d’être riche, si ce n’est en « contacts ».
    j’ai mis 3 ans pour réunir un mini annuaire fait maison concernant la thématique, à lire avec indulgence : http://mozygus.spaces.live.com/
    Bonne continuation à tous.
    MoZyGuS

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  8. Pingback: Rumine, Hans ! » Et vous, vous êtes las ?

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