Manuel Valls, la fin des utopies

Nouveau trublion du parti socialiste, M. Valls veut tout réinventer. En rupture de ban avec la direction de sa formation, il trouve refuge dans les médias où ses idées « modernes » font écho. Le félon défraie la chronique lors d’un pugilat épistolaire avec M. Aubry. Trop à droite dit-on. Sur des sujets cruciaux comme les institutions, l’économie, les valeurs, il entend porter un positionnement particulier et novateur. En y regardant de plus près, il n’y a peut-être pas grand-chose d’inédit.

UtopiaQuand il faut choisir entre l’homme et le projet, M. Valls ne s’embarrasse guère de circonvolutions. Il a compris que pour parvenir au faîte du pouvoir il faut un Homme qui porte un projet. Il donne quelque peu le change en faisant référence à la dynamique parti-militants-sympathisants et en dégageant une hypothétique synergie (démocratie participative). Mais il a compris les règles implacables des institutions. Dans cette optique, il fait acte de candidature aux primaires à gauche pour la présidence de la République de 2012. Les procédures institutionnelles modifiées par L. Jospin sont taillées sur mesure pour la droite. En l’occurrence l’émergence d’un chef derrière qui les cohortes muettes feront bloc dans un seul but, gagner. C’est inscrit « génétiquement » dans le profil politique des conservateurs. Les faits électoraux, ces dix dernières années, sont éloquents. La gauche va de minuscules succès en déroutes historiques. La machine à gagner de l’UMP malgré l’anachronisme de sa doxa fait merveille.
Dans ce registre M. Valls joue les pragmatiques en s’adaptant au système de l’adversaire. De là à le vaincre, sur son propre terrain, avec ses propres armes, est une autre histoire. À moins d’en faire partie ?

F. Fillon se gargarisait d’avoir gagné sur le terrain idéologique. Il se félicitait de l’état de l’opinion sur les 35 heures, perçues comme une régression. Ce même préposé à la conduite de la politique du gouvernement raille, comme bon nombre de ses alliés, le « surmoi marxiste » de la gauche de gouvernement. De son côté, M. Valls veut en finir avec la perpétuelle prise d’otage du parti socialiste par la gauche radicale. La libération viendra de la rupture avec ses alliés historiques, qui mettra à bas le stérilisant « surmoi marxiste ». Le maire d’Évry semble oublier que cela fait trente ans que le PS noue des « liens fort avec l’entreprise » et « ceux qui créent de la richesse ». Il a tellement tissé de liens qu’il en a finalement oublié les ouvriers, employés et même les fonctionnaires. Pourtant, le renégat socialiste appelle aujourd’hui de ses vœux un virage déjà pris depuis trois décennies. La radicalité au sein du PS est au mieux une posture au pire un épouvantail que l’on se plait à agiter. Lors des primaires pour les présidentielles, lequel des trois candidats (L. Fabius, D. Strauss-Khan, S. Royal) était peu ou prou (même marginalement) marxisant ? M. Aubry, maire de Lille et premier secrétaire, ralliée corps et âme à l’Europe de J. Delors et des lobbys libéraux a-t-elle un « surmoi marxiste » ? Ce « gimmick » inlassablement resservi donne tout loisir aux pédagogues « marchéïsant » d’activer ce commode repoussoir. Au XXIe les solutions marxistes ne concernent plus personne (ou presque). S’affranchir des solutions planificatrices et « déstructurantes » pour les individus ne doit pas occulter la puissante grille d’analyses sociales et économiques qui fournit cette théorie. M. Valls sert le discours improbable de la grande unité d’intérêts et de vues entre les salariés et les entrepreneurs. La réalité lui donne quotidiennement tort. Mais le perçoit-il ?

Qualifié de maillon faible par les stratèges politiques de la majorité, M. Valls a refusé le pont d’or que lui proposait le président. Le débauchage s’apparente à une stratégie de désorganisation du débat démocratique dont la seule fin est de garder le pouvoir. Symétriquement l’antisarkozysme mécanique est contre-productif, et ne permet pas une démocratie apaisée. Il considère que l’élection d’un homme d’État tel que N. Sarkozy est un phénomène normal de la démocratie en France. Dans ce schéma, ne tolère pas les remontrances qui peuvent lui être faites sur sa présupposée « sarkophilie ». Niant même férocement. Pourtant, la pratique, l’homme, l’état du pays, l’horizon donné à celui-ci devraient susciter chez M. Valls plus qu’une critique programmatique des folies budgétaires de la loi TEPA.
Une opposition raisonnée dans une démocratie apaisée ne s’organise pas autour d’un régime phagocytant. Dont la seule stratégie est la conservation du pouvoir par destruction et implosion de ses adversaires. En acceptant un rôle modéré d’opposant, on porte le flanc à une dissymétrie des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Ne pas jouer le jeu des « garden-partys », des flatteries, des satisfecit ponctuels consiste à marquer clairement son éloignement de l’ensemble d’une politique et de son projet globalisant. M. Valls n’est manifestement pas dans ce processus.

Reprendre le terrain perdu à la droite sur les valeurs de travail, de nation et de sécurité est un objectif louable. La direction du parti socialiste aurait dû y plancher depuis des lustres. Récupérer ces domaines en singeant les conservateurs (même à moitié) est sans issue. Comme les marxistes il tire des constats justes, mais applique des solutions caduques (bien que moins dramatiques). La quasi-totalité de ses propositions n’engendrerait aucune protestation des versatiles du gouvernement UMP. La sincérité en moins.
La pédagogie de la rigueur fait ses preuves depuis trente ans. Le miracle blairiste atteint ses limites en période de crise. Les virages rigoureux de la gauche française ont fortement (voire définitivement) installé le discrédit. Les sociaux-démocrates complexés en Europe sont en totale débâcle.
Il y a une route à ne pas suivre. M. Valls en a l’itinéraire.

Vogelsong – 28 juillet 2009 – Paris

22 réflexions sur “Manuel Valls, la fin des utopies

  1. Ah, Valls a aussi expliqué que le bilan en terme de sécurité et de justice de Sarkozy était nul à chier, mais que les français percevaient le contraire.

    Il me semble aussi qu’il a parlé a un moment des impôts et du renoncement de 2002 ( avec Monsieur Renoncements à la manœuvre).

    Le problème avec ce genre d’individus et ce format d’ITW c’est qu’on passe en gros de Titine à l’ONU en passant par les voleurs de scooter et le CA des banques française. Trop large, donc pas le temps de cibler.

    Après oui, je le répète: c’est un courant d’air: Il pose de très bonnes questions que d’autres n’osent pas imaginer, et ses réponses sont trop vagues et restent dans le « vocabulaire » courant de la communication « ambiante ».

    Tu as donc gagné un lien, je te retire de la liste des faineants !

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  2. En y regardant de plus près, il n’y a peut-être pas grand-chose d’inédit.

    Effectivement, à y réfléchir, on a l’impression que le parti socialiste s’installe plus dans une guerre civile culturelle que politique. Bien que globalement d’accord sur beaucoup de choses, ce sont les questions de styles qui sont clivantes.

    Sinon comment expliquer que Strauss-Kahn, Royal, Delanoë ne soient pas dans le même camp? D’ailleurs, c’est bien cela l’argument toujours mis en avant: la génération.

    Valls à trouvé son style. Comme les autres, il nage dans un monde virtuel, mais peu importe, il s’est trouvé une marque de fabrique.

    Dénoncer le « surmoi marxiste du PS », c’est certes à mourir de rire, mais c’est une façon de se poser en iconoclaste.

    De même, en dénonçant « la prise d’otage du PS par la gauche radicale », Valls fait semblant de ne pas voir que cette force plafonne à 10% environ et que ses principales composantes (PG-NPA-PCF) ont pris position pour des désistements en faveur de la liste de gauche arrivée en tête lors des prochaines élections.

    Mais que serait un Don Quichotte sans moulins à vents?..

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  3. En lisant Vogelsong et Dagrouik, il me semble qu’on a une bonne idée de ce que propose Valls. C’est à dire beaucoup de vieux retapé en neuf !

    Je me demùande bien ce que les autres participants vont bien pouvoir écrire pour se démarquer !

    Cela dit l’impression de pragmatisme que donne Valls est rendue dans les 2 analyses. En résumé, la fin justifie les moyens. Chacun devrait pourtant savoir qu’il est pratiquement impossible de tenir ses promesses électorales : alors les belles paroles qui vous transportent !…

    Pas un candidat politique à la présidence n’a réussi à tenir 40 % de ses promesses électorales, alors honnêtement, on se demande comme Manuel Valls pourrait tenir les siennes pourtant volontairement très vagues.

    À moins que ce ne soit dans le seul but de se travestir en homme de gauche mou fréquentable qui ne fait pas peur aux Français majoritairement de droite, juste pour gagner comme dit Dagrouik…

    Ou peut-être n’est il même pas travesti ?

    Ça, à moins d’être dans sa tête, on ne le saura pas pour le moment.

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    • M. Valls n’a pas d’équipe actuellement pour donner un contenu réel à ses orientations éculés.

      Il propose des pistes soi disant modernes. Nous savons où elles mènent.

      Je pense qu’il est sincère. Ce qui me « tourmente ».

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  4. Valls n’a non seulement pas une bonne analyse dans le sens où il parle d ‘un point de vue qui n’est pas celui du commun des mortels (cf. Ma réflexion sur le caractère relatif de toute vérité… ici : http://gauchedecombat.wordpress.com/2009/07/28/valls-reinvente-la-gauche-moderne) mais de surcroit de mauvaises réponses à de fausses questions… Ainsi, sur la modernité ou le développement économique, comme par exemple dans sa ville. Un développement économique qui met à l’écart les trois quarts de la population est-il à privilégier quand on se prétend socialiste ? Là est la question.

    Valls est libéral, comme une frange non négligeable du ps. je ne me reconnais pas dans cette gauche frelatée là, d’où mon départ du ps, alors que je ne suis pas et n’ai rien d’un extrémiste… Simplement de gauche.

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  5. Les explosions idéologiques depuis 20 ans ont mis à plat beaucoup plus de situations essentielles que vous semblez le croire.

    Nous aurons toujours des militants pour les solutions extrêmes et si la réalité leur donne tort, ça ne les déçoit jamais.

    Reste la partie noble de la politique et de l’économie, celle qui change le sort des hommes et où ils peuvent intervenir.

    Il y a ceux qui pensent que le système libéral autorégulé est la solution à tout, ça se casse la gueule, mais ils y repiquent toujours,on y retrouve des gens de droite assez organisés, même si ce n’est pas toute la droite.

    Il y a ceux qui pensent que l’on ne passe pas à coté de la libre entreprise mais qu’il faut demander à la loi de la contraindre dans ses défauts. En plus, ils pensent que des services publics hexagonaux ont un rôle spécifique à jouer que les entreprises ne pourraient pas assumer correctement, ce sont les gens de gauche : à eux de s’organiser entre eux et pas avec d’autres.

    Le reste, c’est de l’habillage pour servir des hommes et non la société.

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  6. Merci pour ce bel article.
    Le PS est un petit village avec son bourg, ses platanes, ses notables, son conseil municipal, son opposition, sa routine, ses coups d’éclats et ses sournoiseries quotidiennes. Les gens ne vivant qu’au rythme de leurs désœuvrements, les pour et les contre se tirant dessus avec virulence, les neutres regardant l’empoignade, buvant le coup et se bidonnant devant le spectacle affligeant offert au public.Quand ce n’est pas le projet de station d’épuration qui met le feu aux poudres, parce que le bruit, la proximité de l’installation avec l’école publique, les odeurs incommodantes, l’inesthétique de la chose, c’est l’endroit choisi pour l’installation de l’usine d’incinération qui déclenche le courroux des contras !
    Le PS vit au rythme de sa déconfiture et ça fout en l’air tout projet valable de la gauche pour 2012. Vive l’alternative de Villepin ! Lamentable !

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  7. Pingback: Sarkost'zine : Actualités de la politique de Nicolas Sarkozy, de son gouvernement, appliquée à la france.

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