Liberté – Equité – Rentabilité : nouveau credo de l’éducation (Partie 1)

L’Éducation Nationale prend de plein fouet les ajustements structurels imposés par la nouvelle donne politique et économique. Pour obtenir des résultats chiffrés, un gros travail de sape idéologique est accompli.

L’opinion, ça se travaille ! Les gouvernements successifs ont parfaitement intégré ce point. Les personnels d’enseignement sont en première ligne du dénigrement, et ce depuis plus de deux décennies. Premier budget de la nation (75 milliards, 19%), et domaine sanctuarisé. Pour une nation développée, l’instruction est un investissement en croissance et développement. La génération d’après guerre raisonnait comme V.Hugo, « quand on ouvre une école, on ferme une prison ». Ce paradigme est mort, enterré.
Prosaïquement, les professeurs et instituteurs sont généralement affublés de sobriquets « plaisants ». Planqués car fonctionnaires, ils disposent du privilège de l’emploi à vie. En période de chômage de masse, la communication moderne a bien orchestré les frustrations de salariés jetables (et jetés). Objectif : stigmatiser ce corps épargné par la précarisation générale et toujours rétif aux partis conservateurs. Il est très facile de convaincre un smicard quotidiennement laminé que les fonctionnaires ont un avantage « royal ». Celui de ne pas être bringuebalé par une structure financière versatile. Ce raisonnement est d’une probité douteuse, on sent poindre la jalousie et le nivellement par le bas : « J’en bave, je ne vois pas pourquoi les autres non ? ».
Éducation Nationale, un refuge ? Il faut remettre les choses dans l’ordre, la crise de vocation n’est pas imputable à l’Éducation Nationale, mais à l’environnement économique. Qu’une partie des diplômés de la faculté ait choisit le professorat par défaut est indéniable. Mais cela s’est produit sous la pression du marché de l’emploi et non pas par une subite crise de farniente générationnelle.
Fainéants aussi. Il est aujourd’hui de notoriété que les fonctionnaires dans l’ensemble forment une tribu d’assistés très peu productifs qui vit aux crochets des salariés privés (eux très productifs, bien sûr) et qui paient de lourds impôts. Les professeurs et instituteurs cumulent, en plus de ces tares, quelques autres défauts irrémédiables. D’abord les congés, prérogative absolument intolérable pour le salarié « marchéisé » qui se lève tôt même en juillet. Ensuite il y a les émoluments supposés pharaoniques pratiqués dans l’Éducation Nationale*. Cerise sur le gâteau, ils sont payés même durant les deux mois d’été (où ils glandent à La Bourboule)**. En somme, c’est le genre de lieux communs que l’on enfile comme des perles depuis de nombreuses années.
Le paradigme de l’utilitarisme est aussi passé par là. Toujours vecteur d’instruction, le professeur est maintenant aussi perçu comme un prestataire de services. Pour les familles, il doit d’abord être performant dans la transmission du savoir avec une quasi obligation de résultats, mais en plus, il doit faire office de gardien d’enfants. Cet aspect est devenu primordial pour les parents qui travaillent et X.Darcos ne s’y est pas trompé en instaurant un service minimum de garderie. Cette astreinte ne concerne pas l’instruction, mais bien le fait de veiller sur les marmots durant les jours de grève, étant entendu qu’aucune transmission de savoir n’aura lieu. La suppression du samedi dans l’emploi du temps s’adresse directement aux parents.
Institutionnellement, les attaques sont venues de tous bords. Le pachyderme de gauche C.Allègre déclarait vouloir « dégraisser le mammouth ». Formule subtile pour notifier à la profession qu’elle est pléthorique et bouffie d’avantages. Grossier dans la forme, il avait au moins le mérite de la clarté. En 2005, un rapport de la cour des comptes sous la houlette de P.Méhaignerie stipulait que 32 000 équivalents temps plein de professeurs n’étaient pas devant les élèves. Plus vicieux. On entendit les cris d’orfraie des contribuables fourbus constatant que le fruit de leur labeur était dilapidé. Récemment l’inculte président N.Sarkosy voulait « revaloriser » le métier d’enseignant (et de gardien d’enfants). Son mâtin X.Darcos annonce une prime d’entrée dans le métier. Des sous-entendus lourds de sens : ce métier, aurait-il, au fil des ans et des coups de boutoirs perdu sa valeur ?

– À suivre –

*Un professeur des écoles commence sa carrière à 1 500 euros par mois sur 12 mois pour finir après 30 ans de service à 2 700 euros
**C’est faux, la rémunération est lissée annuellement

vogelsong – 24 Août 2008 – Paris

5 réflexions sur “Liberté – Equité – Rentabilité : nouveau credo de l’éducation (Partie 1)

  1. « Il est très facile de convaincre un smicard quotidiennement laminé que les fonctionnaires ont un avantage “royal”. Celui de ne pas être bringuebalé par une structure financière versatile. Ce raisonnement est d’une probité douteuse, on sent poindre la jalousie et le nivellement par le bas : “J’en bave, je ne vois pas pourquoi les autres non ?”. »

    Oui, ce raisonnement est odieux, mais il sonne vrai. Et, je dirai même, il est vrai. Il est vrai si on ne peut pas donner à tous le sentiment (et plus que le sentiment) qu’ils pourront évoluer professionnellement. Après, chacun fait des choix mais il sait qu’il pourra réellement les assumer.
    C’est sans doute à partir de ce genre d’interrogations réelles que la réflexion doit être menée, car ce sont des questions que se posent beaucoup d’électeurs potentiels de la gauche. C’est sûr que c’est moins noble que de réfléchir sur de grandes idées et que c’est moins porteur pour un élu que d’essayer de se battre pour savoir où son nom sera placé sur les listes de candidats aux prochaines élections européennes…

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  2. Bonsoir,

    Il y a d’autres manières de répondre à tous ces clichés, dans lesquels retombe d’ailleurs le commentateur précédent, c’est d’insister sur le fait que les corps de fonctionnaires (enseignants compris) sont frappés eux aussi, à leur manière, par l’ultra-libéralisme.

    Deux exemples chez les profs: 1) la multiplication des profs sans statuts (donc non-fonctionnaires) payés au lance-pierre, sans congés payés, sans droits à l’alloc-chômage. On appelle cela des vacataires, en d’autres termes des bouches-trou que l’on recrute de plus en plus alors même que l’on supprime de vrais postes d’enseignant.
    2) Autre méthode en progression spectaculaire: les postes dits partagés, un prof peut être ainsi amené à intervenir dans 2 voire 3 établissements différents parfois distants de plusieurs dizaines de km (véridique !) comme une sorte de VRP de l’enseignement.

    Mais on pourrait citer aussi les musées, la poste où les non-fonctionnaires vont finir par être plus nombreux que les personnels à statut. La mode dans le public, c’est de recruter sur des contrats de droit privé… Que de réalités méconnues ! (je vais en faire un billet d’ailleurs).

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