Tousser trois fois

La presse française est malade et prend le bouillon. Au théâtre de la Colline, les journalistes émettent des poussées stridulantes concernant leurs conditions.

42-17770243R.Ménard, le pitre de RSF affirmait en 2007 que « N.Sarkozy n’était pas un problème pour la presse ». C’est donc une profession frappée d’amnésie qui feint de se serrer les coudes. En 2007, quasi unanimement, elle présente la candidature de N.Sarkozy comme une option de droite. En effet, les grands quotidiens fustigent la diabolisation du chef de l’UMP. Entre S.Royal et le gesticulant ministre de l’intérieur, ce n’est rien d’autre qu’un bon vieux débat centro-bipolaire. Quand Marianne, la feuille de chou bayrouiste, publie un numéro assassin sur le surexcité du ministère de la police, on affuble l’hebdomadaire de subjectivité caricaturale. La volée de bois vert arrive de toutes parts, de tous bords. La presse dans son ensemble tient son duel Royal/Sarkozy et ne veut pas le lâcher. Libération, tiédasse tâcheron de la presse bobo sponsorisé par Armani et Channel, entretien ce voluptueux débat. Soutenant la candidate de gauche du bout des colonnes, critiquant le spasmodique poulain de TF1 avec une fine modération. Le Monde tire à boulets rouges sur F.Bayrou le prétendu centriste alors qu’il est le vrai candidat de la droite classique. Il est clair que derrière le discours mielleux du béarnais s’embusque une politique économique clairement à droite. L’approche sociétale est juste libérale, on ne peut lui demander moins. Le positionnement du Figaro ne mérite sûrement pas que l’on s’y attarde. En manque de journalistes car tous recasés dans la publi-information ou la retouche photographique, le quotidien à la botte du vendeur d’armes S.Dassault joue les pom-pom girls de la réaction depuis déjà quelques années et n’est plus à proprement parlé un journal d’information.
Économiquement, N.Sarkozy est le parfait bourrin. Le tirage papier en témoigne. Pas question de ronger les marges d’une presse déjà largement sinistrée. Tout le monde va bon gré mal gré à la gamelle.

Un cycle et deux fouilles rectales plus tard, des couinements aigus montent du théâtre de la Colline. Les amblyopes d’hier ont eu la révélation. La presse serait au bord du collapsus. La liberté d’écrire et de diffuser serait en danger en France. Diantre ! Étreinte par l’État UMP. Vaste blague et coups de bambous mérités.
Le happening de pleureuses se tiendra sous la houlette de J.M.Ribes. Ce même clown qui servit de monsieur loyal à la présentation de l’apocalyptique rapport Attali offert à N.Sarkozy pour « libérer » la croissance. Certains ont une mémoire de poisson rouge.
Participeront à ce cocktail d’initiés une brochette de zélateurs de la pensée molle capables de dire tout et son contraire, dont P.Rosenvallon phare de la gauche « moderne » est un digne représentant. Le grand instigateur est E.Plenel qui a découvert il y a peu la presse alternative et la posture d’opposant. Pour lui le réveil est brutal car sous F.Mitterrand, ce n’était sûrement pas facile mais plus simple. Viendront se joindre aux  gémissements des hommes politiques plutôt de gauche (B.Hamon, P.Braouzec), et la droite classique et Villepiniste (F.Bayrou, H.Mariton). Étrange attelage de ceux qui ne réussissent plus à convaincre, et de ceux qui se sentent muselés au sein de leur potentat.

Les observateurs étrangers en témoignent, la presse française c’est le stade médiéval de l’information. Par sa structure, la plupart des journaux sont aux griffes de puissants industriels (armements, BTP, finance). Par ses pratiques de connivences. Par la teneur de ses analyses (voir par exemple toute l’œuvre de J.M.Colombani) et surtout par sa paresse (information circulaire).

Une once de clairvoyance aurait permis d’anticiper le mélange détonnant de l’après mai 2007. Aujourd’hui la profession et surtout ses dirigeants jouent les ébahis, les catastrophés. Mais ils savaient, pertinemment. S.Royal ou N.Sarkozy n’étaient pas des options équivalentes pour les libertés. Cette presse fondue dans le sarkozysme donne la France de 2008 (et d’après). Celle qui penchée la tête en bas, les fondements aux vents doit tousser trois fois sous l’œil inquisiteur et amusé de la maréchaussée.

Vogelsong – 12 décembre 2008 – Paris

19 réflexions sur “Tousser trois fois

  1. Intéressant de souligner l’arguement économique.

    (« Économiquement, N.Sarkozy est le parfait bourrin. Le tirage papier en témoigne. Pas question de ronger les marges d’une presse déjà largement sinistrée. Tout le monde va bon gré mal gré à la gamelle. »)

    Il n’y a pas que ça, mais ça explique aussi l’omniprésence. En fait, c’est un système qui promeut un homme conforme à ce que le système demande.

    Enfin, tu es un peu cruel avec certains journalistes (ne pas les mettre tous dans le même sac, même si c’est tenant d’associer l’onctuosité d’un Mougeotte et la fausse insolence barbichue d’un Joffrin _ en fait, il y a tout de même une différence entre les deux). Notamment Plenel: il avait dit, dans une vidéo que tu as sans doute vue, pendnant la campagne, qu’il s’engageait contre Nicolas Sarkozy.
    Mais il est vrai que pour un Plenel, quelques Kahn ou des médias confidentiels comme Politis, combien de médias prêts à collaborer avec les méthodes, les idées, et les objectifs du nouveau pouvoir.

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  2. hé oui, toujours ce bon vieux postulat que la vérité se situe toujours dans l’entre deux

    aujourd’hui de états généraux au sein desquels personne ne peut se permettre de renoncer aux subsides…

    c’est la domestication par la gamelle, après endoctrinement par imprégnation

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  3. Ravie que tu fasses ce billet, cruel de vérité. il est touchant de voir l’esprit de caste des gens de presse. Que des centaines de gueux soient prestement embarqués par la maréchaussée ou crèvent dans la rue sans un sou en poche, c’est quasi le silence et le pipôle politique en couverture. Qu’on touche un des leurs et c’est aussitôt le branle bas de combat.
    Je ne soutiens pas ce que l’état impose aux média et je trouve dangereux pour la démocratie la tournure des événements concernant les média. Mais je ne verse pas de larme sur les journalistes en général.
    Toutefois, comme le dit Eric, il y a encore de courageux journalistes dont il faut souligner la liberté de pensée.

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  4. Soyons clair. Je soutien la liberté de la presse. Faites l’expérience, prononcer cette phrase, vous verrez c’est ridicule, car tellement évident.
    Donc l’Appel de la Colline ne me laisse pas de marbre.

    Concernant E.Plenel, je partage des fois ses positions (du moment). C’est trop tard. Le fertilisant Sarkozien ne date pas de 2007. Mais tout le monde peut changer d’avis…

    Une bonne partie de ces gens ont fréquenté l’animal, un compte rendu « normal » aurait été le minimum. Ils ont fait une présentation « démocratique ». C’était une erreur. Bien sûr qu’il y a eu des articles qui alertaient sur le danger. Mais pensez à la tonalité générale.
    La vérité c’est que Sarkozy ou Royal ce n’est pas pareil !

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  5. Cher Vogelsong,
    Dites ce que vous voulez, pensez comme vous voulez, mais au moins traitez les autres comme vous aimeriez, je suppose, que l’on vous traite. En vous écoutant, en vous lisant, en regardant vos actes. L’inverse, c’est l’inquisition ou le stalinisme: on juge sur une réputation (fausse), sur des racontars (infondés), sur des calomnies (stupides). A l’évidence, le Plenel dont vous parlez est un personnage de fiction, car ce n’est pas moi. J’ai toujours su faire la différence entre ma main droite et ma main gauche (la vraie droite et les fausses gauches) et j’ai toujours dit, tout haut et très tôt, ce qui aujourd’hui se murmure à propos de notre petit Bonaparte national. De grâce, prenez la peine de lire ce que j’ai écrit, ce que j’ai dit, ce que j’ai défendu.
    Il serait peut-être temps d’arrêter de se déchirer entre gens qui partagent les mêmes adversaires et, surtout, d’arrêter de mépriser ou de caricaturer les journalistes qui n’ont jamais renoncé à se battre, non pas pour eux-mêmes mais pour un principe: la liberté d’information. Peut-être devez-vous demander parfois pourquoi ce pouvoir a si peu d’opposants véritables et une gauche si timorée en face de lui: ne serait-ce pas à force de déchirements internes, de haines inutiles, de divisions fratricides?
    Bref, signez l’Appel de la Colline, venez lundi soir au Théâtre du Rond-Point et arrêtez de ronchonner dans votre coin, ça ne fait guère avancer le schmilblick. Pour ce que j’en dis, ce n’est qu’un conseil de visiteur cordial, juste en passant. Faites de même, allez voir sur http://www.mediapart.fr !
    Edwy Plenel (le vrai, pas sa caricature)

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  6. @Vogelsong : c’est drole , et percutant. Comme je te l’ai dit cette après midi, ceux & celles qui ont été victimes du système ont le droit de se révolter après avoir subi ou avoir été des complices.
    Cette après midi j’ai cherché une chronique du pénible Eric Le Boucher sur lemonde.fr. Mais il a été remercié. Preuve que la cervelle fonctionne encore la bas :o)

    Et comme Edwy plenel le remarque: Allons tous les deux au théâtre du rond-point. Nous sommes d’ailleurs invités comme membres de Mediapart.

    Peux être pourrons nous dire à Eddy Plenel ce que nous blogueurs de gauche pensons de la presse « de gauche », et ce en toute amitié, sans animosité, ni haine.

    Et oui, car Mediapart est un des rares médias de ce pays, qui ne soit pas inféodé au CAC40 ou à un ami de Sarkozy. Ils ne sont plus nombreux, alors aidons les du peu que nous pouvons faire nous simples citoyens blogueurs.

    Rva
    http://intox2007.info

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  7. @E.Plenel

    Je lis ce que vous écrivez.
    Je n’ai pas dirigé Le Monde avec A.Minc et J.M.Colombani. Je (ne) suis (que) le tenancier d’une petite officine libre de paroles avec une poignée de lecteurs. Et je me bats avec mes moyens.
    Ce que j’essaie de mettre en exergue et que vous prenez pour une attaque est le simple fait que le mainstream journalistique a laissé cette situation se réaliser. Vous savez que tout le monde savait.
    Ne culpabilisez pas les gens qui essaient de comprendre pourquoi et à cause de qui nous en sommes là. Le coup du stalinisme, c’est bon ! En langage internet, cela s’appelle le Godwin point . L’argument final quand on ne peut plus rien avancer de concret.

    Je me permets de citer Érasme : “Critiquer les mœurs des hommes sans attaquer personne nominativement, est-ce vraiment mordre ?”

    Je viendrai au théâtre du Rond Point, lundi 15.

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  8. @ Vogelsong,
    Merci de votre réponse et merci d’être là lundi. Si je vous écris, c’est bien parce que je vous considère – bien que je n’ai pas votre avantage (de prétendre me connaître :=)…) alors que je ne sais vraiment pas qui se cache derrière votre anonymat. Quant au « Monde » d’hier, vous savez bien, et la suite l’a prouvé, que ce que j’y défendais (en dirigeant une rédaction et un journal, pas une entreprise et sa stratégie) n’avait pas grand chose à voir avec les intérêts défendus par les deux autres. Et puis pourquoi, au nom de divergences anciennes et rancies, refuser de se battre pour la même cause avec toutes les bonnes volontés?
    Allez, bon dimanche!
    Edwy Plenel

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  9. Grandiose !

    Je n’aurais jamais osé « tous recasés dans la publi-information ou la retouche photographique » pour les journalistes du Figaro … :-)))

    Ceci dit j’avais déjà prévenu en reprenant Jean D’Ormesson à qui voulais l’entendre qu’on ne lis pas le Figaro …

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  10. Un mot sur l’anonymat.
    – Si on cherche bien on trouve qui se cache derrière un pseudo.
    – Je suis prêt à rencontrer quiconque pour développer mes arguments.
    – Contrairement aux journalistes qui gagnent leurs vies avec leurs noms, le bloggueur peut perdre ses ressources à cause de son nom.

    @Romain je dirai panurgique :)

    @Farid Osons !

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  11. Beau billet et belle humeur. Mais dans quelle mesure, la presse, honnie par tant de lecteurs et électeurs a-t-elle joué un rôle dans l’élection présidentielle? Serait-elle prescriptrice de votes? J’en doute…La télé, oui, bon, mais la presse écrite aurait eu beau s’égosiller pour démonter le système sarkozy, cela n’aurait sans doute pas servi à grand chose.
    D’autant que les Français qui se mobilisent pour lutter contre quelque chose sont bien peu nombreux, et ce sont toujours les mêmes. Des veaux disait le dictateur light et général.
    On ne fait même plus de politique au café du commerce, on ne s’engueule plus en famille (ah, les déjeuners du dimanche et les claquements de porte), on parle foot ou people.
    Il n’y a qu’à voir la participation aux prudhommes….

    Mais comme dit Eric, il y a de bons journalistes et ils continuent à faire leur boulot parce qu’ils croient à la liberté de la presse, certes, à la liberté d’informer, oui, et aussi au droit de leurs lecteurs à être informés. Certes, ils s’énervent quand « l’un des leurs » est mal traité. Pas forcément pour la personne, mais pour défendre leur métier, et les quelques lecteurs qui restent.

    Seulement, vous ne connaissez pas leurs noms, ils ne sont pas dans la hiérarchie, ce sont des soutiers de base. Pas très bien payés et bossant comme des malades. Bien plus nombreux que ceux que vous citez et qui passent à la télé.
    Les plans sociaux successifs aux Echos, à Libé, au Monde etc…font qu’ils sont toutefois de moins en moins nombreux dans les journaux (et plus à pointer aux assedic ou en retraite anticipée, pas prêts de retrouver du boulot contrairement aux hiérarques).
    Seulement les conditions de travail dans la presse, on n’en parle pas et si on en parlait, ce serait volée de bois vert (cf ci-dessus)pour corporatisme, et n’en jetez plus, on en a marre, on est fatigués, démobilisés, démoralisés.

    @dagrouic. Précision: Eric Le Boucher n’a pas été « remercié ». On s’est battus comme des malades (dans l’indifférence générale)pour qu’il n’y ait pas de licenciements au Monde, mais un plan de départ volontaire. Après des heures et des heures de négos, pendant plusieurs mois, tout en continuant à faire un journal,l’intersyndicale aura moins obtenu ça. ELB a donc « pris le plan », comme plus d’une centaine d’autres,comme moi.

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  12. @Martine Silber
    Quand bien même la presse écrite ne serait préceptrice de vote, le minimum aurait été de donner la vrai nature du régime qui vient. Par conscience.
    Souvenez vous de la teneur moyenne des papiers de l’époque ? Bien sûr qu’il a eu des articles excellents. La tonalité générale était telle que je la décrit.
    Pour la TV, évidemment. Ce n’est pas l’objet de mon attention. Je préfère l’écrit :)

    Concernant les français je dirai plutôt »amibes » :)

    Je sais que beaucoup de journalistes font (bien) leurs boulots. L’oligarchie est en cause.

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  13. La teneur des papiers a suscité, chez nous, plusieurs tollés en conférences de rédaction et des grondements de cafet ou sur radio moquette, donc je ne peux que m’en souvenir.
    Oui, la hiérarchie est en cause. Mais quand on dit Le Monde, Libé et non pas la direction de….ça retombe sur tous. Pourquoi fait-on la différence entre la direction de Total et les salariés de Total, la direction du Crédit lyonnais et les salariés du Crédit lyonnais, et jamais pour les journaux?
    Il y a eu un peu de battage quand nous avions créé un blog presseencolere (mort- non, dans le coma- faute de combattants), qui nous a soutenu?
    Un journal, c’est une entreprise. Qui paye d’abord les erreurs des dirigeants? La rédaction, les techniques, les informaticiens, les correcteurs, les standardistes, les assistantes, les documentalistes, les comptables et les coursiers, etc etc.
    Donc, c’est très dur ce dénigrement permanent.
    Il est intéressant de noter qu’une partie des journalistes ayant quitté le monde ont abandonné la presse, écœurés, et se sont lancés dans une activité totalement différente (petits commerces, restauration, traduction…).
    Quand il n’y aura plus de journalistes, vous lirez quoi?

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  14. Martine, comme vogelsong le pense, ce sont bien les directions qui sont en cause, l’oligopole des médias gérés par des actionnaires qui ne connaissent pas les métiers de la presse.

    Bien sûr que nous ne mettons pas dans le même panier, ceux et celles qui font un métier et les donneurs d’ordre.

    Et sur la campagne de 2007, je me souviens du gout de la presse pour les « gaffes » de SR, alors que Sarkozy en a fait quelques unes encore plus percutantes.

    Qui a donc dégommé le travailler plus pour gagner plus dans cette presse ? Personne.

    Et si les conférences de rédaction donnent lieu à des coups de gueule, et si vous êtes victimes de pression. Il vous reste une solution: Ouvrez un blog aux USA, et postez y les détails.

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  15. J’allais avoir la même réaction que ci-dessus !

    Il y aura toujours des journalistes ! La question est : dans quel cadre travailleront-ils ?

    Et, chers journalistes, vous n’avez pas le flingue sur la tempe, alors je supporte mal vos pleurnicheries. La peur du chômage ? On nous tient par la gamelle alors, en effet. Quand on prétend parler politique, respirer politique, vivre politique, en fait-on une carrière ou va-t-on jusqu’au bout ?

    J’ai conscience d’exprimer un point de vue sans nuances mais je ne crois pas à l’entrisme. Je crois aux hommes libres.

    En tout cas j’étais ravi d’apprendre ici même l’expression « Godwin Point » et le phrase « Quand il n’y aura plus de journalistes, vous lirez quoi ? » me permet tout de suite de la placer…

    Bravo et merci à Vogelsong pour son travail !

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